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HALIBURTON, THOMAS CHANDLER, homme politique, juge et écrivain, né le 17 décembre 1796 à Windsor, Nouvelle-Écosse, fils de William Hersey Otis Haliburton et de Lucy Chandler Grant, décédé le 27 août 1865 à Isleworth, Middlesex, Angleterre.
L’ascendance et l’éducation exercèrent les plus profondes et les plus durables influences sur les opinions et la carrière politiques de Thomas Chandler Haliburton. Le premier Haliburton en Amérique du Nord avait été un obscur perruquier, mais le grand-père de Thomas Chandler Haliburton, William Haliburton, qui avait émigré en Nouvelle-Écosse en 1761, et son père furent tous les deux de bons avocats qui devinrent juges ultérieurement. Leur succès, dans un milieu avant tout tory, consolida le credo politique de trois générations de Haliburton. La conscience de leur lignée renforçait davantage ce credo. Le grand-père de Haliburton croyait descendre des Haliburton de Newmains et de Mertoun à la frontière écossaise – ancêtres maternels de sir Walter Scott – bien qu’il ne pût le prouver en droit. Les Haliburton de la Nouvelle-Écosse se considéraient néanmoins comme des gentilshommes parce qu’ils appartenaient à cette souche. Le torysme inhérent de Haliburton fut marqué d’une forte prévention antirépublicaine par suite des souffrances des parents de sa mère, les Grant, pendant la guerre de l’Indépendance américaine et de leur mort en mer alors qu’ils étaient en route vers Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, pour régler des réclamations loyalistes.
Haliburton fit ses études à King’s Collegiate School et à King’s College à Windsor, Nouvelle-Écosse, d’où il sortit avec un diplôme en 1815. L’endoctrinement qu’il y subit dans les principes sur lesquels reposait l’establishment anglican et tory se vit confirmé par son association avec les fils des leaders du monde des professions libérales des Maritimes qui se préparaient à remplacer leurs pères. À cette orientation vint s’ajouter l’étude des littératures grecque et latine qui, tout en lui donnant des leçons utiles sur la correction du style et la beauté de la langue, dont Haliburton devait apprécier plus tard le grand service, lui fournissait des exemples d’une société qui croyait que l’histoire était principalement la somme totale des guerres et de la politique menées par de grands hommes appartenant surtout à des familles aristocratiques.
L’époque où Haliburton grandit exerça aussi une influence considérable sur lui. La lutte que menait la Grande-Bretagne contre la France et la république des États-Unis donna une nouvelle impulsion patriotique aux attitudes tory ; dans ce contexte, les attitudes démocratiques apparurent comme une trahison. L’avènement de la paix en 1815, cependant, laissa la Nouvelle-Écosse dans une situation économique artificiellement à la hausse et mit fin à la politique coloniale de protection du gouvernement britannique, qui avait donné lieu à deux décennies de prospérité. La sécurité des places et les avantages qui s’y rattachaient devinrent alors quelque chose d’important à défendre ; il se passa au moins 15 ans à partir de la fin des guerres napoléoniennes avant que cette lutte pour le monopole des fonctions publiques ne commençât à se cristalliser en quelque chose ressemblant à une lutte idéologique entre le « privilège » et la « démocratie » ; il se passa aussi presque une décennie de plus avant qu’il devînt évident que le torysme, selon l’acception d’Edmund Burke, était à la fois gravement menacé et condamné.
La carrière politique de Haliburton suit un cours singulièrement parallèle à cette évolution. En 1820 il fut reçu avocat et ouvrit une étude qui devint lucrative à Annapolis Royal. Six ans plus tard, il fut élu député d’Annapolis Royal à l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. De 1826 à 1829, il se comporta dans cette chambre comme il convenait à un tory qui accordait autant d’attention aux responsabilités qu’aux privilèges et qui était assez indépendant du « patronage » pour agir de façon autonome. Ainsi se rangea-t-il du côté du gouverneur et du Conseil pour appuyer les droits de la Grande-Bretagne à réglementer des affaires comme le commerce et les terres de la couronne. Il appuya en même temps des mesures relatives au développement interne de la Nouvelle-Écosse, tout particulièrement l’octroi de subsides par l’Assemblée à un système scolaire public et une dotation permanente à la Pictou Academy. Il recommanda aussi fortement la suppression de la déclaration antipapiste contenue dans le serment de l’Assemblée, que celle-ci avait approuvée à l’unanimité en 1827. Vu que peu de membres de l’Assemblée pouvaient se permettre d’être aussi conséquents, Haliburton eut tôt fait de constater que ses ennemis sur une question étaient ses amis sur une autre et de se voir accusé de manquer d’esprit de suite. Ses dons oratoires et son sens remarquable du ridicule, souvent défigurés par la prolixité, faisaient tout ensemble les délices et l’exaspération de la chambre ; en une circonstance, alors que le Conseil rejetait un projet de loi d’école publique qu’il avait appuyé, Haliburton dénonça les 12 conseillers en les traitant « de vieilles dames à la retraite, dignes, érudites, mais pleines de préjugés et de caprices comme toutes les autres filles prolongées et vieux jeu », à la suite de quoi l’Assemblée proposa une motion de censure contre lui. Sa présence à l’Assemblée législative devint un embêtement et pour les tories au pouvoir et pour les réformistes. Quand Haliburton sollicita en 1829 le poste de juge à la Cour inférieure des plaids communs, devenu vacant par suite de la mort de son père, il fut rapidement nommé juge.
La carrière politique subséquente de Haliburton en Nouvelle-Écosse se limita presque exclusivement au corpus important de ses écrits. De 1827 à 1837, encore que tory, il maintint avec de moins en moins de conviction, dans sa fameuse série de récits humoristiques The clockmaker, le point de vue que les idéologies politiques sont superficielles et qu’elles ne pouvaient pas du tout guérir les maux de la Nouvelle-Écosse ; elles ne servaient qu’à masquer une lutte à découvert des individus pour le pouvoir et l’argent. Tout en demeurant fidèle à cette disposition d’esprit, Haliburton conserva, malgré son torysme, la profonde amitié qui le liait à Joseph Howe*, chef réformiste de la Nouvelle-Écosse. L’arrivée au Canada en 1838 de lord Durham [Lambton*], libéral britannique bien connu, fit sentir à Haliburton la menace capitale que courait ce monde qu’il défendait ; les aspects politiques de ses écrits révéleront désormais un partisan tory toujours engagé qui avait le sentiment que la lutte contre le radicalisme justifiait tous les moyens. À mesure que la cause du torysme devenait plus désespérée, Haliburton se montra plus sévère dans son plaidoyer ; dans sa vieillesse, il s’opposa à beaucoup de mesures qu’il avait appuyées étant plus jeune à l’Assemblée de la Nouvelle-Écosse.
Haliburton fut juge de la Cour inférieure des plaids communs de 1829 jusqu’à l’abolition de celle-ci en 1841, tenant deux sessions par année dans quatre chefs-lieux de comté au traitement annuel de £405, les dépenses de voyage en plus. Puis, grâce à l’influence directe et personnelle de lord Falkland [Cary*], lieutenant-gouverneur, Haliburton fut nommé juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse au traitement annuel de £560, les frais de voyage en plus. En 1854, il offrit de se démettre de ses fonctions à la cour, pourvu que lui fût versée la pension de £300 par année qu’on avait accordée aux juges de la Cour inférieure des plaids communs au moment de l’abolition de leur fonction. Cette offre ne fut pas agréée de la législature, et, en 1856, Haliburton se retira de la magistrature pour raison de santé. Il s’établit tout de suite en Angleterre, où il était allé en visite assez régulièrement depuis 1816. Après un litige lamentable et traînant en longueur, entouré de manigances politiques, la cause aboutit au comité judiciaire du Conseil privé et Haliburton réussit, en 1862, à obtenir sa pension tout à fait contre la volonté de la législature et les vœux des habitants de la Nouvelle-Écosse.
Comme juge, Haliburton fut consciencieux, intègre, intelligent, adhérant à l’esprit plutôt qu’à la lettre de la loi. Il ne fut, cependant, en aucune façon, un grand juge ; son penchant au calembour et son vif sentiment du ridicule, tout en égayant souvent une séance de cour, par ailleurs ennuyeuse, n’augmenta ni sa réputation ni celle de la magistrature en Nouvelle-Écosse.
Malgré ses fonctions de juge, les exigences de son métier d’écrivain et une vie familiale et sociale bien remplie, Haliburton trouva le temps de s’occuper d’affaires en Nouvelle-Écosse. Il fut président de la Société d’agriculture de Windsor, propriétaire de six magasins et d’une longueur considérable des quais de cette ville ; il était aussi propriétaire d’une plâtrière et président d’une société par actions qui possédait le pont sur l’Avon à Windsor. Après son déménagement en Angleterre, ses entreprises restèrent en grande partie coloniales ; il les garda autant pour le progrès des colonies que pour son profit personnel. Il fut le premier président de la Canadian Land and Emigration Company, qui en 1861 acheta, aux fins de colonisation, une immense superficie de territoire inoccupé dans les comtés de Haliburton et de Victoria dans le Haut-Canada (un village d’Ontario porte aujourd’hui son nom). De plus, dans un revirement sensationnel de son opposition première aux suggestions de lord Durham sur le fédéralisme, Haliburton devint en 1862 membre du premier conseil de la British North American Association à Londres, formée pour encourager l’union des provinces et diffuser des renseignements sur les colonies.
En Angleterre, Haliburton s’établit à Isleworth, près de Richmond, et en 1859 fut élu député conservateur de Launceston dans une chambre des Communes britannique dominée par la majorité « Little Englander » de lord Palmerston et de William Gladstone. Haliburton se vit tôt handicapé par un parti de l’opposition qui avait fait, il le sentait bien, trop de compromis pour convenir à ses convictions, et par ses idées, que la plupart des Anglais considéraient être du xviiie siècle. Il était en plus diminué par la goutte et une affection de gorge, de sorte qu’il se faisait entendre et comprendre avec difficulté. La réputation d’homme d’esprit, qu’il s’était faite à partir de ses écrits seulement, jouait également contre lui. Dès lors, Haliburton découvrit que sa carrière de député était non seulement inefficace et décevante pour lui-même mais aussi ennuyeuse aux autres membres de la chambre moins intéressés que lui aux affaires coloniales. Il ne se présenta pas pour réélection à la fin de son mandat en 1865.
La carrière de Haliburton, comme on vient de la résumer, témoigne de deux traits persistants ; elle révèle chez lui assez de discernement quant à la valeur des fonctions publiques pour désirer servir ses semblables en qualité de député et de juge ; elle montre aussi assez de réalisme face aux avantages financiers et sociaux que procurait la vie publique, pour désirer retirer les honoraires les plus élevés possibles pour ses services. Elle témoigne en plus de l’habileté de Haliburton à remplir ses fonctions avec assiduité et compétence. Mais elle est loin de révéler des dons supérieurs en politique et en droit, c’est-à-dire une capacité de travailler en équipe et de dégager de nouveaux principes pour faire face à des situations changeantes. Haliburton pouvait gagner largement sa vie à même une fonction publique et fournir en échange un travail courant de bureau. Son contemporain, Joseph Howe, pouvait accomplir bien davantage. La réputation de Thomas Chandler Haliburton repose plutôt sur son talent littéraire.
En 1816, Haliburton avait épousé Louisa Neville ; le couple eut onze enfants, dont trois moururent en bas âge. Un fils, Robert Grant*, se distingua comme anthropologue et antiquaire ; un autre, Arthur Lawrence, poursuivit une éminente carrière dans l’armée et la fonction publique britanniques. En 1856, Haliburton épousa Sarah Harriet Owen, veuve d’Edward Hosier Williams, de Eaton Mascott, Shrewsbury.
Comme homme, le trait le plus marquant de Haliburton était sa fureur de vivre, insatiable, il est vrai, mais assez peu raffinée. Il fut un mari très attaché à ses deux épouses, un connaisseur de bonne chère, de fines boissons, de chevaux rapides et de conversation de qualité. Il profita de tous les privilèges et des appointements dus à son rang et chercha à augmenter ses prérogatives à toute occasion. Un bon compagnon à boire pour le premier venu dans un bar ou une taverne pendant qu’il était en tournée, il se sentait, néanmoins, extrêmement conscient des convenances sociales traditionnelles ; dans sa propre maison, que ce fût à Annapolis Royal, à Windsor ou en Angleterre, il acceptait de s’associer seulement avec ses pairs ou ses supérieurs, bien qu’il sût qu’une pareille ligne de conduite ne pouvait le rendre populaire en Nouvelle-Écosse.
II avait beau être anglican pratiquant et avoir été, dans sa jeunesse, lié d’amitié avec le fameux abbé Jean-Mandé Sigogne*, Haliburton se sentait le plus à l’aise quand il buvait et échangeait des histoires avec de solides gaillards, dont les intérêts étaient plus terrestres que spirituels. À Halifax, il fréquentait un groupe de lettrés amateurs connus sous le nom de The Club, qui écrivirent des articles dans le journal de Joseph Howe, le Novascotian, entre 1828 et 1831 ; parmi les membres du Club figuraient Joseph Howe et Laurence O’Connor Doyle. Les principaux confrères de Haliburton en littérature furent Howe en Nouvelle-Écosse, Richard Harris Barham et Theodore Hook en Angleterre. À l’instar des seigneurs du xviiie siècle auxquels il ressemblait, il ne voyait que de l’absurdité dans une religion qui sortait du cadre des fonctions morales et sociales de l’Église et commettait tout excès de sentiment. Il était aussi tout particulièrement fermé à l’exaltation religieuse et aux controverses confessionnelles qui caractérisaient la vie religieuse de la Nouvelle-Écosse de son temps.
Mais, tout en étant aussi conscient qu’un homme pouvait l’être des droits et des privilèges attachés à la noblesse, Haliburton avait une égale conscience de ses responsabilités. Son nom occupe un rang élevé sur la liste des généreux donateurs aux œuvres de sa paroisse. Ses écrits, son activité agricole à Windsor, ses fonctions de député et de juge attestent fortement son désir de montrer, par l’instruction, le précepte et l’exemple, le chemin aux habitants de la Nouvelle-Écosse tout particulièrement et aux gens de langue anglaise en général vers des moyens de pensée et d’action morale et sociale qu’il tenait pour plus souhaitables. Il se peut qu’il ait donné libre cours à ses appétits au détriment de sa constitution, mais il est également vrai que l’écroulement de sa santé survint aussi par suite de ses efforts au service général de l’humanité. Haliburton, qui était un homme intelligent, s’attacha à promouvoir des causes et des fins dépassant ses intérêts personnels et, ce faisant, connut à la fois le succès et l’échec.
L’œuvre littéraire de Haliburton est abondante et variée. Compte tenu de ce qu’exigeaient de lui ses ouvrages de création plus importants et de ses autres responsabilités publiques, Haliburton réussit à consacrer énormément de temps à la compilation et à la composition d’ouvrages historiques, de brochures et d’anthologies qui, à eux seuls, lui auraient valu une renommée digne de considération parmi les écrivains coloniaux du xixe siècle. Bien qu’il fût enclin, à l’instar de tant de ses contemporains, amateurs et professionnels, à considérer l’histoire comme les luttes de simples particuliers contre un arrière-plan fait de politique et de guerre, et bien que les sources de ses renseignements fussent souvent maigres et de seconde main, il pouvait, quand il le voulait, être plus effectif que la plupart de ses contemporains dans la disposition de ses matériaux ; sa prose vigoureuse, musclée, était supérieure à celle de la plupart des écrivains.
A general description of Nova Scotia, qui passa longtemps pour avoir été l’œuvre de Walter Bromley*, publiée en 1823 et réimprimée en 1825 sous une forme contrefaite, est une remarquable production pour un jeune avocat. Mais, comme elle ne satisfaisait pas du tout son auteur, ce dernier la remplaça en 1829 par An historical and statistical account of Nova-Scotia. L’Assemblée de la Nouvelle-Écosse vota des remerciements à Haliburton pour cet ouvrage. Le premier volume contenait une histoire de la province. Il y était question surtout de la Nouvelle-Écosse avant l’occupation britannique. Dans une partie de son histoire, Haliburton décrit de façon pittoresque la déportation des Acadiens ; par l’entremise de Nathaniel Hawthorne, ce récit fournit à Henry Wadsworth Longfellow le germe de son poème populaire, Evangeline, et aux Acadiens une version de la déportation qui a contribué à transformer le mythe en histoire proprement dite. Le second volume était truffé de renseignements géographiques sur la Nouvelle-Écosse.
Ces coups d’essai pour écrire l’histoire répondaient à des motifs théoriques et pratiques. Les deux ouvrages contiennent en grande partie des renseignements destinés à l’usage des colons éventuels en provenance de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Dans le second de ses ouvrages, Haliburton se mettait en devoir de doter la Nouvelle-Écosse d’un passé ; il fit à cette fin une compilation parmi les sources allant de l’ouvrage bien connu de Tobias George Smollett sur l’histoire de l’Angleterre, aux documents et aux ouvrages de référence peu connus et inaccessibles. En toute probabilité, la difficulté qu’il éprouva à trouver bon nombre des sources de ces récits historiques et le temps relativement restreint qu’il avait à sa disposition amenèrent Haliburton à paraphraser, sciemment ou à son insu, une grande partie des matériaux. Comme historien, la curiosité de son esprit et la vigueur de son style furent plus stimulées par « l’intérêt humain du drame » de l’histoire que par l’analyse plus terre-à-terre des causes et de la marche des événements. Bien qu’il fût enclin, dans ses premiers essais comme historien, à accepter sans esprit critique le passé comme il le lisait dans les ouvrages d’autres auteurs, il a cependant soutenu un point de vue indépendant sur la déportation des Acadiens, qui dépasse le préjugé national.
Haliburton écrivit un autre essai historique proprement dit, The English in America, qui parut en deux volumes à Londres en 1851, et la même année à New York sous le titre de Rule and misrule of the English in America. C’est une étude à thèse qui vise à prouver que les tout premiers colons de la Nouvelle-Angleterre possédaient un régime démocratique indépendant et qu’ils le pratiquaient à défaut de l’autorité britannique dans la colonie ; en conséquence, la république des États-Unis était née non pas de la révolution mais du long développement et du progrès de la démocratie chez les colons, dont la formation était unique en administration autonome. Ce point de vue avait pour corollaire, évidemment, que les colonies françaises et le reste de l’Amérique britannique, pour avoir pris naissance en des conditions vraiment coloniales, se devaient donc de demeurer des colonies. L’ouvrage est bien écrit et la thèse est habilement défendue. Mais la réputation du livre a été en grande partie détruite par le plagiat qu’avait fait Haliburton de l’ouvrage en six volumes de Richard Hildreth, History of the United States of America [...] (New York, 1848–1852). Le larcin était si voyant que l’auteur n’avait pas d’excuse et, en fait, il n’en allégua jamais une seule. Qu’il ait fait des emprunts à Hildreth est incompréhensible à moins qu’il eût à répondre à la date limite d’un éditeur et eût été harcelé. Par suite de la rareté des sources originales, il aurait peut-être été obligé de compter sur Hildreth pour les renseignements, mais il pouvait, grâce à la qualité de son style, faire œuvre originale.
Deux pamphlets politiques, The bubbles of Canada et A reply to the report of the Earl of Durham, sont les moins remarquables des plus longs écrits de Haliburton ; ils révèlent son inquiétude consécutive à la désignation de lord Durham au poste de gouverneur général et de haut-commissaire aux colonies de l’Amérique du Nord britannique. Il voyait, fort justement, que cette nomination menaçait la position des tories plus que jamais ; il se rendait compte aussi qu’il faudrait, si la menace devait être contrée, prendre des mesures effectives pour influer sans délai sur l’opinion publique. Aussi Haliburton décida-t-il de faire servir sa réputation d’humoriste à cette fin ; il dut travailler à la hâte et sous la contrainte au lieu de prendre du temps pour composer son ouvrage avec soin. Dans le cas de The bubbles of Canada, les lecteurs en Grande-Bretagne furent irrités de voir qu’un livre, annoncé comme l’œuvre d’un célèbre humoriste et portant un titre singulièrement semblable à celui d’un livre à succès écrit par sir Francis Bond Head*, se révélait un travail prosaïque dans l’invective politique partisane. Dans les deux pamphlets, la hâte de Haliburton l’emportait sur son sens de la forme et de l’exactitude tandis que l’intensité de ses sentiments partisans l’amenait à faire des énoncés extravagants qui minèrent la crédibilité de son point de vue. Il semble avoir écrit chaque paragraphe sous l’impulsion du moment, saisissant le moindre prétexte fourni par les gestes et les déclarations de lord Durham, et n’avoir jamais revu son œuvre au complet pour voir si ses dires ne se contredisaient point. Seul le recours à une ironie soutenue aurait pu racheter ces pamphlets et les rendre effectifs. Mais celle-ci en est visiblement absente.
Haliburton accusait lord Durham de dénaturer les efforts des administrateurs coloniaux des temps passés pour gouverner les colonies de l’Amérique du Nord britannique. Il était en désaccord avec lord Durham tout particulièrement au sujet de la façon de traiter les Canadiens français dans le passé et dans l’avenir. On leur avait fait trop de concessions comme peuple conquis ; la rébellion de ces derniers indiquait, à son avis, le danger de donner la liberté aux colonies. Il combattait la suggestion de lord Durham relative à une union fédérale sous prétexte qu’elle fournirait un champ plus étendu d’opération aux démagogues et qu’elle hâterait le mouvement des colonies de l’Amérique du Nord britannique vers une plus grande autonomie vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Il s’opposait à l’union du Bas et du Haut-Canada que prônait Durham et à ses recommandations en faveur du gouvernement responsable.
La réputation internationale et permanente de Haliburton comme écrivain est fondée, cependant, sur The clockmaker ; or, the sayings and doings of Samuel Slick, of Slickville, dont 22 fascicules avaient paru dans le Novascotian avant la publication d’un livre sous ce titre par Joseph Howe à Halifax en 1836. La deuxième série fut publiée à Londres par Richard Bentley en 1838 et la troisième en 1840. Elles connurent de fréquentes réimpressions en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Pendant quelque temps du moins, au milieu du xixe siècle, Haliburton et son œuvre eurent, des deux côtés de l’Atlantique, une vogue qui rivalisait avec celle dont jouissait alors Charles Dickens.
On peut considérer The clockmaker comme une série d’essais moraux aiguisés par la satire ou comme un roman picaresque dont l’intrigue est plus épisodique que celle de la plupart des romans du genre. Le seigneur, narrateur et porte-parole de l’auteur, et Sam Slick, horloger yankee, voyagent ensemble à travers la Nouvelle-Écosse contemporaine. Au cours de leur odyssée, d’une manière ou d’une autre, tout événement qui leur arrive se transforme en une heureuse illustration d’un trait politique ou social qui peut souvent se résumer en une maxime. L’intérêt soutenu d’un bout à l’autre du livre ne dépend donc pas du suspense mais plutôt de l’animation inhérente de chaque incident, de la signification appropriée qu’il illustre et de l’emploi brillant que fait l’auteur de la caractérisation, de la langue, de l’anecdote et du point de vue.
Sam Slick est l’unique personnage qui importe, à vrai dire, dans The clockmaker ; le seigneur et M. Hopewell servent seulement de repoussoirs à Sam Slick ou de porte-parole des opinions tory. Ce qui retient l’attention, d’un chapitre à l’autre, c’est la vanité, l’ingéniosité et le langage pittoresque de ce Yankee des Yankees qu’est Sam Slick. On a prétendu que Sam Slick manque d’esprit de suite, non seulement d’un livre à l’autre, mais même dans les pages d’un seul livre, que son parler révèle le dialecte entendu en bien des régions des États-Unis plutôt que celui d’un seul homme, et qu’il est un personnage littéraire au lieu d’être un homme en chair et en os. Il est vrai que le Sam Slick de The clockmaker est tout à fait différent de celui de The attaché ; or, Sam Slick in England, publié en deux séries en 1843 et 1844 et destiné à un public différent. Dans ce dernier livre, le paisible colporteur yankee est devenu un fanfaron plein d’arrogance. Les critiques de ce changement ne remarquent peut-être pas que l’Américain chez lui n’est pas le même être que l’Américain à l’étranger, en pays peu familier. En réponse à ces critiques, on peut aussi faire remarquer que The clockmaker et The attaché sont construits sur l’unité du chapitre et, en conséquence, que Sam Slick est obligé de dominer dans chaque chapitre. On peut également soutenir que Slick lui-même est quelque peu un héros populaire, où se trouvent réunis les éléments divers et parfois contradictoires qui composent un personnage représentatif de son pays.
À l’instar des Grecs, les Yankees étaient durant leurs pérégrinations de grands collectionneurs de récits et de singularités linguistiques ; la connaissance de tous ces facteurs pouvait par la flatterie et les faiblesses de la nature humaine se transformer en dollars et en cents ; l’argot éclectique de Sam Slick n’était de son temps qu’une exagération des façons normales de parler d’un groupe de gens, dont les congénères sont aujourd’hui en grande partie disparus. Quoi qu’il en soit, si Sam Slick n’est aujourd’hui qu’un personnage littéraire, il l’est du moins dans le même sens que les personnages de Dickens et de Molière.
Par son emploi de Sam Slick dans The clockmaker, Haliburton a su nuancer son jugement sur les Américains, les Britanniques et les habitants de la Nouvelle-Écosse. Ses jugements étaient à double tranchant. Il admirait les Anglais pour leurs traditions et leurs institutions, dont il avait lui-même le sentiment de faire partie. Il les critiquait parce qu’ils refusaient de changer leurs traditions face à de nouvelles situations et parce qu’ils traitaient les colonies avec condescendance. Il détestait les Américains pour leur fanfaronnade, leur opportunisme et leur victoire sur la Grande-Bretagne durant la guerre d’Indépendance. Il admirait en même temps leur assiduité au travail, leur compétence et leur faculté d’adaptation. Haliburton voyait dans les habitants de la Nouvelle-Écosse un peuple dont les vertus étaient essentiellement britanniques, mais qui était en train de se ruiner en gardant un niveau de vie sans rapport avec la dépression économique qui durait encore plus de 15 ans après la fin des guerres napoléoniennes. Au lieu de suivre l’exemple des Yankees et d’améliorer leur sort par des moyens pratiques, ils gaspillaient les occasions favorables, qui disparaissaient rapidement, en de vaines batailles politiques et religieuses. Sam Slick, sous la plume de Haliburton, devient par son assiduité au travail et son esprit pratique un exemple à suivre pour les habitants de la Nouvelle-Écosse ; par ses manières agrestes et sa vanité il devient l’incarnation de ces défauts que méprisait Haliburton. De ses actions et de ses observations émerge l’image que se fait Haliburton de ce que pourrait être la vie en Nouvelle-Écosse, alliant les principes conservateurs d’Edmund Burke à l’esprit pratique et à l’assiduité au travail propres aux pionniers.
On a fait beaucoup de recherches sur les sources de The clockmaker. Elles sont valables, mais hors de propos dans une grande mesure. Sans doute Haliburton était-il familier avec les « Letters of Mephibosheth Stepsure » de Thomas McCulloch* qui avaient paru en 1821 et 1822 dans l’Acadian Recorder de Halifax. Il était aussi, selon toute vraisemblance, au courant de l’ouvrage de Seba Smith, Life and writings of Major Jack Downing, of Downingville, away down east in the state of Maine (Boston, 1833). Il connaissait aussi le genre d’humour des pionniers américains qui fait rire aux éclats, comme le fait l’auteur anonyme des Sketches and eccentricities of Col. David Crockett of west Tennessee (Londres, 1833). Haliburton ne manqua point d’adapter le matériau de ces ouvrages et celui d’autres livres semblables pour les faire servir à ses fins, mais sa façon de procéder n’explique aucunement pourquoi The clockmaker s’est élevé à un rang éminent (plus de 70 éditions du volume ont vu le jour depuis 1836), tandis que les autres ouvrages mentionnés plus haut demeurent inconnus encore aujourd’hui.
Ce qui manquait à un ouvrage nord-américain pour devenir populaire en Grande-Bretagne et ainsi être reconnu dans les cercles littéraires des États-Unis encore influencés par la métropole, c’est qu’il devait à la fois être profondément enraciné dans la tradition et décrire cette tradition de façon assez saisissante pour paraître plus original qu’il ne l’était en réalité. Dans The clockmaker, Haliburton réunissait deux traditions, toutes les deux populaires en Angleterre depuis plus d’un siècle. La première était l’essai moral mis en lumière par l’anecdote piquante, que l’on retrouvait particulièrement dans le Spectator et le Tatler de Londres ; la seconde était la tradition populaire du théâtre anglais qui consistait à exploiter le jargon et les excentricités de caractère des étrangers. En conjuguant les deux traditions, Haliburton s’assura le succès mineur dont jouissaient des écrivains divertissants et populaires tels que Charles James Lever et Theodore Hook ; mais en y ajoutant de fortes préoccupations morales profondément enracinées dans un milieu authentique et vraisemblable, assez éloigné cependant des lecteurs britanniques pour avoir un charme romantique, il remporta un succès beaucoup plus grand et d’une nature plus durable.
Haliburton allie deux composantes de style fort différentes dans The clockmaker. Les narrations sont écrites dans la prose littéraire typique du xviiie siècle ; les dialogues – tout particulièrement ceux où figure Sam Slick – sont des morceaux de théâtre où Haliburton devient un poète en prose, hardi en métaphores, empilant les adjectifs comme un comble par-dessus l’autre, sans crainte des barbarismes. En fait, il effectua pour la langue de son temps ce que Robert Burns avait accompli pour celle des Écossais des Lowlands. Les puristes diraient que Burns et Haliburton ont écrit une langue bâtarde, mais leurs écrits, dans l’opinion de la très grande majorité, sont un tour de force couronné de succès.
Des trois séries qui constituent The clockmaker, la première est sans contredit la meilleure. Non seulement un écrivain raconte-t-il ses meilleures histoires en premier lieu, mais il les raconte mieux s’il le fait sans être esclave d’aucun horaire. Haliburton composa la première série à son propre rythme, à mesure que l’ouvrage mûrissait naturellement du fond du milieu où il se trouvait lui-même. Son principal biographe, Victor Lovitt Oakes Chittick, a probablement raison de suggérer que le but premier de Haliburton dans chacune des trois séries était légèrement différent ; la première se proposait de stimuler les habitants de la Nouvelle-Écosse à l’effort personnel pour résoudre leurs pressants embarras financiers ; la deuxième visait à supprimer le mouvement réformiste, que Haliburton écartait comme une supercherie par laquelle des politiciens égoïstes cherchaient, en créant une nouvelle conception de la « démocratie », à supplanter des administrateurs qui étaient leurs supérieurs sous tous les rapports ; la troisième, s’adressant plus à un public anglais qu’aux habitants de la Nouvelle-Écosse, s’employait à convaincre le ministère des Colonies de ne pas accorder le gouvernement responsable à la Nouvelle-Écosse. Ces tâches de plus en plus difficiles, Haliburton ne réussit pas tout à fait à les mener à terme dans la deuxième et la troisième série de The clockmaker. La crise survenue dans ses rapports personnels avec Joseph Howe dans les années 1840 confirma de plus que Haliburton était en train de perdre rapidement sa juste notion des réalités économiques et politiques de la Nouvelle-Écosse ; celle-ci avait été l’un des points forts de la première série de The clockmaker.
Dans The attaché, Haliburton présente son héros comme un membre de la délégation américaine « à la Cour de Saint Jimses ». Cet ouvrage est sans aucun doute le plus ambitieux de Haliburton. Ce dernier y essayait d’améliorer sa réputation d’écrivain satirique en examinant les faiblesses humaines non plus à partir de leurs manifestations périphériques en Nouvelle-Écosse mais de leur centre en Grande-Bretagne. Il échoua dans sa tentative pour plusieurs raisons. En premier lieu, il connaissait bien la Nouvelle-Écosse et ses habitants, tandis que ses impressions relativement superficielles de la Grande-Bretagne estompaient les ambiguïtés qui s’ensuivent quand l’expérience réelle fait face à la préconception idéalisée. En deuxième lieu, alors qu’il écrivait The clockmaker, Haliburton occupait une fonction plus solide en Nouvelle-Écosse, et dans la lutte politique en cours les chances qu’avaient les tories de tenir la haute main semblaient considérables ; en conséquence, il pouvait s’exprimer sans crainte ou sans appui, avec une objectivité relative et sans acrimonie. Cependant, quand il écrivit The attaché, les circonstances. avaient changé considérablement. En Angleterre, il était un petite grenouille dans une grande mare. Aussi lui arriva-t-il souvent d’atténuer ses critiques les plus sévères de la société britannique pour ne pas froisser de puissantes connaissances. En troisième lieu, l’intrigue de The attaché diminuait les chances du livre de connaître un succès aussi considérable que The clockmaker. Dans ce dernier livre, Sam Slick, comme colporteur, pouvait étaler des qualités aussi bien positives que négatives et rester à la fois le centre d’intérêt et le centre moral du livre. Dans The attaché, Sam Slick, en qualité de diplomate américain hors de son élément, est principalement relégué à un rôle négatif, comme cible de la satire, tandis que les points de vue les plus sérieux du livre sont confiés à des personnages aussi ennuyeux que le révérend M. Hopewell et le seigneur Poker. En quatrième lieu, Haliburton voyait le torysme anglais de façon différente : dans son premier livre, il lui avait semblé être ; sous le jour de la Nouvelle-Écosse, une application logique des principes d’Edmund Burke ; une fois sur place, il lui paraissait maintenant être le conservatisme fait de compromis d’hommes politiques tel Robert Peel. La haine de Haliburton contre les libéraux et les radicaux prit donc de l’ampleur, et le ton de ses écrits politiques devint de plus en plus outré, dissimulant son désespoir inné par la violence et l’amertume. Enfin, mais sans être pour autant la plus faible raison de son échec, les lecteurs britanniques de Haliburton se montrèrent moins disposés à rire de leurs propres écarts et défauts qu’ils l’avaient été de ceux des habitants de la Nouvelle-Écosse dans ses livres précédents.
Étant donné ces éléments, il est étonnant que The attaché ait remporté un tel succès littéraire et populaire. Même les critiques les plus sévères de Grande-Bretagne faisaient beaucoup d’éloges du livre, dont les ventes, bien que plus modestes que celles de The clockmaker, furent fort appréciables. Haliburton demeurait encore le raconteur apparemment intarissable, maniant en maître le langage pittoresque des pionniers. Cette excellente qualité suffirait à elle seule à dissimuler le fait que, bien plus souvent dans The attaché que dans The clockmaker, l’écart dans la vraisemblance entre l’anecdote et la signification qu’il lui prêtait était devenu trop grand pour être accepté sans broncher.
En comparaison, les deux ouvrages intitulés Sam Slick’s wise saws and modern instances ; or, what he said, did, and invented, publié en 1853, et Nature and human nature, publié en 1855, sont légers. Haliburton y présente Sam Slick presque uniquement dans le dessein de divertir son public ; pour un lecteur intelligent, peu de choses sont aussi ennuyeuses qu’une série d’histoires amusantes racontées uniquement pour faire rire. Si le lecteur met en doute le rôle de fortes préoccupations morales pour hausser l’humour de Haliburton jusqu’à l’intérêt universel, qu’il lise d’abord The clockmaker, puis l’un ou l’autre de ces livres. La conversation, quoique ennuyeuse, qui poursuit un but délibéré, n’est jamais complètement dépourvue d’intérêt ; la conversation, si spirituelle soit-elle, maintenue seulement pour elle-même, conduit inévitablement à la prolixité. Ce qui fait défaut dans ces deux ouvrages Wise saws and modern instances et Nature and human nature, c’est le cœur de l’auteur.
Sam Slick mis à part, le livre qui fit le plus connaître Haliburton est The letter-bag of the Great Western ; or, life in a steamer, publié en 1840. L’auteur en composa une bonne partie pour le divertissement des passagers voyageant à bord d’un bateau de Bristol à New York en 1839. La forme et le ton découlent du souvenir qu’avait gardé Haliburton de sa lecture de The expedition of Humphry Clinker par Tobias George Smollett, écrivain dont l’âme avait des affinités avec la sienne à cause de son penchant pour l’humour de mauvais goût et l’exagération des bizarreries de caractère. Le livre avait pour dessein avoué de faire de la réclame sur les avantages du voyage par bateau à vapeur. Mais peu de gens, après avoir lu les relations faites par les passagers, auraient jamais voulu, s’ils les prenaient au sérieux, s’aventurer au large. Les principales sources de divertissement du livre – les infirmités du corps humain (le mal de mer), les bizarreries d’orthographe et de grammaire dérivant d’une instruction imparfaite ou défectueuse, les habitudes culturelles de gens de différentes races et de classes inférieures, les calembours outrageants – sont précisément celles que les critiques au xviiie siècle condamnaient comme objets de satire. The letter-bag of the Great Western joue pour la galerie avec de l’humour de basse qualité ; il mérite l’opprobre avec lequel les commentateurs l’ont salué presque partout. Cela ne nous avance pas de soutenir de nos jours que le calembourdiste Haliburton faisait de la métaphysique sans le savoir quand il ramenait l’univers à une harmonie universelle de l’absurdité. Pareil jeu justement ne vaut pas la chandelle.
Deux autres ouvrages de Haliburton, Traits of American humour, by native authors et The Americans at home ; or, byeways, backwoods, and prairies, sont des recueils de textes empruntés à des ouvrages réputés d’humour américain et à des revues et des journaux américains peu connus de la première moitié du xixe siècle. Bien qu’il s’appuie indûment dans sa préface sur différentes autorités, bien que son travail d’éditeur des extraits soit aussi presque négligeable, ces deux livres de Haliburton, au dire de son biographe Chittick, demeurent « deux anthologies incomparables d’un genre littéraire bien particulier, délaissé par les auteurs contemporains, et deux riches trésors de curiosités dialectales, de coutumes bizarres et de dures conditions d’existence, propres à une Amérique qui a presque disparu ».
The old judge ; or, life in a colony, paru en 1849, est l’adieu de Haliburton à la Nouvelle-Écosse qui n’avait jamais réussi à se façonner selon les désirs de son cœur ; l’ouvrage est plein d’affection et de regret nostalgique. Sombre, réaliste, plus varié que les autres livres de Haliburton, The old judge est le plus convaincant de tous ses volumes, sans jamais atteindre cependant le brillant vernis de The clockmaker. Il obéit au même plan que The clockmaker. La Nouvelle-Écosse y est vue des yeux d’un touriste anglais qui visite son ami, le vieux juge, et est accompagné dans son tour de la Nouvelle-Écosse d’un autre ami, l’avocat Barclay. Aux observations et aux aventures du touriste viennent s’ajouter les souvenirs et les observations de ses amis et des autres personnages qu’ils rencontrent dans leurs pérégrinations. Le plus remarquable parmi ces derniers est Stephen Richardson, un caractère excentrique de la Nouvelle-Écosse, une espèce de Sam Slick colonial et un des rares personnages parmi les autres créations, du même genre de Haliburton qui pourraient faire concurrence à Sam quant à l’intérêt et à la crédibilité. Par ses esquisses d’hommes et de femmes, par sa relation d’événements mélodramatiques dans une région isolée de pionniers, par sa description de la vie sociale du temps passé, Haliburton révèle dans The old judge tout à la fois une veine de sentiment romantique qu’il avait peu exploitée dans ses autres ouvrages et des talents de conteur qui, les eût-il cultivés, auraient pu faire de lui le premier romancier digne de considération du Canada. Compte tenu du livre de Susanna Moodie [Strickland*], Roughing it in the bush ; or, life in Canada, The old judge demeure le tableau le plus pittoresque que nous ayons de la société coloniale en Amérique du Nord britannique.
The season ticket, publié en 1860, comprend une série d’articles que Haliburton avait auparavant fournis à l’University Magazine de Dublin en 1859 et 1860. Le plan de ce livre ressemble à celui de The letter-bag of the Great Western, sauf que l’auteur se sert ici d’un train au lieu d’un bateau à vapeur et de conversations au lieu de lettres. Il rappelle aussi les séries de The clockmaker. Le seigneur Shegog y joue le rôle de transcripteur et d’interlocuteur, M. Ephraim Peabody et l’honorable Lyman Boodle, sénateur du Michigan, remplacent respectivement Sam Slick et le révérend M. Hopewell. On y trouve le mélange habituel de politique partisane alliée à l’observation pénétrante, la loquacité contenue par l’énoncé original et à propos, mais l’effet général est ennuyeux. Chittick soutient cependant que l’intérêt du volume repose sur son but majeur : Haliburton y expose le programme d’un parfait impérialiste britannique qui préconise « une politique en trois points pour développer les communications réciproques entre la mère patrie et les colonies ». Dans cet ouvrage, Haliburton faisait les propositions suivantes : que la Grande-Bretagne subventionne les transatlantiques naviguant entre la métropole et les colonies, qu’elle complète le chemin de fer Intercolonial et le continue jusqu’au lac Supérieur, et qu’elle fournisse une « route sûre, facile et rapide menant au fleuve Fraser sur le Pacifique ». À l’instar de Joseph Howe, Haliburton argumentait en faveur du développement d’un empire colonial pourvu d’un système perfectionné de communication ; mais il avait le sentiment que des colonies aussi éloignées que l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne pourraient être suffisamment reliées pour les empêcher de faire à leur guise. On devrait donc leur accorder l’indépendance aussitôt que possible et leur permettre de voler de leurs propres ailes. Au surplus, Haliburton plaide pour le remplacement du ministère des Colonies par un conseil permanent des colonies, formé de délégués des colonies ; il considère aussi la possibilité de voir des représentants des colonies au parlement britannique. Une génération plus tard, il aurait sûrement reconnu une âme sœur en Joseph Chamberlain.
Outre les ouvrages susmentionnés, Haliburton fit imprimer privément et distribuer deux essais : An address on the present condition, resources and prospects of British North America, et Speech of the Hon. Mr. Justice Haliburton, M.P., in the House of Commons [...] the 21st of April 1860, on the repeal of the differential duties on foreign and colonial wood. Au moment de la publication du second essai, Haliburton était ou bien trop malade pour en surveiller toute l’impression comme il faut ou bien éprouvait si peu d’intérêt pour son sujet qu’il n’a jamais dû en faire la correction sur épreuves.
Chittick et plusieurs autres ont fait beaucoup de cas de l’incapacité de Haliburton à évoluer face aux conditions changeantes, comme Joseph Howe et d’autres contemporains de marque avaient su le faire, encore que lentement et péniblement. On peut dire à la décharge de Haliburton que ces derniers n’avaient pas à soulever le même fardeau d’endoctrinement. De plus, les théories politiques d’Edmund Burke sont encore aussi défendables que toute autre au plan intellectuel ; un homme aussi imbu de la conscience de classe que Haliburton a dû avoir l’impression que les partisans de ces idées étaient quant à l’éducation et à la compétence infiniment préférables à leurs adversaires. Chittick a raison, cependant, en ce qui concerne sa principale hypothèse. S’il y eut un élément qui paralysait Haliburton dans sa vie et ses écrits, c’est le fait que Haliburton, qu’il dise, fasse ou écrive ce qu’il veuille, se savait un colonial et pour cette raison avait le sentiment que toute son activité serait traitée avec condescendance dans les milieux mêmes qu’il tenait pour être sa véritable patrie spirituelle. Cependant, la volonté de tenir bon contre des forces supérieures persista chez lui et, dans ses écrits du moins, tour à tour il flatta, cajola, houspilla et menaça les Britanniques, au point d’arriver presque à pénétrer dans le sanctuaire intime de leurs cœurs, privilège dont jouissaient Dickens et Tennyson. On doit dire à son honneur qu’il vint à un cheveu du succès.
Bien qu’heureux dans sa vie sociale, Haliburton développa dans ses ouvrages ultérieurs un penchant vers la mélancolie qui ne peut s’expliquer exclusivement par la défaillance de sa santé. Cette tendance découlait de la frustration de son idéalisme. Il croyait passionnément au torysme d’Edmund Burke et il a eu le malheur de vivre durant la période du déclin de cette idéologie des deux côtés de l’Atlantique ; un déclin aussi évident pour les tories eux-mêmes que pour les indépendants. Haliburton n’avait pas du tout confiance dans le chef du parti conservateur britannique, sir Robert Peel. Il avait le sentiment que le mot « conservateur » était seulement une autre façon d’écrire le mot « libéral » ; l’accumulation des événements ne servit qu’à approfondir cette conviction.
C’est comme écrivain que Haliburton a remporté le plus grand succès. Bien des raisons expliquent ce fait. Haliburton découvrit tôt que les mots étaient plus sensibles au gouvernement que les événements et que le métier d’écrivain pourrait lui apporter rapidement le succès que sa nature impérieuse et emportée exigeait. Une des raisons qui l’amena à abandonner une carrière politique active pour une carrière judiciaire, c’est que cette dernière lui donnait plus de loisir pour écrire. Au sens de la mesure qu’il avait acquis par ses études classiques et par sa lecture des prosateurs du xviiie siècle vint s’ajouter l’oreille sensible aux rythmes et aux nuances du langage de la conversation au moment même où dans les régions de colonisation nord-américaines le relâchement de l’éducation permettait à la langue parlée de ne plus connaître de frein et de se donner libre cours d’une façon pittoresque et savoureuse, inconnue en langue anglaise depuis l’époque élisabéthaine.
Haliburton ajouta les variantes des États-Unis et des Lowlands de l’Écosse à la liste des variantes de la langue anglaise qu’un écrivain pouvait utiliser en ayant des chances d’être apprécié et acclamé. À cet égard, il fraya la voie à ce grand poème épique et populaire en prose, publié aux États-Unis, The adventures of Huckleberry Finn. De plus, son tempérament grégaire et sociable lui permit d’étudier de fort près les caractères diversifiés et exceptionnels que favorisaient la solitude et la liberté de la vie de pionnier. En même temps, sa connaissance, fondée à la fois sur la lecture et sur l’expérience, des convenances traditionnelles de la Grande-Bretagne et de la conduite de bon ton dans le même pays, lui fournissait un système de coordonnées où situer ces excès.
Il est ironique que Haliburton, le type même du tory, soit devenu « le père de l’humour américain » dans l’acception la plus démocratique du terme. Le succès et la popularité de Sam Slick créèrent en même temps la vogue du héros populaire, de l’homme dont l’habileté et l’humanité ne dépendent pas de l’instruction, de la position et de l’ascendance, mais de son intrinsèque capacité à faire face à une situation. Sam Slick, avec ses vices et ses vertus, est le modèle de la démocratie du président Andrew Jackson.
De récentes études sur la littérature canadienne, tout particulièrement celles qui voient la peur et la crainte respectueuse de la nature comme le trait distinctif de l’écrivain canadien modèle, ont trouvé peu de chose à dire sur Haliburton. Chez lui la nature humaine est partout tandis que la nature physique n’est nulle part. Dans son œuvre, les Européens qui se pâment à la vue des merveilles de la nature comme les chutes Niagara sont satirisés tandis que les Américains de naissance sont présentés ou bien en train de spéculer sur l’emploi commercial possible des chutes ou bien trop préoccupés de leurs propres affaires pour remarquer l’arrière-plan sur lequel ces affaires se déroulent.
Il existe par essence deux genres d’humour : l’un est invariable et éternel, l’autre est transitoire en son attrait. Ce dernier doit être écrit de nouveau à chaque génération qui passe. L’humour éternel, dont Swift est le plus bel exemple, est celui qui consiste, en sa forme la plus pure, à monter en épingle quelque dichotomie, dans un domaine fondamental de la condition humaine, entre l’idéal et la réalité, et à la présenter dépouillée de circonstances accidentelles ou temporaires. L’humour transitoire est celui qui applique des circonstances accidentelles ou temporaires de langue ou de lieu à quelque fond de situations humaines et par suite d’une exploitation de la nouveauté – laquelle a tôt fait de s’épuiser elle-même par un excès de popularité – communique une vie momentanée à ces situations. L’exemple classique de ce genre est l’humour de vaudeville. Bien que les proportions y soient variables, il existe plus d’humour de vaudeville que de véritable humour dans l’œuvre de Haliburton. Aussi beaucoup de lecteurs trouvent-ils aujourd’hui que le dialecte qu’on admirait jadis commence à dater et que les anecdotes sont racontées non seulement à un rythme et dans un style qui leur sont étrangers mais aussi qu’elles dépendent de circonstances qui ne les intéressent plus du tout. On a donc raison de supposer qu’avec le temps l’œuvre de Haliburton va de plus en plus sortir du domaine de la lecture populaire pour entrer en celui de l’histoire littéraire. Il n’est pas inconcevable que The old judge, qui est intéressant pour d’autres éléments en plus de son humour, devienne en fin de compte l’ouvrage le plus lu de tous les écrits de Haliburton.
Le lecteur contemporain appréciera l’esprit imaginatif de Haliburton – la capacité presque sans égale de l’invention comique continue qu’il déploie dans l’emploi de la langue et dans le choix des incidents, et cela à travers plusieurs milliers de pages des séries de Sam Slick, où il réduit les répétitions au minimum et où il maintient la qualité avec une remarquable égalité. Il risque, il est vrai – et en fin de compte c’est ce qui se produit – la surexposition, mais une fraction de l’invention et de l’ingéniosité déployée dans ces livres aurait fait la réputation de plus d’un autre écrivain.
De son vivant, Haliburton ne fut pas estimé en Nouvelle-Écosse. Ses livres y reçurent les critiques les moins favorables et n’y furent pas apparemment populaires ou appréciés. Il ne faudrait pas conclure de là que les habitants de la Nouvelle-Écosse étaient plus sensibles à la satire que les Américains et les Britanniques. Il était connu d’eux pour son caractère exclusif et ses manières impérieuses en société ; il voulait conserver les privilèges attachés à une fonction. La satire, si bien intentionnée et si réussie soit-elle, n’est pas appréciée lorsque son auteur est mal vu. Cependant, le culte de Haliburton ou quelque chose d’approchant, consécutif à la venue d’une nouvelle génération d’habitants de la Nouvelle-Écosse et au développement du nationalisme culturel au lendemain de la Confédération, commença à faire son apparition en Nouvelle-Écosse. On fonda un cercle littéraire Haliburton à Windsor en 1884 pour encourager la connaissance de la littérature canadienne en général et celle des œuvres de Haliburton en particulier.
À l’instar de tous les coloniaux, les habitants de la Nouvelle-Écosse furent plus lents que ceux de la métropole à honorer l’un des leurs. En 1858 l’Oxford University conféra à Haliburton un doctorat honoris causa en droit civil pour services rendus à la littérature. Il fut ainsi le premier écrivain des colonies à recevoir ce grade honorifique. En fait, il fut beaucoup plus que cela. Il demeure l’unique écrivain des colonies qui se soit taillé au xixe siècle une réputation internationale. On doute aussi qu’aucune autre œuvre littéraire, sauf peut-être les livres de Stephen Leacock*, ait eu autant d’influence sur les gens de langue anglaise. Ces facteurs nous aident à comprendre le succès de Haliburton, mais, comme dans toute œuvre qui saisit l’imagination d’un grand public, une place importante doit être accordée à cette personnalité indéfinissable mais magnétique que, faute d’un meilleur terme, nous appelons le génie.
La plupart des ouvrages de Thomas Chandler Haliburton ont connu plusieurs réimpressions. La liste, ci-dessous, ne donne que l’année de leur première parution. A general description of Nova Scotia, illustrated by a new and correct map (Halifax, 1823) ; An historical and statistical account of Nova-Scotia (2 vol., Halifax, 1829) ; The clockmaker ; or, the sayings and doings of Samuel Slick, of Slickville (1re sér., Halifax, 1836 ; 2e sér., Londres, 1838 ; 3e sér., Londres, 1840) ; The bubbles of Canada (Londres, 1839) ; A reply to the report of the Earl of Durham (Londres, 1839) ; The letter-bag of the Great Western ; or, life in a steamer (Halifax, 1840) ; The attaché ; or, Sam Slick in England (1re sér., 2 vol., Londres, 1843 ; 2e sér., 2 vol., 1844) ; The old judge ; or, life in a colony (2 vol., Londres, 1849) ; The English in America (2 vol., Londres, 1851), publié plus tard sous le titre de Rule and misrule of the English in America [...] (2 vol., New York, 1851) ; Traits of American humour, by native authors, [T. C. Haliburton], édit. (3 vol., Londres, 1852) ; Sam Slick’s wise saws and modern instances ; or, what lie said, did, and invented (2 vol., Londres, 1853) ; The Americans at home ; or, byeways, backwoods, and prairies, [T. C. Haliburton], édit. (3 vol., Londres, 1854) ; Nature and human nature (2 vol., Londres, 1855) ; An address on the present condition, resources and prospects of British North America [...] (Londres et Montréal, 1857) ; The season ticket (Londres, 1860) ; Speech of the Hon. Mr. Justice Haliburton, M.P., in the House of Commons [...] the 21st of April 1860, on the repeal of the differential duties on foreign and colonial wood (Londres, 1860).
Watters et Bell, On Canadian literature, 101–104, contient une bibliographie partielle des études consacrées à Haliburton, mais une bibliographie complète et à jour fait encore grandement défaut. Plusieurs éditions des livres et des articles de revue ont paru depuis la dernière bibliographie complète dressée par A. H. O’Brien dans Haliburton (« Sam Slick ») : a sketch and bibliography (Ottawa, 1910). De fait, la meilleure bibliographie est celle qui figure à la fin de l’ouvrage de V. L. O. Chittick, Thomas Chandler Haliburton : a study in provincial toryism (New York, 1924).
Les articles de revue sur Haliburton tendent à couvrir sans répit le même sujet dans son ensemble. Quelques-unes des meilleures études critiques se trouvent dans les introductions des différentes éditions contemporaines. Parmi les plus dignes de considération, mentionnons les suivantes : Sam Slick, R. P. Baker, édit. (New York, 1923) ; The clockmaker [...] (first series), R. L. McDougall, édit. (Toronto, 1958) ; The old judge [...], R. E. Watters, édit. (Toronto et Vancouver, [1968]) ; The Sam Slick anthology, R. E. Watters, édit. (Toronto, [1969]). [f. c.]
Fred Cogswell, « HALIBURTON, THOMAS CHANDLER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/haliburton_thomas_chandler_9F.html.
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Auteur de l'article: | Fred Cogswell |
Titre de l'article: | HALIBURTON, THOMAS CHANDLER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 1977 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |