Titre original :  Photograph John Lovell, Montreal, QC, 1865 William Notman (1826-1891) 1865, 19th century Silver salts on paper mounted on paper - Albumen process 8 x 5 cm Purchase from Associated Screen News Ltd. I-19133.1 © McCord Museum Keywords:  male (26812) , Photograph (77678) , portrait (53878)

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LOVELL, JOHN, imprimeur et éditeur, né le 4 août 1810 à Bandon (république d’Irlande), fils de Robert Lovell, fermier, et de Jane Beasly ; le 20 septembre 1849, il épousa à Montréal Sarah Kurczyn, fille d’un riche marchand, et ils eurent six fils et six filles dont deux moururent en bas âge ; décédé le 1er juillet 1893 à Montréal.

En 1820, la famille de John Lovell quitta sa ferme des environs de Bandon pour immigrer dans le Bas-Canada et s’établir dans une ferme près de Montréal. L’un des aînés des dix enfants, John détestait les travaux agricoles. En 1823, il devint donc apprenti chez l’imprimeur Edward Vernon Sparhawk, propriétaire et rédacteur en chef du Canadian Times and Weekly Literary and Political Recorder de Montréal. Embauché par la Montreal Gazette en 1824, il alla ensuite travailler à Québec. L’épidémie de choléra qui se déclara en 1832 le poussa à retourner à Montréal, où il devint prote à l’atelier d’imprimerie de l’Ami du peuple, de l’ordre et des lois. En 1836, il était associé à Donald McDonald, avec qui il fonda la même année un journal conservateur, le Montreal Daily Transcript : c’était le premier journal à deux sous du Bas-Canada. La Lovell and McDonald imprimait des travaux de ville, des livres et des journaux, parmi lesquels le Populaire de Léon Gosselin*, boycotté par le parti patriote en ces années où l’atmosphère politique était particulièrement tendue. Lorsque la rébellion éclata, dans les derniers mois de 1837, Lovell ferma son atelier et s’enrôla dans la Royal Montreal Cavalry. Avant la bataille de Saint-Charles-sur-Richelieu, il se porta volontaire, avec Sydney Robert Bellingham, pour traverser le territoire ennemi, à la faveur de l’obscurité, et aller chercher des renforts britanniques au fort Chambly. Leur mission fut couronnée de succès.

En avril 1838, Lovell et McDonald se séparèrent. McDonald conserva le Montreal Daily Transcript et Lovell continua à faire des travaux de ville. En 1844, il s’associa à son beau-frère John Gibson. L’entreprise, située rue Saint-Nicolas, prit de l’expansion. En 1843, Lovell avait fait l’acquisition d’une presse fabriquée dans la colonie. Quatre ans plus tard, il importa au Bas-Canada la première presse à vapeur, qu’il dut placer sous bonne garde pour la protéger contre les pressiers en colère. La même année, il publia l’un des premiers catalogues de caractères et d’ornements typographiques à paraître dans la colonie.

Cependant, une grande partie des livres et revues qu’on lisait en Amérique du Nord britannique provenaient de Grande-Bretagne ou, en moins grand nombre, de France, ou encore – et surtout – des États-Unis, grands producteurs d’éditions contrefaites vendues à prix modique. À l’occasion, des auteurs coloniaux faisaient paraître des livres, mais Lovell et Gibson avaient compris que la diffusion de la littérature canadienne devait passer par les périodiques. C’est pourquoi, en 1838, ils avaient lancé le Literary Garland. Ce fut non seulement la première revue littéraire d’Amérique du Nord britannique à remporter du succès, mais aussi la première à payer ses collaborateurs. Gibson, qui en était le rédacteur en chef, publia en feuilleton War of 1812 [...] de John Richardson* et les premiers textes de Roughing it in the bush [...] par Susanna Moodie [Strickland*]. Bon nombre de poèmes, morceaux de fiction et essais publiés dans la revue étaient l’œuvre d’auteurs canadiens, tels Charles Sangster, Adam Hood Burwell*, Rosanna Eleanora Leprohon [Mullins*], Eliza Lanesford Cushing [Foster*] et sa sœur Harriet Vaughan Cheney. Le compositeur Charles Sauvageau*, entre autres, y publiait des morceaux de musique, et même les illustrations étaient faites par des artistes locaux. Dans les recensions, on parlait des écrivains britanniques et américains alors en vogue : Charles Dickens, Charlotte Brontë, Charles Kingsley, Nathaniel Hawthorne et William Makepeace Thackeray. En 1850, Gibson, qui était souffrant, confia la rédaction à Harriet Vaughan Cheney et à Eliza Lanesford Cushing. Sa mort, survenue en octobre, porta un dur coup à l’activité littéraire des anglophones de la province. Incapable de rivaliser avec le très populaire magazine américain Harper’s New Monthly Magazine, le Literary Garland cessa de paraître peu après. Auparavant, soit en 1847, la Lovell and Gibson avait encore fait œuvre de pionnière en offrant à la colonie son premier magazine pour enfants, Snow Drop ; or, Juvenile Magazine. Publié à la fois à Montréal et à Toronto, sous la direction d’Eliza Lanesford Cushing, il avait des collaborateurs canadiens et étrangers, et il parut jusqu’en 1853.

Éditrice de périodiques littéraires, la Lovell and Gibson imprimait ou éditait aussi un nombre croissant d’ouvrages sur une variété de plus en plus grande de sujets. Les titres suivants donnent une idée de cette diversité : The emigrant, a poem, in four cantos par Standish O’Grady*, paru en 1841, Fundamental principles of the laws of Canada [...] par Nicolas-Benjamin Doucet* en 1841–1843, les trois derniers volumes de A history of the late province of Lower Canada[...] par Robert Christie* de 1848 à 1855, et Répertoire de l’organiste [...] par Jean-Baptiste Labelle en 1851. Comme on l’a vu, la Lovell and Gibson avait d’abord présenté des œuvres musicales dans le Literary Garland. Privilégiant les compositeurs canadiens, Lovell allait publier des livres de musique et des partitions, ainsi que quelques « airs simples » dans des périodiques. Dans les années 1850 et la décennie qui suivit, il tenta d’étendre le marché des livres de fabrication canadienne. En 1858, il commanda à Ebenezer Clemo* un ouvrage intitulé Canadian homes ; or the mystery solved, a Christmas tale, dont 30 000 exemplaires en anglais et 20 000 exemplaires en français furent tirés la même année, mais la campagne de publicité ne porta pas fruit. La plupart des livres canadiens étaient imprimés et reliés selon des procédés médiocres, et ils ne pouvaient pas concurrencer les romans populaires de Grande-Bretagne ou des États-Unis. En 1864, Lovell apporta une contribution notable à la poésie canadienne en publiant une première anthologie, Selections from Canadian poets [...]. Éditée par Edward Hartley Dewart*, elle regroupait des vers d’auteurs connus, tels Alexander McLachlan, Susanna Moodie et Charles Sangster, aussi bien que des poètes de la relève, comme Pamelia Sarah Vining. Toujours dans les années 1850 et 1860, à cause du renouveau que connaissaient plusieurs confessions, les Canadiens furent de plus en plus nombreux à écrire des ouvrages originaux à caractère religieux. Dans ce domaine, Lovell publia notamment des écrits du rabbin Abraham De Sola* et des missionnaires catholiques Joseph Marcoux* et Jean-André Cuoq.

De même, Lovell encouragea la floraison de la littérature canadienne-française, dans les années 1840 et au début des années 1850, en imprimant par exemple l’Encyclopédie canadienne de Michel Bibaud* en 1842–1843, le Répertoire national [...] de James Huston* en 1848–1850 et la deuxième édition de Histoire du Canada [...] de François-Xavier Garneau* en 1852. Il publia une traduction de l’ouvrage de Garneau par Andrew Bell* en 1859 et, bien qu’elle fût mauvaise, en fit paraître en 1862 une version à peine retouchée. Ces initiatives littéraires n’étaient nullement des cas d’exception : depuis 1840, les écrivains des deux langues s’employaient à créer une littérature nationale. Certains, dont Richardson, Moodie, Garneau, Catharine Parr Traill [Strickland] et Thomas Chandler Haliburton*, se taillèrent une réputation internationale. L’importance croissante que la société accordait à l’éducation, aussi bien que l’apparition de sociétés littéraires et scientifiques ou d’instituts des artisans, expliquait cette évolution. Le taux d’alphabétisation et le niveau de conscience politique s’élevaient, formant la base d’un commerce florissant pour les librairies et les maisons d’édition.

Néanmoins, publier des œuvres littéraires était hasardeux, et c’est pourquoi Lovell se protégeait de plusieurs façons. Le risque financier était en général assumé par d’autres, et les travaux d’imprimerie devaient compenser les pertes que l’édition faisait subir à l’entreprise. Celle-ci imprimait des journaux, des magazines, des bottins et des publications gouvernementales en français et en anglais. En 1849, un marché d’imprimerie de l’Assemblée législative lui rapporta £6 226. Lorsqu’en 1850 la province du Canada modifia sa façon de distribuer ses travaux d’imprimerie, Lovell décrocha un contrat de dix ans. Comme le gouvernement siégeait tantôt à Montréal, tantôt à Toronto ou à Québec, il dut ouvrir des succursales dans ces villes. Ainsi, en 1851, la Lovell and Gibson (elle s’appelait toujours ainsi malgré la mort de Gibson) en avait une à Toronto, où Lovell avait temporairement élu domicile pour superviser le contrat du gouvernement. Cette année-là, 41 employés y travaillaient, sans compter les apprentis, et 30 à Montréal. En 1853, Lovell tenait à Québec, avec un associé du nom de Pierre Lamoureux, une succursale appelée Lovell and Lamoureux.

Lovell escomptait aussi un certain secours des mesures tarifaires. En 1858, le gouvernement provincial institua le premier tarif protecteur, à la fois pour augmenter ses revenus et pour aider les manufactures de la province. Lovell appuya ce geste dans une lettre à la Montreal Gazette qui fut reprise par la suite dans un opuscule publié à Montréal sans indication de date, Canadian manufactures. Il y écrivait par exemple : « Nous disons simplement ceci : Mettez-nous en position d’égalité avec les États-Unis. Ils ne modifieront pas leur politique. Nous devons changer la nôtre, sans quoi jamais le Canada ne pourra s’enorgueillir [d’avoir] de grandes maisons d’édition, ni faire fleurir le talent qui existe en germe dans le pays. » Cependant, l’instauration du tarif provoqua un tel tollé, aussi bien dans la province qu’en Grande-Bretagne et aux États-Unis, que dès 1859 le gouvernement dut annuler ou réviser à la baisse bon nombre des droits sur les livres.

Se spécialiser dans la production de bottins et de répertoires était un autre moyen, pour Lovell, d’assurer ses arrières. Il faisait ainsi preuve de sagacité car, dans ce secteur, la concurrence étrangère était inexistante. Dans les années 1840 et la décennie qui suivit, il imprima le Montreal directory pour Robert Walter Stuart Mackay* puis pour la veuve de celui-ci, Christina Mackay. En 1863–1864, il prit en main la compilation de l’ouvrage et, en 1868–1869, il en devint propriétaire et éditeur. En 1851, il avait édité et imprimé le Canada directory de Mackay. Six ans plus tard, il lança son propre Canada directory, qui comptait 1 152 pages et, en 1871, il publia un ouvrage monumental, Lovell’s Canadian dominion directory (2 562 pages), satisfaisant ainsi ce qui, selon Sydney Robert Bellingham, avait été son « ambition dévorante ». Toutefois, compiler ces bottins coûtait très cher : ses pertes sur le premier s’élevèrent à 12 000 $, et sur le deuxième – si l’on en croit Bellingham – à 80 000 $. Pour produire le bottin de 1871, il reçut diverses formes d’aide, dont un crédit de 15 000 $ d’Alexander Buntin pour le papier, 8 000 $ pour les caractères et le matériel d’imprimerie de Charles Theodore Palsgrave, et des laissez-passer de chemins de fer pour les 50 représentants qui recueillaient les renseignements. En outre, des départements gouvernementaux lui prêtèrent leurs services, des journaux publièrent des annonces sans frais, et la Canadian Express Company livra cette brique gratuitement aux journaux et à des conditions avantageuses aux souscripteurs. En dépit de ce soutien, Lovell dut emprunter de fortes sommes à Hugh Allan*, qui profita de la situation pour exiger 9 % d’intérêt et des services d’imprimerie gratuits pour ses compagnies.

À compter de la fin des années 1850, Lovell se spécialisa aussi dans le manuel scolaire. De 1842 à 1853, toutes les colonies de l’Amérique du Nord britannique avaient réorganisé leur système d’enseignement afin d’établir des écoles publiques, d’encourager la formation des instituteurs et d’uniformiser les manuels. Dès 1860, Lovell remplaça les divers manuels qu’il avait publiés jusque-là par la « Lovell’s Series of School Books », première collection de manuels destinés aux écoles canadiennes. Ils visaient à remplacer les titres de l’« Irish National Series » alors en usage, et surtout les manuels américains, qui vantaient la culture des États-Unis aux dépens des institutions de l’Amérique du Nord britannique. Le premier titre de la collection fut The geography and history of British America, and of other colonies of the empire [...], qui avait été publié en 1857 par la Maclear and Company [V. Thomas Maclear] et imprimé par la Lovell and Gibson. L’auteur en était John George Hodgins*, protégé d’Egerton Ryerson* et surintendant adjoint de l’Éducation du Haut-Canada, qui devint l’un des conseillers de Lovell en matière de manuels scolaires. John William Dawson, John Douglas Borthwick et John Herbert Sangster collaborèrent aussi à cette collection, qui était très variée : grammaire, histoire, arithmétique, philosophie naturelle, agriculture, cartes géographiques. Tout le monde louangea Lovell pour cette initiative, et ces manuels servirent jusqu’à la Première Guerre mondiale. Au début, Lovell bénéficia du fait qu’il était le seul éditeur canadien inscrit au catalogue des manuels autorisés dans les écoles haut-canadiennes. À compter de 1859, les écoles qui ne commandaient pas de livres inscrits au catalogue ne touchaient pas de subventions. Cependant, après la Confédération, il dut partager le marché du manuel scolaire avec, entre autres, James Campbell, William James Gage* et la Copp, Clark. and Company [V. William Walter Copp].

Toujours pour éponger les pertes de ses publications canadiennes, Lovell cherchait à produire des éditions canadiennes de succès étrangers. D’abord, dans les années 1850, il demanda une licence pour réimprimer un manuel de Robert Sullivan, The spelling-book superseded [...]. Comme Sullivan refusait les £50 de redevances qu’il lui offrait, il importa la contrefaçon américaine (qu’il aurait pu imprimer à un coût inférieur du tiers) et se plia aux conventions de l’édition en versant un droit de 12,5 % au titulaire du droit d’auteur, qui était britannique. Ensuite, il réfléchit à cette anomalie durant quelques années avant de prendre une nouvelle initiative. Jusqu’à la fin de sa vie, il allait consacrer une bonne partie de son temps et de ses énergies à tenter d’obtenir l’autorisation de faire des réimpressions au pays. Les imprimeurs-éditeurs canadiens soutenaient qu’ils devaient approvisionner leur marché et même, éventuellement, exporter aux États-Unis, tout comme les éditeurs américains exportaient au Canada depuis des décennies. À compter de 1867, Lovell et ses collègues invoquèrent aussi le fait que l’autonomie du Canada renforçait ce droit. Lovell persuada son ami sir John Rose*, représentant quasi officiel du Canada à Londres, de faire pression auprès du gouvernement britannique soit pour qu’il modifie le Foreign Reprints Act de 1847, soit pour qu’il autorise les imprimeurs canadiens à obtenir des licences spéciales qui leur permettraient de reproduire des ouvrages dont les droits étaient détenus en Grande-Bretagne. Les Américains réduisirent ces efforts à néant et opposèrent une résistance farouche chaque fois que des éditeurs canadiens essayaient d’exporter chez eux des livres produits au Canada. La plupart des auteurs britanniques soutenaient les Américains parce qu’ils ne voulaient pas que les licences spéciales d’impression ou la protection du droit d’auteur dépendent du lieu de fabrication d’un livre. En outre, des éditeurs comme Thomas Longman refusaient que des coloniaux réimpriment leurs livres. C’est ainsi que, surmontant leurs rivalités, les éditeurs et auteurs britanniques et les éditeurs américains firent front commun pour empêcher les éditeurs canadiens de soutenir la concurrence au Canada et à l’étranger. Inévitablement, les efforts déployés par Lovell et ses collègues en vue de faire modifier en leur faveur la législation sur le droit d’auteur qui s’appliquait au Canada et en Grande-Bretagne échouaient pour l’une des deux raisons suivantes. D’abord, après 1867, le Canada était encore à moitié une colonie, si bien que la Grande-Bretagne refusait de sanctionner les lois canadiennes qu’elle jugeait incompatibles avec sa législation sur le droit d’auteur. Ensuite, le Board of Trade de Grande-Bretagne estimait que « la question canadienne [devait] être étudiée dans le cadre des différentes négociations avec le gouvernement des États-Unis ». Or, les Américains tenaient au statu quo.

En 1869, convaincu que les contrefaçons américaines d’ouvrages britanniques envahissaient toujours davantage le marché canadien, Lovell décida de frapper un grand coup. Imitant les Américains, il publia une contrefaçon d’une pièce de théâtre de Dion Boucicault et de Charles Reade, Foul play. Toutefois, réimprimer sans permission, à l’intérieur de l’Empire, un ouvrage dont le droit était détenu en Grande-Bretagne était illégal. Il fut donc dûment menacé de poursuites judiciaires et, en plus, il acquit la réputation de faussaire. L’année suivante, le romancier anglais William Wilkie Collins autorisa le Globe de Toronto à publier son roman Man and wife en feuilleton et la Hunter, Rose and Company à en faire une édition canadienne [V. George Maclean Rose]. En 1872, Lovell se rendit en Angleterre pour tenter de conclure une entente semblable avec Longman. Comme le Canada avait adopté, cette année-là, une loi protectionniste sur le droit d’auteur, il en profita pour tenter d’exercer des pressions sur le gouvernement et les auteurs britanniques, avec Graeme Mercer Adam*, dans l’espoir de les amener à changer d’attitude envers les éditeurs canadiens. Dans A letter to Sir John Rose, bart., K.C.M.G., on the Canadian copyright question, ils affirmèrent que les Britanniques avaient cédé le marché canadien aux Américains. Lovell échoua sur les deux fronts, peut-être à cause de sa réputation de « pirate », peut-être à cause de sa personnalité, et il attribua l’arrogance et l’inflexibilité des Britanniques aux manœuvres de Longman. En 1873, le gouvernement britannique déclara que la loi canadienne sur le droit d’auteur était inconstitutionnelle. Déjà, cependant, Lovell avait décidé de stéréotyper et d’imprimer des ouvrages britanniques aux États-Unis et de les importer au Canada comme contrefaçons américaines, en acquittant le droit de 12 % exigé par le Foreign Reprints Act (qui allait demeurer en vigueur au Canada jusqu’en 1894). En 1872–1873, donc, il avait construit une imprimerie moderne près de la frontière canado-américaine, à Rouses Point, dans l’état de New York, et y avait installé sa famille. Ils vécurent là deux ans et demi. Tant les Britanniques que les Américains furent troublés par ce « procédé malhonnête » mais, contre toute attente, l’imprimerie de Lovell eut bientôt plus de commandes légitimes aux États-Unis qu’elle ne pouvait en remplir.

En 1866, Lovell avait, au Canada, 150 employés et 12 presses à vapeur. À partir de 1872, l’entreprise montréalaise continua d’imprimer ses publications et celles d’autres éditeurs, mais l’impression des livres à grand tirage se fit de plus en plus à la Lake Champlain Press de Rouses Point. C’est là que son fils aîné, John Wurtele, fit ses débuts. En 1876, avec son père et Adam, il fonda à New York la Lovell, Adam and Company afin de réimprimer, en éditions à prix modiques, des ouvrages dont le droit d’auteur était déposé en Grande-Bretagne. La compagnie eut bientôt un autre associé, Francis L. Wesson, gendre de Lovell et fils d’un armurier du Massachusetts ; elle prit alors le nom de Lovell, Adam, Wesson and Company. En 1877, elle publia The golden dog de William Kirby*, mais comme ce roman n’était pas enregistré au Canada, Kirby n’y avait aucune protection et ne toucha pas de redevances canadiennes. La même année, John Wurtele quitta la compagnie pour fonder sa propre maison et se lancer dans une carrière qui allait atteindre des sommets spectaculaires puis s’achever par une faillite. Entre-temps, soit en 1874, Lovell avait formé la Lovell Printing and Publishing Company, dont le capital était de 300 000 $ ; les immeubles de Montréal et de Rouses Point, l’équipement et les copyrights constituaient le tiers de cette somme. Lovell était le directeur provisoire de cette société ; parmi les administrateurs provisoires figuraient Bellingham, qui devint par la suite président, ainsi que John Wurtele et son frère Robert Kurczyn.

Même après avoir construit son imprimerie à Rouses Point, Lovell continua de s’employer à faire modifier la législation canadienne et britannique sur le droit d’auteur. Avec d’autres imprimeurs, il tentait de convaincre le gouvernement d’adopter des lois protectionnistes qui feraient de la production au Canada une condition du copyright et garantiraient aux auteurs étrangers la protection que leur gouvernement assurait aux auteurs canadiens. La loi de 1872 sur le droit d’auteur avait fait long feu. Une autre, à la conception de laquelle Lovell participa apparemment peu, sinon pas du tout, fut adoptée en 1875. Solution de compromis, elle exigeait que, pour être protégé, un livre soit imprimé, publié et enregistré au Canada, mais par ses échappatoires elle protégeait les nombreux copyrights américains et britanniques qui ne satisfaisaient pas ces conditions. Ainsi (et c’était le plus grave), elle n’avait pas préséance sur la loi impériale de 1842, qui protégeait les livres publiés dans les autres territoires de l’Empire. Vers la fin des années 1870, des éditeurs comme la Belford Brothers [V. Charles Belford*] et John Ross Robertson* profitèrent de l’incertitude qui entourait la protection des copyrights britanniques pour en contrefaire un grand nombre, et ce pendant plusieurs années. Lovell, lui, restait un fabricant protectionniste, pour qui l’expansion du marché du livre et le développement de la littérature nationale reposaient sur le principe de la fabrication canadienne. Cependant, en 1885, la convention de Berne élimina le lieu de production du nombre des critères de protection, puis en 1891 une loi américaine sur le droit d’auteur mit fin à la contrefaçon et rendit inopérant le Foreign Reprints Act de 1847.

La Lovell Printing and Publishing Company était devenue en 1884 la John Lovell and Son. L’année suivante, un incendie rasa l’immeuble d’origine, en bois, construit en 1842 ; on le remplaça par un édifice en pierre. De 1888 à 1890, l’entreprise mit sur le marché une collection d’ouvrages canadiens de fiction qui finit par comprendre 60 titres publiés sous forme de fascicules mensuels. Dès 1893 cependant, elle imprimait surtout des manuels scolaires, des répertoires, des bottins, des plans de rues, des guides et des livres aux pages vierges – produits qui, à l’exception d’une partie des manuels scolaires, échappaient à la concurrence étrangère.

Lovell et sa femme, Sarah Kurzcyn, connurent une longue et heureuse vie conjugale. Durant 34 ans, Mme Lovell eut la charge d’une grande résidence richement décorée, rue Sainte-Catherine. Selon Bellingham, ami intime de la famille, c’était « une femme d’un port imposant dont les talents intellectuels [en faisaient] une grande éducatrice ». En 1877, elle ouvrit une école pour jeunes demoiselles de 15 à 20 ans ; Borthwick et William Osler*, entre autres, y donnèrent des conférences. Les Lovell comptaient, dans leur cercle d’amis, Thomas D’Arcy McGee*, sir John Alexander Macdonald, les évêques George Jehoshaphat Mountain*, Francis Fulford*, William Bennett Bond*, Ignace Bourget* et Édouard-Charles Fabre, ainsi que Susanna et John Wedderburn Dunbar Moodie*, Charles Sangster et Rosanna Eleanora Leprohon, ancienne compagne de classe de Mme Lovell. À la grande table de leur salle à manger, on discutait politique, on fêtait les employés à chaque jour de l’An, et Mme Lovell donnait des cours. La famille aimait la lecture et la musique ; Sarah Lovell et certains des enfants firent partie de la chorale de l’église St George, puis de la cathédrale Christ Church, qui était en face de chez eux. Fervent anglican, Lovell avait été marguillier et fidèle de la chapelle Trinity au moment où le révérend Mark Willoughby* en était titulaire. Par la suite, il fréquenta l’église St George et contribua généreusement à la construction de la cathédrale Christ Church, où il loua un banc durant de nombreuses années. Pilier de l’Irish Protestant Benevolent Society, il s’intéressait aussi aux œuvres des sœurs grises, à qui il donna même une petite presse à bras et un jeu de caractères pour qu’elles puissent faire leurs propres travaux d’imprimerie.

John Lovell mourut le 1er juillet 1893. Bon nombre de ses contemporains évoquèrent sa détermination et sa générosité. Pendant la plus grande partie de sa carrière, éducateurs et auteurs avaient reconnu en lui un protecteur de la littérature. Dans le monde du livre, plusieurs hommes d’affaires, par exemple John Creighton* et Charles-Odilon Beauchemin*, avaient fait leurs débuts chez lui. Surtout, il avait lutté – pas toujours avec succès – pour la protection et le développement de l’édition canadienne. Du début à la fin de sa carrière, tout en veillant aux intérêts d’autrui, il avait su défendre habilement et faire avancer les siens propres, si bien qu’il laissa à son fils Robert Kurczyn une entreprise florissante. Un contemporain, Frederick William Terrill, a bien résumé le personnage en disant qu’en lui « s’alliaient avec bonheur un esprit lucide et un cœur généreux ».

George L. Parker

John Lovell est l’auteur de : « Preface », Canada directory, 1871 ; Statement of the tenders for the printing and stationery required by the corporation of the City of Montreal, for six years (Montréal, 1881) ; John Lovell and the Bank of Montreal ([Montréal, 1892]) ; en collaboration avec G. M. Adam, A letter to Sir John Rose, bart., K.C.M.G., on the Canadian copyright question (Londres, s.d.) ; et il a écrit un article dans Jacob DeWitt et al., Canadian manufactures, to the people of Canada (Montréal, 1858).

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George L. Parker, « LOVELL, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lovell_john_12F.html.

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Auteur de l'article:    George L. Parker
Titre de l'article:    LOVELL, JOHN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    28 novembre 2024