Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3215898
GALT, sir ALEXANDER TILLOCH, homme d’affaires, homme politique, auteur et diplomate, né le 6 septembre 1817 à Chelsea (Londres), cadet des trois fils de John Galt* et d’Elizabeth Tilloch ; décédé le 19 septembre 1893 à Montréal.
D’ascendance écossaise, Alexander Tilloch Galt passa les premières années de sa vie avec ses frères John et Thomas tantôt dans l’agglomération de Londres, tantôt en Écosse. Son enfance et son adolescence baignèrent dans ce curieux mélange d’aventure, de création littéraire et d’entreprises spéculatives qui furent le lot de son père. Son grand-père maternel, Alexander Tilloch (Tulloch), était un diplômé d’université, membre de sociétés savantes, éditeur de journaux et de revues. Sa mère qui, selon un témoin du temps, avait « un empire absolu sur ses fils, surtout sur le cadet », dut en fait s’occuper seule de l’éducation de ses enfants, le père étant souvent absent, en voyage ou au service de groupes divers comme agent de pression. Dès sa tendre enfance, le jeune Alexander dut rêver du Canada, pays d’aventure et de réussite rapide aux gens entreprenants. Un des amis de son père était en effet Edward Ellice*, financier londonien qui fut à l’origine de la réorganisation entre 1821 et 1824 du commerce des fourrures au Canada sous l’égide de la Hudson’s Bay Company. John Galt lui-même était devenu en 1820 l’agent de résidents du Haut-Canada qui souhaitaient recevoir du gouvernement britannique des compensations pour les dommages subis lors de la guerre anglo-américaine de 1812. Cette affaire l’amena en 1824 à organiser avec des marchands de Londres une compagnie de colonisation, la Canada Company, qui acquit de vastes étendues de terre de la couronne dans la région du lac Huron. Le jeune Galt suivit de loin les efforts héroïques de son père parti organiser en pleine forêt du Haut-Canada une nouvelle ville, Guelph. Il put même, avec ses frères, s’embarquer pour le Nouveau Monde en 1828, mais ses parents les tinrent à distance du front pionnier et préférèrent le sérieux des études offertes au nouveau séminaire anglican de Chambly au Bas-Canada [V. Charles James Stewart*]. Sous la direction de Joseph Braithwaite, Alexander Galt y entama de solides études classiques, mais le renvoi de son père par les administrateurs de la Canada Company le ramena en Grande-Bretagne en juin 1830. Malgré cet échec et de sérieux déboires financiers, John Galt conçut un nouveau plan de colonisation et de spéculation foncière, cette fois au Bas-Canada, qui déboucha sur la fondation en 1834 de la British American Land Company, et il eut encore assez d’influence pour faire nommer son fils cadet commis aux écritures au bureau que cette compagnie venait d’ouvrir au village de Sherbrooke, dans la région des Cantons-de-l’Est. En mars 1835, le jeune Galt s’embarquait une deuxième fois pour le Canada.
Sous la direction d’hommes d’affaires de la région comme Samuel Brooks, Arthur Webster ou John Fraser, responsables successifs de l’agence de Sherbrooke, Galt s’initia à la gestion quotidienne de la compagnie naissante. Il assista au succès éclatant de ce projet de colonisation de 1835 à 1837, au moment où la British American Land Company bâtissait des routes, des ponts, des villages même pour les immigrants et transformait Sherbrooke de modeste bourgade en une petite ville aux rues bien tracées. Il vécut aussi la quasi-déroute de l’entreprise, le flot d’immigrants européens tari par la crise de 1837–1838, les défrichements abandonnés par les pionniers et l’obligation pour la compagnie de rétrocéder une partie des terres à la couronne. Malgré son rang subalterne, Galt analysait avec perspicacité la situation d’un projet qui ne rapportait plus rien aux actionnaires britanniques. Dès 1840, il écrivit un rapport dans lequel il indiquait les conditions d’une reprise éventuelle des profits : attirer des colons américains ou canadiens, plus adaptés aux conditions de vie des pionniers que des immigrants européens ; faciliter l’achat des terres par les colons en étalant la période de remboursement ; accepter le paiement d’arrérages en nature. Enfin, premier indice de son sentiment d’appartenance à une nouvelle nation en gestation, Galt suggérait d’accorder une large autonomie de décision au commissaire canadien de la compagnie. Ce rapport chemina jusqu’à la haute direction de Londres, qui résolut de rappeler en Angleterre cet employé avisé pour mieux examiner la situation.
Durant ces années à Sherbrooke, Galt avait non seulement appris à connaître une région, ses ressources et ses habitants, mais il s’était inséré progressivement dans la communauté des hommes d’affaires et des officiers à la demi-solde qui, sous l’égide d’Edward Hale*, composaient l’embryon de la bourgeoisie locale. En novembre 1842, lorsqu’il allait rentrer à Londres, la bonne société sherbrookoise lui fit l’honneur d’un banquet d’adieu. Il était évident pour tous que cet habile administrateur serait promu à de hautes fonctions en Angleterre et ne reviendrait plus dans la région.
Galt fut effectivement nommé responsable du bureau londonien de la British American Land Company. Il eut ainsi tout loisir de faire partager par les administrateurs de la compagnie ses vues sur une nouvelle gestion plus profitable des propriétés foncières des Cantons-de-l’Est. Ses supérieurs décidèrent de lui faire confiance en la matière et le renvoyèrent au Canada en octobre 1843 avec le titre de secrétaire de la compagnie. Un peu plus tard, en février 1844, à l’occasion d’un nouveau voyage en Angleterre pour faire rapport sur la mise en place de la nouvelle politique, il fut promu à 26 ans au titre de commissaire, le plus haut poste canadien dans la hiérarchie de la compagnie foncière.
Pendant les 12 années qu’il occupa ce poste au Canada, Galt, avec l’aval de ses supérieurs, disposa d’assez d’autonomie pour décider du réinvestissement d’une partie des montants reçus pour la vente de terres dans différentes entreprises à caractère foncier, industriel ou ferroviaire. Ces investissements avaient pour but d’une part le désenclavement d’une région jusque-là mal servie en voies de communication et d’autre part l’émergence de Sherbrooke comme pôle urbain et industriel. C’est ainsi que, disposant de fonds importants et d’un large pouvoir de décision, il fut, avec l’argent de la British American Land Company, l’artisan du démarrage industriel de Sherbrooke dans les années 1844–1854. Construction de nouveaux barrages, offre de terrains industriels avec baux à long terme, prêts à la construction consentis aux industriels locataires, promotion directe d’entreprises manufacturières, telles furent les clés de la stratégie de Galt. Grâce à lui, les rives de la Magog se couvrirent non seulement d’ateliers ou de petites manufactures, mais aussi d’entreprises plus importantes comme l’usine de laines d’Adam Lomas, le moulin à farine d’Edward Hale et de George Frederick Bowen ou la firme de fabrication de papier de William Brooks, avec ses deux usines et sa machine Fourdrinier toute neuve. Galt gérait de plus deux entreprises qui appartenaient en propre à la British American Land, une importante scierie, puis en 1851 une fabrique de seaux. Mais c’est incontestablement la création d’une usine de cotonnades en 1844 qui illustre le mieux le rôle déterminant de Galt dans l’introduction de la révolution industrielle à Sherbrooke.
Première manufacture de coton au Canada et première compagnie industrielle par actions à être reconnue juridiquement au Canada, en 1845, la Fabrique de coton de Sherbrooke fut lancée avec du capital de la région. Galt y contribua personnellement pour £500 et lorsqu’en 1847 l’entreprise, entravée par les contraintes de sa charte et par l’incapacité de nombreux petits actionnaires à payer leurs parts souscrites, fut sur le point de faire faillite, c’est encore Galt qui, au nom de la British American Land, racheta l’actif. Avec l’aide de Hale et d’un gérant américain, Charles Philipps, il la relança en 1848, en réinjectant des capitaux et en supervisant les opérations, au point qu’en 1851 elle était devenue une entreprise florissante qu’il revendit pour £3 000.
C’est toutefois comme promoteur de chemins de fer que Galt se signala après 1844. Ce type d’activité allait définitivement le hisser hors du cadre des Cantons-de-l’Est et en faire une figure nationale. Les premiers projets de construction ferroviaire pour sortir les Cantons-de-l’Est de l’isolement en les reliant à Montréal et à Boston datent de 1835, l’année d’arrivée de Galt à Sherbrooke. Retardée par l’instabilité politique et économique des années 1837–1838, l’idée fut reprise en 1840 et une compagnie, regroupant des hommes d’affaires de la région de Sherbrooke sous l’égide de Hale, fut constituée juridiquement en 1841. Galt faisait déjà partie du groupe des promoteurs, mais à titre subalterne de secrétaire ou d’organisateur de réunions. Faute de capitaux, ce deuxième projet fut abandonné, puis, durant le séjour de Galt à Londres en 1843, un troisième essai fut tenté, toujours par des promoteurs sherbrookois, qui devait déboucher en 1845 sur la reconnaissance juridique de la Compagnie du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique.
Dès son retour en mai 1844, Galt appuya le projet avec enthousiasme : il allait en devenir bientôt l’organisateur principal aux côtés de Samuel Brooks et de Hale. Ces deux notables, à la veille d’être réélus à l’Assemblée législative de la province du Canada en novembre, s’engagèrent en secret devant Galt à s’opposer à tout ministère qui refuserait d’aider financièrement le projet de chemin de fer. Une fois que la compagnie fut reconnue juridiquement, Galt souscrivit 30 000 $ d’actions en son nom personnel et 96 000 $ au nom de la British American Land. Pour convaincre le public montréalais d’investir largement, il fit jouer ses relations avec d’anciens responsables canadiens de la compagnie foncière, Peter McGill* et George Moffatt*. En juin 1845, Galt fut élu administrateur du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique, dans un conseil présidé par McGill ; il était le seul, avec Brooks, à venir des Cantons-de-l’Est. Son rôle fut décisif dans le choix du tracé qui traverserait cette région et dans l’adoption de Portland, au Maine, comme terminus plutôt que Boston [V. John Alfred Poor*]. C’est lui qu’on envoya à Londres en juillet pour tenter d’intéresser des investisseurs britanniques à fournir les £500 000 qui manquaient encore au capital. Le succès de ce voyage fut mitigé, de même qu’un autre essai, en 1847, de vendre des obligations sur le marché londonien, mais Galt, confiant dans l’avenir, convainquit ses collègues administrateurs d’amorcer quand même les travaux. À la fin de 1848, le premier tronçon, de Longueuil à Saint-Hyacinthe, au Bas-Canada, était achevé.
Toutefois, à court de capitaux, la compagnie dut se tourner vers le gouvernement pour obtenir de l’aide, et George-Étienne Cartier* présenta au nom de cette dernière une pétition au ministère de Louis-Hippolyte La Fontaine* et de Robert Baldwin*. Cette démarche fut déterminante dans l’adoption en 1849 d’une loi de garantie, œuvre de Francis Hincks*, par laquelle le gouvernement canadien garantissait le paiement de l’intérêt sur la moitié des obligations de tout chemin de fer de plus de 75 milles de longueur, à condition que la moitié de la ligne ait déjà été réalisée. Pour pouvoir se prévaloir de cette loi, il restait au chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique à construire encore 45 milles de voie ferrée, de Saint-Hyacinthe à Richmond. Les dirigeants de la compagnie, à bout de ressources, confièrent alors à Galt à la fois la présidence du conseil d’administration et la supervision directe des travaux. Avec l’aide du promoteur montréalais John Young*, il parvint à renflouer les opérations par des ventes d’obligations pour un total de £50 000 au séminaire de Saint-Sulpice de Montréal et à la British American Land. Il reprit également le contrat de construction de la ligne de la firme américaine Black, Wood and Company pour le confier, sous sa propre supervision, à l’ingénieur Casimir Stanislaus Gzowski. Il put ainsi, non sans d’énormes difficultés financières, achever la ligne jusqu’à Richmond en 1851 et obtenir aussi la garantie gouvernementale. L’année suivante, le gouverneur lord Elgin [Bruce*] inaugura la ligne jusqu’à Sherbrooke et, en 1853, les convois circulaient de Longueuil à Portland.
Galt et d’autres promoteurs montréalais comme Luther Hamilton Holton* et David Lewis Macpherson avaient pressenti dès la fin de 1850 le grand intérêt qu’il y avait pour l’économie montréalaise d’améliorer le débouché ferroviaire vers Portland par une ligne de chemin de fer reliant Montréal à Kingston, au Haut-Canada, ou même à Toronto. Ils firent donc reconnaître juridiquement en août 1851 la Compagnie du chemin de fer de Montréal et Kingston. Au même moment, sous l’impulsion de Joseph Howe*, secrétaire de la province de la Nouvelle-Écosse, l’idée de construire un chemin de fer intercolonial de Halifax à Québec trouvait des échos favorables auprès du gouvernement de la province du Canada, où Hincks militait pour la construction par l’État d’une ligne partant de Québec et allant jusqu’à Windsor ou Sarnia, dans le Haut-Canada. Lorsque cet ambitieux projet tomba faute de garantie financière de la part du gouvernement impérial, Hincks entra en négociation avec la société de construction britannique Peto, Brassey, Jackson, and Betts pour construire une ligne de Montréal à Hamilton, au Haut-Canada. Ce projet entrait en concurrence directe avec celui de Galt et de ses associés qui, par peur de perdre leur charte, souscrivirent en août 1852 tout le capital du chemin de fer de Montréal et Kingston ; Galt, Holton et Macpherson détenaient chacun £199 000 d’actions. Galt mena alors une lutte serrée, mais vaine, devant le comité des chemins de fer pour tenter de convaincre les députés que son projet coûterait moins cher et serait terminé plus tôt crue celui de Hincks et de William Mather Jackson. À bout d’expédients, Galt et ses associés fusionnèrent le chemin de fer de Montréal et Kingston avec le chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique. Ils détenaient ainsi un avantage marqué et amenèrent Hincks à négocier avec Galt l’unification des divers projets et la création de la compagnie du Grand Tronc, dont la ligne principale devait s’étendre de Trois-Pistoles, au Bas-Canada, à Sarnia. Galt se révéla un négociateur de première force. Il fit racheter par le Grand Tronc la ligne du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique à £8 500 du mille, fit de plus assumer par la nouvelle compagnie les sommes dues à la cité de Montréal, aux sulpiciens et à la British American Land Company, qui totalisaient 600 000 $, et parvint à négocier un supplément de £75 000 pour les actionnaires du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique à titre de dédommagement. Comme leurs actions étaient échangées au pair pour celles de la nouvelle compagnie alors qu’elles valaient à peine la moitié sur le marché, on comprend que les actionnaires votèrent à Galt une commission d’environ 7 000 $ avec les remerciements d’usage.
Mais les ambitions de Galt ne s’arrêtaient pas là. En novembre 1852, il s’associait avec Holton, Macpherson et Gzowski pour fonder une entreprise de construction ferroviaire connue sous la raison sociale de C. S. Gzowski and Company. Leur premier contrat avait trait à la construction du chemin de fer de Toronto à Sarnia. Galt parvint à financer la construction par une émission d’obligations sur le marché de Londres, mais négocia aussi l’inclusion de cette ligne dans le projet du Grand Tronc comme section à l’ouest de Toronto. Cela fait, il obtint que le Grand Tronc accorde à la C. S. Gzowski le contrat de construction de Toronto à Sarnia au prix de £8 000 le mille. Bien que Galt ait mis fin à sa participation à cette dernière compagnie en 1858, il n’est pas douteux que c’est comme constructeur de chemins de fer qu’il réussit à asseoir une fortune personnelle appréciable, qui servirait par la suite comme capital dans diverses entreprises spéculatives. Outre sa splendide résidence à Sherbrooke, baptisée Rockmount, où il eut l’honneur de recevoir le prince de Galles en 1860, il acquit de vastes terrains dans ce qui était alors la banlieue montréalaise et les revendit 60 000 $ en 1871. Il possédait également des terrains à Portland, au Maine, où il construisit des élévateurs à grain raccordés au terminus du Grand Tronc. Pendant les années 1860, au moment de la ruée vers le cuivre dans les Cantons-de-l’Est, il s’associa aux ingénieurs Thomas MacCaw et Walter Shanly, exploita la mine Ascot près de Lennoxville, érigea un haut fourneau pour réduire le minerai et réussit à vendre l’entreprise pour la somme colossale à l’époque de 127 500 $. Il fut également l’un des promoteurs de la mine Ives dans le canton de Bolton. Galt investit enfin d’importants capitaux dans des banques : il eut pour 26 000 $ d’actions dans la Commercial Bank of Canada, du Haut-Canada, et fut l’un des promoteurs de la Banque des Townships de l’Est, qui ouvrit ses portes à Sherbrooke en 1859, et dans laquelle il souscrivit pour 10 500 $ d’actions. Bref, par ses intérêts diversifiés, qui touchaient à la fois les secteurs manufacturier, ferroviaire, foncier, minier et bancaire, Galt illustre bien le type de bourgeoisie polyvalente qui se constitua au Canada au milieu du xixe siècle.
Comme il était courant à l’époque, son lien avec le développement ferroviaire devait presque fatalement l’amener à la vie politique. Lorsque le 22 mars 1849, en plein milieu de la session, le député de la circonscription de Sherbrooke à l’Assemblée de la province du Canada, Samuel Brooks, décéda inopinément, les citoyens les plus influents de la région demandèrent à Galt de le remplacer. Malgré certaines réticences à accepter sur-le-champ cette nouvelle responsabilité sans avoir reçu l’aval de ses supérieurs de la British American Land, il fut élu en avril 1849 sans opposition. On en était alors aux jours tumultueux de la sanction de la loi pour l’indemnisation des pertes subies pendant la rébellion de 1837–1838 au Bas-Canada, jours qui virent le gouverneur lord Elgin hué par la foule et l’édifice du Parlement à Montréal incendié.
Tout en représentant une circonscription traditionnellement conservatrice, Galt s’était, au moment de son élection, défini comme indépendant des partis mais sensible au fait que l’intérêt de la région exigeait de ne pas rester dans une opposition stérile. En novembre 1849, cependant, le manifeste des marchands de Montréal en faveur de l’annexion aux États-Unis [V. James Bruce ; David Kinnear*] avait suscité beaucoup d’enthousiasme dans les Cantons-de-l’Est, et Galt fut pressé par une pétition de plus de 1 200 de ses électeurs de prendre position. Dans un discours nuancé mais au ton convaincu, il appuya la thèse de l’annexion. Toutefois, les critiques de ses supérieurs londoniens sur cette initiative, le déplacement du Parlement à Toronto et son engagement croissant dans la construction ferroviaire l’amenèrent à démissionner de son siège le 10 janvier 1850.
En novembre 1852, la nomination comme juge d’Edward Short*, député de la circonscription de la ville de Sherbrooke, fournit à Galt l’occasion de renouer avec la politique, et il fut élu sans opposition à une élection partielle en mars 1853. Par la suite, il se fit réélire sans interruption jusqu’en 1867. Tout en siégeant comme indépendant, Galt favorisait un certain nombre de réformes importantes comme l’abolition du régime seigneurial [V. Lewis Thomas Drummond*], la sécularisation des réserves foncières du clergé, le scrutin secret aux élections et une stricte séparation entre les Églises et l’État. Cette attitude l’amena à être très proche de députés comme Luther Hamilton Holton, Antoine-Aimé Dorion ou John Sewell Sanborn* et à être familièrement étiqueté de « rouge ». Toutefois, Galt était, à l’époque, trop lié aux entreprises ferroviaires qui recevaient des subventions gouvernementales pour ne pas être éclaboussé par les virulentes attaques qui surgirent régulièrement dans les deux chambres du Parlement contre la collusion entre hommes politiques et compagnies de chemins de fer. Les accusations proférées contre Galt en 1857 par le comité spécial d’enquête sur le Grand Tronc et surtout par son président George Brown*, leader des clear grits du Haut-Canada, eurent pour effet de détacher progressivement le député de la ville de Sherbrooke de ses collègues les plus radicaux de l’opposition.
Aux élections de décembre 1857, Galt promit à ses électeurs de donner un appui critique au ministère de John Alexander Macdonald et de George-Étienne Cartier tout en restant indépendant. Au même moment, avec sa perspicacité habituelle, Macdonald lui écrivait confidentiellement qu’il ferait un « honnête conservateur » et qu’il pourrait devenir un « vrai bleu ». Galt toutefois continua à garder ses distances jusqu’à la fin de juillet 1858 au moment où le cabinet Macdonald-Cartier fut mis en minorité sur la question du choix de la capitale canadienne. On sait que le gouverneur sir Edmund Walker Head* confia sur-le-champ aux chefs de l’opposition Brown et Dorion le soin de former un nouveau gouvernement, qui se vit refuser deux jours plus tard la confiance de l’Assemblée. Plutôt que de recourir à une dissolution, Head chercha une autre combinaison ministérielle en proposant à Galt de former le gouvernement. Celui-ci déclina l’honneur et suggéra de choisir Cartier, qui devint premier ministre avec Macdonald. Galt accepta cependant de participer à ce ministère et de remplacer William Cayley* comme inspecteur général, titre porté à l’époque par le responsable des Finances. En l’espace de quelques mois, il était ainsi passé de la position d’indépendant proche des « rouges » à celle de pilier d’un gouvernement libéral-conservateur.
Un certain nombre de ses électeurs de Sherbrooke eurent de la peine à comprendre une évolution si rapide et la Sherbrooke Gazette de Joseph Soper Walton, qui avait été depuis 1849 son porte-parole officieux, se mit à le critiquer systématiquement. Galt trouva désormais l’hospitalité dans les pages de journaux locaux concurrents tel le Canadian Times, qui devint le Sherbrooke Leader puis le Sherbrooke Freeman. Le fait qu’il défendait avec habileté en chambre des projets de lois privés essentiels au développement de la région, comme celui de l’octroi d’une charte à la Banque des Townships de l’Est, lui conserva la sympathie des citoyens influents de Sherbrooke. Par ailleurs, les positions politiques, que le nouveau ministre défendit dès 1858, furent de nature à lui conférer une stature nationale et du coup à accroître l’estime de ses concitoyens pour lui.
Galt avait en effet lié son acceptation d’un poste dans le nouveau gouvernement à l’adoption par celui-ci d’un projet de fédération des colonies de l’Amérique du Nord britannique. Comme d’autres observateurs de la scène politique, il était conscient des difficultés croissantes à maintenir les principes d’égalité de représentation entre le Bas et le Haut-Canada au sein de l’Union, mais il était un des rares à croire que la solution résidait dans le remplacement de l’union égalitaire par un système fédératif auquel participeraient le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard et d’autres territoires. Galt avait d’ailleurs à l’époque une vision très détaillée de ce que pourrait être l’organisation des pouvoirs au sein d’une telle fédération : gouvernement central doté des pouvoirs essentiels ainsi que des pouvoirs résiduels, création d’une cour suprême, paiement de subsides fédéraux aux provinces. Il réussit à convaincre ses collègues de faire de ce projet de fédération un objectif avoué du nouveau ministère. En octobre 1858, encouragés par le gouverneur Head, les ministres Galt, Cartier et John Ross* s’embarquèrent pour la Grande-Bretagne afin de discuter de la proposition avec les responsables du ministère des Colonies. Toutefois, les autorités impériales virent ce projet sans grand enthousiasme et les autres colonies ne réagirent guère. Au début de 1859, de retour au Canada, Galt admettait lui-même en chambre l’impossibilité de faire avancer le projet pour l’instant.
Galt concentra dès lors ses efforts à résoudre les graves problèmes financiers que connaissait la province du Canada depuis quelques années et que la conjoncture des années 1857–1858 venait d’aggraver. Les revenus de la province reposaient essentiellement sur les droits de douane à l’importation, sur quelques taxes indirectes et sur la vente des terres de la couronne. Or, Galt constatait que la période de prospérité du début des années 1850, accentuée par le flux de capitaux britanniques pour la construction ferroviaire, avait été remplacée par une phase de dépression commerciale et financière, due aux effets combinés de la guerre de Crimée et d’une crise bancaire aux États-Unis. La baisse des importations expliquait la baisse des montants retirés à titre de droits par le fisc de la province. Par ailleurs, le trésor provincial se voyait obligé de payer les intérêts sur les obligations des compagnies ferroviaires dont il avait garanti le paiement aux investisseurs, surtout britanniques, en cas de défaillance de ces compagnies. Il en était de même pour les obligations des fonds d’emprunt municipaux, placées sur le marché londonien aux beaux jours du début de la décennie, dont la plupart des municipalités ne purent honorer le remboursement, une fois la crise venue. Le gouvernement, qui n’était que fiduciaire de ces obligations et non garant, dut néanmoins payer pour les municipalités défaillantes. Tout ceci avait forcé le trésor provincial à payer en 1858 plus de un million de dollars en intérêts sur les obligations de toute nature, une hémorragie qui équivalait à 60 % du revenu de la province. Galt avait analysé en détail toute cette situation dès son entrée au cabinet Cartier-Macdonald. Il réussit à baisser les charges de remboursement de prêts antérieurs en consolidant des dettes et en en renégociant avantageusement les conditions, mais il ne put s’empêcher de recourir à une nouvelle hausse des droits d’importation, politique amorcée par ses prédécesseurs au gouvernement en 1856 et 1858. De 12,5 % sur la valeur des marchandises qu’il était en 1849, le taux bondit à 20 % ou même à 25 % selon les produits en 1859.
Par cette hausse des droits, Galt faisait coup double. Il remplissait les coffres de la province, mais fournissait également aux manufacturiers canadiens une solide protection contre la concurrence britannique ou américaine. Enfin, l’afflux de liquidités permettait aussi de relancer la construction ferroviaire et de sauver de la faillite une entreprise comme le Grand Tronc. Par contre, ces mesures protectionnistes suscitèrent le mécontentement du gouvernement américain, qui y voyait une violation dans l’esprit sinon dans la lettre du traité de réciprocité de 1854. De même, les manufacturiers britanniques s’indignèrent de ce qu’ils prétendaient être une attaque à la philosophie libre-échangiste qui caractérisait la pratique commerciale de la Grande-Bretagne depuis 15 ans. Mais Galt, en des textes lucides et fermes, justifia auprès de l’opinion et du gouvernement britanniques le droit à la responsabilité financière du Canada-Uni comme corollaire à celui de la responsabilité ministérielle.
Ainsi, tant par sa lucidité à forger un cadre politique futur aux colonies britanniques de l’Amérique du Nord que par son habileté à restaurer les finances de la province et à encourager l’industrie naissante au pays, Galt était devenu en peu de temps une étoile montante au firmament parlementaire de l’Union. Il fut réélu par ses concitoyens sherbrookois aux élections de 1861, mais il dut affronter pour la première fois l’opposition, menée par William Locker Pickmore Felton*, qui lui reprochait sa collusion avec le Grand Tronc. Il continua ainsi à diriger le département des Finances jusqu’au 23 mai 1862, date à laquelle le gouvernement Cartier-Macdonald fut obligé de démissionner après le rejet par l’Assemblée de son projet de réforme de la milice. Galt passa donc dans l’opposition la période libérale des gouvernements dirigés par John Sandfield Macdonald* de 1862 à 1864. L’impasse persistante dans laquelle s’enfonça le système politique de l’Union, où le Haut-Canada dominé par les clear grits faisait face au Bas-Canada majoritairement acquis aux « bleus » de Cartier, relançait l’intérêt d’un système fédéral, dont l’idée avait été magistralement explicitée par Galt en 1858. Aussi n’est-il pas étonnant qu’après de nouvelles élections en 1863, après la démission du cabinet John Sandfield Macdonald-Dorion en mars 1864 et le retour au pouvoir de Cartier, de Galt et de John Alexander Macdonald dans un ministère dirigé par sir Étienne-Paschal Taché*, il y eut une majorité en chambre pour former un comité parlementaire chargé d’examiner la question d’une redéfinition de la structure gouvernementale. Ironie du sort, le comité fut proposé par Brown des rangs de l’opposition, et Galt s’en retrouva membre bien qu’il eût voté contre sa formation. Et seconde ironie, le comité, Galt inclus, pencha majoritairement en faveur d’une solution de type fédéral et fit rapport en ce sens à la chambre le 14 juin 1864 ; mais, le jour même, le gouvernement de Taché tombait à cause d’une motion de censure portant sur la décision que Galt avait prise en 1859 en tant que ministre des Finances d’avancer 100 000 $ à la compagnie du Grand Tronc pour l’aider à racheter des obligations qui arrivaient à terme. La crise ministérielle devait toutefois se dénouer de façon inattendue par une rencontre entre Brown et John Alexander Macdonald en présence de Galt. Celle-ci déboucha sur une trêve politique, sur la constitution d’un gouvernement de coalition où Brown côtoyait Taché, Macdonald, Cartier et Galt, avec la promesse de soumettre à la session suivante un projet d’union fédérale englobant les autres provinces.
À la fin d’août 1864, Galt fit partie de la délégation de ministres qui se rendit à Charlottetown rencontrer les dirigeants des provinces Maritimes rassemblés pour discuter d’une union législative de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard. Il eut la responsabilité d’exposer à cette conférence ce que pourrait être le fonctionnement financier de l’éventuelle fédération et comment serait réglée la question des dettes de chaque province. En octobre, à la conférence de Québec, les grandes lignes de l’organisation d’un État fédéral furent définies, dans des termes fort proches de ceux que Galt avait proposés en 1858. Galt, ici encore, eut le mérite de dénouer une impasse relative à l’ordre de grandeur des subsides que le gouvernement central devrait accorder aux gouvernements provinciaux. Par sa proposition d’assumer les dettes et les obligations des provinces et de donner une allocation équivalant à 0,80 $ par tête d’habitant, il balaya les réticences des provinces Maritimes, qui acceptèrent de céder au gouvernement central le pouvoir de taxation indirecte. Le rôle de Galt fut également décisif en ce qui concerne l’inclusion dans les résolutions de la conférence d’une clause protégeant les droits acquis par les minorités religieuses quant à leurs privilèges en matière scolaire. En tant que représentant des anglo-protestants du Bas-Canada, il avait mis tout son prestige dans l’adoption de cette clause. Le projet fédéral reçut alors une grande publicité dans l’opinion, particulièrement grâce à un discours que Galt prononça à Sherbrooke le 23 novembre 1864, qui fut reproduit par la plupart des journaux et même diffusé sous forme de brochure. En avril 1865, après l’adoption par l’Assemblée du Canada-Uni du projet fédéral, Galt se retrouva avec Cartier, Brown et Macdonald à Londres pour entamer avec les autorités britanniques les négociations requises par la création du nouvel État. Il put alors apprécier l’accueil favorable des milieux gouvernementaux de Londres à un projet auquel il avait contribué dans les grandes lignes comme dans de nombreux détails, mais ne put, comme ses collègues du Canada, que s’incliner devant les tergiversations des provinces Maritimes. Les années 1865 et 1866 le virent donc absorbé davantage par ses responsabilités de ministre des Finances. À ce titre, il entama des discussions avec des responsables du gouvernement des États-Unis sur une éventuelle prolongation du traité de réciprocité de 1854, il fit adopter une réduction des droits d’importation sur les produits manufacturés et autoriser l’émission par la province du Canada, au montant de 5 millions de dollars, de billets ayant cours légal, un privilège jusque-là réservé aux banques [V. Edwin Henry King].
À l’été de 1866, Galt dut faire face à une situation politique imprévue. Conformément aux dispositions de la conférence de Québec, un projet de loi avait été proposé pour confirmer et préciser les droits scolaires de la minorité protestante au Bas-Canada. Cette initiative amena les milieux catholiques à demander une garantie similaire pour la minorité catholique dans le Haut-Canada [V. Robert Bell*], mesure qui rencontra l’hostilité générale de la députation de cette partie de la province, mais qui était considérée comme indispensable par les députés catholiques du Bas-Canada pour approuver le projet sur la minorité protestante. Devant l’impossibilité de trouver des majorités sûres pour son projet, le gouvernement préféra le retirer. Galt comprenait la nécessité stratégique de ce repli mais ne pouvait en être solidaire, puisqu’il s’était fait le champion auprès des anglo-protestants du Bas-Canada de l’inclusion dans la loi de la garantie de leurs droits scolaires. Le 12 août 1866, il démissionna du cabinet.
Toutefois, la part que Galt avait prise dans l’élaboration du projet de fédération était trop grande pour qu’il ne fût pas invité par ses anciens collègues du gouvernement à faire partie de la délégation canadienne à la conférence de Londres en décembre 1866, convoquée pour rédiger le texte définitif de l’accord. Il put, à cette occasion, faire inclure dans le futur Acte de l’Amérique du Nord britannique une clause qui garantissait les droits scolaires des minorités religieuses dans toutes les provinces, avec possibilité de recours au gouvernement central en cas de modification de ces droits par une province. Ainsi, du premier schéma de confédération en 1858 jusqu’à l’écriture finale du document fondamental en 1867, Galt marqua de ses larges visions mais aussi de son réalisme politique le processus de genèse du nouvel État canadien. Son rôle exceptionnel fut souligné symboliquement par l’audience que lui accorda la reine Victoria le 27 février 1867, privilège qui ne fut partagé parmi les délégués que par Cartier, Macdonald, Charles Tupper* et Samuel Leonard Tilley.
Galt fut réélu par ses concitoyens de Sherbrooke député au Parlement d’Ottawa après avoir accepté, non sans réticence, d’exercer les responsabilités de ministre des Finances du nouveau dominion dans le gouvernement dirigé par John Alexander Macdonald. Il ne devait toutefois pas en faire partie longtemps. À l’automne de 1867, la Commercial Bank of Canada, aux prises avec des difficultés financières, demanda l’aide du gouvernement pour éviter la faillite. Galt fit d’abord jouer ses relations avec la Banque de Montréal pour trouver une solution mais, devant le refus des milieux bancaires d’intervenir, il résolut de recommander au cabinet d’accorder une assistance d’un demi-million de dollars à la Commercial Bank pour éviter une panique générale en cas de fermeture. Un second refus entraîna la cessation des activités de la banque et Galt, qui s’était senti à cette occasion « trahi » par Macdonald, préféra démissionner, ce qu’il fit officiellement le 7 novembre 1867. D’ailleurs, il se découvrit par la suite plusieurs fois en désaccord avec les tactiques du gouvernement Macdonald, sur la question de la Nouvelle-Écosse par exemple, mais, peu séduit par l’idée d’appuyer l’opposition libérale ni de jouer le rôle d’un indépendant, il ne se représenta pas devant ses électeurs de la ville de Sherbrooke en 1872. Malgré de nombreuses invitations à revenir dans la mêlée politique à l’occasion des élections anticipées de 1874 pour épauler le parti conservateur ébranlé par le scandale du Pacifique [V. sir John Alexander Macdonald ; sir Hugh Allan*] ou pour rejoindre les libéraux d’Alexander Mackenzie, Galt resta dès lors à l’écart de tout engagement politique partisan. Il put ainsi redonner pleine mesure pendant près de deux décennies à ses talents d’essayiste, à ses qualités de diplomate et à de nouveaux projets d’affaires.
Galt avait manifesté, dès sa jeunesse, d’indéniables qualités d’écriture, qui doivent sans doute quelque chose à son milieu familial et à des études brèves mais sérieuses. Une intelligence vive lui donnait la maîtrise de problèmes complexes qu’il était capable d’analyser avec sagacité, d’exposer avec brio et de commenter avec conviction. Pendant des années, ces talents furent mis au service de ses supérieurs de la British American Land Company ou des actionnaires de compagnies mais, devenu ministre, il rédigea, essentiellement pour le public britannique, un court essai sur le développement récent de sa province, intitulé Canada : 1849 to 1859 et publié en 1860 à Londres et à Québec, qui faisait brillamment le bilan d’une décennie de décollage économique et de réformes politiques. Seize ans plus tard, il écrivit coup sur coup deux textes sur les rapports entre les Églises et l’État, publiés à Montréal. Dans Church and State, texte bref, à la plume virulente, comme dans Civil liberty in Lower Canada, essai plus consistant, Galt s’insurgeait contre les menées ultramontaines au Québec, ravivées par l’affaire Guibord [V. Joseph Guibord*] et les tentatives de Mgr Ignace Bourget* d’orienter le vote des catholiques de la province de Québec aux élections de 1871 et de 1875. Enfin, en 1883, il publia The relations of the colonies to the Empire, present and future [...] (Londres) et The future of the Dominion of Canada [...] où il s’affirmait partisan de l’extension du principe fédératif à tout l’Empire britannique. Selon ses vues, le Parlement impérial aurait défini les lignes de conduite générales de tout l’Empire et les assemblées locales auraient disposé des questions d’intérêt local.
Durant toute sa carrière d’homme d’affaires et d’homme politique, Galt s’était révélé un négociateur avisé, tant auprès de financiers ou de banquiers londoniens qu’auprès de responsables du ministère des Colonies. Son poste de ministre des Finances d’une province si intensément liée par le commerce avec les États-Unis lui fournit l’occasion de faire ses premiers pas dans la diplomatie internationale. En décembre 1861, il partit pour Washington afin de sonder les intentions du gouvernement américain tant sur le renouvellement du traité de réciprocité que sur l’impact pour le Canada du refroidissement des relations anglo-américaines au début de la guerre civile. Il eut à cette occasion une entrevue avec le président Abraham Lincoln. En 1868, au moment où Joseph Howe tentait de convaincre les autorités britanniques du bien-fondé d’un retrait de la Nouvelle-Écosse du dominion, le cabinet Macdonald fit pression pour que Galt accompagne Tupper à Londres dans une mission destinée à s’opposer à la sécession de cette province. Galt déclina l’offre. Par contre, après la conclusion du traité de Washington en 1871, une commission d’arbitrage dut être créée pour évaluer le montant à payer par les États-Unis en compensation de la réadmission de leurs pêcheurs dans les eaux canadiennes [V. Samuel Robert Thomson*]. Galt fut choisi par les autorités britanniques pour être le représentant du Canada aux réunions de la commission à Halifax en 1877.
Avec le retour de sir John Alexander Macdonald au pouvoir après les élections de 1878, les relations amicales entre Galt et le premier ministre reprirent ; ils tournaient ainsi la page sur un froid personnel et politique qui avait duré une douzaine d’années. Macdonald put alors confier à Galt des missions à l’étranger, particulièrement pour régler des contentieux sur les droits d’importation avec la France et avec l’Espagne. Galt partit donc en Europe au début de 1879, mais ne put faire aboutir ses négociations tant à cause de la conjoncture qu’à cause des difficultés pour un délégué d’un dominion d’agir en harmonie avec le ministère des Affaires étrangères et avec les ambassadeurs de Sa Majesté. Un nouveau voyage en Grande-Bretagne en août avec Macdonald, dans le but de négocier l’injection de capitaux britanniques dans la construction du chemin de fer canadien du Pacifique, jeta les bases de l’établissement du poste de haut-commissaire du Canada à Londres. Galt en fut le premier titulaire. Il partit s’installer à Londres en avril 1880 et entra officiellement en fonction à compter du 11 mai. Par ses bons offices, le gouvernement canadien put bénéficier d’un représentant capable de faciliter les grands desseins de la Politique nationale, du financement d’un chemin de fer transcontinental à l’immigration européenne. Néanmoins, Galt souffrit rapidement dans ses nouvelles fonctions de l’ambiguïté de sa situation, du manque de ressources financières à sa disposition pour maintenir le train de vie requis dans la capitale de l’Empire et de la distorsion entre son goût d’exposer au public la moindre de ses idées et le désir du gouvernement canadien de le voir maintenir une discrétion plus diplomatique. Après plusieurs offres de démission, il quitta son poste le 1er juin 1883.
Les années 1880 virent aussi le retour de Galt dans le monde des affaires, cette fois dans l’Ouest canadien. En 1881, pendant qu’il résidait à Londres, il avait été informé par son fils aîné Elliott Torrance Galt*, alors commissaire adjoint aux Affaires indiennes à Regina, de la présence de gisements de houille dans le sud de ce qui est aujourd’hui la province de l’Alberta. Après avoir examiné en personne la région, Galt forma en 1882 avec deux hommes d’affaires britanniques, William Henry Smith et William Lethbridge, la North-Western Coal and Navigation Company Limited. Un de ses objectifs était d’alimenter en charbon le chemin de fer canadien du Pacifique, dont la voie était encore en construction à l’ouest de Winnipeg. Pour transporter le charbon, Galt et ses associés établirent d’abord un système de vapeurs et de barges sur les rivières Bow et Saskatchewan-du-Sud, puis construisirent une voie ferrée de leurs mines jusqu’à Dunmore, près de Medicine Hat, achevée en 1885. Dans ces territoires encore non colonisés, le génie organisateur de Galt, aidé par des relations sûres dans les milieux financiers britanniques et par l’appui fidèle et compétent de son fils Elliott, contribua à la mise en valeur de la région de Lethbridge. La recherche d’un débouché américain pour le charbon l’amena à construire en 1890 une ligne de chemin de fer de Lethbridge vers l’état du Montana, entreprise facilitée, il est vrai, par l’octroi d’un million d’acres de terre à la compagnie sur décision du gouvernement de John Alexander Macdonald. Ceci devait amener Galt et ses associés à s’intéresser également à la mise en valeur de ces terres pour l’agriculture et à amorcer un système d’irrigation à grande échelle pour la région. Toutes ces activités furent l’œuvre de compagnies établies par Galt, par son fils et par quelques associés, comme la Compagnie de chemin de fer et de houille d’Alberta (1889) ou l’Alberta Irrigation Company (1893).
À cause de sa santé chancelante, Galt ne quitta plus guère Montréal et sa résidence de la rue de la Montagne après 1890. Un cancer de la gorge exigea, au début de 1893, une trachéotomie. Incapable de parler, il communiquait par écrit avec ses proches. Il s’éteignit un peu avant l’aube du 19 septembre. Deux jours plus tard, d’imposantes funérailles eurent lieu à Montréal, mais le service fut chanté à la résidence même du défunt par le révérend John Potts, de Toronto, un vieil ami de Galt, qui prononça aussi l’oraison funèbre. Il fut enterré au cimetière du Mont-Royal. Galt laissait alors l’image noble et complexe d’un homme qui avait brillamment réussi dans des champs d’activité fort variés. Son panégyriste, le révérend Potts, disait de lui : « Il était d’un ordre supérieur. C’était un profond penseur, un économiste distingué, un homme d’affaires entreprenant et courageux. » D’autres se rappelaient son éloquence plaisante et aisée, et l’intérêt que suscitaient ses discours en matière financière. « Ses écrits sont marqués au coin de la pureté et de l’élégance », ajoutait-on.
Le mariage de Galt avec Elliott Torrance, fille de John Torrance*, le 9 février 1848, l’avait allié avec une des familles marchandes les plus en vue de Montréal. Son épouse mourut cependant peu après avoir accouché d’un fils, le 25 mai 1850. L’année suivante, Galt se remaria avec une sœur cadette de sa première femme, Amy Gordon Torrance, et ils eurent deux fils et huit filles. Parmi ses enfants, son fils aîné, Elliott, poursuivit les activités ferroviaires, minières et foncières de son père en Alberta et un autre de ses fils, John, eut une brillante carrière de marchand et de financier.
Galt fut fait chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges le 5 juillet 1869 et grand-croix du même ordre le 25 mai 1878. La University of Edinburgh lui conféra en 1883 un diplôme honorifique en droit. Il fit partie de loges maçonniques, telle la Victoria Lodge de Sherbrooke.
De forte stature, le regard lucide et perspicace, la bouche volontaire, Galt avait une voix calme, assurée et convaincante, teintée d’un léger accent écossais. Capable de dominer une situation avec assez de recul pour en saisir toute la complexité, habile à vulgariser auprès de ses auditeurs les projets les plus compliqués, doué d’une grande habileté de négociation, il réussit à se hisser au premier rang des hommes politiques de la génération qui a mis au monde la Confédération canadienne, à l’égal d’un John Alexander Macdonald ou d’un George-Étienne Cartier. En même temps, malgré les interruptions que sa carrière d’homme public apporta régulièrement à ses activités d’homme d’affaires, Galt fut un inlassable promoteur de projets de développement économique. C’était d’ailleurs un homme pragmatique, prompt à saisir l’influence de menus détails sur la viabilité d’une entreprise. Ce souci du concret lui permit d’implanter avec succès en pays pionnier les techniques nouvelles que la Révolution industrielle avait mises au point en Europe. Son itinéraire suivit ainsi la marche du développement de la jeune nation canadienne : il contribua à désenclaver une région isolée du Bas-Canada, les Cantons-de-l’Est, grâce au chemin de fer et à l’industrie. Par la suite, il fut l’un des artisans majeurs de l’établissement d’un lien structurel moderne entre les villes de la vallée du Saint-Laurent grâce au chemin de fer du Grand Tronc. Enfin, il a été l’un des architectes de la mise en valeur d’une région de l’Ouest canadien par l’introduction de techniques industrielles ou de procédés de bonification des terres.
Ces vastes entreprises successives ont ponctué une vie marquée par une foi inlassable dans les capacités créatrices d’un peuple du Nouveau Monde. Sir Alexander Tilloch Galt peut assurément être compté au nombre des rares esprits qui ont exprimé une nouvelle vision du Canada, souvent en avance sur ses contemporains. Certes, sur ce plan, tout comme la plupart des personnes de son milieu, il a hésité, au cours des ans, sur la meilleure stratégie à adopter. En 1849, pendant quelques mois, il crut à la nécessité de sortir de l’ornière coloniale en s’annexant pacifiquement aux États-Unis. Toutefois, il fut fondamentalement partisan de l’émergence d’une nation canadienne et joua un rôle décisif, tant par sa vision que par son réalisme, dans le processus qui devait souder les diverses colonies britanniques de l’Amérique du Nord en un État fédéral, modérément décentralisé. Il croyait que cette jeune nation devait, le cas échéant, s’abriter derrière un rempart protectionniste pour développer sa propre industrie, mais que cette maturité sur les plans politique et économique devait aller de pair avec une large autonomie sur le plan international. Il perçut très tôt, dans les années 1860, la remise en question par divers milieux britanniques du maintien du lien colonial entre le Canada et la Grande-Bretagne, source potentielle de conflit avec les États-Unis. Il fut convaincu, après 1867, que l’indépendance du Canada était essentielle pour que la Confédération soit pleinement réalisée et réclama, par exemple, en 1871, le droit pour le dominion de négocier sans intervention britannique la question des pêcheries avec les États-Unis. Par contre, dans les années 1880, le sentiment impérial s’étant réaffirmé en Grande-Bretagne, Galt fut l’un des avocats de la création d’une fédération impériale, non plus basée sur le lien de dépendance de colonies envers une mère patrie mais sur le rapport d’égalité entre nations indépendantes, égales, nourries des principes du parlementarisme britannique. Bref, sur toutes les questions qui ont balisé la marche du Canada vers un État moderne, l’immigration, le chemin de fer, la Politique nationale, la Confédération, voire le futur Commonwealth, Galt a laissé sa marque comme visionnaire perspicace, promoteur dynamique et homme d’État responsable.
En plus des titres mentionnés dans le texte, Alexander Tilloch Galt est l’auteur de : The Saint Lawrence and Atlantic Railroad : a letter to the chairman and the deputy chairman of the North American Colonial Association (Londres, 1847) ; Speech of the Hon. A. T. Galt, at the chamber of commerce, Manchester, September 25, 1862 (Londres, 1862) ; Speech on the proposed union of the British North American provinces, delivered at Sherbrooke, C.E., by the Hon. A. T. Galt, minister of finance, 23rd November, 1864 (Montréal, 1864) ; Speech of the Honorable A. T. Galt, minister of finance of Canada, in introducing the budget (Ottawa, 1866), qui parut aussi en français sous le titre de Discours prononcé par l’honorable A. T. Galt, ministre des Finances du Canada, en présentant le budget (Ottawa, 1866) ; Prohibition ; great speech of Sir A. T. Galt, G.C.M.G. (Ottawa, 1867) ; Statement of the Honorable A. T. Galt, in reference to the failure of the Commercial Bank (Ottawa, 1867) ; The political situation ; a letter to the Honorable James Ferrier, senator (Montréal, 1875) ; A protest against the efforts now being made in Canada by the Roman Catholic hierarchy to put into practice among her majesty’s Protestant subjects the doctrine of the Syllabus and the Vatican (Londres, 1877) ; Conférences pour la négociation d’une convention réglant les relations commerciales entre la France et le Canada : première conférence, 15 mars 1882 (s.l., 1882) ; His Excellency the Marquis of Lorne [...] governor-general of Canada, &c. : [report upon the present commercial policy of Great Britain and its effects] ([Londres, 1882]).
Les sources manuscrites les plus importantes relatives à Galt se trouvent aux AN, principalement dans le fonds A. T. Galt (MG 27, I, D8), mais également dans les fonds J. A. Macdonald (MG 26, A) et C. S. Gzowski (MG 24, E9).
La référence classique demeure la biographie de Skelton, Life and times of Galt (1920) (MacLean ; 1966). La vie familiale de Galt nous est connue grâce à un livre de souvenirs de sa fille, Evelyn Cartier Springett, For my children’s children (Montréal, 1937). Sur le contexte de son enfance et de son adolescence, consulter l’article sur John Galt dans le vol. 7 du DBC. Les références aux activités de Galt dans l’Ouest canadien peuvent êtres trouvées dans A. A. den Otter, Civilizing the West : the Galts and the development of western Canada (Edmonton, 1982). L’auteur s’est également référé à son texte : « Une bourgeoisie et son espace : industrialisation et développement du capitalisme dans le district de Saint-François (Québec), 1823–1879 » (thèse de ph.d., 2 vol., univ. du Québec, Montréal, 1985), dans lequel on trouvera les renseignements concernant les activités économiques de Galt dans les Cantons-de-l’Est.
Le rôle de Galt dans les entreprises ferroviaires et dans les ministères qui ont précédé la Confédération est amplement exposé dans des ouvrages classiques de synthèse, tels : G. R. Stevens, Canadian National Railways (2 vol., Toronto et Vancouver, 1960–1962), 1 ; J. M. S. Careless, The union of the Canadas : the growth of Canadian institutions, 1841–1857 (Toronto, 1967) ; W. L. Morton, The critical years : the union of British North America, 1857–1873 (Toronto, 1964) ; et Creighton, Macdonald, young politician et Macdonald, old chieftain.
Sur certains aspects plus particuliers, voir : D. F. Barnett, « The Galt tariff : incidental or effective protection ? », Rev. canadienne d’économique (Toronto), 9 (1976) : 389–407 ; G. P. de T. Glazebrook, A history of Canadian external relations (éd. rév., 2 vol., Toronto, 1966) ; ainsi que les ouvrages de références suivants : Canadian directory of parl. (Johnson) ; Cyclopædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 1 : 75–76 ; J. Desjardins, Guide parl. ; Political appointments, 1841–65 (J.-O. Coté ; 1866), 19, 42–43 ; Political appointments and judicial bench (N.-O. Coté) ; Répertoire des ministères canadiens ; et Wallace, Macmillan dict.
Jean-Pierre Kesteman, « GALT, sir ALEXANDER TILLOCH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/galt_alexander_tilloch_12F.html.
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Auteur de l'article: | Jean-Pierre Kesteman |
Titre de l'article: | GALT, sir ALEXANDER TILLOCH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |