McLEAN, AMELIA ANNE (Paget), linguiste et auteure, née le 15 juillet 1867 au fort Simpson (Fort Simpson, Territoires du Nord-Ouest), fille de William James McLean et de Helen Hunter Murray ; en 1899, elle épousa Frederick Henry Paget, et ils eurent une fille ; décédée le 10 juillet 1922 à Ottawa.
Amelia Anne McLean venait d’une famille qui plongeait ses racines dans l’histoire de la traite des fourrures. Sa mère était la fille d’Alexander Hunter Murray*, chef de poste à la Hudson’s Bay Company. C’est au fort Simpson qu’elle avait rencontré et épousé William James McLean. Né dans l’île de Lewis, en Écosse, ce dernier travaillait pour la compagnie depuis 1859. Amelia Anne, l’aînée de leurs 12 enfants, passa ses premières années au fort Liard (Fort Liard, Territoires du Nord-Ouest). En 1873, son père fut muté au fort Qu’Appelle (Fort Qu’Appelle, Saskatchewan), où sa famille le rejoignit l’année suivante.
Lorsque les McLean arrivèrent dans ce district, l’effondrement de l’économie du bison, les traités et l’installation dans des réserves étaient en train de bouleverser la vie des autochtones. Le traité no 4, que Helen Murray McLean signa à titre de témoin, fut conclu au fort Qu’Appelle en septembre 1874. Tout comme ses frères et sœurs, Amelia Anne apprit à bien connaître les Cris des Plaines et les Sauteux. Elle noua des amitiés avec eux et assistait à des cérémonies spéciales. Particulièrement douée pour les langues, elle traduirait, entre autres, des chansons populaires en cri et en sauteux. Pendant une partie des années que sa famille passa au fort Qu’Appelle, elle étudia à la St John’s College Ladies’ School à Winnipeg.
Affecté en 1883 au fort Ellice (Fort Ellice, Manitoba) puis à Île-à-la-Crosse, William James McLean fut nommé en 1884 au fort Pitt (Fort Pitt, Saskatchewan), sur la rivière Saskatchewan, dans le territoire des Cris des Bois. Amelia Anne et le reste de la famille le rejoignirent dans le courant de l’année. Au moment de leur arrivée, le chef des Cris des Plaines, Gros Ours [Mistahimaskwa*], s’établissait dans le district avec ses partisans. Il avait accepté de signer un traité seulement en 1882, après que son peuple eut survécu tant bien que mal durant des années. Pour les Cris, l’hiver de 1884–1885 fut une saison d’indigence et de mécontentement. Le 3 avril 1885, les McLean et les autres résidents du fort Pitt apprirent que des membres de la bande de Gros Ours avaient tué neuf hommes au lac La Grenouille (lac Frog, Alberta). Une semaine plus tôt, un affrontement entre la Police à cheval du Nord-Ouest et les Métis à l’établissement du lac aux Canards (Duck Lake, Saskatchewan) avait fait 15 morts.
Dans les premiers jours d’avril, les non-autochtones des environs se réfugièrent au fort Pitt, qui abritait un détachement de la Police à cheval commandé par Francis Jeffrey Dickens*. Les trois aînées des filles McLean et un de leurs frères faisaient le guet à tour de rôle. (Une illustration paraîtrait dans le Montreal Daily Star du 23 mai avec la légende suivante : « De nobles femmes sur la défensive : les demoiselles McLean font preuve d’un grand courage, chacune un fusil à la main, debout devant une meurtrière. ») Le 13 avril, Gros Ours et environ 250 hommes encerclèrent le fort Pitt. Le lendemain, William James McLean fut appelé parmi eux afin de parlementer. Les négociations se poursuivirent jusqu’à ce que les Cris, voyant trois éclaireurs se réfugier au galop vers le fort, croient être attaqués. Un fut abattu ; un autre, blessé, fut ramené dans le fort tandis qu’Amelia Anne et d’autres tiraient pour couvrir sa retraite ; le troisième réussit à s’enfuir, mais fut capturé plus tard par les Cris. Trois Cris furent tués au cours de cette escarmouche. Inquiètes du sort de leur père, Amelia Anne et sa sœur Katherine (Kitty) quittèrent le fort et marchèrent sans escorte jusqu’au campement cri. Dans la famille, on raconte que, impressionnés par leur bravoure, certains des Cris leur demandèrent si elles n’étaient pas effrayées. Amelia Anne, alors âgée de 17 ans, leur répondit, en parlant parfaitement le cri : « Pourquoi aurions-nous peur de vous [?] Nous vivons ensemble comme frères et sœurs depuis des années. Nous parlons la même langue. Pourquoi aurions-nous peur de vous ? » Sur les instances de son père, les civils qui se trouvaient encore au fort Pitt – les policiers, eux, s’étaient enfuis – acceptèrent de quitter les lieux sous la garde de Gros Ours. Le groupe se rendit au lac La Grenouille puis à Butte-aux-Français (Frenchman Butte), où il dut affronter l’unité de Thomas Bland Strange, lancée à la poursuite de Gros Ours. Le groupe put prendre la fuite, mais tomba ensuite sur les éclaireurs de la Police à cheval placés sous le commandement de Samuel Benfield Steele*. Les McLean reçurent l’autorisation de partir à la mi-juin ; ils réintégrèrent le fort Pitt le 24.
Pendant les mois que les aînées de la famille McLean avaient passés chez les Cris, des rumeurs de mauvais traitements avaient circulé. On prétendait notamment que les jeunes filles étaient devenues les « esclaves des chefs secondaires » et avaient subi le « dernier outrage ». Rien de tout cela n’était vrai, mais des individus avaient eu envers elles une attitude menaçante car la discipline du campement se relâchait. Les journaux parlèrent abondamment des sœurs McLean : elles avaient « assez de cran pour [être] gardes du corps » et Amelia Anne s’était distinguée en épaulant son fusil Winchester au fort Pitt. « [Elle] n’aurait pas cru possible que tout le monde fasse preuve d’autant d’endurance, disait un article, mais maintenant que la captivité est terminée, elle en conserve, dans l’ensemble, un bon souvenir. »
Dans l’Ouest américain, des femmes de la trempe des sœurs McLean auraient pu connaître une plus grande notoriété, peut-être à la manière d’Annie Oakley. Toutefois, Amelia Anne McLean reprit sa petite vie tranquille à Lower Fort Garry, au Manitoba, où son père exerça la fonction de chef de poste de 1886 à 1893. Au cours de ces années, le département fédéral des Affaires indiennes fit appel à ses talents de linguiste, qui étaient très estimés. Le chef comptable du département et surintendant de l’Éducation des Indiens, Duncan Campbell Scott*, qui avait déjà publié des poèmes, écrivit par la suite qu’« elle avait pour les langues un don grâce auquel elle saisissait jusqu’aux moindres subtilités du cri et du sauteux, deux langues hautement expressives, mais la seconde éminemment souple et poétique ». En 1899, Mlle McLean épousa Frederick Henry Paget et s’installa à Ottawa. Outre qu’il était commis dans les bureaux de Scott, Paget se rendait utile à son département en donnant des avis sur les Amérindiens de l’Ouest (il avait été premier commis au bureau des Affaires indiennes à Regina et assistant du commissaire des Affaires indiennes). L’apport d’Amelia Anne dans ce domaine devait être précieux également.
En 1906, à la demande expresse du gouverneur général lord Grey*, le ministère confia à Mme Paget la mission de se rendre parmi les Amérindiens des Plaines et d’interroger des anciens sur leur histoire, leurs coutumes et leur folklore. À l’automne, elle visita des agences de la Saskatchewan – celles des monts File, du mont Moose, de Muscowpetung et du lac Crooked – et renoua avec des amis de ses années de Qu’Appelle. Elle n’avait besoin ni d’un voiturier, ni – sauf lors de ses rencontres avec les Assiniboines – d’un interprète, et elle campait à moins qu’il ne fasse trop mauvais. Sa méthode consistait à réunir plusieurs anciens : quand l’un ou l’une d’entre eux prenait la parole, les autres corroboraient ses dires, apportaient des corrections et ajoutaient des détails. Elle savait que, en raison de leurs croyances, ces Amérindiens racontaient, en hiver, uniquement des histoires imaginaires ; les récits d’événements réels étaient réservés aux longues soirées d’été. Elle avait donc l’intention de retourner sur les lieux, mais on ignore si elle le fit. La modeste somme qui lui fut allouée pour sa mission représentait une dépense inhabituelle pour le gouvernement, d’ordinaire parcimonieux, mais, comme Scott l’expliquerait dans son introduction au livre qui en résulta – The people of the plains, paru à Toronto en 1909 –, le projet était né de la conviction que les traditions autochtones étaient en voie de disparaître. Peut-être aussi les observations de Mme Paget étaient-elles utiles à Scott le poète. Elle en savait beaucoup au sujet des lieux et de certains des personnages sur lesquels il écrivit, notamment le chasseur et coureur Akoose, de l’agence du lac Crooked, et son père Qui-witch.
Le livre d’Amelia Anne McLean Paget, The people of the plains, est remarquable. Il se distingue de beaucoup de publications de l’époque (et d’avant), y compris l’œuvre d’Egerton Ryerson Young*, du fait qu’il ne contient aucune description péjorative des mœurs et des traits des Amérindiens. Mme Paget parle surtout des Cris des Plaines et des Sauteux. Elle affirme que, avant l’arrivée des immigrants, ils menaient une existence idyllique : ils formaient un peuple fortuné, avaient tout ce qu’ils désiraient, mangeaient des aliments nourrissants, ignoraient la maladie et logeaient dans de vastes tipis. Après avoir décrit leurs modes de déplacement et expliqué comment ils choisissaient où camper et comment ils construisaient leurs tipis, elle écrit : « un tel campement au milieu d’un beau paysage, animé par la présence d’Indiens prospères et comblés, devait illustrer de manière tout à fait frappante l’idée que les Indiens se font de la bienveillance et de l’amour merveilleux que leur dispense le Grand Esprit ». Elle fait valoir qu’il est injuste de les traiter de païens et montre, par des exemples, la complexité de leurs croyances religieuses. En décrivant en détail leurs cérémonies et leurs danses, elle distingue les occasions solennelles et les occasions de réjouissances. Le livre aborde aussi d’autres thèmes : la chasse au bison, qui ne se pratiquait plus, la guerre, les rites funéraires, la poésie, la musique, les légendes et l’humour.
C’est à propos des femmes que Mme Paget défie le plus les préjugés de son temps. Après avoir parlé des anciennes qui ont assisté à « tous les triomphes et [à] toutes les épreuves » de leurs bandes, elle peut soutenir : « on a trop souvent surchargé l’image populaire de la pauvre Indienne qui fait tout le dur labeur ». La coutume de la polygamie lui inspire de la sympathie : les épouses « s’appelaient mutuellement “ sœur ” et […] se répartissaient également leurs corvées et tentaient par tous les moyens d’être indulgentes les unes envers les autres ».
Les descriptions que Mme Paget donne de la vie des Cris et des Sauteux allaient tellement à l’encontre des idées reçues que, dans son introduction, Scott jugea nécessaire d’expliquer pourquoi le livre avait le « ton d’un plaidoyer en faveur de tous les Indiens » et témoignait d’une « tendance idéaliste à tout présenter sous un jour favorable ». Il suggérait que c’était en raison de ses expériences passées, y compris ses mois parmi les Cris en 1885, que Mme Paget avait une vision glorieuse de l’ancien temps et ne tenait aucun compte « des épreuves et de la misère, de la faim, de l’inhumanité et de la superstition [qu’il pouvait y avoir] dans la vie des aborigènes ». Mme Paget n’eut guère son mot à dire sur la présentation finale de son livre. Scott fit le travail d’édition et correspondit avec l’éditeur au sujet du titre, de la conception graphique et des illustrations. Ni le titre choisi par Mme Paget, qui était en cri ou en sauteux, ni le dessin de la couverture, exécuté par l’une de ses sœurs, ne furent retenus.
Le public n’était pas tout à fait prêt à entendre le point de vue exprimé dans The people of the plains. Le livre ne fit donc pas l’unanimité. Certains l’aimèrent à cause des « renseignements de première main » fournis par l’auteure et de sa détermination à combattre les « superstitions populaires ». Pour d’autres cependant, il se démarquait beaucoup trop des puissants préjugés de l’époque. Ainsi, le critique du Standard de Montréal nota : « même au temps où [les Indiens] n’avaient aucun contact avec l’homme blanc, ils n’étaient pas exactement les bergers et bergères d’Arcadie que présente Mme Paget […] elle ne dit rien de la cruauté, de la misère, de la crasse. Il est trop tard pour romancer la vie des Peaux-Rouges à la manière de Fenimore Cooper. »
Amelia Anne McLean Paget mourut le 10 juillet 1922 à Ottawa. Depuis quatre ans déjà, son état déclinait à cause d’une anémie pernicieuse. Après des obsèques dans la maison de son père à Winnipeg, elle fut inhumée dans cette ville, au cimetière St John.
Amelia Anne McLean Paget est l’auteure de The people of the plains, éd. et introd. par D. C. Scott (Toronto, 1909). « The last hostage », récit de Duncan McLean, frère du sujet, à Eric Wells a paru dans le Weekend Magazine, 18 (1968), nos 32–33.
AN, RG 10, 4018, dossier 276916 ; RG 31, C1, 1901, Ottawa, St George’s Ward, div. 7 : 14.— AO, RG 80-8-0-864, nº 10132.— Calgary Herald, 23 oct. 1906.— Manitoba Free Press (Winnipeg), 11, 14 juill. 1922.— Manitoba Morning Free Press (Winnipeg), 21 sept. 1909.— Montreal Daily Star, 23 juin 1885.— Montreal Standard, 9 oct. 1909.— Ottawa Evening Journal, 11 juill. 1922.— Patriot (Charlottetown), 27 juin 1885.— Sarah Carter, Capturing women : the manipulation of cultural imagery in Canada’s prairie west (Montréal et Kingston, Ontario, 1997).— The Frog Lake « massacre » : personal perspectives on ethnic conflict, Stuart Hughes, édit. (Toronto, 1976).— Duncan McLean, « On the twilight trail of the fading west », Nor’-Wester (Winnipeg), centennial ed. (1970) : 36–46 (comprend une photo de famille prise vers 1893).— E. M. McLean, « The siege of Fort Pitt », Beaver (Winnipeg), outfit 277 (déc. 1946) : 22–25 ; « Prisoners of the Indians », outfit 278 (juin 1947) : 14–17 ; « Our captivity ended », outfit 278 (sept. 1947) : 38–42.— Kitty [Katherine] McLean, « The adventures of Kitty », Nor’-Wester, centennial ed. (1970) : 37s., 40–44, 46.— W. J. McLean, « Tragic events at Frog Lake and Fort Pitt during the North West rebellion », Manitoba Pageant (Winnipeg), 17 (1971–1972), nº 2 : 2–9 ; nº 3 : 19–24 ; 18 (1972–1973), nº 1 : 22–24 ; nº 2 : 4–8 ; nº 3 : 11–16.
Sarah A. Carter, « McLEAN, AMELIA ANNE (Paget) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mclean_amelia_anne_15F.html.
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Auteur de l'article: | Sarah A. Carter |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |