LAWRENCE, CHARLES, officier, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, né en Angleterre vers 1709, fils de Herbert Lawrence, décédé le 19 octobre 1760 à Halifax en Nouvelle-Écosse.

La vie de Charles Lawrence jusqu’à son arrivée en Nouvelle-Écosse, en juillet 1749, reste obscure, et les récits qu’on en a faits sont inexacts. Il semble qu’il reçut une commission dans le 11e régiment d’infanterie en 1727 et qu’il servit aux Antilles de 1733 à 1737 ; par la suite, il travailla au ministère de la Guerre. Promu lieutenant en 1741 et capitaine en 1742, il fut blessé en 1745 alors qu’il combattait avec le 54e régiment à Fontenoy (Belgique). Il fut nommé major dans le 45e régiment (celui de Warburton) à Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), en 1747. Sa famille était apparentée aux Montagu, ce qui explique en partie pourquoi il jouissait de la protection du comte de Halifax, président du Board of Trade. Ce lien était cependant sa seule source d’influence ; il ne possédait aucune ressource personnelle. Dans l’armée, il était populaire et reconnu comme fort, énergique et direct dans ses façons de procéder.

En décembre 1749, Lawrence devint commandant de compagnie dans le 40e régiment, en Nouvelle-Écosse. En avril 1750, le gouverneur Edward Cornwallis* l’envoya avec une petite troupe dans l’isthme de Chignectou afin d’y établir l’autorité britannique. Sur la rive nord de la rivière Missaguash, Lawrence constata la présence de troupes françaises commandées par Louis de La Corne qui avait reçu l’ordre d’empêcher les Anglais de s’avancer plus loin et qui avait fait incendier le village de Beaubassin, près de la rive sud de la rivière. Lawrence préféra se retirer plutôt que de combattre les Français avec qui l’Angleterre n’était pas en guerre, ou plutôt que d’admettre une limite territoriale quelconque.

À Londres, parmi les autorités, les opinions étaient partagées sur la question de savoir jusqu’où leurs troupes en Nouvelle-Écosse devraient se rendre en temps de paix pour établir les revendications anglaises concernant la possession de l’Acadie entière. Le duc de Bedford, secrétaire d’État pour le département du Sud, avait refusé d’envoyer des renforts à Cornwallis pour que celui-ci puisse appuyer ces revendications. Mais le duc de Newcastle, poussé par lord Halifax, intervint et, malgré l’opposition royale, s’assura que le 47e régiment soit envoyé à Cornwallis en juin 1750. À peu près vers la même époque, Lawrence fut promu lieutenant-colonel et, en août, il partit pour la rivière Missaguash avec une armée plus forte et mit en déroute un groupe d’Indiens conduits par l’abbé Jean-Louis Le Loutre*. Le capitaine John Rous, commandant de marine, appuyant le débarquement des troupes lors de cet engagement, loua le sang-froid et les qualités de chef de Lawrence au cours du combat. Cornwallis, dans les dépêches qu’il envoya à Londres, vantait ses tactiques. À l’automne de 1750, Lawrence érigea le fort Lawrence sur la rive sud de la rivière Missaguash. Il y demeura pendant toute l’année suivante, et, en 1752, environ au même moment où Peregrine Thomas Hopson succéda à Cornwallis comme gouverneur, il revint à Halifax.

À l’été de 1753, le gouverneur Hopson choisit Lawrence pour diriger l’installation des protestants européens qui avaient attendu en vain, depuis leur arrivée à Halifax en 1751 et 1752, les terres qu’on leur avait promises. Hopson décida de les installer sur la côte sud de Halifax, à Mirligueche, rebaptisé Lunenburg. Là, les Français ne pourraient leur susciter du trouble, quoique des incursions indiennes étaient à craindre. En juin, Lawrence accompagna les immigrants à Lunenburg et surveilla l’établissement de la colonie.

Les immigrants trouvèrent des terres défrichées, mais la plus grande partie du travail restait à faire. Aigris par les mois ou les années d’attente dans des cabanes malpropres à Halifax, ils étaient impatients de faire valoir leurs revendications et de commencer la culture. Lawrence eut à convaincre les immigrants d’ériger avant tout des défenses, car il avait vu les résultats des attaques indiennes dans les différentes régions de la province. Il était normal d’ignorer un danger que peu d’entre eux connaissaient, et les amener à accomplir un travail communautaire exigeait beaucoup de finesse de la part de Lawrence. Il fallait persuader « d’honnêtes gens », remarqua-t-il, de dormir dans des abris communs pour leur protection et de les partager avec ceux qui étaient « sales et infestés de vermine ». Les matériaux de construction étaient pillés, et les batailles pour l’obtention des meilleurs emplacements étaient fréquentes. Mais, peu à peu, cette bande « incroyablement turbulente » s’aperçut qu’on devait « soit procéder d’une autre façon, ou se faire trancher la gorge ». Par un mélange de corruption, d’intimidation et de persuasion verbale, Lawrence gagna leur affection – « non seulement leur raison, mais aussi leur cœur », selon ses propres paroles – et la conserva, ce qui favorisa ses intérêts politiques, après son retour à Halifax en août 1753. Dès lors, Hopson qui préparait son retour en Angleterre, avait fait appel à Lawrence comme président du conseil.

En 1754, le gouverneur du Massachusetts, William Shirley, approcha Lawrence avec un plan destiné à déloger les troupes françaises de leurs forts à Chignectou. Les deux hommes étaient certains de l’appui de lord Halifax et profitèrent d’une lettre malavisée de Thomas Robinson, le nouveau secrétaire d’État, qui leur commandait de coopérer en vue de chasser les Français de l’Acadie. Plus tard, Robinson répudia la lettre, mais Shirley s’en servit comme argument d’autorité pour combiner un plan d’action. À la fin de l’automne de 1754, lui et Lawrence recrutèrent deux bataillons dans le Massachusetts et en accordèrent le commandement au lieutenant-colonel Robert Monckton*, assisté de John Winslow*, originaire de la Nouvelle-Angleterre. Ces forces devaient attaquer le fort Beauséjour (près de Sackville, N.-B.), que les Français avaient construit sur la rive nord de la rivière Missaguash, en face du fort Lawrence. Sans autorisation, Lawrence défraya les dépenses de cette armée avec la subvention annuelle accordée à la Nouvelle-Écosse par le gouvernement. Au début de 1755, le général Edward Braddock, commandant en chef en Amérique du Nord, fit voile vers l’Amérique avec des ordres flexibles du duc de Cumberland, commandant en chef de l’armée, lesquels visaient à mettre fin aux « empiétements » français. Braddock avait la permission d’entreprendre simultanément diverses opérations contre les Français, si ses troupes étaient en nombre suffisant. II autorisa l’expédition de Monckton, qui appareilla à Boston le 19 mai 1755. Le 16 juin, le fort Beauséjour tombait aux mains de Monckton.

La prise de Beauséjour fut la seule réussite anglaise cette année-là, mais Lawrence n’avait reçu aucun ordre d’en tirer profit. Braddock fut tué, au début de juillet, près du fort Duquesne (Pittsburgh, Penn.) [V. Daniel-Hyacinthe-Marie Liénard de Beaujeu], alors que Shirley, son second, marchait sur le fort Oswego (Chouaguen) pour attaquer les Français. En juin, le vice-amiral Boscawen laissa la plus grande partie de la flotte française s’enfuir au large de Louisbourg, avec les renforts destinés à Louisbourg, Québec et Montréal. Dans un climat de doute au sujet des intentions et des activités de ses supérieurs, et aussi d’appréhension concernant celles de l’ennemi, la principale préoccupation de Lawrence fut de défendre ce qu’il avait gagné.

Dès le 1er mai, le Conseil de la Nouvelle-Écosse avait examiné les façons de traiter les Acadiens du nord de la rivière Missaguash, après la chute de Beauséjour. Ceux qui avaient déserté du côté des Français, cédant aux promesses flatteuses de Le Loutre, étaient susceptibles d’être punis pour avoir rompu leur serment limité de fidélité à George II [V. Richard Philipps], à supposer qu’ils eussent commencé les hostilités ou aidé les Français. On pouvait exiger que les autres Acadiens de cette région partent pour n’importe quelle destination choisie par la garnison défaite. La décision de chasser tous ces Acadiens fut formellement prise le 25 juin par le conseil. Celui-ci avait l’intention d’installer les immigrants de la Nouvelle-Angleterre sur les terres de l’isthme de Chignectou que les Acadiens auraient quittées ; ils serviraient ainsi de barrière entre les Français des îles Royale et Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) et les Acadiens qui demeuraient sur la péninsule de la Nouvelle-Écosse. Des troupes à Chignectou attaqueraient vers le nord et permettraient éventuellement au reste de l’Acadie au-delà de la Missaguash (aujourd’hui le Nouveau-Brunswick) d’être colonisé. C’était aussi l’idée de lord Halifax.

John Winslow constituait la pièce maîtresse dans le projet visant à obtenir des immigrants provenant de la Nouvelle-Angleterre. Mais à cause de l’incertitude de Lawrence sur la façon d’exploiter sa victoire, on n’accorda pas assez de temps à Winslow, après la chute de Beauséjour, pour qu’il pût arpenter les terres autour de Chignectou. L’inactivité fut la cause de l’effondrement de la discipline parmi les troupes de Winslow et il se disputa avec Monckton, qui avait reçu l’ordre de recruter des gens de la Nouvelle-Angleterre pour les bataillons réguliers. Shirley éclaircit aussi leurs rangs et utilisa les hommes sur le continent américain. Winslow devint amer et cessa de s’intéresser à la colonisation. Avec des troupes insuffisantes et sous l’impression que les Français allaient contre-attaquer, Lawrence s’efforça d’assurer ses communications avec Chignectou et fut ainsi forcé de traiter de la question de la loyauté des Acadiens de la péninsule. Le décor était dressé pour la tragédie.

Lawrence apprit par la correspondance des gouverneurs précédents, tels Richard Philipps et Peregrine Thomas Hopson, que quoiqu’il ne dût pas pousser les Acadiens dans les bras des Français, il ne devait pas leur concéder la tenure, à moins qu’ils ne prêtent un serment de fidélité comportant la promesse de porter les armes pour le roi d’Angleterre. Il ne devait y avoir aucun compromis avec le principe voulant qu’avant de recevoir les droits de sujets ils devaient en accepter les devoirs et que les Acadiens qui avaient quitté le pays ne pouvaient y revenir sans prêter serment. On avait demandé à Hopson de réclamer le serment quand la situation de la province le permettrait. Depuis 1749, la politique de lord Halifax prenait pour acquis que ce moment arriverait quand l’armée française serait retirée de la Nouvelle-Écosse. Un changement d’attitude de la part des chefs acadiens après la capitulation de Beauséjour paraissait confirmer ce point de vue.

Au début de juillet 1755, un groupe de 15 délégués des Mines se présenta devant le conseil avec une pétition concernant la confiscation de leurs armes et de leurs bateaux par Alexander Murray au fort Edward (Windsor), ce printemps-là. Lawrence profita de leur présence pour leur réclamer un serment de fidélité sans réserve. Les Acadiens hésitaient à prêter le serment parce qu’ils n’étaient pas certains que les Anglais l’exigeraient ou qu’ils les protégeraient des représailles des Indiens et des Français. Par conséquent, ils refusèrent le serment sans réserve avant qu’ils n’aient préalablement consulté la population des Mines. Lawrence et son conseil insistèrent pour que chaque homme se résolve de lui-même au serment ; au cas où ils refusaient de le faire, ils étaient emprisonnés. Les Anglais, exaspérés par l’intransigeance des Acadiens, devinrent légalistes et se sentirent obligés d’aller jusqu’au bout. De nouveaux délégués acadiens furent convoqués d’Annapolis Royal et des Mines pour rencontrer Lawrence et le conseil, au sein duquel se trouvaient John Rous, John Collier et Jonathan Belcher*. Le 25 juillet, on avisa les délégués d’Annapolis « qu’ils devaient maintenant se résoudre soit à prêter le serment sans réserve ou autrement de quitter leurs terres, parce que les affaires en Amérique étaient dans un tel état de crise, qu’aucun délai ne pouvait être toléré ». Eux comme les délégués des Mines refusèrent le serment et, le 28 juillet, « on ordonna qu’ils fussent arrêtés ». Le conseil, ayant résolu de déporter tous les Acadiens qui rejetaient le serment, fut d’accord sur le fait « qu’il serait plus convenable de les répartir dans les diverses colonies du continent ». L’amiral Boscawen et le vice-amiral Savage Mostyn assistèrent à cette rencontre et approuvèrent la décision du conseil. Pendant les quelques mois qui suivirent, la plus grande partie de la population acadienne de la Nouvelle-Écosse fut rassemblée et déportée dans les colonies américaines, du Massachusetts à la Caroline du Sud.

La déportation se révéla aussi inutile sur le plan militaire – après la prise de Louisbourg et de Québec – qu’inhumaine, ainsi qu’on la qualifia plus tard. Cependant, Lawrence n’était pas un homme cruel, même s’il manquait d’imagination. Il serait trop facile d’expliquer cette décision comme étant une simple affaire de convoitise ; le légalisme, le respect du précédent et l’excès de confiance en la responsabilité collective des conseils – caractéristiques du temps – servirent de paravent. L’attitude du Board of Trade avec les années, équivoque sous plusieurs aspects, se précisa lorsqu’elle réclama le serment quand l’occasion se présenta. L’opération contre Beauséjour, effectuée sans autorisation, fournit le prétexte. À Londres, il n’existait aucun plan militaire concernant une opération en Nouvelle-Écosse, mais après la déportation, Lawrence ne fut aucunement réprimandé pour avoir agi de son propre chef. Sa décision fut prise, selon lord Holdernesse, dans « une atmosphère confuse qui ne ressemblait ni à la paix, ni à la guerre » et que la Nouvelle-Écosse connaissait depuis 1749. Les principaux éléments de cette affaire étaient le chaos, l’incompréhension et la crainte. Chaque étape vers la tragédie engendrait les faits qui conduisaient à l’étape suivante. Ceux qui avaient le pouvoir n’eurent en aucun temps les renseignements nécessaires pour prendre de bonnes décisions. Ils faisaient des projets dans le vide. En fait, la seule note d’irritation apparaissant dans les lettres de Londres, pendant les mois qui suivirent la déportation, fut suscitée par les plaintes des gouverneurs américains qui voyaient les Acadiens leur être mis sur les bras avec peu ou point d’avertissement. Lawrence avait négligé les implications administratives et sociales de ce qu’il considérait comme une opération militaire.

En juillet 1756, Lawrence devint gouverneur de la Nouvelle-Écosse. Il considérait la colonisation des terres acadiennes comme sa tâche la plus importante. Mais, déjà en 1757, des marchands comme Joshua Mauger* et Ephraim Cook, qui s’opposaient à son gouvernement personnel, avaient convaincu le Board of Trade que les immigrants ne viendraient pas s’établir à moins qu’ils n’aient une assemblée élue. Ils tentèrent aussi de prouver que Lawrence avait favorisé ses amis par des contrats et des emplois et qu’il n’oserait convoquer une assemblée, de crainte d’être démasqué.

En octobre 1754, le Board of Trade avait chargé Jonathan Belcher, à son arrivée comme juge en chef, de s’enquérir si les ordonnances rendues sans avoir eu recours à une assemblée étaient légales. Belcher signala que les instructions données au gouverneur n’obligeaient pas d’avoir une assemblée et fit remarquer qu’à cette époque un seul canton était qualifié pour être représenté. En réalité, ajouta-t-il, une assemblée serait une entrave à l’administration de la province. Cependant, le procureur général et le solliciteur général de Grande-Bretagne étaient d’avis que sans assemblée les actes posés par Lawrence comme gouverneur pouvaient être illégaux. Le Board of Trade donna instruction à Lawrence de préparer un plan pour mettre sur pied une assemblée, quoiqu’on sût que des mandats pourraient être accordés indûment à des « vendeurs d’eau-de-vie » et à des contrebandiers de Halifax, et que les colons de Lunenburg, qui n’étaient pas encore naturalisés, ne pouvaient être représentés avant 1757. Le Board of Trade savait aussi qu’une assemblée pouvait devenir une arène où allait reprendre la lutte qui s’était déclarée au temps de Hopson entre les immigrants de la Nouvelle-Angleterre et les éléments britanniques de la population. La correspondance au sujet de projets divers traîna en longueur au cours des années 1755 et 1756.

Finalement, le conseil forgea un plan suivant lequel une assemblée pourrait être convoquée en avril 1757. Mais Lawrence, qui ne voulait rien faire tant qu’il n’aurait pas obtenu les votes de Lunenburg, se fit l’instigateur d’une pétition ne comportant que onze signatures et qui demandait que le plan fût tout d’abord soumis à Londres. Au début de 1757, il partit pour Boston afin de rencontrer lord Loudoun [John Campbell], commandant en chef des forces britanniques en Amérique. À son départ, il donna des instructions à l’effet que Monckton, président du conseil en son absence, émette des ordonnances en vue des élections, seulement « s’il voyait les gens faire pression ». Monckton reçut une pétition mais n’émit pas les ordonnances. Irrités, Belcher, Charles Morris*, et deux autres membres du conseil, firent parvenir en mars une pétition au Board of Trade. En mai, ce dernier reçut aussi une pétition du jury d’accusation de Halifax et fut finalement persuadé que le problème s’était déplacé : il n’était plus question de reconnaître les droits des Anglais mais de nettoyer l’administration. Le document accusait Lawrence d’user de partialité contre les marchands, de négliger d’annoncer publiquement les contrats, d’empêcher le conseil de vérifier ses comptes et de permettre une accumulation de postes entre les mains de quelques personnes. Ces accusations étaient assez familières au Board of Trade mais elles indiquaient que Lawrence perdait des appuis.

Lawrence aurait pu empêcher l’alliance entre les membres du conseil et les marchands de Halifax, simplement en lançant les ordonnances après son retour de Boston, en mai 1757. Mais il prétendit que Loudoun n’approuvait pas les assemblées et que lui-même ne pourrait s’occuper de l’affaire cet été-là, parce qu’il serait impliqué dans les préparatifs d’une expédition contre Louisbourg. À l’automne, sur les ordres de Loudoun, il partit pour Chignectou, pour y renforcer les défenses. Il était décidé à ne céder à aucune pression, de peur de perdre le contrôle de son gouvernement. Finalement, en février 1758, le Board of Trade ordonna à Lawrence de convoquer une assemblée. Lorsqu’il reçut cet ordre, en mai, il annonça au conseil qu’il allait émettre les ordonnances pour l’automne. Il avait l’intention de se servir de ses partisans pour remplir les postes vacants au sein du conseil et espérait que la campagne de Louisbourg, à laquelle il devait bientôt participer, se révélerait victorieuse et ainsi rehausserait sa popularité.

Lawrence, avec le grade temporaire de « brigadier en Amérique », commanda une brigade sous les ordres du général Jeffery Amherst*, au cours de la victorieuse expédition contre Louisbourg. Il revint à Halifax en septembre, pour aider à préparer les forces britanniques en vue des opérations contre Québec en 1759. Les réserves étaient rares mais il improvisa. On fabriqua des milliers de paires de chaussures, les armes furent réparées et des unités d’infanterie légère furent formées et entraînées. Lawrence prit un soin particulier à nourrir les troupes ; grâce à la viande fraîche, au lait, à la bière d’épinette et « au climat, quoiqu’en pensent les officiers commandants », les malades recouvrirent la santé. Au printemps, quand Wolfe, commandant de l’expédition contre Québec, revint, ce jeune homme à l’esprit critique n’éprouva que de l’admiration pour Lawrence et ses subalternes. Lawrence avait espéré commander une brigade à Québec, mais, finalement, les postes de commandants furent confiés à Monckton, à James Murray* et à George Townshend*, ce dernier ayant obtenu le sien par influence politique. C’était une « situation humiliante » que d’être laissé derrière, mais Lawrence passa outre à sa déception et se consacra aux problèmes de la colonisation et de la politique en Nouvelle-Écosse ; la chose était moins glorieuse, mais à long terme, c’était plus important que le commandement d’une brigade sur les plaines d’Abraham.

À la première séance de la nouvelle assemblée qui avait eu lieu le 2 octobre 1758, 20 membres étaient présents et le tout se déroula dans un calme surprenant. En août 1759, Lawrence réussit à obtenir plus de soutien au sein du conseil, grâce à la nomination de Richard Bulkeley*, Thomas Saul et Joseph Gerrish*, aux sièges laissés vacants par l’absence de William Cotterell, Robert Grant et Montagu Wilmot. En décembre, l’assemblée accueillit pour la première fois les représentants de Lunenburg, et Lawrence reçut une adresse élogieuse de ce groupe pour ses réalisations dans la province.

Le succès de Lawrence était dû en grande partie à l’agressivité qu’il mettait à trouver des immigrants. Il fut appuyé par Charles Morris, arpenteur et membre du conseil, qui fut étroitement mêlé aux projets de colonisation. Lawrence entreprit une campagne pour coloniser les terres acadiennes et, dans une proclamation qu’il émit en octobre 1758, il demandait qu’on lui présente des projets de colonisation. En janvier 1759, une seconde proclamation informait les immigrants éventuels des conditions auxquelles ils devaient s’attendre. Chaque concession comporterait du terrain cultivé et du terrain boisé. Le maximum initial de la concession accordée à chaque famille était de 1 000 acres ; d’autres concessions pouvaient être accordées quand les colons se seraient soumis aux exigences fixées au début. Les proclamations s’adressaient surtout aux colons originaires de la Nouvelle-Angleterre.

C’est à contrecœur que les colons défrichaient la forêt alors que les terres marécageuses de Chignectou et celles de la vallée d’Annapolis, lesquelles étaient défrichées, restaient vacantes. Pour résoudre ce problème, Lawrence préféra joindre une terre ancienne à une nouvelle dans chaque concession et ainsi présenter les conditions favorables ordinairement accordées seulement à ceux qui s’aventuraient sur des terres nouvelles. On l’avait chargé de soumettre au Board of Trade les projets visant à coloniser des terres anciennes mais il négligea cette directive et informa le Board of Trade de sa politique, après coup, selon son habitude. Celui-ci en fut irrité, et expliqua ensuite que les bonnes terres étaient destinées à l’armée et la marine en guise de récompense, mais, entre temps, Morris avait arpenté les terres avec des représentants de « quelques centaines de familles importantes associées », originaires de la Nouvelle-Angleterre, et leur avait promis des conditions avantageuses. Le Board of Trade ne put annuler les arrangements et dut se contenter des promesses de Lawrence à l’effet que les terres nouvelles conquises par l’expédition de Monckton à l’automne de 1758 et situées en haut de la rivière Saint-Jean ainsi que les terres de la rivière Miramichi seraient réservées pour les militaires. Cependant, Lawrence envoya une lettre privée à lord Halifax, pour lui faire remarquer que les militaires étaient de mauvais colons. Leurs habitudes « d’ivrognes, de débauchés et de négligents » et, « le pire de tout », leur paresse, les rendaient tout à fait inaptes. Grâce à l’influence de lord Halifax, lorsque les commissaires du Board of Trade and Plantations reçurent à la fin de 1759 les copies des concessions faites dans 13 cantons, dans des conditions qu’eux-mêmes avaient déjà condamnées, il écrivirent néanmoins : c’est un véritable plaisir « pour nous [...] de vous exprimer notre approbation ». De la part de cet organisme gouvernemental qui parlait rarement en bien de ses gouverneurs, c’était vraiment élogieux.

Tout le monde fut pris par surprise à l’annonce de la mort de Lawrence le 19 octobre 1760. « J’aurais misé sur sa longévité autant que sur celle de n’importe qui de ma connaissance », écrivit Amherst au général James Murray. Ce fut un choc pour ses amis d’apprendre que cet homme colossal, doué de grandes capacités et compétent puisse avoir été foudroyé aussi vite après avoir pris froid. Ses nombreux amis furent peinés, quoiqu’un sentiment de soulagement ait pu prédominer dans l’esprit des colons de la Nouvelle-Angleterre et des cabaretiers de Halifax. Après sa mort, le Board of Trade ordonna qu’on fasse une enquête sur les accusations portées contre lui, à savoir sa « partialité, sa prodigalité et ses arrangements secrets » relativement aux contrats d’approvisionnements destinés aux établissements de la Nouvelle-Écosse ; on l’accusait aussi d’avoir entretenu ses propres navires aux dépens de la colonie et de s’être arrogé des pouvoirs illégaux en intervenant au profit des soldats jugés devant les tribunaux pour offense civile. Le Board of Trade déclara que Lawrence avait outrepassé ses droits en concédant à certaines personnes plus de terres qu’il n’était permis et qu’il avait dissimulé le véritable prix de sa politique concernant les terres. Plus tard, le Board of Trade se plaignit qu’il avait confié tout le commerce avec les Indiens à une agence gouvernementale. Jonathan Belcher enquêta sur les accusations portées contre Lawrence et, en janvier 1762, il écrivit dans un rapport « qu’après avoir examiné soigneusement les plus graves d’entre elles » il concluait que les accusations étaient sans fondement.

Durant ces années, la poursuite de la guerre contre les Français avait été le devoir primordial des gouverneurs en Amérique du Nord. Shirley fut le seul qui avait persuadé son assemblée d’agir de façon vigoureuse dans cette cause ; les autres étaient unanimes avec Whitehall à considérer que leurs assemblées étaient une nuisance. Dans cette perspective, les vues de Lawrence concernant l’assemblée étaient justifiées. Sa politique au sujet des terres visait les plus grands intérêts de la province, et lord Halifax lui-même avait conseillé l’établissement d’une agence gouvernementale s’occupant du commerce indien de toutes les régions frontalières de l’Amérique du Nord. Il est vrai cependant, que Lawrence favorisa ses amis en leur accordant des contrats et qu’il protégea à l’occasion les soldats devant les tribunaux civils, encore qu’il n’ait pas amassé autant de biens que le gouverneur de la colonie de New York, George Clinton, est supposé avoir amassés. En fait, il est possible que ces accusations n’eussent pas été soutenues, si lord Halifax n’avait pas quitté le Board of Trade en 1761, pour devenir lord-lieutenant d’Irlande.

Faisant allusion au monument élevé à la mémoire de Lawrence en l’église Saint-Paul de Halifax, pour souligner la popularité de l’ancien gouverneur, Belcher écrivit : « En reconnaissance pour son attachement et ses services, le dernier hommage qui pouvait être rendu à sa mémoire fut unanimement voté lors de la première séance de l’assemblée après le décès de l’ex-gouverneur universellement regretté. » Ce commentaire sympathique d’un contemporain, avec qui Lawrence avait quelquefois eu des différends, et les observations précédentes devraient être placés dans la balance contre les exposés des historiens qui le condamnent pour son manque d’humanité envers les Acadiens.

Dominick Graham

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Dominick Graham, « LAWRENCE, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lawrence_charles_3F.html.

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Auteur de l'article:    Dominick Graham
Titre de l'article:    LAWRENCE, CHARLES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
Date de consultation:    28 novembre 2024