GAUDET, PLACIDE (il signait souvent Placide P. pour indiquer qu’il était le fils de Placide), instituteur, journaliste, généalogiste, historien et fonctionnaire, né le 19 novembre 1850 à Dupuis Corner (Cap-Pelé, Nouveau-Brunswick), fils de Placide Gaudet et de Marie Vienneau, dit Michaud ; le 14 novembre 1890, il épousa à Egmont Bay, Île-du-Prince-Édouard, Marie-Rose Arsenault, et ils eurent trois filles, dont deux moururent avant d’atteindre l’âge adulte, et un fils ; décédé le 9 novembre 1930 à Shédiac, Nouveau-Brunswick.

Le père de Placide Gaudet était mort dans une rixe quelques mois avant sa naissance. Sa mère retourna donc à la ferme de son propre père, où elle-même, et plus tard Placide, travaillèrent. Le petit garçon fréquenta l’école locale et se prit de passion pour la généalogie et l’histoire des Acadiens en écoutant son grand-père. En janvier 1862, Mme Gaudet alla vivre à la ferme de son beau-père à Dorchester. Deux ans plus tard, non loin de là, à Memramcook, le collège Saint-Joseph ouvrit ses portes. Gaudet en fut l’un des premiers élèves. Sa mère travaillait à la cuisine et à la boulangerie pour payer ses études, et le directeur, Camille Lefebvre*, portait un intérêt particulier au jeune garçon. Après l’obtention de son diplôme en 1873, Gaudet entra au grand séminaire de Montréal en vue de se faire prêtre, mais, à la grande déception de sa mère, l’évêque de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, John Sweeny*, lui conseilla de renoncer pour des raisons de santé. Dès la fin de novembre 1874, Gaudet était de retour au Nouveau-Brunswick.

Toute sa vie, Gaudet devrait lutter contre la pauvreté. À sa sortie du séminaire commença une première série de démarches désespérées en vue de trouver un emploi. Il écrivit à des amis de collège pour solliciter du travail en journalisme ou dans la fonction publique, mais dut se contenter d’une succession de postes temporaires d’instituteur. Ainsi, il enseigna à peu près un an (1875–1876) à l’académie de Saint-Louis, à Saint-Louis de Kent, pendant une courte période dans les écoles publiques de Tracadie et de Neguac et un an à la section française de la grammar school de Shédiac. Il profitait de ses temps libres pour faire des recherches sur l’histoire locale. C’est vers cette époque qu’il publia le premier de nombreux articles dans des journaux acadiens. Comme il aurait une augmentation de salaire s’il détenait un brevet d’enseignement de niveau plus élevé, il s’inscrivit au programme régulier de la Norman School de Fredericton à l’automne de 1881. Il reçut trois des cinq rapports d’étape nécessaires, mais il quitta l’établissement avant qu’une moyenne lui ait été attribuée ou que son statut professionnel ait changé et il se remit à enseigner. En 1882–1883, dans la région de Cocagne, il utilisa la « méthode intuitive d’enseignement », ce qui donna lieu à des plaintes de la part de certains parents. Il partit à la fin du trimestre, non sans avoir publié dans le Moniteur acadien de Shédiac une défense où il précisait que Valentin Landry*, alors inspecteur, avait été satisfait de l’état de son école et avait jugé son travail « sain et intelligent ». L’historien et sénateur Pascal Poirier* écrirait néanmoins, à la mort de Gaudet, qu’il ne pouvait songer à personne qui ait été moins apte que lui à donner une instruction de base. Cependant, Gaudet était très avant-gardiste : il avait prévu envoyer ses élèves recueillir, auprès des vieillards du village, des éléments d’histoire orale.

Gaudet se remit en quête de travail. En 1882, il en avait sollicité aux archives canadiennes [V. Douglas Brymner*], apparemment en concurrence avec Poirier. Narcisse Robidoux, frère de Ferdinand, le rédacteur en chef du Moniteur acadien, accepta d’appuyer sa candidature à la condition qu’il arrive à surmonter son vieux problème d’alcool. Même si Gaudet se débattrait avec cette difficulté au moins jusqu’en 1901, il obtint des archives un contrat de deux ans (1883–1885) pour copier des registres paroissiaux dans des régions acadiennes. Cela ne suffisait pas à assurer sa subsistance, alors il prit trois autres emplois à court terme dans l’enseignement et travailla un petit moment à Bathurst, au Courrier des provinces Maritimes, après quoi, à l’automne de 1886, il devint secrétaire de la rédaction du Moniteur acadien. De là, il passa à l’Évangéline à Weymouth Bridge, en Nouvelle-Écosse, où il resta de juillet 1890 à la mi-août 1893. De mai 1894 à mars 1895, il fut de nouveau au Courrier des provinces Maritimes. Ses conflits avec ses collègues et avec les collaborateurs qui s’aventuraient à écrire sur l’histoire des Acadiens devinrent notoires.

En août 1895, Gaudet s’installa à Church Point, en Nouvelle-Écosse, afin d’enseigner au nouveau collège Sainte-Anne [V. Gustave Blanche*]. Il poursuivait aussi ses recherches sur l’histoire locale. Un élève, J. E. Belliveau, garderait un bon souvenir des exposés que Gaudet y donnait sur l’Acadie. Gaudet demeura au collège jusqu’à l’incendie qui ravagea celui-ci en janvier 1899. La même année, il fut engagé à temps plein par les archives : son travail consistait à copier des registres dans les paroisses acadiennes de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. L’archiviste du dominion, Brymner, était mécontent qu’il n’ait pas produit de rapports sur ses travaux et, en 1903, seule l’intervention de quelques amis, dont John Costigan*, député fédéral du Nouveau-Brunswick, l’empêcha de perdre sa place. Gaudet établit de bonnes relations avec Arthur George Doughty*, qui prit la direction des archives en 1904. Il s’installa à Ottawa pour occuper un poste de généalogiste dans ce service. Sous la pression de Doughty, il produisit une généalogie des familles acadiennes qui comptait plus de 460 pages. Elle parut à Ottawa en 1906 dans le Rapport concernant les archives canadiennes pour l’année 1905. Ce fut son unique publication volumineuse.

Aux archives, où il demeurerait jusqu’en 1924, Gaudet continua de recueillir de la documentation de sources diverses. Une grande partie de son temps était consacré à la correspondance : il répondait, souvent très longuement, à beaucoup de questions sur la généalogie et l’histoire des Acadiens. Sa remarquable contribution à la généalogie acadienne – la transcription de quelque 50 000 inscriptions contenues dans des registres paroissiaux et portant sur les descendants de presque toutes les familles acadiennes du xviie siècle au début du xxe – faisait de lui l’autorité incontestée en la matière. Elle permit aux Acadiens de commencer à écrire eux-mêmes leur histoire au lieu de compter sur des érudits de l’extérieur. Gaudet fut également un précieux informateur pour des historiens tels Pierre-Marie Dagnaud, William Francis Ganong*, Henri-Raymond Casgrain*, John Clarence Webster* et Émile Lauvrière ainsi que pour l’auteure Margaret Marshall Saunders*. Les récits d’expériences acadiennes qu’il avait recueillis et publiés – ils portaient surtout sur la déportation de 1755 – s’appuyaient toujours sur une documentation solide. Pour James de Finney, ses travaux représentent bien la tradition qui, dans la littérature acadienne, s’employait à rassembler des fragments de la mémoire collective. Les critiques incisives de Gaudet sur les œuvres d’autres auteurs étaient parfois justifiées. Toutefois, dans les Données erronées, opuscule de 1911 qui relevait des erreurs dans l’histoire des notaires acadiens de Joseph-Edmond Roy*, il se laissa peut-être dominer par son animosité personnelle.

À cause de ses tracas financiers et de sa répugnance à publier des travaux qu’il jugeait inachevés, Gaudet n’a à son actif qu’une seule autre publication, un livret de 84 pages intitulé le Grand Dérangement. Écrit en 1921 pour appuyer le projet de construire une église commémorative à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse [V. David-Vital Landry], ce texte fut publié l’année suivante par le comité acadien qui parrainait le projet. La thèse de Gaudet – à savoir que, au vu des preuves, seul le gouverneur Charles Lawrence*, et non le gouvernement britannique, était coupable de la déportation des Acadiens – suscita une polémique.

Certes, Gaudet se querellait souvent avec d’autres auteurs, mais il pouvait être un ami et un allié généreux. Toute sa vie, il resta en contact avec de multiples correspondants, dont la plupart des membres de l’élite acadienne. À Ottawa, où il contribua à implanter une section de la Société l’Assomption [V. Rémi Benoît*], il était un membre accueillant et aimé de la communauté acadienne. Il travaillait à préserver de l’oubli l’histoire des Acadiens en encourageant l’érection de monuments et en donnant des conférences.

En 1924, après avoir été invité à prendre sa retraite avec une pension mensuelle de 84 $, Placide Gaudet alla vivre à Moncton. L’année suivante, dans une lettre à son fils, il se plaignit de difficultés avec sa femme : elle souffrait, disait-il, de délire religieux. Lorsqu’il mourut, en novembre 1930, il n’habitait pas avec elle, mais dans un hospice à Shédiac. À sa dernière apparition publique, quelques semaines plus tôt, il s’était encore montré avide de partager, avec de petits Acadiens, ses vastes connaissances sur l’histoire de leurs ancêtres.

Sheila Andrew

Le volumineux fonds Placide Gaudet à BAC comprend des généalogies acadiennes dactylographiées (MG 30, C20, 1–19), des notes et des dossiers sujets sur l’histoire de l’Acadie ainsi que des extraits de registres paroissiaux (C20, 20–28) et environ 135 000 fiches de généalogie acadienne (C20, 29–118). Le fonds Placide Gaudet au Centre d’études acadiennes, univ. de Moncton, N.-B., est presque aussi imposant : il contient de la documentation sur l’histoire de l’Acadie, dont des manuscrits (originaux, copies et transcriptions), de la correspondance (originaux et copies), des notes et plusieurs autres types de documents.

En plus des nombreux articles qu’il a publiés dans les journaux locaux, Placide Gaudet est l’auteur de « Généalogie des familles acadiennes, avec documents », dans Arch. publiques du Canada, Rapport concernant les archives canadiennes pour l’année 1905 (3 vol., Ottawa, 1906), 2 ; les Données erronées de monsieur J. Edmond Roy sur les notaires de l’Acadie (Shédiac, N. B., 1911) ; le Grand Dérangement : sur qui retombe la responsabilité de l’expulsion des Acadiens (Ottawa, 1922).

APNB, MC2495/F15653 (mfm) ; RS117, A2/2, 1.— Centre d’études acadiennes, Fonds du collège Saint-Joseph/univ. de Moncton, 1864–1972, documentation financière, Grand Livre no 1, 1865–1878 : 33–35 ; Grand Livre no 1, 1865–1884 : 1, 9, 22 ; Fonds Pascal Poirier, 6.1-3 ; Fonds Valentin Landry, 7.1-2, 7.1-7, 7.1-19.— L’Évangéline (Weymouth Bridge, N.-É.), 31 oct.–12 déc. 1895 ; publié par la suite à Moncton, 30 mars 1916, 4 mai 1922, 28 avril 1927, 13, 20, 30 nov. 1930.— Le Moniteur acadien (Shédiac), 22 mars 1883.— Anselme Chiasson, « Placide Gaudet », Soc. hist. acadienne, Cahiers (Moncton), 4 (1971–1973) : 6–23.— C.-A. Doucet, Une étoile s’est levée en Acadie ([Rogersville, N.-B.], 1973).— James de Finney, « Du fait divers au récit commun : le rôle littéraire de l’Évangéline », dans l’Évangéline, 1887–1982 ; entre l’élite et le peuple, sous la dir. de Gérard Beaulieu (Moncton, 1997), 135–153.— Pierre et P.-M. Gérin, Marichette : lettres acadiennes, 1895–1898 (Québec, 1982).— « Histoire de la paroisse de Cap Pelé », Sur l’empremier : la gazette de la Soc. hist. de la mer Rouge (Robichaud, N.-B.), 2 (1986), no 1 : 44.— René LeBlanc et Micheline Laliberté, Sainte-Anne, collège et université, 1890–1990 (Pointe-de-l’Église [Church Point], N.-É., 1990).— J.-M. Leger, « Placide Gaudet », Soc. hist. acadienne, Cahiers, [2] (1966–1968) : 18–22.

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Sheila Andrew, « GAUDET, PLACIDE (Placide P.) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gaudet_placide_15F.html.

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Auteur de l'article:    Sheila Andrew
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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