Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3629644
MISTAHIMASKWA (Gros Ours ; connu en anglais sous le nom de Big Bear), chef des Cris des Plaines, né vers 1825, probablement aux environs du fort Carlton (Fort Carlton, Saskatchewan), décédé le 17 janvier 1888 à la réserve de Poundmaker (Saskatchewan) ; au cours de sa vie, il eut plusieurs épouses et au moins quatre fils.
Gros Ours naquit de parents qui ne nous sont pas connus (peut-être des Sauteux) et il grandit, semble-t-il, avec les bandes de Cris des Plaines qui avaient coutume de passer l’hiver au bord de la rivière Saskatchewan-Nord et d’aller au sud, l’été venu, chasser le bison. Il reçut son talisman, son chant et probablement son nom à la suite d’une vision de l’esprit de l’ours, le plus puissant des esprits vénérés par les Cris. Son talisman, qu’il ne devait pas ouvrir si ce n’est en vue de le porter selon les rites au cours d’une guerre ou d’une danse, contenait une patte d’ours écorchée, avec ses griffes, cousue sur un morceau de flanelle écarlate. Dans certaines circonstances, Gros Ours mettait cette patte autour de son cou ; lorsqu’elle reposait ainsi sur son âme, il croyait qu’il était en possession de tous ses moyens et absolument invulnérable.
Un rapport de Charles Alston Messiter, datant de novembre 1862, mentionne Gros Ours comme étant « le grand chef » d’un « vaste camp de Cris » près du fort Carlton. Mais, par la suite, John Sinclair, trafiquant de la Hudson’s Bay Company, fit savoir que Gros Ours, vers 1865, « s’était déplacé de Carlton à Pitt [Fort Pitt] et avait pris la tête d’une petite bande de ses parents qui demeuraient à Pitt, comptant quelque 12 tentes ou peut-être 20 hommes ». Sinclair le tenait pour un « bon Indien », mais c’est beaucoup plus tard qu’il le considéra comme un chef, ce qui ne signifie pas tellement que Gros Ours avait peu d’autorité parmi les siens, mais plutôt qu’il était très indépendant vis-à-vis des trafiquants ou des missionnaires.
Gros Ours s’adonna aux occupations traditionnelles de la chasse et de la guerre jusqu’à ce que les années 1870 eussent amené la police, les traités et la disparition du bison. On sait qu’il participa avec sa bande à la lutte entre les Cris des Plaines et les Pieds-Noirs, qui aboutit à la bataille de la rivière Belly (près de Lethbridge, Alberta) en octobre 1870. Jerry Potts* rapporta plus tard que 200 à 300 Cris et 40 Pieds-Noirs avaient péri à la rivière Belly ; si ces chiffres sont exacts, ce fut, de toutes les batailles indiennes qui nous sont connues, la plus importante qui se déroula dans les plaines canadiennes, et assurément la dernière.
À mesure que les Blancs se faisaient de plus en plus nombreux dans les plaines, l’esprit d’indépendance de Gros Ours s’affirma. En 1873, il s’opposa vivement à Gabriel Dumont*, lorsque le chef métis tenta d’imposer ses vues sur la manière de traquer le bison au cours de la chasse estivale. À l’été de 1874, William McKay, trafiquant de la Hudson’s Bay Company, reçut du gouvernement canadien la mission de visiter les Indiens des Plaines en leur offrant du thé et du tabac, et de leur expliquer avec soin les motifs de la venue de la Police à cheval du Nord-Ouest. Selon le rapport de McKay, les Cris des Plaines « accueillirent tous amicalement les cadeaux », mais « deux familles de la bande de Gros Ours [...] ne voulurent pas en recevoir, disant qu’il s’agissait d’appâts destinés à faciliter un futur traité ». McKay signala de plus que le camp de Gros Ours comprenait 65 huttes (environ 520 personnes), tandis que celui de Herbe Odoriférante [Wikaskokiseyin*], qui avait été désigné « le Chef du pays » dès 1871 par la Hudson’s Bay Company et avait été baptisé du nom d’Abraham par le père Albert Lacombe*, n’en comptait que 56.
Gros Ours causa des difficultés encore plus grandes au révérend George Millward McDougall* qui fut chargé en 1875 de « tranquilliser » les Indiens des Plaines en ce qui concernait le traité que le Canada préparait à leur intention. Le missionnaire méthodiste trouva la plupart des « principaux hommes [...] modérés dans leurs demandes », mais il considéra Gros Ours comme un brandon de discorde parce qu’il « s’efforçait de prendre la tête de leur conseil ». Gros Ours avait déclaré : « lorsque nous posons un piège à renard, nous éparpillons des morceaux de viande tout autour mais, lorsque le renard se prend au piège, nous le frappons sur la tête ; nous ne voulons point d’appât ; que vos chefs viennent comme des hommes nous parler ».
Le lieutenant-gouverneur Alexander Morris vint « comme un homme » en août 1876, afin de négocier le traité no 6, concernant les droits sur 120 000 milles carrés de terres, et il trouva que Gros Ours était plus qu’un brandon de discorde. Le chef ne se rendit pas au fort Carlton et il ne se montra au fort Pitt que le 13 septembre, le lendemain du jour où toutes les cérémonies officielles avaient pris fin. Herbe Odoriférante et les autres chefs cris et chipewyans le pressèrent de signer comme ils l’avaient fait, mais Gros Ours, disant qu’il avait pour mission de parler au nom de tous les Cris et Assiniboines qui se trouvaient encore à la chasse dans les plaines, leur répondit : « Arrêtez ! mes amis [...] je vais demander [au gouverneur] de m’éviter ce que je crains le plus : la pendaison ; il ne nous a pas été donné d’avoir la corde autour du cou. » Ces paroles incitèrent Morris à croire que Gros Ours n’était qu’un poltron mais, comme les Cris pensaient que la nuque était le siège de l’âme, elles peuvent aussi être entendues comme une puissante métaphore annonçant le sort que tous les Indiens des Plaines allaient connaître avant une décennie. En tout cas, Gros Ours ne signa pas et devint le premier grand chef des Prairies canadiennes à adopter cette attitude.
Gros Ours s’obstina dans son refus durant les six années qui suivirent, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il resta des bisons. Une telle intransigeance attira dans son camp un nombre croissant de guerriers indépendants. En août 1878, il rencontra le nouveau lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, David Laird*, au lac Sounding (Alberta), mais il ne voulut ni signer ni accepter de présents, et il ne fut donc pas question de lui désigner une réserve. En octobre, la bande sous la conduite de Petit Pin [Minahikosis] découvrit des arpenteurs près de l’endroit où se trouve actuellement Medicine Hat (Alberta) ; Petit Pin déclara qu’ils n’avaient pas le droit de faire des levés et envoya chercher Gros Ours qui était au lieu dit Red Deer Forks (Saskatchewan), tandis que les arpenteurs envoyaient chercher les forces de police du fort Walsh (Fort Walsh, Saskatchewan). Le colonel Acheson Gosford Irvine reconnut avec Gros Ours que les arpenteurs devaient suspendre leurs travaux jusqu’à ce que la question fût réglée entre le chef et le lieutenant-gouverneur « à l’apparition des feuilles ».
À l’hiver de 1878–1879, l’influence de Gros Ours atteignit son point culminant ; cette saison-là, les bisons ne remontèrent pas vers le nord (désormais, ils ne devaient plus se rendre en grand nombre dans cette région), et les Indiens des Plaines comprirent que leurs petites réserves et la subvention annuelle de $5 allaient perdre toute signification si la chasse, contrairement à l’assurance qui leur avait été donnée par Morris, était anéantie. Le père Jean-Marie-Joseph Lestanc, qui passait l’hiver à Red Deer Forks avec les Métis, rapporta en mars 1879 : « Toutes les tribus – c’est-à-dire les Sioux, les Pieds-Noirs, les Gens-du-Sang, les Sarcis, les Assiniboines, les Stonies, les Cris et les Sauteux – ne forment plus maintenant qu’un groupe [...] Gros Ours ne peut à ce jour être accusé d’avoir prononcé un seul mot répréhensible, mais le fait qu’il soit la tête et le cœur de tous les Indiens de nos Plaines canadiennes laisse place à des conjectures [...] Ils sont tous dans le dénuement [... Ils] considèrent que les traités [...] n’ont aucune valeur [...] » Le surintendant de la Police à cheval du Nord-Ouest, Lief Newry Fitzroy Crozier*, alla mener une enquête sur place et affirma que la réunion des tribus n’avait donné aucun résultat. Néanmoins, plusieurs milliers d’Indiens et de Métis passèrent un dur hiver à cet endroit et il est possible que Sitting Bull [Ta-tanka I-yotank], Pied de Corbeau [Isapo-muxika] et peut-être même Gabriel Dumont aient conféré avec Gros Ours et les guerriers désabusés qui continuaient de se joindre à sa bande ; si ces ennemis de toujours en étaient venus à collaborer, un tel résultat eût été sans précédent dans l’histoire des Indiens de l’Ouest.
Edgar Dewdney*, nouveau commissaire des Affaires indiennes nommé par le premier ministre du Canada, sir John Alexander Macdonald*, arriva au fort Walsh en juin 1879. Gros Ours ne fut pas en mesure de lui opposer un front indien uni, mais il eut, durant plusieurs jours, des entretiens avec lui sur la disparition du bison et le caractère inadéquat des traités. Cependant, en raison de la misère à laquelle les Indiens étaient réduits, Petit Pin signa un traité au nom de 472 personnes le 2 juillet et on lui donna immédiatement le montant d’argent prévu et de la nourriture ; Gros Ours s’était obstiné dans son refus. Il alla vers le sud jusqu’au Montana, où la plupart des Indiens canadiens régis par les traités ne tardèrent pas, à l’instigation de Dewdney, à aller le rejoindre et chassèrent les derniers bisons en compagnie des Indiens américains. Lorsqu’en 1882 les dernières bêtes eurent disparu, les Indiens retournèrent peu à peu vers le nord pour demander de la nourriture au gouvernement. La bande de Gros Ours s’essaya à pêcher au lac Cypress (Saskatchewan) et à manger des spermophiles, mais la situation était désespérée. Le 8 décembre 1882, Gros Ours signa le traité no 6 au fort Walsh, afin que la police donnât aux siens de quoi manger. Son groupe comptait alors 247 personnes.
Gros Ours affirma que son peuple désirait une réserve près du fort Pitt, et, en juillet 1883, sa bande déménagea vers le nord aux frais du gouvernement. Il passa l’été à visiter ses vieux amis qui vivaient dans de petites réserves situées le long de la Saskatchewan-Nord. Tous se trouvaient dans le dénuement : l’agriculture, leur seule activité, ne rapportait rien ou se réduisait à des résultats lamentables. Cet automne-là, découvrant une nouvelle façon de tourmenter le gouvernement, Gros Ours changea d’avis au sujet de l’emplacement de sa réserve. Plusieurs visiteurs venus d’Ottawa – Hayter Reed* et Dewdney, fonctionnaires au département des Affaires indiennes, ainsi que Lawrence Vankoughnet, surintendant général adjoint des Affaires indiennes – ne parvinrent qu’à rendre Gros Ours plus obstiné ; lorsque, pour ce motif, on supprima ses rations, la bande fit du transport de marchandises pour la Hudson’s Bay Company, tandis que le chef envoyait des messages à tous les chefs cris, les pressant de se joindre à lui au sein d’un conseil indien unique pour tenter d’obtenir une grande réserve indienne sur la Saskatchewan-Nord. Pour atteindre ce but, d’après le Saskatchewan Herald, Gros Ours avait « décidé de se rendre à Ottawa [...] S’il y a[vait] un chef au département [des Affaires indiennes], il [voulait] absolument le trouver, car il n’entend[ait] traiter avec personne d’autre. » En avril 1884, à la tête d’une bande plus nombreuse – elle comptait environ 500 personnes – Gros Ours se mit en marche vers Battleford et, le 16 juin, plus de 2 000 Indiens des réserves de la Saskatchewan étaient réunis à la réserve du chef Poundmaker [Pītikwahanapiwīyin] pour prendre part à une danse de la soif organisée par Gros Ours ; ce fut la plus importante action collective jamais accomplie par les Cris des Plaines.
Les danses de la soif étaient formellement interdites par le gouvernement, qui, de toute façon, ne distribuait pas de rations aux Indiens à l’extérieur des réserves. La danse de Gros Ours eut lieu tout de même, et, pendant la célébration, le jeune guerrier Kāwīcitwemot battit John Craig, instructeur agricole à la réserve de Petit Pin, après que Craig l’eut injurié et lui eut refusé de la nourriture. Craig appela la police et Crozier arriva de Battleford avec près de 90 hommes. Crozier s’irrita de « l’action inconsidérée » de Craig mais, puisque la police avait été appelée, il fallait arrêter le coupable. Le corps de police et quelque 400 guerriers furieux et armés se trouvèrent face à face, et un simple coup de feu aurait pu plonger le Nord-Ouest dans une guerre avec les Indiens. Les policiers parvinrent à traîner Kāwīcitwemot hors des rangs de ses congénères pendant que Gros Ours, Petit Pin et Poundmaker empêchaient la violence d’éclater en criant : « Paix ! paix ! » ; par la suite, la police apaisa quelque peu les guerriers en leur distribuant une grande quantité de provisions. Tous les participants avaient sauvé la face, mais Crozier affirma dans son rapport à Dewdney : « Je ne comprends pas encore que personne n’ait tiré. » Et il ajoutait qu’à moins que le département ne « puisse garder leur confiance », « il n’y a[vait] qu’une autre [ligne de conduite] – et [c’était] de les combattre ».
Gros Ours ne désirait pas lutter contre le Canada ; il savait que dans un tel combat, ainsi que l’écrivait Crozier avec une lourde ironie, « le pays allait sans aucun doute se débarrasser des Indiens et de toutes les questions ennuyeuses se rapportant à eux en un temps relativement court ». Les revendications de Gros Ours sont clairement énoncées dans les notes approximatives qui furent prises en anglais lors des deux discours qu’il prononça devant les chefs à l’établissement du lac aux Canards (Duck Lake, Saskatchewan) et au fort Carlton en août 1884. Il affirma d’abord que le traité signé par les chefs avait été modifié par Ottawa : « la moitié des choses douces, dit-il, ont été enlevées et un grand nombre de choses amères ont été conservées ». Il fallait donc, selon lui, établir un nouveau traité définissant une nouvelle conception de la réserve. Il déclara en second lieu que les Indiens devaient avoir un représentant par tribu qui serait chargé de parler en leur nom : « On doit nous accorder la possibilité, dit-il, de choisir notre représentant tous les quatre ans. » Et il termina en disant : « Pied de Corbeau travaille pour la même chose que moi. »
Durant tout l’été, Gros Ours exposa son projet de front uni contre le gouvernement ; le 17 août, il rencontra Louis Riel à Prince Albert (Saskatchewan). Les deux hommes s’étaient vus plus tôt dans le Montana, apparemment sans résultat, mais cette rencontre inquiéta Dewdney plus que toutes les réunions des Indiens. Hayter Reed reçut instructions d’examiner les plaintes des Indiens et lorsque son rapport, qui était d’une incroyable suffisance, fut enfin expédié à Ottawa où se trouvait Vankoughnet, celui-ci rappela à Dewdney, le 4 février 1885, que les Indiens avaient « reçu vraiment beaucoup plus que ce que le gouvernement, en vertu du traité, ne s’était engagé à leur donner ».
Cette attitude suffisante des fonctionnaires annihila les derniers efforts accomplis par Gros Ours en vue de négocier des changements ; au cours de l’hiver de 1884–1885, les guerriers – ces hommes qui refaisaient chaque soir le récit de leurs anciens exploits, mais qui n’avaient pas combattu un ennemi ni même chassé un bison depuis quatre ans – se séparèrent peu à peu du vieux chef. La bande campait avec les Cris des Bois au lac La Grenouille (lac Frog, Alberta), à 50 milles au nord du fort Pitt, quand arriva la nouvelle que les Métis avaient mis Crozier en fuite à l’établissement du lac aux Canards le 26 mars. Le 2 avril, les hommes de Gros Ours, ayant à leur tête son fils Āyimisīs (Little Bad Man) et le chef guerrier Esprit Errant [Kapapamahchakwew], firent irruption dans l’église catholique du lac La Grenouille au moment de la cérémonie du lavement des pieds du Jeudi saint et expulsèrent de l’établissement tous les Blancs qui étaient assemblés là sans armes. Esprit Errant abattit Thomas Trueman Quinn, agent des Affaires indiennes ; Gros Ours se précipita en criant : « Arrêtez ! arrêtez ! » Mais rien ne pouvait arrêter les hommes, redevenus des guerriers. Neuf personnes, dont les deux prêtres oblats [V. Léon-Adélard Fafard], furent tuées. Seuls parvinrent à s’échapper deux femmes blanches et William Bleasdell Cameron*, commis de la Hudson’s Bay Company qui fut protégé par l’épouse crie du trafiquant James Kay Simpson. Ce soir-là, à son retour d’un voyage de traite au fort Pitt, Simpson trouva l’établissement détruit et les guerriers exécutant la danse du scalp. Au procès de Gros Ours qui fut tenu plus tard, Simpson raconta qu’il avait échangé les propos suivants avec celui qui était son ami depuis 40 ans : « Maintenant cette affaire [...] va être mise sur ton compte ; tu vas l’avoir sur le dos. » Et le vieux chef avait répondu : « Ce n’est pas de mes oignons, et les jeunes gens n’écouteront pas, et je suis tout à fait désolé de ce qui a été fait. »
Lorsque la nouvelle des événements du lac La Grenouille se répandit, le nom de Gros Ours devint synonyme de « tueur sanguinaire », mais désormais les chefs de la bande étaient en fait Āyimisīs et Esprit Errant. Le 13 avril, ils encerclèrent le fort Pitt avec 250 guerriers et envoyèrent à Francis Jeffrey Dickens, inspecteur de la Police à cheval du Nord-Ouest, un ultimatum disant qu’ils allaient attaquer si les civils ne se rendaient pas et si la police ne quittait pas les lieux. Gros Ours écrivit une note au sergent J. A. Martin, qui était une vieille connaissance : « Essayez de vous échapper avant l’après-midi, car les jeunes gens sont tous en fureur et difficiles à retenir. » Le 14 avril, comme leur infériorité numérique ne laissait aucun espoir, Dickens et ses 25 hommes gagnèrent Battleford par la rivière, tandis que les 28 civils, sous la direction de William John McLean*, trafiquant de la Hudson’s Bay Company, et de sa famille, se rendaient aux Indiens. Alors les guerriers pillèrent et incendièrent le fort inoccupé.
La déposition de McLean au procès de Gros Ours indique nettement que le vieux chef fit de son mieux pour protéger les captifs dans son campement, mais il était un proscrit ; lorsqu’on demanda par la suite à McLean comment Āyimisīs avait traité Gros Ours, il répondit : « Avec un mépris total. » Sans leur chef, toutefois, les guerriers se montrèrent de piètres stratèges : limitant leur activité au pillage dans les environs, ils ne firent aucune tentative pour se joindre à Poundmaker dans son attaque contre Battleford, ni pour aider Riel à Batoche. Finalement, le général Thomas Bland Strange* arriva au fort Pitt avec ses troupes canadiennes et, le 28 mai, il attaqua la forte position qu’Esprit Errant occupait sur une colline au nord de Butte-aux-Français (Frenchman Butte). Strange fut repoussé, mais les Indiens n’en battirent pas moins en retraite ; durant la bataille, Gros Ours demeura à l’arrière avec les prisonniers et les femmes. À la réserve de Poundmaker, toutefois, on raconte encore de nos jours l’histoire suivante : lorsque les éclaireurs de Samuel Benfield Steele* attaquèrent et mirent en fuite, le 3 juin, à Loon Lake, les compagnons de Gros Ours, celui-ci s’interposa entre les forces de police qui attaquaient et les Cris qui fuyaient ; il avait sa « griffe d’ours attachée au creux de sa gorge. Tant qu’il la portait à cet endroit, rien ne pouvait l’atteindre [...] C’était comme s’il plaçait un mur invisible entre son peuple et les soldats. »
Après la bataille de Loon Lake, la bande continua de se disperser à l’approche des soldats du général Frederick Dobson Middleton* qui avaient vaincu les Métis à Batoche le 12 mai. Kāwīcitwemot avait été tué à Butte-aux-Français ; Āyimisīs s’enfuit au Montana ; Esprit Errant capitula et, en novembre 1885, il fut pendu avec cinq autres membres de la bande de Gros Ours pour avoir participé à la tuerie du lac La Grenouille. Gros Ours échappa à tous les soldats qui le cherchaient, et, le 2 juillet 1885, il se rendit au fort Carlton où il se livra à un policier qui en resta tout saisi.
Avec 14 Indiens de sa bande, Gros Ours fut conduit à Regina, et le procès qu’il subit devant le juge Hugh Richardson* et un jury de six personnes, sous une accusation de complot contre la sûreté de l’État, débuta le 11 septembre 1885. Poundmaker avait déjà été condamné pour le même motif – dessein de faire la guerre à la reine – et, même si l’on fournit des preuves que le vieux chef n’avait aucunement pris part au combat et avait tenté d’éviter l’effusion de sang, Richardson fit bien comprendre au jury que Gros Ours ne pouvait se prétendre innocent que s’il avait quitté sa bande au moment où elle « s’était soulevée ». Comme il n’en était pas ainsi, le jury prit moins de 15 minutes à rendre un verdict de « culpabilité avec recours en grâce ». Le 25 septembre, Richardson condamna l’accusé à passer trois ans à la prison de Stony Mountain (Manitoba). Juste avant d’entendre la sentence, Gros Ours fit un dernier discours en faveur de son peuple : « Beaucoup d’Indiens de ma bande se cachent dans les bois, paralysés par la terreur [...] Vous qui êtes les chefs des lois des Blancs, je vous supplie encore une fois, cria-t-il en tendant les mains, d’accorder votre pitié et votre aide aux proscrits de ma bande ! » Le discours ne se trouve pas dans les registres de la cour ; il n’apparaît que dans l’ouvrage de Cameron qui fut témoin au procès.
À Stony Mountain, Gros Ours apprit la charpenterie ; il fut baptisé en juillet 1886, peut-être après le décès de Poundmaker à Blackfoot Crossing (Alberta). Pied de Corbeau et d’autres chefs qui n’avaient pas participé au soulèvement demandèrent plusieurs fois à Dewdney l’élargissement de Gros Ours, et, en février 1887, le médecin de la prison signala : « Le détenu no 103 [Gros Ours] [...] va moins bien. Il est faible et il montre des signes d’une grande débilité par des pertes de connaissance qui se produisent de plus en plus souvent. » À la suite de ce rapport, Gros Ours fut libéré le 4 mars. Ceux de sa bande qui se trouvaient encore au Canada avaient été dispersés dans les différentes réserves, et il retourna donc à la réserve de Poundmaker le 8 mars. Il y mourut le 17 janvier 1888, succombant peut-être à la suprême humiliation d’avoir été emprisonné et de ne plus se sentir utile. Commentant son décès, l’agent des Affaires indiennes écrivit : « Il a eu des difficultés de ménage ces derniers temps, sa femme préférant la société des autres hommes. Elle quittait la réserve et le vieux retraité la suivait pendant des jours et il a fini par se surmener. » Gros Ours fut inhumé au cimetière catholique de la réserve de Poundmaker, à peu près à l’endroit où avait eu lieu sa dernière danse de la soif.
Gros Ours était un chef traditionnel. Les Cris des Plaines l’avaient choisi à ce poste et le suivaient en raison de sa sagesse et non parce qu’un trafiquant, un missionnaire ou un fonctionnaire du gouvernement voyait en lui un collaborateur. À ses yeux, la terre, l’eau, l’air et les bisons étaient des cadeaux du Grand Esprit à toute l’humanité ; ils se trouvaient à la disposition de tout le monde, mais en aucun cas une personne pouvait-elle les posséder ou empêcher les autres de les utiliser. Il estimait que la civilisation des Blancs détruisait celle des Indiens d’une manière humiliante, mais c’est avec des idées et non avec d’inutiles fusils qu’il résistait aux Blancs. Dernier des grands chefs à tenter d’unir les peuplades de l’Amérique du Nord dans une lutte contre l’envahissement des Blancs, il préconisait, à cette fin, un nouveau traité : une immense réserve pour tous les Indiens des Plaines. Si les jeunes gens de sa bande n’avaient pas suivi l’exemple de Riel, peut-être aurait-il réussi à convaincre d’autres chefs des Plaines que son projet s’avérait leur seul espoir.
D’après les registres de la prison, Gros Ours mesurait cinq pieds, cinq pouces et quart ; les photographies le montrent trapu avec un visage aux traits accusés et rudes. John George Donkin, de la Police à cheval du Nord-Ouest, l’a dépeint comme « un petit homme tout ridé [...] sa figure rusée, couturée et ridée comme un parchemin chiffonné ». D’autre part, le fait que Gros Ours avait un esprit indépendant, déjà noté par Dewdney, a été confirmé par Cameron qui écrivit : « Gros Ours avait de grands talents naturels [...] S’il avait été blanc et instruit, il aurait fait un grand avocat ou un grand homme d’État [... Il était] ardent, franc, intrépide. » Il fut en vérité un grand homme d’État, mais non pas dans la tradition des Blancs.
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Rudy Wiebe, « MISTAHIMASKWA (Gros Ours, Big Bear) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mistahimaskwa_11F.html.
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Auteur de l'article: | Rudy Wiebe |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 2 décembre 2024 |