FRANKLIN, sir JOHN, officier de marine, explorateur et auteur, né le 16 avril 1786 à Spilsby, Angleterre, fils cadet de Willingham Franklin, marchand de tissus, et de Hannah Weekes ; décédé le 11 juin 1847 au large de la terre du Roi-Guillaume (Territoires du Nord-Ouest).

John Franklin fréquenta l’école préparatoire à St Ives, dans le Huntingdonshire, puis dès l’âge de 12 ans la grammar school de Louth, près de Spilsby, dans le Lincolnshire. Attiré très tôt par la vie de marin, il se buta d’abord à la résistance de son père, qui ne l’autorisa qu’à regret à faire un voyage d’essai sur un navire marchand qui faisait la liaison entre Kingston upon Hull et Lisbonne. Comme l’expérience avait affermi la résolution de Franklin, son père le fit entrer dans la marine royale à titre de volontaire de première classe sur le Polyphemus. Il partit le 23 octobre 1800 pour aller rejoindre le navire, qui participa le 2 avril 1801 à la bataille de Copenhague.

Peu après cependant Franklin, libéré du service, rentra chez lui car ses parents, à sa demande, lui avaient obtenu une affectation plus conforme à ses ambitions : participer à une expédition qui, sous le commandement du capitaine Matthew Flinders, explorerait le littoral de la Nouvelle-Hollande (Australie) pour en dresser la carte marine, encore fort incomplète. Le 27 avril, en qualité de midship, il rejoignit donc l’Investigator, qui leva l’ancre de Spithead le 18 juillet. Flinders, son oncle par alliance, le prit sous son aile et lui enseigna la navigation. En 1802 et 1803, l’expédition fit le tour de l’Australie mais, en raison de la piètre navigabilité du bâtiment et du scorbut qui affectait ses hommes, Flinders ne put mener à bien sa mission. On abandonna l’Investigator à Sydney et l’équipage s’embarqua pour l’Angleterre à bord du Porpoise en août 1803. Toutefois, six jours après son départ, le navire s’échoua sur un récif et l’équipage, réfugié sur un banc de sable, attendit pendant six semaines le retour de Flinders, parti en barque chercher du secours. Finalement, Franklin gagna Canton (République populaire chinoise) sur un navire marchand et revint à bord d’un bâtiment qui faisait le service des Indes orientales. Il arriva en Angleterre pendant l’été de 1804.

Après son licenciement, Franklin retourna à la vie militaire sur le Bellerophon. Ce navire participa au blocus de Brest, escorta des transports de troupes en route pour Malte et prit part en octobre 1805 à la bataille de Trafalgar, au cours de laquelle Franklin assuma à titre de midship la responsabilité de la signalisation. Il demeura sur le Bellerophon, au large des côtes de France, jusqu’en octobre 1807, puis on le muta sur le Bedford, qui allait servir au large de l’Amérique du Sud. Promu lieutenant le 11 février 1808, il participa ensuite durant quatre ans au blocus de la mer du Nord, après quoi, en septembre 1814, le Bedford mit les voiles pour La Nouvelle-Orléans, contre laquelle les Britanniques entendaient lancer une offensive pendant l’hiver. Au cours de cette opération, Franklin fut blessé et cité dans des dépêches.

Lorsque le Bedford regagna l’Angleterre en mai 1815, les guerres napoléoniennes tiraient à leur fin. En disponibilité sur le Forth pendant une brève période, Franklin fut ensuite mis à la demi-solde. Comme bien d’autres jeunes officiers, il voyait l’arrivée de la paix comme une menace à sa carrière ; plus de deux ans s’écoulèrent avant qu’il ait quelque perspective d’emploi.

Franklin dut son salut au regain d’intérêt de la marine royale pour l’exploration de l’Arctique, que John Barrow, deuxième secrétaire de l’Amirauté et voyageur renommé, présenta en 1818 comme un débouché idéal pour les officiers et les hommes de la marine que la fin des hostilités avait condamnés à l’inactivité. Barrow souhaitait principalement que l’on trouve, entre l’Atlantique et le Pacifique, une voie navigable qui passe directement par le pôle Nord ou qui traverse l’Arctique nord-américain entre la baie de Baffin et le détroit de Béring. Ce dernier trajet, communément appelé passage du Nord-Ouest, fut pendant les 36 années suivantes le principal objet des explorations de la marine britannique, et le nom de John Franklin y est aujourd’hui inextricablement lié. On le sélectionna avec une poignée d’hommes, probablement en raison de ses états de service méritoires pendant la guerre et de son expérience en matière d’exploration, acquise sous le commandement de Flinders. Deux expéditions se mirent en route pour l’Arctique en 1818 : l’une, que dirigeait le commander John Ross*, chercherait le passage du Nord-Ouest et l’autre, sous le commandement du commander David Buchan, tenterait de traverser l’océan Arctique à partir de l’archipel du Spitzberg, à bord du trois-mâts barque Dorothea et du brick Trent. Franklin était au commandement du Trent. Cette expédition, qui dura six mois, n’avait aucune chance de réussir : les navires tentèrent en vain, pendant plusieurs semaines, de pénétrer le pack au nord-ouest de l’archipel du Spitzberg. Son unique résultat positif fut de prouver que les glaces polaires formaient une barrière infranchissable.

Comme les deux expéditions avaient échoué, Barrow proposa d’en lancer deux autres en 1819, à la recherche du passage du Nord-Ouest. William Edward Parry* chercherait une porte d’entrée par la baie de Baffin ; son expédition connut la réussite et démontra finalement que le détroit de Lancaster (Territoires du Nord-Ouest) donnait accès à l’Ouest. Une deuxième expédition, que Barrow proposa de confier à Franklin, débarquerait à la baie d’Hudson et se rendrait par voie de terre jusqu’à l’embouchure du Coppermine, après quoi elle reviendrait vers l’est en faisant l’exploration et en levant la carte du littoral du continent américain, ce qui lui permettrait de faire le tracé théorique de l’accès le plus direct au Pacifique. Ce plan imposait maintes difficultés à Franklin. Seulement deux explorateurs s’étaient déjà aventurés sur la côte : Samuel Hearne* à l’embouchure du Coppermine en 1771 et Alexander Mackenzie* au delta du Mackenzie en 1789. De plus, cette côte se trouvait à des centaines de milles du territoire que sillonnaient les trafiquants de fourrures. La Hudson’s Bay Company et la North West Company devraient conduire Franklin jusqu’aux abords d’un territoire inconnu et l’équiper en vue de son voyage côtier, mais elles n’avaient aucun poste au nord du Grand lac des Esclaves (Territoires du Nord-Ouest), leurs routes d’approvisionnement étaient précaires et elles se livraient bataille pour avoir la haute main sur la traite. Franklin ne disposait que de trois mois pour préparer une expédition qui avait peu de précédents dans les annales de l’exploration. Parmi les rares avis qu’il put recueillir, beaucoup se révélèrent erronés ou exagérément optimistes ; les compagnies de traite lui promirent plus d’assistance qu’elles ne pouvaient lui en donner. Le groupe choisi pour l’accompagner comprenait les midships George Back* et Robert Hood*, le chirurgien et naturaliste John Richardson* ainsi que le marin John Hepburn*.

Partie de Gravesend le 23 mai 1819 à bord du Prince of Wales, navire de ravitaillement de la Hudson’s Bay Company, l’expédition atteignit York Factory (Manitoba) le 30 août. Comme la compagnie ne pouvait lui prêter qu’un bateau et un homme d’équipage, Franklin dut se résoudre à faire expédier plus tard une bonne partie de ses provisions. C’est donc à bord d’un bateau lourdement chargé que l’équipe emprunta le trajet habituel de la compagnie jusqu’à Cumberland House (Saskatchewan) où, le 23 octobre, elle fit halte pour l’hiver. Franklin découvrit que même à cet endroit il ne pouvait obtenir des indications suffisantes sur la contrée située plus au nord ; à la mi-janvier, avec Back et Hepburn, il partit donc en raquettes pour le fort Chipewyan (Alberta), poste de la North West Company. Hood et Richardson devaient l’y rejoindre au printemps avec les vivres et le matériel. Parvenu au fort Chipewyan, Franklin s’organisa pour recruter des guides et des chasseurs indiens, mais la rareté de la main-d’œuvre lui causa de nouvelles difficultés et il commença à comprendre que les compagnies de traite étaient incapables de lui fournir les généreuses provisions promises à Londres. Toute l’expédition allait se dérouler sous le signe de la pénurie.

Le 18 juillet 1820, après l’arrivée de Richardson et de Hood, le groupe, auquel étaient venus s’ajouter quelques voyageurs, quitta le fort Chipewyan pour se rendre au fort Providence (Old Fort Providence, Territoires du Nord-Ouest), poste de la North West Company situé sur le bras nord du Grand lac des Esclaves. Le trafiquant William Ferdinand Wentzel l’y attendait en compagnie d’Akaitcho, chef de la tribu des Couteaux-Jaunes dont il avait recruté les hommes à titre de guides et de chasseurs. Les explorateurs s’aventurèrent ensuite en territoire inconnu, en suivant la rivière Yellowknife, et, le 20 août, ils atteignirent le lac Winter, près duquel ils construisirent leurs quartiers d’hiver, le fort Enterprise.

À cet endroit, Franklin se trouva aux prises avec une série de problèmes que causait principalement une grave pénurie de denrées essentielles et, frustré, il se mit à réagir sans le moindre tact, voire avec une agressivité tout à fait inhabituelle chez lui. En agissant ainsi, il ne réussit qu’à affaiblir son autorité sur les Indiens et les voyageurs ainsi qu’à décourager en grande partie la bonne volonté qu’avaient manifestée jusque-là les trafiquants de fourrures. Les représentants des compagnies et les Indiens accueillirent avec froideur et irritation ses requêtes de vivres, accompagnées de menaces et d’accusations arbitraires. Back, qui se rendit pendant l’hiver au fort Chipewyan, parvint cependant à récupérer à même le matériel laissé à York Factory des approvisionnements suffisants pour assurer l’avenir immédiat de l’expédition.

En juillet 1821, Franklin et ses hommes descendirent le Coppermine pour rejoindre la côte. Leurs vivres et leurs munitions étaient dangereusement limités, et leur plus grand espoir de succès résidait désormais dans la collaboration des Inuit qui vivaient le long du littoral. Ils furent cependant vite déçus. Comme ils avaient aperçu un campement à l’embouchure du fleuve, ils y déléguèrent leurs interprètes, Tattannoeuck* et Hoeootoerock (Junius), mais ils commirent ensuite l’imprudence de trop s’avancer de sorte que les Inuit, effrayés, s’enfuirent. Aucune autre occasion de nouer des relations ne se présenta. Le 21 juillet, le groupe quitta le fleuve pour longer la côte vers l’est ; il ne comprenait plus que 20 hommes et n’avait que deux canots indiens. L’avance fut lente : le 18 août, l’expédition n’était qu’à la pointe Turnagain, dans la péninsule de Kent, quand Franklin décida de rebrousser chemin. L’été s’achevait, les provisions étaient presque épuisées et les voyageurs risquaient de se rebeller. Comme les canots étaient trop endommagés pour un retour par la mer, les hommes remontèrent la rivière Hood dans un seul canot et en furent bientôt réduits à se déplacer surtout à pied. L’expédition tourna vite au cauchemar. Souvent, il n’y avait que du lichen à manger ; le froid et l’effort imposé aggravèrent l’épuisement des hommes. Neuf d’entre eux moururent de faim ou de froid ; un autre, soupçonné plus tard de cannibalisme, fit feu sur Hood et Richardson l’exécuta. Les survivants qui atteignirent le fort Enterprise n’étaient pas au bout de leurs peines, car les Indiens n’y avaient pas stocké les vivres prévus. Finalement, le 7 novembre, après que le groupe eut vécu trois autres semaines en s’alimentant d’un brouet d’os, de lichen et de vieilles peaux de chevreuil, Back trouva des Indiens qui les secoururent et qui les ramenèrent au fort Providence.

L’expédition passa un autre hiver dans le Nord et rentra en Angleterre à l’automne de 1822. Elle avait presque totalement échoué, et les quelques indications géographiques recueillies l’avaient été au prix de nombreuses souffrances et de plusieurs vies humaines. Elle avait également révélé que Franklin, comme explorateur, avait des points faibles : il ne savait pas s’adapter à l’imprévu mais suivait avec une rigueur dangereuse les instructions et les plans établis. Devant tant d’adversité, un explorateur plus chevronné aurait pu abréger ou retarder l’expédition. Certains trafiquants de fourrures avaient des doutes à son sujet. À l’époque de l’expédition, la Hudson’s Bay Company et la North West Company se disputaient encore âprement les territoires de traite, et George Simpson*, gouverneur en chef de la première, en voulait à Franklin du soutien évident qu’il avait manifesté à la compagnie concurrente. En février 1821, dans son journal, il avait noté avec mépris et tout à fait injustement : « [Franklin] n’a pas les qualités physiques requises pour un voyage de difficulté moyenne dans notre contrée ; il lui faut ses trois repas par jour, le thé [lui] est indispensable, et même en y mettant tous ses efforts il n’arrive pas à marcher plus de huit milles par jour, de sorte qu’il ne faut pas déduire de l’échec de ces messieurs que les difficultés sont insurmontables. » Parmi ses contemporains, personne ne releva jamais les lacunes de Franklin, sauf les trafiquants de fourrures. D’un explorateur on attendait du courage plutôt que du talent, et il s’était montré très brave dans des situations effrayantes. Bientôt célèbre et entouré de respect, il entra au panthéon britannique. Promu post captain le 20 novembre 1822 (on l’avait fait commander pendant son absence, le 1er janvier 1821), il fut aussi élu fellow de la Royal Society. Par ailleurs, il renoua une vieille amitié avec la poétesse Eleanor Anne Porden, qu’il épousa le 19 août 1823. Pendant cette période, il élabora un plan en vue de poursuivre l’exploration du littoral arctique en partant du delta du Mackenzie et en allant vers l’est et l’ouest. L’Amirauté accepta son projet à l’automne de 1823. Franklin proposait encore une fois de se rendre sur la côte par le continent, mais ses dispositions différaient considérablement de celles de l’expédition précédente.

Franklin avait surtout appris de son expérience qu’il devait terminer ses préparatifs longtemps d’avance et viser l’autosuffisance. Aussi choisit-il de compter moins sur l’aide imprévisible des trafiquants de fourrures, des Indiens et des voyageurs, mais de se fier plutôt aux hommes et à l’équipement de la marine britannique et, par-dessus tout, de se munir d’une quantité suffisante de provisions. À vrai dire, la recherche de l’autosuffisance lui était moins indispensable cette fois : en raison de sa fusion avec la North West Company, la Hudson’s Bay Company était maintenant une alliée beaucoup plus sûre et jouerait un rôle essentiel en menant l’expédition jusque dans le Nord. Néanmoins, la prudence de Franklin allait trouver sa justification dans une réussite quasi impeccable.

En 1824, Franklin fit envoyer via York Factory le premier chargement de provisions, de même que trois bateaux construits spécialement pour l’expédition ; il s’assurait ainsi que le tout arriverait sans encombre dans le Nord. Une équipe de marins était aussi du voyage. Lui-même partit pour New York le 16 février 1825 ; Richardson et Back l’accompagnaient encore une fois, ainsi que le midship Edward Nicholas Kendall. Peu après son arrivée aux États-Unis, Franklin apprit le décès de sa femme, malade depuis la naissance de leur fille l’année précédente. Avec ses compagnons, il remonta vers le nord par les routes de traite et rejoignit les marins et les bateaux près du portage Methy (Portage La Loche, Saskatchewan). Au début d’août, l’expédition atteignit le fort Norman (Fort Norman, Territoires du Nord-Ouest), d’où Franklin et Kendall partirent faire une reconnaissance du Mackenzie jusqu’à la mer, tandis que les autres continuaient jusqu’au Grand lac de l’Ours, où la construction de leurs quartiers d’hiver, près de la source de la rivière de l’Ours (Grande rivière de l’Ours), était en cours. Le 5 septembre, Franklin et Kendall les rejoignirent à cette base d’opérations, baptisée fort Franklin.

Le 22 juin 1826, après un hiver sans histoires, l’expédition se mit en route pour la côte. On forma deux groupes à l’extrémité du delta du Mackenzie et ils se séparèrent le 4 juillet : Franklin, Back et 14 hommes partirent vers l’ouest dans deux bateaux ; Richardson et Kendall dirigeaient le groupe qui allait vers l’est. Si l’on excepte une escarmouche avec quelques Inuit qui pillèrent ses embarcations, l’équipe de Franklin ne connut aucun incident mais, parce que les glaces et le brouillard gênaient son avance, elle ne franchit qu’un peu plus de la moitié de la distance qui séparait le delta du Mackenzie du cap Icy (Alaska). Comme l’hiver approchait et que ses hommes souffraient du froid, Franklin résolut alors de rebrousser chemin ; il estimait que c’était la seule solution sûre. Le jour même où il le fit, soit le 18 août, partait à sa rencontre une embarcation qu’avait dépêchée le Blossom, venu par le détroit de Béring sous le commandement de Frederick William Beechey* et qui l’attendait au cap Icy. L’embarcation se rendit jusqu’à la pointe Barrow, c’est-à-dire à moins de 160 milles de l’endroit où Franklin avait fait demi-tour, à Return Reef (Alaska). S’il l’avait su, déclara-t-il plus tard, rien ne l’aurait empêché de continuer. Son groupe atteignit le fort Franklin le 21 septembre après avoir exploré 370 milles de côte dont on n’avait jamais fait le levé. Quant à Richardson et Kendall, ils étaient déjà rentrés et avaient dressé une carte de la côte à l’est du Coppermine.

Partie pour l’Angleterre après un deuxième hiver au fort Franklin, l’expédition toucha Liverpool le 26 septembre 1827. L’année suivante, Franklin publiait son second récit de voyage. D’autres distinctions attendaient Franklin : il reçut la médaille d’or de la Société de géographie de Paris, fut fait chevalier le 29 avril 1829, en même temps que William Edward Parry, et obtint en juillet un doctorat honorifique en droit civil de l’University of Oxford. En outre, il revit Jane Griffin*, une amie de sa première femme, et l’épousa le 5 novembre 1828 à Stanmore (Londres). Il y avait une gaucherie attendrissante dans la manière dont il fit la cour à ses deux fiancées. Son titre de héros ne l’empêchait pas d’avoir des côtés assez maladroits : sa renommée l’embarrassait un peu et les mondanités le gênaient, tandis que ses écrits se caractérisaient par un style lourd et tortueux. À l’occasion d’une audience tenue à Montréal en août 1827, le gouverneur en chef lord Dalhousie [Ramsay] l’avait trouvé « timide et discret » mais « plein de connaissances de toutes sortes » ; ses paroles, disait-il, dénotaient « une perception lente mais claire des choses, un bon sens digne et impressionnant, un jugement sûr et de la présence d’esprit ». Physiquement, selon la description de Dalhousie, Franklin était un « homme de forte carrure, mesurant 5 pieds 6 pouces, au teint et à la chevelure sombres, à la tête très ronde, dégarnie et couronnée de grosses boucles de cheveux courts ».

Pendant que Franklin était en pleine gloire, l’Amirauté l’invita à dresser un plan en vue d’achever son exploration de la côte septentrionale, mais quand il le soumit on lui répondit sans la moindre explication que l’Amirauté n’entreprendrait plus d’expéditions dans l’Arctique. Après avoir passé des années à se tailler une réputation d’explorateur, il se trouvait de nouveau devant un avenir incertain.

En 1830, après deux ans d’oisiveté chez lui à Londres, Franklin fut affecté en Méditerranée au commandement de la frégate Rainbow. Son rôle consista surtout à veiller au maintien de la paix le long des côtes de la Grèce pendant la guerre d’indépendance de ce pays. En raison des solides qualités diplomatiques qu’il manifesta alors, il devint plus tard membre de l’ordre du Sauveur de Grèce et de l’ordre des Guelfes. Le Rainbow rentra au pays en 1833 et on le désarma le 8 janvier 1834. Encore une fois, Franklin se trouva dans l’impossibilité d’obtenir une nouvelle commission. Finalement, en avril 1836, il accepta de succéder à George Arthur* à titre de lieutenant-gouverneur de la terre de Van Diemen (Tasmanie, Australie), jeune colonie qui servait aussi de lieu de transportation pour les criminels.

Arrivé là-bas le 6 janvier 1837, Franklin dut faire face aux dissensions incroyables qu’avait provoquées l’administration agressive d’Arthur. Son inexpérience de l’administration, son appui à la création d’une Assemblée représentative dans une île dont il devait maintenir le caractère de colonie pénitentiaire, la prétendue immixtion de lady Franklin dans les affaires gouvernementales et le souci de réforme que manifesta le couple vice-royal (surtout en éducation) sont autant de facteurs qui suscitèrent des tensions entre Franklin et le ministère des Colonies. Finalement, le secrétaire d’État aux Colonies, lord Stanley, parvint par ses intrigues à le faire destituer en 1843. Les années que Franklin avait passées dans la terre de Van Diemen n’avaient pas été infructueuses, loin de là : il avait stimulé la vie sociale et culturelle, fait échec à la corruption et gagné, par son humanité, l’affection d’un grand nombre de bagnards et de colons. Pourtant, il était très abattu lorsqu’il arriva en Angleterre, en juin 1844. Par bonheur, quelques mois après, l’Amirauté projeta de chercher à nouveau le passage du Nord-Ouest et lui demanda son avis sur la praticabilité du projet. C’était justement le stimulant dont Franklin avait besoin pour reprendre courage. Depuis les expéditions terrestres de Franklin, on avait réalisé des progrès, dont le plus important était que Peter Warren Dease* et Thomas Simpson avaient presque terminé l’exploration de la partie continentale de la côte arctique. La portion inexplorée du passage du Nord-Ouest se réduisait donc à une bande de 300 milles entre le détroit de Barrow et le continent ; on avait grand espoir de pouvoir compléter la carte du trajet sans difficulté. Dès le début, Franklin souhaita ardemment diriger l’expédition, et il reçut en ce point l’appui de ses amis Parry et Richardson ainsi que de sir James Clark Ross*, vétéran des explorations arctiques. L’Amirauté se laissa convaincre par eux de ne pas s’inquiéter des 58 ans de Franklin et lui confia le commandement le 7 février 1845 ; dès lors, on prit des mesures pour organiser l’expédition arctique la mieux équipée jusque-là.

Franklin quitta la Tamise le 19 mai 1845 avec l’Erebus et le Terror, 134 hommes (nombre qui tomba bientôt à 129) et des provisions pour trois ans. Comme à l’habitude, les navires étaient de robustes galiotes à bombes, mais pour la première fois ils étaient équipés d’hélices mues par moteur à vapeur. On avait tout mis en œuvre pour assurer la santé et le confort des officiers et des marins. Des chaudières à vapeur diffusaient de la chaleur par un réseau de tuyaux ; chaque navire transportait en quantités énormes des conserves préparées selon les méthodes les plus nouvelles, ainsi que de la porcelaine, du cristal taillé et de l’argenterie ; il y avait de grandes bibliothèques et du matériel éducatif. Seuls les vêtements auraient pu sembler inadéquats – tenue habituelle de la marine, à quoi s’ajoutaient simplement des couvertures en peau de loup et des sous-vêtements –, mais l’expédition ne devait pas rester longtemps dans l’Arctique. Franklin avait reçu instructions de pénétrer dans le détroit de Lancaster et de mettre le cap soit vers le nord puis l’ouest, en passant par le détroit de Wellington, soit vers le sud-ouest, en partant du détroit de Barrow et en traversant la région encore inconnue pour se rendre vers le rivage du continent, qu’il avait déjà exploré. Des pêcheurs de baleines furent les derniers à l’apercevoir, le 26 juillet, dans le nord de la baie de Baffin. On ne le revit jamais plus et on ne trouva aucune trace de son expédition avant cinq ans.

La disparition des deux navires déclencha d’énormes recherches dans tout l’Arctique. Ces recherches, qu’avaient lancées soit l’Amirauté soit des intérêts privés, lady Franklin et la Hudson’s Bay Company surtout, menèrent à l’exploration d’un immense territoire et furent particulièrement intensives de 1847 à 1859. L’Amirauté abandonna la partie après le retour de l’expédition d’Edward Belcher* en 1854, mais la quête continua. L’ampleur de ces opérations et le vif intérêt que manifestait le public étaient presque certainement dus à lady Franklin elle-même, qui fit une campagne prolongée afin de soutenir les recherches jusqu’à ce qu’on retrouve son mari et qui, en qualité d’épouse loyale et éplorée du héros disparu, suscitait une sympathie extraordinaire. En Amérique du Nord britannique, toutefois, l’intérêt ne fut apparemment pas aussi prononcé qu’en Grande-Bretagne ou même aux États-Unis, où le marchand Henry Grinnell organisa deux expéditions [V. Edwin Jesse De Haven* ; Elisha Kent Kane*]. Du même endroit, Charles Francis Hall* lança lui aussi une mission de recherche. L’accueil chaleureux que lady Franklin reçut à Montréal et en Colombie-Britannique en 1860–1861 dénote un certain intérêt pour son entreprise mais surtout beaucoup de sentiments pour sa personne. Quant aux trafiquants de fourrures, ils manifestèrent toute une gamme d’attitudes, de la participation active à l’indifférence polie. En mars 1849, Letitia Hargrave [Mactavish*], épouse d’un agent principal de la Hudson’s Bay Company, écrivait d’York Factory au sujet de l’expédition qu’avaient entreprise, sous le parrainage de l’Amirauté, John Rae*, sir John Richardson et John Bell* : « Les messieurs d’ici ont tous pris un air très courtois et fait comme si l’expédition de sir John [Richardson] était un exploit très réalisable, mais entre eux ils riaient de toute l’affaire ou semblaient ébahis que des êtres raisonnables puissent se lancer dans une recherche aussi inutile. »

Parmi la trentaine de missions organisées de 1847 à 1859, quatre seulement recueillirent des indices qui, mis ensemble, permirent de reconstituer la trame des dernières années de Franklin. En 1850, l’expédition de Horatio Thomas Austin* et celle de William Penny* découvrirent toutes deux qu’il avait passé l’hiver de 1845–1846 à l’île Beechey, dans le détroit de Barrow. En 1854, John Rae, le plus accompli des explorateurs nordiques de la Hudson’s Bay Company, apprit par des Inuit que l’expédition s’était trouvée en difficulté dans la région de la terre du Roi-Guillaume et découvrit des vestiges qui confirmaient la chose. Enfin, en 1859, l’expédition de Francis Leopold McClintock* trouva d’autres vestiges et des restes humains sur la terre du Roi-Guillaume, ainsi que deux brefs écrits, les seuls à avoir jamais été découverts, qui donnent presque toutes les indications connues. Ils révèlent qu’après avoir quitté l’île Beechey, Franklin contourna l’île Cornwallis, descendit vers le sud par le détroit de Peel et le détroit de Franklin et qu’en septembre 1846, une fois dans le détroit de Victoria, ses navires se trouvèrent irrémédiablement pris dans les glaces au nord-ouest de la terre du Roi-Guillaume. C’est à cet endroit que Franklin mourut en 1847 ; on ne consigna pas la cause de son décès. Sous le commandement du capitaine Francis Rawdon Moira Crozier, les survivants abandonnèrent les bâtiments en 1848 et moururent presque tous de faim et de scorbut en essayant de gagner le continent. Les rares hommes qui restaient périrent à l’anse Starvation, dans la péninsule d’Adelaide. En touchant le continent, ils avaient effectivement achevé la découverte du passage du Nord-Ouest. Mais les premiers à revendiquer l’exploit furent les membres de l’expédition de recherches menée de 1850 à 1854 par Robert John Le Mesurier McClure*. Après qu’on les eut rescapés de l’Investigator, que cernaient les glaces, ceux-ci parcoururent à pied une partie du passage. Leur revendication est compréhensible : ils ignoraient ce que les hommes de Franklin avaient accompli. Personne ne franchit tout le passage en bateau avant Roald Amundsen, de 1903 à 1906. Comme on ne connut le sort de l’expédition de Franklin qu’en 1854, ses officiers demeurèrent sur le rôle de la marine jusqu’à cette date, et on promut même Franklin contre-amiral le 26 octobre 1852.

La réputation de sir John Franklin, l’explorateur, a oscillé entre deux extrêmes. Jusqu’à la fin du xixe siècle, les terribles épreuves de sa première expédition et le mystère qui avait longtemps entouré son dernier voyage avaient fait de lui, dans l’imagination populaire, le type même de l’explorateur polaire héroïque, tout comme le capitaine Robert Falcon Scott allait par ses voyages dans l’Antarctique le devenir pour la génération suivante. Franklin était un homme pieux, modeste à l’excès, doux et un peu maladroit, et pourtant il avait affronté d’épouvantables souffrances avec beaucoup d’énergie morale et physique : tout cela mis ensemble fait qu’on le percevait comme un grand homme. Dans une large mesure, c’est ce qu’il était : aucun explorateur, sauf George Vancouver*, n’a contribué plus que lui à la connaissance des côtes canadiennes. Cependant, pour des observateurs plus neutres, tels nombre de trafiquants de fourrures qui l’avaient rencontré et quelques commentateurs du xxe siècle, notamment Vilhjalmur Stefansson*, auteur d’Unsolved mysteries of the Arctic, ces caractéristiques révèlent en même temps ses défauts comme explorateur. Franklin commandait par l’exemple et par son charme personnel mais, dans les moments difficiles, ces qualités ne pouvaient pas remplacer un style de leadership plus autoritaire, comme celui que pratiqua plus tard Amundsen. Son courage était admirable ; cependant, un explorateur plus accompli – Rae ou Stefansson par exemple – aurait évité les situations qui exigeaient pareil courage. Même s’il savait accepter les conseils d’autrui et les leçons de ses expériences mieux que ne l’ont insinué certains de ses détracteurs, il était lent à apprendre et plus lent encore à s’adapter à l’imprévu. Sa détermination à réussir était inébranlable, mais il s’y mêlait un sens extrême du devoir et une dangereuse propension à exécuter aveuglément les instructions. Cette tendance fut l’une des principales causes de l’échec de sa première expédition et contribua peut-être à l’issue fatale de la dernière. Bref, Franklin explorateur prête flanc à la critique, mais ses manquements dans ce rôle sont tout à fait inséparables de ses immenses qualités d’homme.

Clive Holland

Les papiers personnels de sir John et de lady Franklin, contenant notamment des journaux d’expédition, des registres de lettres et autre correspondance, se trouvent au Scott Polar Research Institute (Cambridge, Angl.), ms 248. Franklin est l’auteur de : Narrative of a journey to the shores of the polar sea, in the years 1819, 20, 21, and 22 [] (Londres, 1823 ; réimpr., Edmonton, 1969) ; Narrative of a second expedition to the shores of the polar sea, in the years 1825, 1826, and 1827 [...] (Londres, 1828 ; réimpr., Edmonton, 1971) ; et Narrative of some passages in the history of Van Diemen’s Land, during the last three years of Sir John Franklin’s administration of its government (Londres, [1842] ; réimpr., Hobart, Australie, 1967). Des portraits de Franklin se trouvent dans la collection de la National Portrait Gallery (Londres), du NMM et du Scott Polar Research Institute. À ces deux derniers endroits, on trouve des daguerréotypes de Franklin et de ses officiers datés de 1845.

Lincolnshire Arch. Office (Lincoln, Angl.), misc don 430 (transcriptions et ouvrages imprimés relatifs à sir John et sir Willingham Franklin) ; misc don 447/1–2 (« Life and correspondence of Jane, Lady Franklin », W. F. Rawnsley, compil., 3, part. 1–2) ; Spilsby, reg. of baptisms, 18 avril 1786 ; 2 Thimb 7/6 (15 plaques photographiques concernant sir John Franklin et des coupures de presse relatives à l’inauguration de sa statue, 1861).— PRO, CO 6/15–16.— HBRS, 1 (Rich).— Robert Hood, To the Arctic by canoe, 1819–1821 : the journal and paintings of Robert Hood, midshipman with Franklin, C. S. Houston, édit. (Montréal et Londres, 1974).— Letitia [Mactavish] Hargrave, The letters of Letitia Hargrave, Margaret Arnett MacLeod, édit. (Toronto, 1947).— Ramsay, Dalhousie journals (Whitelaw), 3.— John Richardson, Arctic ordeal : the journal of John Richardson, surgeon-naturalist with Franklin, 1820–1822, C. S. Houston, édit. (Kingston, Ontario, et Montréal, 1984).— ADB.— Alan Cooke et Clive Holland, The exploration of northern Canada, 500 to 1920 : a chronology (Toronto, 1978).— DNB.— A. H. Beesly, Sir John Franklin (Londres, 1881).— R. J. Cyriax, Sir John Franklin’s last Arctic expedition : a chapter in the history of the Royal Navy (Londres, 1939).— The Franklin era in Canadian Arctic history, 1845–1859, P. D. Sutherland, édit. (Musée national de l’homme, Collection Mercure, Service canadien d’archéologie, paper nº 131, Ottawa, 1885).— G. F. Lamb, Franklin happy voyager being the life and death of Sir John Franklin (Londres, 1956).— A. H. Markham, Life of Sir John Franklin and the north-west passage (Londres, 1891).— Paul Nanton, Arctic breakthrough : Franklin’s expeditions, 1819–1847 (Londres, 1971).— Sherard Osborn, The career, last voyage, and fate of Captain Sir John Franklin (Londres, 1860).— Roderic Owen, The fate of Franklin (Londres, 1978).— K. [E. Pitt] Fitzpatrick, Sir John Franklin in Tasmania, 1837–1843 (Melbourne, Australie, 1949).— Vilhjalmur Stefansson, Unsolved mysteries of the Arctic, introd. de Stephen Leacock (New York, 1939).— H. D. Traill, The life of Sir John Franklin [...] with maps, portraits, and facsimiles (Londres, 1896).

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Janice Cavell, « FRANKLIN, sir JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/franklin_john_7F.html.

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Auteur de l'article:    Janice Cavell
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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