MONTGOLFIER, ÉTIENNE, prétre, supérieur des sulpiciens de Montréal et vicaire général, né le 24 décembre 1712 à Vidalon (dép. de l’Ardèche, France), fils de Raymond Montgolfier ; il était l’oncle de Joseph-Michel et de Jacques-Étienne de Montgolfier, célèbres inventeurs des aérostats ; décédé à Montréal le 27 août 1791.
Ayant opté à 20 ans pour le sacerdoce, Étienne Montgolfier se présenta au séminaire diocésain de Viviers, France, où il entreprit des études classiques et suivit des cours de philosophie et de théologie. Ordonné prêtre le 23 septembre 1741, il obtint de son évêque la permission de se joindre à la Compagnie de Saint-Sulpice. Il se rendit à Issy-les-Moulineaux pour y passer son année de solitude (l’équivalent d’un noviciat). Au cours des neuf années suivantes, il enseigna la théologie dans divers séminaires sulpiciens de France. Il accéda par la suite à la demande de son supérieur général, Jean Couturier, et quitta La Rochelle le 3 mai 1751 pour se joindre à ses confrères de Montréal, où il arriva au mois d’octobre de la même année.
Montgolfier eut rapidement un ascendant naturel sur les sulpiciens de Montréal. Dès janvier 1759, il fut nommé supérieur, en remplacement de Louis Normant* Du Faradon. Ce titre lui conférait automatiquement les responsabilités d’administrateur des seigneuries appartenant aux sulpiciens, de curé en titre de la paroisse de Montréal et de vicaire général de l’évêque de Québec pour le district de Montréal ; il résigna ce dernier poste en 1764. Jamais mandat de supérieur ne fut rempli dans des conditions aussi difficiles. Québec venait de capituler aux mains des Anglais, Mgr de Pontbriand [Dubreil*] se réfugia au séminaire de Saint-Sulpice où il allait mourir le 8 juin 1760, et Montréal se rendit à l’ennemi le 8 septembre suivant. Le major général Amherst laissa tout de même à la population canadienne le libre exercice de la religion catholique, et Montgolfier put rester en relation avec le vicaire général de Québec, Jean-Olivier Briand, considéré, depuis la mort de l’évêque, comme le « premier grand-vicaire ».
Après la ratification de la cession du Canada par la France à la Grande-Bretagne, Montgolfier décida de se rendre en Europe, d’abord en France auprès de son supérieur général, puis à Londres auprès du gouvernement britannique. Son objectif était d’assurer aux sulpiciens la jouissance de leurs biens, en obtenant, d’une part, que leurs confrères français se départissent de ces derniers en leur faveur et, d’autre part, que son groupe ne fût pas identifié à une communauté religieuse comme celle des récollets ou celle des jésuites. Les sulpiciens évitèrent ainsi d’être spoliés par le nouveau gouvernement colonial. Montgolfier partit en octobre 1763, et le chapitre de Québec profita de ce voyage du sulpicien pour le charger de promouvoir la nomination d’un nouvel évêque en Amérique du Nord. Les chanoines, invoquant l’ancien droit selon lequel il leur appartenait d’élire un nouvel évêque lors de la vacance du siège, avaient pris les dispositions d’usage le 15 septembre précédent : messe du Saint-Esprit, assermentation et élection. Ils avaient confié au supérieur des sulpiciens le nom de celui qu’ils désiraient comme évêque ; il s’agissait de Montgolfier lui-même. Cette élection fut jugée nulle par la Sacrée Congrégation de la Propagande car, depuis la mise en vigueur des dispositions du concile de Trente, il appartenait au pape de choisir les évêques, quitte à ce que son choix fût fait parmi des candidats présentés par d’autres évêques ou même, dans les circonstances présentes, par les chanoines. Le pape Clément XIII n’en accepta pas moins le choix du chapitre, et personne ne s’y opposa à Rome, à Paris ou à Londres. Avant la date prévue pour le sacre épiscopal, en juin 1764, Montgolfier apprit que le gouverneur général du Canada, Murray, lui Préférait le chanoine Briand. Le sulpicien ne s’obstina pas ; il revint au Canada et remit sa démission d’évêque élu au chapitre de Québec. Quand Briand fut devenu évêque, en 1766, il nomma Montgolfier deuxième grand vicaire de Montréal, afin d’alléger la tâche d’Étienne Marchand.
Plus tard, Montgolfier participa à une tentative de mise sur pied d’un évêché à Montréal. En effet, Mgr Briand et son coadjuteur, Mgr Louis-Philippe Mariauchau d’Esgly, ne s’y rendaient pas souvent, surtout à cause de leur âge avancé et de l’état rudimentaire des moyens de transport à l’époque. Pourtant, la population de Montréal augmentait rapidement, et le besoin d’un évêque se faisait sentir. Deux délégués canadiens furent alors choisis pour aller porter à Londres un mémoire, rédigé avec l’aide de Montgolfier, en faveur de l’érection d’un siège épiscopal à Montréal et de la venue au Canada de prêtres européens parlant français. Jean-Baptiste-Amable Adhémar et Jean De Lisle* de La Cailleterie s’y rendirent en 1783, mais ils trouvèrent suffisamment ardu de poursuivre le dernier de ces deux objectifs et ils s’y limitèrent. Quand il fut question, l’année suivante, d’adjoindre un coadjuteur à Mgr d’ Esgly, lors de la démission de Mgr Briand, ces deux derniers et le gouverneur Haldimand songèrent à Montgolfier. Celui-ci s’y opposa en juillet 1785, car il se trouvait trop âgé et voulait continuer à porter plutôt ses efforts sur la venue de sulpiciens français à Montréal.
Entre-temps, Montgolfier s’était trouvé dans l’obligation de prendre position sur la situation politique du pays. Les occasions ne manquaient pas. Retenons par exemple l’incident survenu lors de l’érection d’un monument de reconnaissance envers le roi George III sur la place d’Armes à Montréal, le 7 octobre 1773. N’y étant pas invité et n’ayant pas l’habitude de participer aux cérémonies militaires ou civiles, Montgolfier resta à la maison des sulpiciens. Luc de La Corne proposa au commandant de joindre la sonnerie des cloches aux décharges de l’artillerie. Le militaire ne s’y opposa pas, mais le supérieur ecclésiastique, qui reçut à trois reprises la visite du Canadien, rétorqua : « Vous savez que nous regardons nos cloches comme des instruments de religion dont on ne s’est jamais servi dans les cérémonies militaires ou civiles. » Il finit par ajouter, sur les instances de l’importun : « Si M. le Commandant exige qu’on sonne, il est le maître d’ordonner au bedeau et je n’aurai rien à dire. » De fait, le commandant insistait moins que La Corne, et la sonnerie ne se fit point entendre.
L’invasion américaine [V. Richard Montgomery] donna lieu à une intervention plus significative. À l’invitation de Mgr Briand, le sulpicien prépara une ébauche de sermon de circonstance et la transmit aux curés du district de Montréal. Il y démontrait en quatre points l’importance de favoriser le gouvernement britannique, à l’encontre de ce que la propagande américaine préconisait. Ces points étaient les suivants : comme patriote, le Canadien doit défendre sa patrie envahie ; comme sujet, ayant prêté un serment de fidélité au roi, le citoyen manque à la justice s’il refuse d’obtempérer aux ordres ; comme catholique, le Canadien doit montrer que sa religion lui enseigne d’obéir à son souverain ; enfin, les Canadiens ont un devoir de reconnaissance envers le roi qui les a si bien traités et envers le gouverneur Guy Carleton*, qui a défendu leur cause à Londres. Montgolfier concluait son modèle de sermon en rappelant ce qui était advenu aux Acadiens une vingtaine d’années plus tôt [V. Charles Lawrence*] ; n’était-ce pas plus prudent d’opter pour le pouvoir en place ?
On voit par sa correspondance avec Mgr Briand que Montgolfier était bien au courant des allées et venues des troupes rebelles américaines et des militaires britanniques. La présence de Carleton à Montréal en 1775 suscita des prises de position chez les Indiens et chez certains Blancs francophones ; de neutres qu’ils étaient, ils se déclarèrent favorables au roi. Montgolfier appuya d’ailleurs au même moment, par une lettre circulaire à toutes les paroisses de son district, la décision de Carleton de rétablir les milices. Durant tout le temps que les Américains se trouvèrent à Montréal, c’est-à-dire de novembre 1775 au printemps de 1776, le supérieur des sulpiciens évita d’avoir des rapports avec eux ; il les considérait comme des rebelles et comprenait difficilement la neutralité de la plupart des Canadiens. Une fois la ville libérée, il apprécia la tranquillité retrouvée grâce à « la protection d’un gouvernement équitable ; la probité est respectée et la vertu protégée », écrivait-il. Il assura Mgr Briand que les curés admettaient aux sacrements seulement ceux qui, parmi les pro-Américains, avaient reconnu leur faute et s’étaient rétractés publiquement par leur conduite ou dans leurs discours. Un petit nombre refusa cependant de se soumettre à ces conditions. Quant au clergé, il semblait tout à fait soumis à l’autorité légitime, excepté les jésuites Joseph Huguet, missionnaire à Sault-Saint-Louis (Caughnawaga), Pierre-René Floquet, desservant à Montréal, et le sulpicien Pierre Huet* de La Valinière, curé à L’Assomption.
Les autres prises de position de Montgolfier se limitèrent à des cas particuliers, relevant le plus souvent de sa fonction de vicaire général : acceptations ou refus de mariages entre catholiques et anglicans, recrutement et formation de candidats au sacerdoce, rétablissement de l’ancienne chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours brûlée en 1775, nouvelle impression du petit et du grand catéchisme, nomination de prêtres, possibilité de culte anglican dans certaines églises catholiques. Ces sujets faisaient l’objet de sa correspondance avec l’évêque de Québec, lequel avait en dernier ressort la responsabilité des décisions prises par son vicaire général.
Montgolfier se préoccupa aussi de l’influence, à Montréal, des philosophes français du siècle des Lumières. Le premier poème publié en français dans un journal d’Amérique du Nord, la Gazette de Québec, fut une épître de Voltaire à un cardinal ; il y critiquait l’intolérance et le sectarisme de l’Eglise. Dix ans plus tard, en 1778, l’académie de Montréal se donna un organe officiel de diffusion : la Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal [V. Fleury Mesplet]. On y vantait les écrits, la mentalité et l’esprit de Voltaire. Montgolfier pria Mgr Briand d’intervenir auprès des autorités compétentes, afin que le mal fût enrayé : « J’avais toujours espéré que cette gazette, en la méprisant comme elle le mérite, tomberait d’elle-même ; mais comme il m’a paru qu’on cherchait à lui ménager la protection du Gouvernement, j’ai cru qu’il était à propos d’aller au-devant des coups. » De fait, le journal dut être abandonné dès l’année suivante, en 1779. Il est vrai que l’engouement des académiciens pour les encyclopédistes français, surtout Voltaire, avait desservi leur cause, car les répliques des lecteurs furent vives et, finalement, plus influentes que leurs propos mal adaptés à la mentalité canadienne.
À la fin de sa vie, Montgolfier fut énormément préoccupé par la diminution des effectifs sacerdotaux. Ses nombreux efforts pour faire venir de France des sulpiciens ou d’autres prêtres n’obtinrent jamais les résultats escomptés. À l’automne de 1784, il tenta de rejoindre son supérieur général, Jacques-André Emery, par l’entremise de l’ancien gouverneur Carleton alors en Angleterre : « Ne pourriez-vous pas m’envoyer ici un sujet de confiance et choisi de votre main, pour me succéder dans la place que j’occupe à Montréal ; et le faire accompagner d’une ou deux personnes également sûres ? » Mais le gouverneur Haldimand tenait à ce que fussent respectées les instructions royales de 1764, selon lesquelles aucun Français ne pouvait entrer au pays. Par ailleurs, les sulpiciens faisaient peu de recrutement chez les Canadiens, entre autres raisons pour conserver une majorité aux Français à l’intérieur du groupe ; c’était un relent de colonialisme. De toute façon, les vocations sacerdotales étaient fort peu nombreuses à cette époque chez les Canadiens et Montgolfier termina sa vie dans l’appréhension de voir disparaître les sulpiciens du Canada. Il démissionna en 1787 de sa double charge de supérieur ecclésiastique et d’aumônier de la Congrégation de Notre-Dame, non sans avoir écrit la Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois [...], qui devait être publiée en 1818. En 1789, ses facultés étant affaiblies, ne pouvant plus lire ni écrire, il s’adjoignit son confrère Gabriel-Jean Brassier comme supérieur des sulpiciens et comme vicaire général de l’évêque de Québec. Il mourut à Montréal le 27 août 1791.
Homme digne, affable, de belles manières, Montgolfier a cherché à collaborer le mieux possible avec l’évêque de Québec dans l’organisation ecclésiastique de son pays d’adoption. Plus pragmatique que penseur, plus légiste et canoniste que théologien, il a voulu assurer la survie du catholicisme dans des circonstances inédites et délicates. Eût-il été évêque en titre, sa personnalité se serait peut-être manifestée avec plus d’éclat et Montgolfier aurait pu développer une mentalité canadienne. En effet, tout au long de son séjour à Montréal, il est resté Français et il a entretenu chez les sulpiciens une tournure d’esprit européenne par laquelle ils se sentaient plus près des nouveaux maîtres britanniques que des habitants du pays.
[Étienne Montgolfier], La vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, dite du Saint-Sacrement, institutrice,.fondatrice, et première supérieure des, filles séculières de la Congrégation Notre-Dame, établie à Ville-Marie, dans l’isle de Montréal, en Canada, tirée de mémoires certains et la plupart originaux (Ville-Marie [Montréal, 1818).
ACAM, 901.005, 763-2, 766-4, 768-5, -6, 769-1, -5, -6, 771-2, -6, 773-2, -3, -6, -7, 775-11 ; 901.115, 776-3, -5, 777-2, -3, -6, 779-1, -2, 780-2, -7, -8, -9, 781-1, -4, 782-6, -7, -8, -9, 783-2, -4, -7.— PRO, CO 42/16, ff.280–282.— Mandements des évêques de Québec (Têtu et Gagnon), II : 265s.— Allaire, Dictionnaire.— Louise Dechêne, Inventaire des documents relatifs à l’histoire du Canada conservés dans les archives de la Compagnie de Saint-Sulpice à Paris, ANQ Rapport, 1969, 149–288.— Desrosiers, Corr. de cinq vicaires généraux, ANQ Rapport, 1947–1948, 79–100.— Gauthier, Sulpitiana (1926), 234–236.— Lanctot, Le Canada et la Révolution américaine, 65.— Lemieux, L’établissement de la première prov. eccl., 1–8, 18–23.— M. Trudel, L’Église canadienne, I : 260–296.— T.-M. Charland. La mission de John Carroll au Canada en 1776 et l’interdit du P. Floquet, SCHÉC Rapport, 1 (1933–1934) : 45–56.— Séraphin Marion, Le problème voltairien, SCHÉC Rapport, 7 (1939–1940) : 27–41.— É.-Z. Massicotte, Un buste de George III à Montréal, BRH, XXI (1915) : 182s.— Henri Têtu, L’abbé Pierre Huet de La Valinière, 1732–1794, BRH, X (1904) : 129–144, 161–175.
Lucien Lemieux, « MONTGOLFIER, ÉTIENNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/montgolfier_etienne_4F.html.
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Auteur de l'article: | Lucien Lemieux |
Titre de l'article: | MONTGOLFIER, ÉTIENNE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |