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HUBERT, JEAN-FRANÇOIS, évêque de Québec, né à Québec le 23 février 1739, fils de Jacques-François Hubert, boulanger, et de Marie-Louise Maranda, décédé dans sa ville natale, le 17 octobre 1797.
Jean-François Hubert fit ses études au petit séminaire de Québec, après quoi, en 1755, il entreprit sa théologie au grand séminaire. À l’été de 1759, alors que Québec était assiégée, il se réfugia à Montréal, au séminaire de Saint-Sulpice, où l’on avait regroupé les étudiants les plus avancés du séminaire de Québec. Il y poursuivit ses études sous la direction de l’abbé Colomban-Sébastien Pressart. En octobre 1759, Mgr de Pontbriand [Dubreil*] vint également au séminaire de Montréal et retrouva Hubert, qui lui avait déjà servi de secrétaire, et qui continua d’exercer cette tâche. Au printemps de 1760, l’évêque lui conférait les ordres mineurs. À sa mort, en juin, le prélat laissait par testament 300# à son jeune secrétaire. L’année suivante, Hubert était l’un des premiers étudiants à retourner à Québec et, lors de la réouverture du séminaire, le 15 octobre 1762, il reprenait ses études théologiques. Secrétaire du grand vicaire Jean-Olivier Briand depuis 1761, Hubert dut attendre que celui-ci revienne de Londres avec son titre d’évêque pour recevoir les ordres majeurs puis la prêtrise, le 20 juillet 1766. Il était le premier à recevoir l’onction sacerdotale des mains du nouvel évêque.
Attaché à ses anciens maîtres et attiré par l’idéal missionnaire du séminaire de Québec, Hubert avait demandé depuis longtemps d’y être admis. Déjà, en septembre 1764, il avait rempli la charge d’économe, avant d’être agrégé le 7 août 1765. Au cours de son séjour au séminaire, Hubert allait remplir plusieurs tâches importantes, tout en enseignant la philosophie et la théologie et en demeurant secrétaire de Briand pendant une douzaine d’années. Il fut l’un des directeurs du petit séminaire à l’automne de 1765, alors que l’institution, remplaçant le collège des jésuites, se chargeait de l’enseignement secondaire de tous les jeunes gens désireux de s’instruire, et non plus seulement de ceux qui se dirigeaient vers le sacerdoce. Le 26 avril 1768, il était admis au conseil du séminaire et la même année, le 20 août, on le nommait un des directeurs du grand séminaire. Procureur de 1770 à 1777, il était de nouveau directeur du petit séminaire en 1773. Le 3 décembre de l’année suivante, il devenait le premier supérieur canadien de l’institution. En portant leur choix sur un Canadien, les Messieurs de Québec avaient sans doute tenu compte des désirs exprimés par Murray, au temps où il était gouverneur, ainsi que par les autorités britanniques, qui favorisaient nettement la canadianisation du clergé, espérant ainsi hâter la rupture de tous les liens existant encore entre la France et les Canadiens.
Le 12 août 1778 – deux ans avant l’expiration de son mandat – Hubert démissionnait de sa charge de supérieur, à la surprise générale. L’œuvre qu’accomplissait maintenant le séminaire, obligé d’abandonner les missions pour se consacrer uniquement à l’enseignement, ne convenait plus à son inclination ni à sa santé. Il gagna la mission des Illinois, à titre d’envoyé extraordinaire de Briand, et Henri-François Gravé* de La Rive le remplaça à la tête de l’institution. De retour à Québec, tôt le printemps suivant, Hubert était nommé grand vicaire et acceptait la cure de la paroisse Sainte-Famille de l’île d’Orléans. Le 27 juillet 1779, il renonçait définitivement à son agrégation au séminaire. Son séjour chez les Illinois et les quelques mois passés dans la paroisse Sainte-Famille – il y était depuis le 24 mars – n’avaient fait que le confirmer dans son « parti de travailler au St ministère dans les missions ».
C’est au contact de son évêque que Hubert avait vraisemblablement conçu le projet de se consacrer aux missions, et Briand ne pouvait que se réjouir de la décision de son ancien secrétaire. En septembre 1781, Hubert quittait sa cure de Sainte-Famille pour combler le vide laissé par la mort de Pierre-Philippe Potier à la paroisse Notre-Dame-de-l’Assomption près de Détroit, qu’il avait visitée lors de son voyage à la mission des Illinois. Le gouverneur Haldimand avait muni le grand vicaire de Briand d’une lettre de recommandation conçue en termes élogieux. Hubert desservit la paroisse jusqu’en 1784, y construisant une nouvelle église et un presbytère et s’occupant activement de l’éducation de la jeunesse. En septembre 1784, il écrivait à son évêque : « Je désirerais pouvoir reformer les mœurs aussi facilement que de rebatir un presbytaire ; mais hélas, que d’obstacles ! » Peu après, Hubert apprenait sa nomination comme coadjuteur de l’évêque de Québec.
Briand songeait depuis longtemps à se démettre de son poste. Sa santé laissait grandement à désirer et son coadjuteur, Mgr Louis-Philippe Mariauchau d’Esgly, était fort âgé ; le danger était grand que les deux évêques n’eussent point de successeur. Le 29 novembre 1784, Briand démissionnait en faveur de Mgr d’Esgly. La question délicate du choix du coadjuteur se posait et il importait de nommer rapidement un prêtre jeune, dynamique et bien vu du gouvernement. Le 30 novembre, d’Esgly, conjointement avec Briand, recommandait au Saint-Siège Jean-François Hubert et signait l’acte de nomination, pourvu que celui-ci reçoive l’agrément de Londres et des autorités romaines. Le clergé, les notables de Québec et plusieurs membres du Conseil législatif louèrent ce choix judicieux. Londres, pourtant, attendit deux ans avant d’accepter le nouvel élu : mécontent que Briand ait attendu son départ pour démissionner, l’empêchant ainsi d’intervenir dans le choix d’un coadjuteur, Haldimand s’était interposé, favorisant deux moines anglais, l’un dominicain, l’autre récollet, pour remplir la vacance du siège de Québec. Le 30 avril 1785, lord Sydney, ministre de l’Intérieur (responsable aussi des colonies), informait le lieutenant-gouverneur Henry Hamilton qu’il fallait d’abord offrir le poste au supérieur des sulpiciens. Étienne Montgolfier refusa, en juillet 1785, pour diverses raisons, dont son grand âge. Rome expédia les bulles nommant Hubert évêque in partibus infidelium d’Almyre et coadjuteur de Québec ; d’Esgly les reçut au début de juin 1786. L’approbation de Londres, qui tardait, suivit de peu l’arrivée du nouveau gouverneur, lord Dorchester [Carleton*], et, le 29 novembre 1786, Hubert était sacré évêque par Mgr Briand, dans la cathédrale de Québec.
À peine nommé coadjuteur, Hubert entreprit la visite du diocèse, qui n’avait pas été faite complètement depuis 14 ans. Dans le seul district de Montréal, il confirma, en 1787, plus de 9 000 personnes. Malade et âgé, d’Esgly, qui ne quittait pas sa paroisse, Saint-Pierre, île d’Orléans, pouvait s’en remettre en toute quiétude à son coadjuteur. Pourtant, son intransigeance et son désir que rien ne se fît sans son autorisation posèrent quelques problèmes à Hubert et au grand vicaire Gravé de La Rive que les circonstances obligeaient souvent à prendre des décisions sans en référer à leur évêque. En avril 1788, d’Esgly menaçait Gravé de peines graves, allant même jusqu’à lui retirer ses pouvoirs de grand vicaire. Hubert prit la part de Gravé, tandis que Briand, affligé « de voir la paix troublée dans cette pauvre église du Canada », exhortait le coadjuteur à la patience et lui conseillait de traiter son évêque avec déférence. Le 4 juin 1788, alors que Mgr Hubert était en visite pastorale dans la région de Saint-Hyacinthe, d’Esgly mourait. Revenu aussitôt à Québec, Hubert prit possession de son siège, le 12 juin 1788.
Les responsabilités qu’assumait le nouvel évêque n’étaient pas de tout repos, et la situation du diocèse l’inquiétait particulièrement. Alors que la population de la province de Québec était passée en 30 ans de 60 000 à 160 000 habitants, le clergé ne comptait en 1790 que 146 prêtres comparativement à 163 en 1760. Plusieurs paroisses, au reste, n’avaient point de prêtre résidant, et la plupart des curés devaient souvent desservir deux ou trois paroisses. Hubert n’entrevoyait aucune solution dans l’immédiat. Les autorités britanniques refusaient aux récollets et aux jésuites le droit de recevoir des novices – le pape avait d’ailleurs supprimé la Compagnie de Jésus en 1773 – et elles s’opposaient à l’immigration de prêtres français. En moyenne, on n’ordonnait que quatre jeunes Canadiens par année, ce qui suffisait à peine à combler les mortalités. Bien que conscient du « peu de dispositions » des étudiants canadiens pour l’état ecclésiastique et des progrès que faisait parmi eux « l’esprit d’indépendance et de libertinage », l’évêque comptait beaucoup sur le recrutement des sujets du pays, soulignant dans un mémoire à Dorchester, le 20 mai 1790, « que dans la situation présente des choses, des prêtres étrangers ne seraient presque d’aucun secours pour la partie canadienne ». Quant aux prêtres anglais, il craignait que, « accoutumés à raisonner librement sur tous les objets de politique, [ils] ne fissent quelques impressions désavantageuses sur les esprits d’un peuple auquel [le clergé canadien avait] toujours prêché une obéissance exacte aux ordres du Souverain ou de ses Représentants, et une soumission entière à tout système légal de lois, sans examen ni discussion ».
La liberté dont jouissait l’Église canadienne était en fait fort relative. En dépit de certains accommodements, Londres n’avait pas renoncé à exercer un droit de regard vigilant sur l’Église, voire à la mettre en tutelle. Hubert ne l’ignorait pas, lui qui devait écrire au préfet de la Sacrée Congrégation de la Propagande au moment de suggérer la division du diocèse de Québec : « Sur cet article comme sur bien d’autres, nous sommes astreints en Canada à des précautions sans nombre. » Il enviera la liberté d’action de l’évêque de Baltimore, Mgr John Carroll, qui aura toute latitude, en 1791, pour confier la direction de son séminaire à des sulpiciens venus de France. « Voilà une Église qui s’établit dans les États-Unis d’Amérique avec des succès brillans. Le congrès la protège. Est-ce par quelque autre motif que ceux de la politique ? non, mais par une permission de la providence qui se sert de tout pour accomplir ses desseins éternels. » L’évêque, néanmoins, s’était accommodé de cette situation plus ou moins confortable au point d’exprimer un souhait, en novembre 1792, à l’intention du supérieur du séminaire des Missions étrangères de Paris : « un sort aussi heureux que le nôtre, en ce pays, où nous jouissons, au moins de la part du gouvernement, sans inquiétude et sans trouble, de la liberté de notre Ste Religion ». Cependant, ses craintes de voir Londres subjuguer l’Église canadienne et protestantiser les Canadiens allaient ressurgir avec l’arrivée à Québec de l’évêque anglican Jacob Mountain* en 1793.
L’une des premières tâches du nouvel évêque de Québec avait été de pourvoir au poste de coadjuteur. Tout comme il avait désigné d’Esgly en 1770, Dorchester imposa Charles-François Bailly de Messein, curé de Saint-François-de-Sales de Pointe-aux-Trembles (Neuville), surnommé le « curé des Anglais ». Connu pour ses sentiments probritanniques et estimé du gouverneur – il avait été le précepteur de ses trois enfants, à Québec d’abord, puis en Angleterre – l’« évêque du Château », comme on l’appelait, fut sacré le 12 juillet 1789. Hubert, qui connaissait bien la susceptibilité et « la délicatesse extrême du gouvernement anglais », n’avait pas cru bon de s’opposer. Il avait pris soin, cependant, d’avertir Bailly qu’il n’entendait lui confier aucune tâche spécifique ni se « décharger en aucune sorte du fardeau que la providence seule » lui avait imposé. Bailly supporta mal le rôle plutôt effacé auquel Hubert l’avait condamné. Il s’opposa publiquement à son évêque dans la Gazette de Québec du 29 avril 1790, se plaignant, au nom du clergé, d’un mandement en date du 10 décembre 1788 qui restreignait la juridiction des prêtres du diocèse et reprochant à son évêque, au nom des citoyens, de maintenir un trop grand nombre de fêtes chômées au détriment des paysans canadiens. Le schisme était déclaré entre l’évêque et son coadjuteur, « chose qui ne s’était jamais vue dans l’Église du Canada », écrivait Hubert au cardinal Antonèlli. La Gazette de Montréal appuya Bailly à cette occasion, alors que Briand et le clergé canadien désavouèrent publiquement l’évêque coadjuteur.
Partisan d’une Église indépendante de toute pression politique, Hubert s’employa toujours à fortifier l’Église canadienne et à établir avec son clergé et les fidèles des relations d’amitié et de confiance absolue. Dès le début de son épiscopat, il voulut convoquer un synode à Québec mais il dut y renoncer à cause de l’opposition du gouverneur. Très tôt, également, il songea à la division de son diocèse, démesurément vaste, en créant un évêché dans le district de Montréal. À part l’opposition possible du gouvernement, la conduite de son coadjuteur, candidat probable à cet évêché, remit toutefois à plus tard la réalisation de ce projet. Soucieux de la formation religieuse des Canadiens, que « l’impiété » et « l’esprit d’indépendance » gagnaient de plus en plus, il favorisa plusieurs mouvements, dont la Congrégation des hommes de Notre-Dame de Québec dont il prit la direction en 1790, à la mort d’Augustin-Louis de Glapion. Le bien-être et la condition matérielle du clergé préoccupèrent aussi Hubert qui s’intéressa, en 1796, à l’établissement d’une caisse ecclésiastique pour subvenir aux besoins des prêtres « usés ou malades ». Homme d’ordre et d’efficacité, Hubert demanda que ses lettres fussent transcrites dans un cahier destiné uniquement à cet usage, contrairement à ses prédécesseurs qui se contentaient de résumer sur des feuilles détachées leurs lettres les plus importantes. Il inaugurait ainsi la série des registres des lettres qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours.
Des nombreux problèmes auxquels Hubert eut à faire face, celui du projet de création d’une université pour catholiques et protestants s’avéra l’un des plus importants. Ce projet devait opposer l’évêque à son coadjuteur Bailly de Messein et provoquer un incident retentissant auquel les journaux du temps firent écho. Le 31 mai 1787, devant la situation lamentable de l’éducation dans la province, Dorchester créait un comité spécial chargé d’enquêter sur tous les aspects de l’instruction. Présidé par le juge en chef William Smith, ce comité comprenait neuf membres dont quatre Canadiens. Le 13 août 1789, Smith sollicitait l’avis de l’évêque de Québec et de Bailly de Messein sur la création d’une université mixte à Québec. Hubert fit connaître sa réponse, le 18 novembre suivant, dans un long mémoire où il jugeait un tel projet prématuré, insistant en particulier sur le nombre limité d’étudiants pour occuper les maîtres et sur le peu d’intérêt des Canadiens en général pour les études supérieures. Hubert formulait, en outre, plusieurs interrogations. Sur quel plan se proposait-on d’établir le nouvel établissement ? Qui allait en assumer la direction ? Qui nommerait le directeur ? Quel rôle l’évêque de Québec serait-il appelé à y jouer ? Qu’entendait-on exactement par « hommes sans préjugés », que l’on comptait mettre en charge de cet établissement pour protéger à la fois catholiques et protestants ? Ne valait-il pas mieux soutenir et encourager les deux collèges existants de Québec et de Montréal et favoriser la réouverture du collège des jésuites qui pourrait être, par la suite, érigé en université ? Ceci pourrait se faire en se servant du revenu des biens des jésuites dont l’évêque, incidemment, tout comme Briand avant lui, se considérait le gardien naturel et le seul en mesure de les utiliser et de les faire fructifier suivant les intentions des donateurs.
La réponse du coadjuteur au questionnaire du comité différa totalement. Quatre mois après que le comité d’enquête eut terminé son rapport et adopté une série de résolutions à l’intention du gouverneur, Bailly adressait au juge Smith, le 5 avril 1790, un long plaidoyer dans lequel il se prononçait en faveur du projet et réfutait un à un les arguments de son évêque. Quelques mois plus tard, en octobre 1790, Bailly rendait sa lettre publique. Le clergé du diocèse et la plupart des principaux citoyens prirent position à cette occasion pour Hubert tout comme ils l’avaient fait précédemment, en mai 1790, au moment de la polémique entre les deux évêques sur la réduction du nombre des fêtes chômées. L’affaire fut déférée aux autorités romaines qui donnèrent gain de cause à l’évêque de Québec. Bailly devait se réconcilier avec son évêque au moment de mourir, le 20 mai 1794.
Le projet, si cher à Dorchester, d’une université neutre à Québec n’eut point de suite, en dépit de la requête présentée au gouverneur, le 31 octobre 1790, par 175 notables francophones et anglophones de la province de Québec et du legs important laissé par Simon Sanguinet, pour la création d’une telle université. Hubert n’avait pas voulu s’engager dans un projet qui, selon lui, aurait pu être néfaste à la nation canadienne et qui ne présentait, en somme, à ses yeux, aucune garantie pour la langue et la foi de ses compatriotes. Non que l’évêque se méfiât des intentions du gouverneur. Il le considérait comme « un homme sans préjugés contre les Catholiques et plein de bontés pour les Canadiens ». Au reste, Dorchester songeait moins à subjuguer l’Église qu’à confier à l’État un rôle de leader dans le domaine de l’éducation. Mais, pour Hubert, l’enseignement était une responsabilité de l’Église et non de l’État. Bailly, pour sa part, avait pris le contre-pied de cette conception : l’université relevait de la responsabilité de l’État, qui offrait des garanties égales aux catholiques et aux protestants. Hubert prétendra que les ambitions frustrées de son coadjuteur l’avaient amené à diverger d’opinion avec lui ; il n’avait sans doute pas complètement tort. Pourtant, l’évêque coadjuteur, formé au collège Louis-le-Grand, à Paris, lecteur des philosophes de son temps, habitué à frayer dans les milieux protestants anglais de Londres et de Québec, montrait par son attitude une rare ouverture d’esprit. Bref, le problème de la confessionnalité de l’école, qui n’était pas près d’être réglé, était posé pour la première fois. L’attitude de Mgr Hubert, qui prévalait à l’époque dans le milieu clérical canadien, constituait une condamnation des idées de la Révolution française. Sans doute craignit-il que l’établissement projeté ne devînt le véhicule des idées contre la religion et l’autorité. Le Canada, constatait Hubert en octobre 1792, « n’est pas tout à fait à l’abri des maux spirituels qui affligent L’Europe. Il s’est introduit en ce pays une quantité prodigieuse de mauvais livres, et avec eux un esprit de philosophie et d’indépendance qui ne peut avoir que de funestes suites. » L’évêque devait avoir à l’esprit la lutte engagée par la Gazette de Montréal et son fondateur, le Français Fleury Mesplet, contre la religion, le clergé et la noblesse.
Cette méfiance des dirigeants religieux à l’endroit des idées révolutionnaires était d’autant plus vive qu’elle coïncidait avec la montée d’une nouvelle élite laïque, nettement opposée au clergé, et qui entendait contester le rôle traditionnel de l’Église dans la société canadienne. L’institution du régime parlementaire de 1791 n’était guère prisée dans le clergé. Gravé de La Rive écrivait : « Ceux qui Selon moi pensent un peu Sont très fâches de ce changem[en]t car il y a plusieurs de nos farrault canadiens et beaucoup danglois admirateurs de l’assemblée nationale qui parlent deja detablir les droits de l’ho[mm]e comme principes des loix. » Porte-parole incontesté des Canadiens jusque-là et principal chef nationaliste de la fin du xviiie siècle, l’évêque de Québec était dès lors en conflit de pouvoir avec la nouvelle équipe de dirigeants laïques dont il ne partageait point les vues et les objectifs. La présence au pays d’émissaires français cherchant à soulever le peuple contre l’Angleterre et les velléités de reconquête du Canada par l’ancienne métropole ne feront qu’aviver l’opposition de l’évêque à tout retour de la France impie sur les rives du Saint-Laurent. En novembre 1793, au moment où une expédition navale française se dirigeait vers le Canada, Hubert invitait les curés du diocèse à rappeler au peuple les principes de loyauté, d’obéissance et de fidélité dues au gouvernement. L’état dangereux d’agitation qui gagnait les Canadiens rendait « le concert entre l’empire et le sacerdoce plus nécessaire ». En 1796, Hubert rappellera avec vigueur que les Canadiens « sont étroitement obligés de se contenir dans la fidélité qu’ils ont jurée au Roi de la Grande-Bretagne, dans l’obéissance ponctuelle aux lois et dans l’éloignement de tout esprit qui pourrait leur inspirer ces idées de rébellion et d’indépendance, qui ont fait depuis quelques années de si tristes ravages, et dont il est si fort à désirer que cette partie du globe soit préservée pour toujours ».
La lutte contre l’idéologie révolutionnaire allait s’accentuer lors de l’arrivée des royalistes français, chassés de leur pays par la Révolution. À partir de 1791, 51 prêtres émigrés viendront au Canada ; 40 y demeureront, dont 18 sulpiciens. Bien qu’extrêmement faibles, ces effectifs n’en revêtaient pas moins une importance capitale. Le Canada, qui n’avait reçu que très peu d’ecclésiastiques français avant 1790 et qui ne comptait à cette date que 146 prêtres, voyait ce nombre augmenter de près du tiers en l’espace de dix ans. Ce clergé allait s’illustrer dans les missions acadiennes et dans l’Église du Canada où il jouerait un rôle important dans le domaine spirituel et culturel [V. Jacques-Ladislas de Calonne* ; Louis-Joseph Desjardins*, dit Desplantes]. Alors que l’Église canadienne s’apprêtait à traverser une période d’austérité qui ne prendrait fin qu’au lendemain de 1837, ces prêtres lui donnèrent un second souffle. L’évêque de Québec aurait souhaité recevoir davantage de prêtres émigrés dans son diocèse. Il s’en était ouvert à plusieurs reprises à l’évêque de Saint-Pol-de-Léon (France), Mgr Jean-François de La Marche : « Un prêtre inconstitutionnel de France, ennemi du serment civique et des principes qui l’ont produit, est toujours bien venu en Canada. » Il n’avait pas craint d’accueillir à bras ouverts ces « ouvriers zélés et fervents », au risque de mécontenter le clergé canadien qui ne voyait pas toujours d’un bon oeil la venue de ces prêtres étrangers. Mais tant que le diocèse ne pouvait se suffire à lui-même, Hubert devait se faire le protecteur de ces émigrés : « Qu’on se défasse d’un certain préjugé national, qu’on considère les choses sur un point de vue plus étendu et plus libéral ; qu’on préfère le bien général de la Religion à des vues particulières d’intérêt, et l’on n’aura plus tant d’opposition pour des étrangers qui recherchent une retraite utile et honorable. »
Le décès, en mai 1794, de Bailly avait posé de nouveau le problème de la nomination du coadjuteur. Dorchester proposa à cette occasion une liste de trois noms à Hubert qui opta pour Pierre Denaut*, curé de Longueuil et vicaire général depuis 1790. Celui-ci fut sacré évêque à Montréal le 29 juin 1795. Peu après, en juillet, Hubert partait en visite pastorale pour la région de la baie des Chaleurs, malgré les craintes que ce voyage inspirait à ses proches. Il en revint exténué et gravement malade. L’année suivante, il ne put se rendre à Halifax comme il l’avait projeté. Sa santé, au reste, se détériorait grandement. Après plusieurs séjours à l’hôpital, il démissionnait de son poste, le 1 er septembre 1797, en faveur de son coadjuteur. Nommé curé de Château-Richer, il y resta à peine deux semaines. Transporté à l’Hôpital Général, il mourait peu après, le 17 octobre.
AAQ, 12 A, C, 111 ; D, 55v., 60v., 100v., 150v. ; 20 A, I 188 ; II : 1, 16, 28, 36, 51 ; VI : 25, 30, 101, 104 ; 210 A, I : 44–46, 102, 221, 273 ; II : 4, 10, 63, 65–67, 130–131, 222 ; 22 A, III : passim ; 30 A, I : 106–123 ; 1 CB, V : 6 ; VI : passim ; 516 CD, I : 8a, 9 ; 61 CD, Sainte-Famille, île d’Orléans, I : 4 ; CD, Diocèse de Québec, I : 86 ; II : 47 ; 7 CM, V : 65–71 ; 60 CN, I : 31–32.— ACAM, 901.012.— ANQ-Q, AP-P-977 ; État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 24 févr. 1739.— ASN, AP-G, L.-É. Bois, Succession, XVII : 5–15.— ASQ, Évêques, no 159 ; Fonds A.-H. Gosselin, Carton 6 ; 7 ; Fonds Viger-Verreau, Sér.O, 081, p.21 ; Lettres, M, 125, 126, 136, 161 ; P, 158, 165 ; R, 20 ; S, 6Bis, AA ; mss, 12, ff.32, 34, 36, 38–47 ; 13, passim ; Polygraphie, XVIII : 1 ; Séminaire, 4, no 133 ; 73, nos 1, 1a, 1b, 1c, 1d 7e ; 14/3, nos 3, 4.— ASSM, 19, tiroir 60 ; 21, cartons 42, 51 ; 27, tiroir 94.— McGill University Libraries, Dept. of Rare Books and Special Coll., ms coll., CH 193.S171.— Échec de l’université d’État de 1789, Y.-A. Lacroix, édit., Écrits du Canada français (Montréal), 28 (1969) : 215–256.— Mandements des évêques de Québec (Têtu et Gagnon), II : 341–502.— Le séminaire de Québec (Provost), 452.— La Gazette de Montréal, 6, 13, 27 mai, 3, 10 juin, 4, 18, 25 nov. 1790.— La Gazette de Québec, 29 avril, 13, 27 mai 1790.— Allaire, Dictionnaire, I : 272s.— [F.-]M. Bibaud, Le panthéon canadien ; choix de biographies, Adèle et Victoria Bibaud, édit. (2e éd., Montréal, 1891), 121.— Gérard Brassard, Armorial des évêques du Canada [...] (Montréal, 1940), 92.— Caron, Inv. de la corr. de Mgr Hubert et de Mgr Bailly de Messein, ANQ Rapport, 1930–1931, 199–351.— Desrosiers, Corr. de cinq vicaires généraux, ANQ Rapport, 1947–1948, 76–78, 113–123.— Le Jeune, Dictionnaire, I : 773s.— P.-G. Roy, Fils de Québec, II : 65–68.— Tanguay, Dictionnaire, IV : 533 ; Répertoire, 7, 136.— Henri Têtu, Notices biographiques : les évêques de Québec (Québec, 1889), 381–407.— L.-P. Audet, Histoire de l’enseignement au Québec (2 vol., Montréal et Toronto, 1971), I : 1608–1840.— N.-E. Dionne, Les ecclésiastiques et les royalistes français réfugié au Canada à l’époque de la révolution, 1791–1802 (Québec, 1905).— Galarneau, La France devant l’opinion canadienne.— Lemieux, L’établissement de la première prov. eccl.— George Paré, The Catholic Church in Detroit, 1701–1888 (Détroit, 1951).— M. Trudel, L’Église canadienne.— L.-É. Bois, L’Angleterre et le clergé français réfugié pendant la Révolution, SRC Mémoires, 1re sér., III (1885), sect. i : 77–87.— D.-A. Gobeil, Quelques curés de la première paroisse ontarienne, de M. Hubert au curé A. MacDonell, Sandwich, 1781–1831, SCHÉC Rapport, 23 (1955–1956) : 101–116.— E. C. Lebel, History of Assumption, the first parish in Upper Canada, SCHÉC Rapport, 21 (1953–1954) : 23–37.— Léon Pouliot, L’enseignement universitaire catholique au Canada français de 1760 à 1860, RHAF, XII (1958–1959) : 155–169.
Gilles Chaussé, « HUBERT, JEAN-FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hubert_jean_francois_4F.html.
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Auteur de l'article: | Gilles Chaussé |
Titre de l'article: | HUBERT, JEAN-FRANÇOIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |