DUMONT, GABRIEL, chasseur, marchand, exploitant de traversier, chef politique et militaire des Métis, né en décembre 1837 à la colonie de la Rivière-Rouge (Manitoba), deuxième fils d’Isidore Dumont, connu sous le nom d’Ekapow, et de Louise Laframboise ; en 1858, il épousa à St Joseph (Walhalla, Dakota du Nord) Madeleine Wilkie ; ils n’eurent pas d’enfants, mais adoptèrent un garçon et une fille ; décédé le 19 mai 1906 à Bellevue (Saint-Isidore-de-Bellevue), Saskatchewan.

Gabriel Dumont fut le commandant militaire de Louis Riel* pendant la rébellion du Nord-Ouest en 1885, et c’est surtout à ce titre qu’il est célèbre. Quelques historiens lui ont prêté une influence plus étendue, mais leur thèse manque de preuves. Il fut le dernier et, par certains côtés, le plus grand des chefs métis traditionnels qui devaient leur poste à leurs exploits de chasseurs et de combattants ainsi qu’à leur vaste réseau de parenté. Pendant la campagne pour la reconnaissance des droits fonciers, au début des années 1880, puis au cours de l’agitation qui secoua le Québec après la rébellion du Nord-Ouest, il tenta d’exercer une influence politique en dehors de son clan, mais dans aucune de ces deux occasions il ne parvint à dépasser ses antécédents. Contrairement à Riel, il ne fut jamais davantage que le chef de la faction métis la plus puissante. En tant que commandant militaire des rebelles de 1885, il manifesta les mêmes forces et les mêmes faiblesses qu’en temps de paix. Assurément, s’il n’avait pas soutenu Riel avec autant de ferveur, la rébellion n’aurait pas eu lieu. Une fois les affrontements commencés, sa bravoure et son sens évident de la tactique impressionnèrent. Cependant, ces qualités traditionnelles du guerrier métis étaient tout ce qu’il pouvait montrer, et la milice canadienne, aussi inexpérimentée qu’elle ait été, vainquit les forces rebelles avec une facilité inattendue.

Les fondateurs du puissant et nombreux clan Dumont furent les grands-parents de Gabriel : Jean-Baptiste Dumont, trafiquant de fourrures montréalais, et Josette « Sarcisse », de la tribu des Sarcis. Dans les années 1780, Josette s’était mise en ménage avec un certain Bruneau, dont elle avait eu un enfant. En 1794, Bruneau la confia à Jean-Baptiste Dumont, comme c’était la coutume dans les milieux de traite. En 1795, Josette et Jean-Baptiste, qui travaillait alors pour la Hudson’s Bay Company au fort Edmonton (Edmonton), eurent un premier enfant, Gabriel. Un deuxième, Jean-Baptiste, vit le jour en 1801. Vers cette époque, Dumont partit pour le Bas-Canada et confia Josette à un autre trafiquant, Paul Durant. À son retour, environ deux ans plus tard, il réclama Josette ; comme Durant refusait de la laisser partir, il la reprit de force. Le couple eut un troisième enfant, Isidore, en 1808.

Une fois revenu dans l’Ouest, Jean-Baptiste Dumont fut trafiquant indépendant ; jusqu’à la fin de sa vie, il exécuta sous contrat des tâches particulières dans divers postes de la Hudson’s Bay Company dans la vallée de la Saskatchewan-du-Nord. Ses trois fils (c’est-à-dire le père et les oncles de Gabriel Dumont), privés de toute perspective d’emploi par la fusion de la Hudson’s Bay Company et de la North West Company en 1821, se firent chasseurs de bison. Au début du xixe siècle, on ne pouvait réussir dans ce domaine que si l’on était en mesure de rassembler un clan assez nombreux pour se défendre dans la Prairie. Gabriel Dumont l’aîné en fut capable : il fonda, à l’ouest du fort Edmonton, le village de Lac-Sainte-Anne, qui comptait plus de 200 membres dans les années 1850. Son jeune frère Isidore eut, semble-t-il, plus de mal à s’établir. Après leur mariage en 1833, lui-même et Louise Laframboise firent route vers l’est jusqu’à la colonie de la Rivière-Rouge, se portèrent acquéreurs d’un lot de grève à Saint-Boniface et se mirent à cultiver la terre. C’est là que leur troisième enfant, Gabriel, naquit en 1837.

Dans les années 1840, les peaux de bison trouvèrent de nouveaux débouchés grâce à l’ouverture de voies terrestres vers le sud et à l’établissement de postes de traite américains tels Pembina (Dakota du Nord). Isidore Dumont fut parmi les premiers à saisir cette chance. Il repartit vers l’ouest et s’installa au fort Pitt (Fort Pitt, Saskatchewan), où la chasse était en train de se concentrer. Sa famille vécut là jusqu’en 1848. Ensuite, les Dumont retournèrent à la Rivière-Rouge et se fixèrent dans la prairie du Cheval-Blanc (Saint-François-Xavier), mais le bison demeura leur principal moyen de subsistance. Bien qu’il ait été à peine adolescent, Gabriel Dumont prit part à la chasse de 1851, qui donna lieu à une bataille célèbre. Cela se passait sur le Grand Coteau du Missouri. Les Métis, environ 300, attaqués par un groupe beaucoup plus nombreux de Sioux Yanktons, remportèrent une éclatante victoire. Un seul de leurs hommes avait été tué, mais ils infligèrent de lourdes pertes à leurs adversaires en tirant à partir d’une tranchée creusée en cercle autour de leurs chevaux et de leurs chariots. Jusqu’en 1885, Gabriel Dumont ne participa qu’à des escarmouches, et le souvenir de cette bataille eut sûrement une influence considérable sur sa conduite des opérations militaires durant la rébellion.

Il subsiste peu d’indices sur les activités de la famille Dumont dans les années 1850 après la bataille du Grand Coteau. Il semble qu’elle se soit peu à peu déplacée vers l’ouest, dans le sillage de troupeaux de bison de plus en plus clairsemés. En 1858, Gabriel perdit sa mère. Dans la même année, il épousa Madeleine Wilkie, fille du chef de chasse de la prairie du Cheval-Blanc, Jean-Baptiste Wilkie. Au début des années 1860, il s’imposa à la tête d’un groupe de chasseurs de bison dont la base d’opérations se trouvait aux environs du fort Carlton (Fort Carlton, Saskatchewan). En 1863, le groupe comptait environ 200 membres, assez pour qu’il faille le doter d’une organisation qui réglementerait la chasse. Cette année-là, Gabriel Dumont fut élu chef ; il le demeura tant qu’il y eut des troupeaux à chasser.

En 1868, voyant que les Métis à demi sédentaires regroupés sur les bords de la Saskatchewan-du-Sud se faisaient de plus en plus nombreux, les oblats de Marie-Immaculée leur envoyèrent un prêtre, le père Alexis André*. En 1869–1870, les nouvelles de la résistance de la Rivière-Rouge parvinrent sûrement très vite jusqu’à Gabriel Dumont et ses compagnons. Des années plus tard, il affirma s’être rendu là-bas, avoir rencontré Riel et s’être mis à sa disposition. Cette histoire semble moins s’appuyer sur des faits que sortir de la légende dont les nationalistes canadiens-français entouraient les Métis, quoique Dumont ait pu finir par la croire. Rien n’en prouve la véracité, et le fait que Riel ne reconnut pas Dumont quand ils se rencontrèrent dans le Montana en 1884 suggère fortement qu’ils se voyaient pour la première fois.

La plupart de ceux qui quittèrent le Manitoba après les troubles de 1869–1870 s’intégrèrent aux communautés métisses installées le long de la Saskatchewan-du-Sud. Les nouveaux arrivants établirent des fermes sur des lots riverains et prirent part à la traite, au charroi de marchandises et à la chasse. L’économie de la région changea et, avec elle, le mode de vie de Gabriel Dumont. Comme le trafic augmentait sur la piste Carlton, il entreprit en 1872 d’exploiter un bac qui traversait la Saskatchewan-du-Sud à six milles en amont de celui que François-Xavier Letendre, dit Batoche, lança à peu près au même moment. L’année suivante, il borna un lot riverain à l’emplacement de l’embarcadère et y bâtit une maison. Quand la Hudson’s Bay Company eut besoin d’ouvriers pour construire une route jusqu’à son poste du lac Green, en 1873, ce fut tout naturellement à lui qu’elle demanda de recruter des hommes et de surveiller les travaux. Grâce à ces diverses activités, Dumont et les autres membres du groupe connurent une modeste prospérité ; il put ouvrir près du quai de son bac un petit magasin où l’on trouvait de tout, même un billard.

Que ces groupes sédentaires vivant non seulement de la chasse, mais aussi de l’agriculture et du commerce, aient une forme quelconque de gouvernement permanent était souhaitable, sinon essentiel. Comme le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest n’était pas parvenu à arrêter une quelconque structure à l’échelle locale, les Métis de la Saskatchewan-du-Sud prirent l’initiative de s’organiser. Sur les instances du père André, Dumont convoqua une assemblée dans la nouvelle église de Saint-Laurent (Saint-Laurent-Grandin). Le 10 décembre 1873, les participants élurent Dumont président et choisirent un conseil de huit personnes. Un corps de « capitaines » et de « soldats », organisation traditionnelle de la chasse au bison, veillerait à l’application de leurs décisions. On adopta un code qui, malgré sa brièveté, contenait des lois sur les infractions criminelles, la propriété foncière, les contrats et les relations du travail ainsi que divers règlements sur des questions comme le contrôle du bétail. Le conseil était habilité à prélever un léger impôt et à exiger des corvées pour les travaux publics qu’il jugeait nécessaires. L’assemblée affirma sa loyauté au Canada et se déclara prête à se dissoudre dès que le gouvernement territorial aurait créé ses propres institutions.

Gabriel Dumont fut réélu président en décembre 1874. Quelques mois plus tard, son gouvernement tenta d’imposer des amendes à plusieurs Métis qui avaient enfreint les règles de la chasse au bison. Ceux-ci se plaignirent à Lawrence Clarke*, agent principal de la Hudson’s Bay Company au fort Carlton, qui s’empressa d’écrire au lieutenant-gouverneur Alexander Morris* que les Métis avaient instauré un gouvernement provisoire et étaient en révolte ouverte contre les autorités canadiennes. Pour faire enquête, on envoya sur les lieux un détachement de la Police à cheval du Nord-Ouest, qui venait d’être formée. Le détachement, placé sous le commandement de George Arthur French*, conclut que les accusations de Clarke étaient dénuées de fondement. Pourtant, l’incident mit pour ainsi dire fin au gouvernement de Saint-Laurent.

Le fait que certains Métis n’hésitaient pas à défier les lois traditionnelles de la chasse montre que la crise qu’engendrait la disparition du bison allait en s’aggravant. Étant donné la précarité de l’agriculture, le succès de la chasse était encore essentiel, et Gabriel Dumont comprit vite que, lorsqu’il n’y aurait plus de troupeaux, les Métis auraient besoin d’une forme d’aide gouvernementale pour survivre. En 1877 et en 1878, il présida des assemblées au cours desquelles les participants signèrent des pétitions à l’intention du gouvernement pour réclamer une représentation au Conseil des Territoires du Nord-Ouest, de l’assistance agricole, des écoles, des concessions foncières et la confirmation de la propriété des fermes déjà occupées. En 1880, en raison des protestations dirigées par Dumont, le gouvernement territorial renonça à toute velléité de percevoir des droits sur le bois coupé sur des terres de la couronne. En 1881, Gabriel Dumont et ses partisans revinrent à la charge avec de nouvelles pétitions pour obtenir des concessions foncières et des titres de propriété.

Dès 1882, il n’y avait plus de doute : l’époque de la chasse au bison était bien révolue. Les Métis de la Saskatchewan-du-Sud réagirent en faisant alors porter leur action politique principalement sur la revendication d’un arpentage de leurs fermes qui respecte la forme et la disposition de celles-ci (en bandes de terre perpendiculaires aux cours d’eau), et ne suive pas le modèle en damier. Simple détail technique pour le gouvernement, cette question avait cependant acquis à leurs yeux une dimension symbolique. À défaut de leur consentir même la maigre assistance garantie aux Indiens par traité, le gouvernement pouvait au moins, en ces temps de bouleversements et d’incertitude, leur garantir la propriété des terres qu’ils occupaient déjà. Ottawa n’avait nullement l’intention de priver les Métis de leurs terres : à Saint-Albert, par exemple, l’arpentage avait été fait selon le mode réclamé par eux. Toutefois, une sucession de mésaventures administratives fit que la méthode d’arpentage appliquée dans la région de la Saskatchewan-du-Sud ne fut pas la bonne.

Le gouvernement avait pour principe d’arpenter les lots perpendiculaires aux cours d’eau, et non de procéder à l’arpentage en carrés, dans tous les endroits où ce genre de lots existait. Ce fut le cas à Prince Albert en 1878, et les arpenteurs entreprirent aussi les levés de la Saskatchewan-du-Sud ; avant la fin de la saison, ils en avaient effectué environ le cinquième. Pour des raisons que les historiens n’ont pu déterminer en dépit de tous leurs efforts, le travail ne fut pas complété l’année suivante. Les parties restantes de la Saskatchewan-du-Sud furent plutôt arpentées en carrés. Les Métis réclamèrent que l’arpentage soit refait selon le plan original. Après avoir retardé de plusieurs années la publication des levés, le gouvernement proposa une méthode complexe et ésotérique qui consistait à enregistrer les lots riverains existants par subdivision légale.

Gabriel Dumont n’était pas homme à avaler sa frustration. Vers la fin de mars 1884, il tint une assemblée chez Abraham Montour. Aux 30 personnes qui y assistèrent, il raconta comment il avait tenté de faire bouger le gouvernement et suggéra que seul Riel pourrait organiser le genre de pressions qu’il fallait. Il s’était apparemment rendu compte que la question des terres débouchait sur des questions plus vastes autour desquelles on pourrait rallier les Blancs et les Indiens aussi bien que les Métis, mais il savait ne pas être celui qui saurait les faire valoir. Les participants convinrent qu’une invitation à Riel aurait plus de poids si elle était faite au nom de toute la communauté. Dumont passa le mois d’avril à visiter les villages métis, pressant les habitants d’assister à une assemblée avec les colons de langue anglaise. Plusieurs centaines de Métis se réunirent le 28 avril et élurent un comité de six hommes, dont Dumont. Le comité rédigerait une déclaration des droits et les représenterait à la réunion avec les anglophones. Dumont et Charles Nolin apporteraient le document à Ottawa après avoir consulté Riel et lui avoir demandé de venir dans la Saskatchewan-du-Sud.

L’assemblée mixte du 6 mai rejeta l’idée du voyage à Ottawa en raison du coût élevé et décida plutôt d’inviter Riel à venir exposer lui-même le cas au gouvernement. On confia à Dumont, à Michel Dumas et à James Isbister* le mandat d’aller au Montana solliciter Riel. Partis le 19 mai, ils parvinrent le 4 juin à la mission St Peter, sur la rivière Sun, où Riel enseignait. Comme Riel correspondait avec au moins deux membres de la communauté métisse, l’arrivée des délégués ne le surprit pas. Il accepta de les accompagner et, dès le 5 juillet, ils étaient de retour à la ferme de Dumont. Le lendemain, Riel et sa famille s’installèrent au village de Batoche.

Tout au long de l’été et de l’automne de 1884, Dumont, semble-t-il, s’en remit entièrement à Riel, sans pour autant négliger de se tenir au courant de ses activités. En février 1885, tous deux conclurent que les négociations avec Ottawa avaient irrémédiablement échoué. Alors, il joua un rôle déterminant : sans son appui solide et actif, Riel n’aurait pas pu convaincre les Métis de prendre les armes. Quand Riel proposa de former un gouvernement provisoire, au début de mars, les colons anglophones et l’Église se dissocièrent de lui, mais le 5 du mois, au cours d’une réunion secrète, 11 Métis influents, dont Dumont et quatre membres de son clan, jurèrent de recourir à la force si nécessaire. Même si certains notables métis, Charles Nolin par exemple, commençaient à reculer, Dumont pouvait compter sur un noyau suffisant pour engager les hostilités.

Dumont passa les deux semaines suivantes à sonner le ralliement parmi les Métis et les bandes cries des environs [V. Kāpeyakwāskonam*]. Le 18 mars, il rencontra Lawrence Clarke, qui lui dit que la Police à cheval du Nord-Ouest dépêchait un grand nombre d’hommes au fort Carlton afin de les arrêter, lui et Riel. Cette nouvelle déclencha le premier affrontement de la rébellion. Dumont et une soixantaine d’hommes prirent possession de deux magasins, y confisquèrent les armes et les munitions et firent deux prisonniers. Le lendemain, à Batoche, Riel proclama le gouvernement provisoire. Avec Maxime Lépine* entre autres, Dumont accéda au conseil que Riel appela « Exovidat », c’est-à-dire « les élus du troupeau » en latin, et reçut le titre d’« adjudant général de la nation métisse ». Il organisa sa petite armée d’environ 300 hommes comme pour la chasse au bison et commença des préparatifs pour la défense des établissements métis.

Par la suite, Dumont prétendit que, dès le début de la rébellion, il avait voulu attaquer l’ennemi à la moindre occasion, au fort Carlton et à Prince Albert pour commencer, mais que Riel l’en avait constamment empêché. Les procès-verbaux du conseil métis et les témoignages des autres grands acteurs de ces événements disent tous autre chose. Les conseillers arrêtaient la stratégie ensemble, et la décision de défendre le territoire occupé par les Métis faisait l’objet d’un fort consensus, mais personne, pas même Dumont, ne proposa de lancer des offensives en dehors de ces frontières. Le 21 mars, Riel envoya au surintendant Lief Newry Fitzroy Crozier une lettre dans laquelle il exigeait la reddition du fort Carlton. Pourtant, pendant les trois jours suivants, le conseil refusa même d’autoriser les combattants métis à occuper le centre de traite du lac aux Canards (Duck Lake), qui était situé seulement à six milles à l’ouest de Batoche, sur le chemin du fort. Le 24 mars, la question fut mise aux voix au conseil ; le résultat étant de six pour et six contre, Riel trancha en faveur de l’occupation.

Après avoir pris possession d’un magasin au lac aux Canards, Dumont mit ses défenses en place en prévision de l’arrivée des hommes du fort Carlton. Tôt le matin du 26 mars, 22 policiers placés sous le commandement du sergent Alfred Stewart se trouvèrent face à Dumont et ses compagnons sur le chemin du lac. Après un affrontement bruyant, les policiers battirent en retraite. Plus tard dans la matinée, ce furent près d’une centaine de policiers et de volontaires, équipés d’une pièce de sept livres et commandés par le surintendant Crozier, qui se dirigèrent vers le lac. Les deux camps parlementèrent un peu, mais quelqu’un tira, et le combat devint vite général. Comme ses hommes étaient environ trois fois plus nombreux que les policiers et les volontaires, Dumont leur donna l’ordre de les prendre en étau en se plaçant des deux côtés de la piste. Bientôt, les forces gouvernementales se trouvèrent en danger d’être écrasées. Tous auraient pu être tués ou capturés si, un peu plus tôt, Gabriel Dumont n’avait pas été légèrement blessé à la tête. Incapable d’assurer le commandement, il le passa à son frère Édouard, mais Riel, en ordonnant de cesser le feu, empêcha que la retraite des policiers et des volontaires ne tourne au carnage. Victoire sans équivoque pour les Métis, la bataille du lac aux Canards coûta cher à la famille Dumont. Le frère de Gabriel, Isidore, et trois autres de ses parents y trouvèrent la mort.

Ce qui se passa dans les jours suivants n’est pas clair. Logiquement, l’étape suivante, pour l’armée métisse, aurait été de prendre le village de Prince Albert, que défendaient seulement quelques policiers à cheval, sous le commandement du commissaire Acheson Gosford Irvine, et les rescapés de la bataille du lac aux Canards, qui démoralisés, s’étaient réfugiés là après avoir abandonné le fort Carlton. Dans le récit qu’il fit de la rébellion en 1888, Dumont affirma qu’il avait ardemment préconisé de lancer cette opération, mais que Riel avait imposé son veto. Le seul témoignage impartial que l’on ait de cette période, les procès-verbaux du conseil métis, dit exactement le contraire. C’est Dumont qui, le 31 mars, proposa de quitter le lac aux Canards pour se consacrer à la défense de Batoche. Une analyse de la rébellion révèle que les Métis ne se battirent que lorsque l’ennemi pénétra sur leur territoire. Pendant le mois suivant, Riel et Dumont discutèrent posément de la question de savoir s’il valait mieux concentrer toutes les forces à Batoche, comme le souhaitait Riel, ou étendre le périmètre de défense jusqu’aux limites sud du territoire, comme Dumont en était venu à le juger nécessaire. Il est révélateur que, lorsque Dumont le croyait essentiel, comme dans ce cas-ci, il ne tenait pas compte de l’opinion de Riel.

Quand l’armée du major général Frederick Dobson Middleton* s’approcha des fermes métisses situées le plus au sud, Dumont et la plupart de ses hommes attendaient à un endroit qu’ils appelaient Coulée des Tourond, mais que les soldats allaient nommer Fish Creek. Tôt dans la matinée du 24 avril, Dumont plaça ses soldats métis, sioux et cris dans le ravin qui traversait la piste de Batoche à angle droit. Bien que les troupes gouvernementales aient été au moins cinq fois plus nombreuses qu’eux, ils parvinrent à repousser les attaquants en leur infligeant de lourdes pertes, grâce à l’astuce avec laquelle Dumont les avait disposés et à la fougue de son commandement. Toutefois, la victoire vint réduire davantage les rares possibilités qui s’offraient encore aux Métis. Peu mobiles parce qu’ils avaient perdu beaucoup de chevaux, ils étaient, en plus, presque à court de munitions. Dumont ramena donc ses hommes à Batoche et prépara les positions de défense pour le combat décisif.

Après deux semaines de repos, le prudent Middleton se remit en marche vers Batoche. Au matin du 9 mai, il prit d’assaut les positions érigées par Dumont. Supérieures en nombre et mieux armées que les Métis – elles avaient de l’artillerie de campagne et un canon Gatling –, les forces gouvernementales rencontrèrent une résistance farouche, mais à aucun moment, l’issue du combat ne fit de doute. Le 12 mai, les défenseurs de Batoche étaient à bout de résistance ; le village fut pris. Dumont resta dans le voisinage plusieurs jours. Sa femme et son père le pressaient de s’enfuir ; quand il apprit la reddition de Riel, le 15 mai, il décida de quitter les lieux.

Le 16 mai, en compagnie de Michel Dumas, il se mit en route pour les États-Unis en passant par les monts Cypress. L’armée américaine les arrêta dès qu’ils franchirent la frontière, le 27 mai, puis les relâcha à peine deux jours plus tard, sur l’ordre de Washington. Ils rejoignirent alors les communautés métisses du Montana, où Dumont avait de la parenté. Malgré leurs efforts, ils ne parvinrent pas à recueillir des fonds pour lancer un raid sur Regina et aller délivrer Riel. En août, un agent de William Frederick Cody, alias Buffalo Bill, demanda à Dumont de jouer dans son spectacle, le Wild West Show. La proposition intéressa Dumont, mais il ne s’engagea pas tout de suite. Madeleine le rejoignit au fort Benton à l’automne. Il chassa un peu et parla de s’installer au Dakota, puis la mort de sa femme, au printemps de 1886 (elle succomba probablement à la tuberculose), lui enleva toute raison de réaliser ce projet. Il aurait pu rentrer au Canada plus tard dans l’année, car il figurait parmi les bénéficiaires d’une amnistie décrétée par le gouvernement, mais à ce moment-là, il n’avait nul désir de le faire.

Dumont accepta l’offre de Cody en juin 1886 et commença à participer aux représentations à Philadelphie le 7 juillet. Jusqu’à la fin de la saison, en septembre, il fit la tournée de l’est des États-Unis ; il faisait des numéros de tir d’adresse, notamment avec Annie Oakley. En 1887 et en 1888, il prit encore part au spectacle, mais seulement à titre d’extra et pour de brèves périodes. Vivant près du quartier général de la troupe à l’île Staten (ville de New York), il découvrit la nombreuse communauté canadienne-française qui vivait là et en Nouvelle-Angleterre – ou fut découvert par elle. Des groupes l’invitèrent à leur parler de sa participation à la rébellion. De fil en aiguille, il entra en contact avec des nationalistes du Québec pour qui la répression du soulèvement métis en était venue à symboliser le destin de leurs propres aspirations et qui y voyaient un moyen de promouvoir leurs ambitions politiques.

En avril 1888, Dumont se rendit à Montréal sur l’invitation de Laurent-Olivier David*, président de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal, et d’un groupe de nationalistes. Il s’apprêtait à faire une tournée de conférences, mais son premier discours fut un tel fiasco qu’on annula les suivants. L’auditoire s’attendait à entendre quelqu’un qui, comme Riel, saisirait dans toute sa subtilité le rapport qui existait dans la province entre théologie et politique. Or, Dumont reprochait carrément au clergé de ne pas avoir soutenu la rébellion. En décembre, après un voyage au Montana, au Dakota et à la Rivière-Rouge, il retourna à Québec, où il dicta son récit de la rébellion. On manque de détails sur ce qu’il fit entre le moment où il quitta la ville, au printemps de 1889, et sa mort, 17 ans plus tard. Il a prétendu plus tard être allé à Paris au cours de cette période, mais cela semble hautement improbable. En 1893, il était à Winnipeg, où il demandait un certificat de concession de terres. Après, il retourna à sa ferme près de Batoche ; par la suite, il acquit le quart de lot adjacent par préemption.

Pendant la dernière période de sa vie, Dumont laissa des membres de sa famille cultiver sa terre. Il se construisit une petite cabane sur la terre de son neveu préféré, Alexis Dumont, et s’y installa. Il mourut subitement le 19 mai 1906, probablement d’une crise cardiaque, en rendant visite à celui-ci. La nouvelle de sa mort passa inaperçue en dehors de son coin de pays. Vingt ans auparavant, on parlait de lui partout au Canada, mais comme il n’était pas arrivé à sortir de son personnage de chef métis traditionnel après la rébellion, l’opinion publique l’avait vite oublié, contrairement à Riel.

De la fin de la rébellion à aujourd’hui, les historiens de langue française ont accordé beaucoup moins d’importance à Gabriel Dumont que les historiens de langue anglaise. Certains acteurs des événements, tels Charles Arkoll Boulton* et sir Frederick Dobson Middleton, l’ont dépeint comme un adversaire farouche. Les documents de l’époque rédigés en français ne parlent guère de lui, peut-être à cause de ses prises de position contre l’Église. Même Marcel Giraud, dans sa monumentale étude ethnographique des Métis, ne le décrit que comme le chef d’une faction. G. F. G. Stanley reconnaît ses limites de chef politique, mais accepte tel quel le compte rendu que Dumont a fait de son rôle dans la campagne militaire de 1885. Dans sa biographie, George Woodcock* tente de le placer au premier rang des figures politiques et militaires des Métis, avant Riel lui-même. Cependant, Dumont n’avait, de l’avenir politique de son peuple, aucune vision qui puisse se comparer même de loin au rêve de Louis Riel, et sa réputation militaire repose largement sur des conjectures à propos de ce qui aurait pu se passer si, comme on le prétend, Riel ne l’avait pas tenu en bride.

Roderick Charles Macleod

Gabriel Dumont a vécu la majeure partie de sa vie au sein d’une collectivité en général non instruite et était lui-même illettré. On sait peu de chose sur le début et la fin de sa vie. On est assez bien documenté seulement pour la période des années 1880, mais encore là, l’information est loin d’être complète. [r. c. m.]

Un récit de la rébellion qu’on attribue à Dumont et qu’on peut lire dans Adolphe Ouimet et B.-A. T[estard] de Montigny, la Vérité sur la question métisse au Nord-Ouest : biographie et récit de Gabriel Dumont sur les événements de 1885 (Montréal, 1889), a été édité et traduit par George F. G. Stanley sous le titre « Gabriel Dumont’s account of the North West rebellion, 1885 », et publié dans CHR, 30 (1949) : 249–269.

AN, MG 27, I, C4.— GA, M477 ; M1395, files 4–5.— PAM, MG 10, F1.— Provincial Arch. of Alberta (Edmonton), Arch. of the Oblates of Mary Immaculate, Prov. of Alberta-Saskatchewan, 71.220, item 3001 ; 84.400, corr. de V.-[J.] Grandin, Alexis André à Grandin ; item 733.— Saskatchewan Arch. Board (Regina), R–500.118 (St Laurent, RBMS) (photocopies).— [C. A.] Boulton, Reminiscences of the North-West rebellions, with a record of the raising of her majesty’s 100th Regiment in Canada [...] (Toronto, 1886).— Guillaume Charette, Vanishing spaces : (memoirs of a prairie Métis), Ray Ellenwood, trad. (Winnipeg, 1980).— T. E. Flanagan, Riel and the rebellion : 1885 reconsidered (Saskatoon, 1983).— Marcel Giraud, le Métis canadien ; son rôle dans l’histoire des provinces de l’Ouest, (Paris, 1945).— J. A. Kerr, « Gabriel Dumont : a personal memory », Dalhousie Rev., 15 (1935–1936) : 53–59.— Constance Kerr Sissons, John Kerr (Toronto, 1946).— F. D. Middleton, Suppression of the rebellion in the North West Territories of Canada, 1885, G. H. Needler, édit. (Toronto, 1948).— Desmond Morton, The last war drum : the North-West campaign of 1885 (Toronto, 1972).— D. [P.] Payment, Batoche (1870–1910) (Saint-Boniface, Manitoba, 1983).— G. F. G. Stanley, « The half-breed « rising » of 1875 », CHR, 17 (1936) : 399–412.— A.-H. de Trémaudan, Histoire de la nation métisse dans l’Ouest canadien ([Montréal], 1935).— George Woodcock, Gabriel Dumont : the Métis chief and his lost world (Edmonton, 1975).

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Roderick Charles Macleod, « DUMONT, GABRIEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/dumont_gabriel_13F.html.

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Auteur de l'article:    Roderick Charles Macleod
Titre de l'article:    DUMONT, GABRIEL
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    28 novembre 2024