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GZOWSKI, sir CASIMIR STANISLAUS, ingénieur, fonctionnaire, homme d’affaires et officier de milice, né le 5 mars 1813 à Saint-Pétersbourg (Leningrad, U.R.S.S.), fils aîné du comte Stanislaw Gzowski et de Helena Pacewicz ; le 29 octobre 1839, il épousa Maria M. Beebe, et ils eurent huit enfants dont deux moururent en bas âge ; décédé le 24 août 1898 à Toronto.
Sir Casimir Stanislaus Gzowski avait tout du héros romantique tel que le concevaient les Canadiens de la fin de l’époque victorienne. Si une grande partie de sa vie fut assez banale et qu’une autre côtoya le scandale, elle débuta toutefois de façon dramatique et eut une fin heureuse ; c’est d’abord pour cette raison qu’on allait se souvenir de lui.
Le père de Gzowski appartenait à la petite noblesse terrienne de la région de Grodno, en Pologne ; comme ses ancêtres, il fit une carrière d’officier. À la fin du xviiie siècle, les trois partages successifs de la Pologne par la Prusse, l’Autriche et la Russie firent de la région de Grodno un territoire russe. La famille Gzowski, catholique, s’attacha au nouveau régime, et le comte obtint une commission de capitaine dans la garde impériale. Casimir Stanislaus naquit en 1813, pendant que son père accomplissait une période de service dans la capitale impériale. En qualité de fils aîné, il était destiné à la carrière des armes ; dès l’âge de neuf ans, on le plaça dans une prestigieuse école préparatoire de la province de Volhynie, le lycée de Krzemieniec (Kremenets, U.R.S.S.). Le programme, rigoureux, comportait des cours de langues et de littérature, d’architecture, de médecine et de topographie. En 1830, une fois ses études terminées, Casimir entra dans le corps impérial de génie grâce à son père ; il avait alors 17 ans.
En 1815, le congrès de Vienne avait recréé un royaume de Pologne, le « royaume du Congrès », doté d’une constitution, progressiste mais sous la suzeraineté de la Russie. À la faveur des soulèvements qui éclataient un peu partout en Europe occidentale, les nationalistes polonais résolurent en 1830 de secouer le joug tsariste. En novembre, à Varsovie, une conspiration d’officiers et de civils déboucha sur une révolte. Quelques combats suffirent à faire tomber la ville, et bientôt un régime révolutionnaire se réclama d’appuis dans tout le royaume. Gzowski et d’autres jeunes officiers, dont Alexandre-Édouard Kierzkowski*, donnaient l’impulsion à la cause nationaliste, qui visa d’abord la restauration d’un gouvernement constitutionnel au sein de l’empire de Russie, puis l’indépendance de la Pologne.
L’armée russe se regroupa et envahit la Pologne en février 1831. Gzowski servait alors à titre d’officier dans un corps polonais placé sous le commandement du général Dwerniki, vétéran des campagnes antinapoléoniennes. Il était très probablement au sein des troupes de Dwerniki quand elles arrêtèrent temporairement l’armée russe à la bataille de Stoczek, le 14 février. Cependant, aux portes de Varsovie, une bataille rangée (où, dit-on, Gzowski fut légèrement blessé) marqua le commencement de la fin pour les insurgés polonais, écrasés par l’ennemi. En septembre, la ville tomba aux mains des Russes. Gzowski se trouvait alors dans une prison autrichienne. Le 27 avril, en livrant une attaque de diversion afin de soulever une rébellion d’appui en Volhynie, les troupes de Dwerniki avaient été refoulées de l’autre côté de la frontière autrichienne. Sous les pressions diplomatiques de la Russie, les autorités autrichiennes avaient emprisonné les 4 000 soldats rebelles, dont Gzowski.
Entre-temps, la cause des patriotes polonais avait éveillé la sympathie dans tout le réseau de leurs compatriotes exilés à l’étranger et dans les cercles libéraux d’Europe occidentale, de Grande-Bretagne et des États-Unis. Cette sympathie ne se transforma pas en aide militaire, mais l’opinion publique eut une influence décisive sur le sort des hommes de Dwerniki. Relativement bien traités par les Autrichiens, ils devinrent un symbole de la cause perdue en même temps qu’un faible rayon d’espoir pour le nationalisme polonais. Par l’entremise de leurs diplomates, la France et la Grande-Bretagne demandèrent à l’Autriche de ne pas les remettre à la Russie. Durant deux ans, on conduisit les prisonniers d’un fort à l’autre ; à chacun des déplacements, les évasions en réduisaient le nombre. Finalement, le gouvernement autrichien autorisa l’exil définitif des prisonniers restants aux États-Unis, où leurs idéaux révolutionnaires et leurs malheurs avaient éveillé un intérêt considérable dans la population. En novembre 1833, on embarqua donc 264 d’entre eux, dont Gzowski, sur deux frégates autrichiennes, et ils entreprirent ce qui allait être une pénible traversée hivernale. En mars 1834, les frégates jetèrent l’ancre dans le port de New York ; les réfugiés, abasourdis, reçurent un accueil enthousiaste. Le consul d’Autriche remit 50 $ à chacun d’eux, des philanthropes américains leur apportèrent une aide supplémentaire, des représentations théâtrales et des concerts furent organisés en leur faveur, la presse parla abondamment de leur triste histoire, et un comité polonais s’organisa pour veiller à les installer et leur trouver du travail.
Seul aux États-Unis, mais non sans amis, Gzowski s’employa à tirer le meilleur parti possible de son instruction et de sa noblesse. Tout en apprenant l’anglais, il donnait des leçons de musique, d’escrime et de langues. Les réfugiés se dispersèrent les uns après les autres, à mesure que des amis américains leur trouvaient une place. C’est par l’entremise de ce réseau que Gzowski obtint pendant l’été de 1834 un poste de clerc au cabinet d’avocat de Parker L. Hall, à Pittsfield, au Massachusetts ; il continuait de subvenir à ses besoins en enseignant le français, l’allemand et le dessin. Au cabinet, il était à la fois un ornement exotique et un élève brillant. Il ne se contenta pas seulement d’apprendre l’anglais et les rudiments du droit américain, mais observait de près les manières yankees, et surtout avec quel soin les hommes d’affaires prospères rédigeaient et faisaient respecter des contrats irrévocables. Dans les années suivantes, il allait devoir sa réussite en partie à ses compétences d’homme de loi yankee dans le monde brutal des entrepreneurs de chemins de fer canadiens.
Dès novembre 1837, ayant terminé son stage de droit, Gzowski était citoyen américain et avait gagné l’admiration de ses supérieurs. En le recommandant, l’un des associés de Hall parla de sa « bonne conduite » et de ses « manières de gentilhomme », un autre de sa « bonne moralité », et un troisième vanta les « très grands progrès qu’il [avait] accomplis [...] dans [la] langue [anglaise], dans la connaissance [des] institutions [américaines] et du droit en général ». Gzowski avait besoin de ces témoignages car, en véritable Américain, il avait annoncé qu’il allait « s’installer dans l’Ouest ». À l’âge de 24 ans, nimbé de cette irrésistible aura romantique qui, en terre américaine, entoure les aristocrates et les exilés, il partit s’établir dans l’ouest de la Pennsylvanie, où la production du charbon montait en flèche. Grâce à ses lettres de recommandation, il ne tarda pas à être admis au barreau de cet état et ouvrit un cabinet dans la petite localité de Beaver, sur l’Ohio.
Ironiquement, dans sa nouvelle situation, l’expérience que Gzowski avait acquise en Europe allait avoir plus de prix que ses titres d’avocat. La Pennsylvanie était alors un véritable chantier : chemins, ponts, grandes routes, canaux surtout s’y construisaient en grand nombre. Tirant parti de sa formation d’officier du génie, il trouva du travail auprès de William Milnor Roberts, ingénieur en chef d’une bonne partie de ces canaux. Il collabora avec lui à la construction du canal Beaver and Ohio River, qui étendait les communications vers le nord, à travers le bassin hydrographique, jusque dans le district du lac Érié. Gzowski abandonna ainsi le droit pour le génie et, quittant son cabinet de l’Ohio, travailla à partir d’Erie, en Pennsylvanie, où se trouvait le bureau de la compagnie de Roberts. Il acquit aussi une expérience précieuse, toujours au service de Roberts, en traçant et construisant un tronçon de l’Erie Railroad à travers l’ouest de l’état de New York. Au cours de ses voyages, l’élégant avocat polonais devenu ingénieur fit la connaissance de la fille d’un médecin d’Erie, Maria M. Beebe, qu’il épousa en octobre 1839.
En moins de dix ans aux États-Unis, Gzowski avait accompli des progrès considérables. Il avait maîtrisé le droit commercial et avait appliqué ses compétences d’arpenteur militaire à la construction de canaux et de chemins de fer, tout en acquérant une expérience des méthodes américaines de construction et des techniques de gestion de travaux. À l’automne de 1841, Roberts l’envoya de l’autre côté du lac Érié afin qu’il étudie les possibilités de travailler, au Canada, à la reconstruction du canal Welland. Après une rapide tournée d’inspection, Gzowski proposa à William Hamilton Merritt*, député à l’Assemblée législative et principal promoteur de cet ouvrage, de reconstruire tout le canal d’amenée à partir de Port Maitland et de « mener à bien tous les travaux en une saison ». En 1842, Gzowski se rendit dans la capitale provinciale, Kingston, pour presser de nouveau Merritt. Il ne parvint pas à décrocher le contrat de construction, mais une rencontre fortuite avec le gouverneur sir Charles Bagot* se révéla plus avantageuse. Ambassadeur de Grande-Bretagne à Saint-Pétersbourg dans les années 1820, Bagot y avait fait la connaissance du père de Gzowski. Le récit que ce dernier fit de la rébellion, de son exil et de sa remarquable carrière aux États-Unis captiva le gouverneur, qui aurait alors déclaré : « Nous devons vous garder au Canada. » Bagot avait besoin d’hommes comme lui. Dans le cadre de l’Acte d’Union, le gouvernement avait lancé un ambitieux programme de construction de routes et de canaux. Bagot offrit à Gzowski, qui l’accepta, le poste de surintendant des routes et voies navigables du district de London, au bureau des Travaux publics que présidait Hamilton Hartley Killaly*.
En 1842, Gzowski installa sa famille (il avait alors deux filles, nées à Erie, et un fils, Casimir Stanislaus, qui ne vécut que deux ans) à London, d’où il supervisait les nombreux ponts, routes, phares et ports qui se construisaient dans cette presqu’île du Haut-Canada. Il parcourait la campagne en étudiant, d’un œil exercé, la topographie et les possibilités de cette région peu peuplée. Il traça des chemins de gravier et des routes de planches de Hamilton à Amherstburg, et il aménagea les havres de Port Stanley et de Rond Eau (Rondeau Harbour). À compter de 1845, il travailla surtout à partir de Toronto : il dirigea les travaux de réfection de la rue Yonge vers le nord jusqu’au lac Simcoe, l’arpentage d’un grand nombre de routes de colonisation et la construction de ponts de pierre sur les grandes routes. Il donna aussi des conseils techniques aux propriétaires du canal Desjardins [V. John Paterson*]. Pendant ce temps, Maria donna naissance à une troisième fille et à un garçon, prénommé Casimir Stanislaus en mémoire de leur premier-né.
Un poste de fonctionnaire ne satisfaisait pas tout à fait cet ingénieur civil remuant et ambitieux ; cependant les possibilités offertes par le pays lui plaisaient assez pour qu’il adopte la citoyenneté britannique en 1846. Au bureau des Travaux publics, il releva le défi de diriger des travaux d’envergure, mais la richesse du pays demeurait hors de sa portée. De plus, en 1846, des hommes politiques jaloux et parcimonieux mirent la bride au bureau des Travaux publics, qui était quasi indépendant et dépensait de fortes sommes ; d’importantes compressions vinrent diminuer le budget d’investissement et le personnel, et démoraliser les autres employés. Gzowski saisit la première occasion de partir : en 1848, la Upper Canada Mining Company, de Hamilton, lui confia le mandat d’évaluer sa mine de Wallace et d’autres gisements de cuivre qu’elle possédait le long de la rive nord du lac Huron.
La présentation et l’adoption du Guarantee Act par l’Assemblée de la province, au printemps de 1849, relancèrent plusieurs projets de chemins de fer, dont le chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique. En janvier, nanti de la promesse d’une aide gouvernementale, le principal administrateur de la compagnie, Alexander Tilloch Galt, avait embauché Gzowski à cause de sa réputation et de son expérience des chemins de fer américains. À titre d’ingénieur, il devait mener à terme les travaux qu’il restait à faire dans les Cantons-de-l’Est, jusqu’à la frontière américaine. Pour Gzowski, cette orientation de sa carrière présentait un risque. La compagnie de chemin de fer était au bord de la faillite depuis plusieurs années, et son financement était encore loin d’être assuré. Cependant, ce projet le ramenait dans le secteur le plus dynamique du génie et le plaçait en étroite relation avec les plus grands capitalistes de Montréal, dont Galt, Luther Hamilton Holton*, John Young* et David Lewis Macpherson.
Installé à Sherbrooke, au Bas-Canada, Gzowski veilla à l’achèvement rapide du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique. Dès septembre 1852, le tronçon de Montréal à Sherbrooke était terminé. Il arpenta ensuite le reste de la ligne jusqu’à Island Pond, au Vermont, où on devait la relier à l’Atlantic and St Lawrence, qui partait de Portland dans le Maine. Gzowski impressionna ses patrons montréalais en relançant des travaux interrompus depuis un bon moment tout en demeurant en deçà du budget, qui était de £6 500 le mille. De leur côté, ils se débrouillaient fort bien dans l’arène de la politique coloniale et lui préparaient un bel avenir. En novembre, Galt, Holton et Macpherson formaient une entreprise avec lui, la C. S. Gzowski and Company.
Grâce à l’expérience en génie de Gzowski, le groupe de Galt savait enfin construire des chemins de fer à peu de frais et se mit à chercher activement d’autres marchés. En novembre 1852, la C. S. Gzowski and Company obtenait le contrat de construction d’un autre chemin de fer, le Toronto and Guelph, projet influencé principalement par les municipalités où la ligne devait passer et pour lequel Gzowski avait fait des levés préliminaires. L’acceptation de la soumission de £355 600, soit £7 350 le mille, souleva une controverse ; on déclara que les intérêts locaux avaient été escamotés au cours des négociations avec ces « étrangers ». Mais la compagnie était réputée avoir de l’influence auprès du gouvernement provincial, et Galt avait promis de chercher, à Londres, du financement pour le chemin de fer et les projets connexes d’aménagement foncier. De plus, grâce à l’influence des entrepreneurs, le chemin de fer avait de fortes chances d’être intégré au projet, très discuté, du Grand Tronc. Après avoir décroché le contrat de construction du Toronto and Guelph, le groupe s’employa à devenir actionnaire majoritaire de la compagnie qui en était propriétaire.
Gzowski avait peu investi dans la C. S. Gzowski and Company, mais son apport était inestimable. Holton confia à Galt que son « énergie, son tact, sa connaissance approfondie de tous les détails de son métier, combinés à un agréable sens de l’humour, en faisaient à [son] avis le plus précieux des associés ». C’était un brillant maître d’œuvre, et il le prouva en dirigeant les travaux du Toronto and Guelph. Grâce à l’expérience acquise auprès du bureau des Travaux publics, il connaissait parfaitement le territoire que le chemin de fer allait parcourir. Afin d’avoir un levé détaillé du trajet, il recruta un service technique plus nombreux que ne le voulait la coutume et en confia la direction à Walter Shanly. Ensuite, on scinda les travaux en sous-contrats facilement administrables puisque la tâche de chaque sous-traitant fut définie avec soin. Le personnel de Shanly supervisait étroitement les sous-traitants et soumettait des rapports d’étape détaillés au bureau central sur des formules imprimées à cette fin. Grâce à cette méthode, les constructeurs purent exercer sur les coûts un contrôle inhabituel pour l’époque. Une fois, au moment d’une pénurie d’encaisse, Holton se plaignit amèrement des dimensions de l’équipe technique. Pourtant, ce fut cet outil de gestion efficace qui permit à la C. S. Gzowski and Company de construire le chemin de fer pour beaucoup moins que les £7 350 le mille qu’elle recevait.
Les associés retiraient donc une « très belle somme » de ce que Holton appelait leur « petit contrat sûr de Guelph », lorsqu’au printemps de 1853 Galt réalisa un double exploit financier qui rendit ce contrat encore plus rentable. Pendant les travaux du Toronto and Guelph, son groupe avait commencé à miser sur un enjeu beaucoup plus élevé, le droit de construire un chemin de fer transcolonial, mais jusqu’alors il n’avait guère eu de succès.
L’inspecteur général du Canada, Francis Hincks*, se souciait beaucoup du développement du territoire, et les chemins de fer étaient sa marotte. Selon lui, le recours au crédit de la colonie dans le cadre du Guarantee Act ne suffisait pas pour réaliser les travaux ferroviaires ; les ouvrages d’envergure étaient trop lourds pour les capitalistes coloniaux et pour le gouvernement. Au début des années 1850, Hincks avait exploré tous les moyens de convaincre les Britanniques de participer au financement d’une ligne principale qui relierait toutes les colonies de l’Amérique du Nord britannique. D’abord, il avait proposé un ouvrage public impérial, puis à mesure que la conjoncture économique s’améliorait il avait cherché à convaincre l’entreprise privée. En mai 1852, il négocia un contrat avec une compagnie anglaise, la Peto, Brassey, Jackson, and Betts, pour la construction du tronçon Montréal-Toronto du Grand Tronc.
Galt, Holton et Macpherson tenaient avant tout à profiter, de toutes les façons possibles, de la construction des chemins de fer. Prévoyant qu’on finirait par construire une ligne de ce genre, ils avaient établi leur titre de priorité à l’occupation du territoire situé à l’ouest de Montréal, au moyen de chartes pour un chemin de fer qui mènerait de Montréal à Kingston et de Kingston à Toronto. Ils étaient donc fortement opposés au projet de Hincks de construire une seule ligne principale, dans toute la colonie, sous une gestion britannique unifiée.
À l’automne de 1852, le comité ferroviaire de l’Assemblée législative dut choisir entre la solution de Hincks et celle du groupe de Galt, c’est-à-dire une association beaucoup moins étroite de constructeurs coloniaux existants. Entre-temps, les associés montréalais avaient fait bonne contenance en s’organisant et en chargeant Gzowski de délimiter le meilleur trajet vers l’ouest. Ils profitèrent le plus possible de leurs appuis montréalais, s’en prirent au fait qu’on confierait la direction du chemin de fer à un seul entrepreneur et promirent de faire les travaux pour beaucoup moins que la compagnie britannique n’avait proposé. Mais, à l’Assemblée, on n’appuyait plus les opportunistes montréalais. Séduits par les grands rêves de William Mather Jackson, venu au Canada pour signer le contrat, et convaincus par les cajoleries de Hincks, les députés adoptèrent le Grand Trunk Railway Bill et annulèrent en même temps la charte des deux compagnies ferroviaires qui occupaient le trajet. Galt et ses associés avaient été mis en déroute par leurs vieux amis.
Les associés montréalais ne manquaient pas de moyens de se défendre. Ils s’empressèrent de fusionner la Compagnie du chemin à rails de Montréal et Kingston et la Compagnie du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique. En même temps, ils veillèrent à se rendre indispensables, ou à tout le moins inévitables, à l’ouest de Toronto, là où le trajet du Grand Tronc restait à délimiter. En mars 1853, Galt s’embarqua pour l’Angleterre afin d’offrir ses obligations de la Toronto and Guelph et de discuter avec les dirigeants du projet du Grand Tronc. La conjoncture économique s’annonçait belle, et l’on entrevoyait de bonnes possibilités d’amasser de l’argent pour le projet. Ce climat lui permit de négocier le contrat du siècle avec ceux qui, jusque-là, avaient été ses concurrents. Généreux à l’excès quand il s’agissait de l’argent d’autrui, les entrepreneurs britanniques achetèrent le chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique pour £8 000 le mille puis ajoutèrent à la somme une prime de £75 000, ce qui, il va sans dire, était substantiel. Par la même occasion, le Grand Tronc acheta le Toronto and Guelph et confia à la C. S. Gzowski and Company, aux conditions prévues dans le contrat de la Peto, Brassey, Jackson, and Betts, soit £8 000 le mille, la construction d’un tronçon qui irait jusqu’à Sarnia. Le groupe de Galt se retira donc de la concurrence entre Montréal et Toronto après avoir réalisé un beau profit et avec un contrat encore plus avantageux en poche, celui du prolongement de la ligne principale vers l’ouest. Effectivement, les associés firent fortune avec le tronçon Toronto-Sarnia. Walter Shanly, qui devait savoir de quoi il parlait, estima que le bénéfice net se situait entre £120 000 et £140 000, soit environ un huitième du prix contractuel. La compétence de Gzowski permit de réaliser les travaux dans les limites des prévisions budgétaires, de sorte qu’il y eut un surplus à répartir.
Les bénéfices sur les contrats n’étaient qu’un commencement. Comme les occasions de ce genre étaient rares, les associés se montrèrent farouchement déterminés à en profiter le plus possible. En même temps que les chemins de fer, il fallait construire des gares, acquérir des terres pour les voies d’évitement, les gares de triage, les entrepôts de fret, les ateliers de réparation. En vertu de leur contrat, Gzowski et ses amis, qui décidaient de l’emplacement de ces installations, achetaient les terres requises puis revendaient, avec un bénéfice intéressant, à la compagnie de chemin de fer celles dont elle avait besoin ; ils gardaient ensuite le reste pour eux-mêmes. Ils achetèrent aussi des terres autour des dépôts, à des fins de spéculation. Comme le disait joliment Holton à Galt en parlant du terrain d’une gare : « Il me semble qu’une bonne gestion de nos affaires nous permettrait non seulement d’obtenir ce que nous voulons pour rien, mais de faire en plus un bon profit. » Tout cela n’allait pas sans de nombreux conflits d’intérêts. À Sarnia, avec l’aide de leur solicitor, John Alexander Macdonald, les associés usèrent de leur énorme influence auprès du gouvernement provincial pour obtenir à très bas prix, du service de l’Ordnance, des terres à Point Edward, sous prétexte qu’ils en avaient besoin pour le chemin de fer. La compagnie conserva ces terres et les revendit ensuite pour son propre compte.
Pour juger de ces transactions, il n’y avait encore aucune délimitation stricte entre l’acceptable, le douteux et l’inconcevable. La notion de conflit d’intérêts avait lentement commencé à prendre forme à mesure que le droit de suffrage s’étendait, que l’on percevait la distinction, et la contradiction possible, entre les intérêts de l’élite et l’intérêt public, à mesure, aussi, que le système politique assumait de plus lourdes responsabilités fiscales et dispensait, par le fait même, des avantages énormes aux intérêts privés. Mais on n’avait pas encore défini clairement jusqu’à quel point l’on pouvait, à titre public ou personnel, tirer parti de renseignements confidentiels. À l’annonce que Hincks était actionnaire du Grand Tronc et qu’il avait réalisé un profit personnel en plaçant, à Londres, des obligations de la municipalité de Toronto, on jugea qu’il était allé trop loin. Holton admit privément en février 1853 que les négociations du Grand Tronc et ses propres transactions foncières l’embarrassaient ; il savait qu’il avait probablement dépassé les bornes, ce qui ne l’empêchait pourtant pas de saisir tout ce qu’il pouvait s’il en avait la chance. Gzowski et ses collègues firent fortune en raison de leur influence auprès du gouvernement provincial et du Grand Tronc. Ils faisaient de la spéculation foncière et utilisaient à leur profit personnel des renseignements confidentiels sans que le remords les empêche de dormir. La course à la richesse n’était pas faite pour les cœurs sensibles, les hésitants ni les scrupuleux.
Toutefois, Gzowski et ses associés eurent affaire à forte partie dans leurs relations avec le conseil municipal de Toronto, qui les soupçonna d’abord, les combattit ensuite et, finalement, leur imposa des sanctions. Au début des années 1850, Toronto avait tenté de profiter du boom ferroviaire pour faire converger tous les tracés de chemin de fer vers une installation centrale qui aurait occupé tout le bord de l’eau. Le gouvernement provincial avait cédé quelques lots riverains à la municipalité à la condition qu’elle construise une longue esplanade. La province adopta le 14 juin 1853 une loi qui autorisait l’émission de débentures, Walter Shanly dressa les plans et, en janvier 1854, c’est la C. S. Gzowski and Company qui décrocha le contrat de construction de l’esplanade, même si sa soumission n’était pas la plus basse. Les entrepreneurs garantissaient qu’ils construiraient l’esplanade pour £150 000 et six ponts pour £10 000, et qu’en plus ils useraient de leur influence pour que le Grand Tronc entre dans la ville en longeant l’esplanade.
Les problèmes commencèrent peu après l’adjudication du contrat. Certains des propriétaires des lots riverains privés refusèrent d’engager les dépenses que le projet leur imposait. On commença à se demander si les entrepreneurs ne trahissaient pas les intérêts de la municipalité en sanctionnant des retards dans le prolongement du Toronto and Guelph vers l’ouest. Les soupçons se portèrent alors sur l’ensemble du contrat : peut-être Gzowski et ses associés avaient-ils tenté de déposséder la municipalité de ses précieuses actions du Toronto and Guelph avant l’acquisition de ce chemin de fer par le Grand Tronc ? Peut-être avaient-ils obtenu le contrat de l’esplanade par des moyens condamnables et avaient-ils gonflé leurs prix ? De plus, il flottait une certaine ambiguïté, dont la C. S. Gzowski and Company tenta de tirer parti : les £10 000 prévues pour les ponts étaient-elles incluses ou non dans le prix global du contrat ? Bref, la réputation de la compagnie avait commencé à ternir celle des associés ; ils n’étaient plus dignes de confiance. Les éléments dissidents du conseil municipal devinrent majoritaires en 1855 et, après qu’un comité eut mené une enquête approfondie sur les négociations de l’esplanade, le conseil annula unilatéralement son contrat avec la C. S. Gzowski and Company. Le projet fut suspendu et n’allait jamais être relancé. Gzowski et ses associés, qui n’avaient pas l’habitude d’être la partie lésée, entreprirent une longue campagne pour récupérer leurs frais. Ironiquement, en 1889, la municipalité engagea Gzowski et Shanly, cette fois à titre d’éminents ingénieurs conseils, afin qu’ils trouvent le moyen de surmonter l’échec du projet et de dissiper la confusion qui régnait au sujet de l’emplacement des rails.
L’esplanade fut le seul échec de la C. S. Gzowski and Company, mais cette mauvaise expérience suffit à refroidir les ardeurs de l’équipe. De crainte que leur réputation d’hommes d’affaires ne nuise à leur carrière politique, Galt et Holton firent liquider la compagnie en 1857 et répartir le bénéfice en 1858. Macpherson et Gzowski demeurèrent entrepreneurs sous le nom de Gzowski and Company ; leurs bureaux étaient situés dans le chic Romain Building, à l’angle des rues King et Bay. Ils construisirent quelques embranchements du Grand Tronc dans le sud-ouest de la province et une voie d’évitement qui allait de Port Huron, au Michigan, à Detroit. Peu à peu, ils se lancèrent aussi dans l’immobilier et la promotion industrielle. À la fin des années 1850, avec Theodore et Robert Pomeroy, fabricants de lainages de Pittsfield et amis de Gzowski, ils construisirent les Toronto Rolling Mills sur un terrain de trois acres, près de l’embouchure de la Don. Grâce à un contrat de dix ans (conclu en novembre 1859) en vertu duquel elle repassait au laminoir des rails endommagés du Grand Tronc, la Gzowski and Company ne tarda pas à devenir l’une des entreprises industrielles les plus importantes de la province ; vers 1865, c’est-à-dire dans sa période la plus faste, elle employait plus de 150 hommes. Un tableau peint en 1864 par William Armstrong présente d’ailleurs une vue impressionnante de l’intérieur de ces premiers ateliers. Sous l’influence des frères Pomeroy, Gzowski et Macpherson investirent aussi dans la Toronto Whale Oil Plant, qui fournissait des lubrifiants et des huiles d’éclairage au Grand Tronc. Ils projetèrent de fonder la compagnie Toronto Cotton Mills, qui apparemment ne fut jamais mise en exploitation, mais ils lancèrent une scierie prospère dans le nord de la province. Les deux associés appartenaient au consortium qui acheta en 1864 le plus bel hôtel de Toronto, Rossin House [V. William Cameron Chewett]. Macpherson spéculait énormément dans l’immobilier torontois ; Gzowski beaucoup moins, et surtout afin d’acquérir des propriétés pour son propre usage.
Cette fortune et cette réussite, il fallait qu’elles se voient. En 1855, Gzowski avait commencé à accumuler des terrains rue Bathurst. À la fin des années 1850, il demanda à Frederic William Cumberland* d’y construire une villa à l’italienne et d’y aménager un parc. En 1867, à la suite d’une inspection attentive, l’évaluateur de Toronto décrivit cette somptueuse propriété, appelée The Hall. La maison de deux étages, en brique, était de « toute première » qualité. Flanquée de jardins d’hiver, elle était entourée d’un lot de six acres et quart répondant aux diverses appellations de jardin, pelouses et chasse gardée pour le cerf. Il y avait aussi deux serres dont l’une servait à faire pousser la vigne, des écuries pour cinq chevaux et une vache ainsi qu’un pavillon occupé par un cocher et sa famille. La maisonnée comptait aussi un chien, un valet à demeure et un jardinier ; celui-ci, avec les huit membres de sa famille (et deux porcs), occupait une autre maison de Gzowski, rue High. En 1867, à des fins de taxation, on estima à 10 000 $ le revenu personnel de Gzowski, et son domaine de la rue Bathurst, à 33 282 $.
Dans la splendeur qui caractérisait le milieu de l’époque victorienne, entouré de bric-à-brac, de statues, de plantes en pot, de lourdes draperies et de tableaux, Gzowski présidait la destinée d’une famille qui comprenait sa femme, trois filles et trois fils. Un quatrième fils, né en 1859, était mort peu après. Dans les années 1860, chacune de ses filles épousa un officier de l’armée britannique, ce qui peut indiquer que la famille continuait de caresser des ambitions même si Gzowski n’était plus qu’homme d’affaires. Cependant, le fils aîné devint courtier en valeurs ; le second obtint une commission d’officier dans l’armée britannique ; quant au troisième, il mourut avant d’avoir vraiment entamé une carrière de banquier.
À la fin des années 1860, Gzowski avait réussi à se départir de l’image de flibustier qui lui avait tant nui dans la décennie précédente. L’âge, la richesse, la possession d’un domaine avaient tempéré les ambitions de cet homme à l’allure pleine de dignité, qui arborait des favoris touffus et blancs. Devenus des anglicans convaincus, les Gzowski donnaient des réceptions splendides et faisaient désormais partie de la plus belle société torontoise. Les rôles d’évaluation, qui reconnaissent successivement Gzowski comme ingénieur, entrepreneur et gentleman, reflètent son ascension. Au fil des ans, The Hall et ses terrains spacieux furent le théâtre de nombre de garden-parties parmi les plus mémorables de Toronto.
En 1867, Gzowski songea un moment à réunir ses anciens associés pour construire le chemin de fer transcontinental. Cette année-là, il expliqua à Galt, sur un ton léger et assez incohérent : « Vous serez le chef cherchant d’un regard pénétrant les bonnes occasions et vous vous occuperez de la tactique générale, et Mac[pherson] par contre (désormais libéré de l’obligation de se faire élire) travaill[era] parmi les « altesses » politiques, s’attachant au solide et faisant de temps à autre quelques pressions [...] utiles en faveur du Trio. Votre humble serviteur sera le cheval de derrière et fera le défrichage et le creusage – le principe de la division du travail, [cher à] Holton, fonctionnera admirablement bien. » Galt et Holton déclinèrent l’invitation, trop occupés qu’ils étaient par la vie politique du nouveau pays. Par contre, Macpherson était toujours intéressé. Quelques années plus tard, vint le moment de construire le chemin de fer du Pacifique, et Gzowski fut l’un des principaux associés de l’entreprise qu’il fonda à cette fin – sans succès d’ailleurs : la Compagnie du chemin de fer Interocéanique du Canada.
En 1870, un important défi ramena Gzowski et Macpherson dans le secteur de la construction pour un dernier triomphe : un pont de chemin de fer qui enjamberait le Niagara de Fort Erie à Buffalo. À cet endroit, le fleuve était profond et le courant, puissant ; les variations du niveau de l’eau étaient hautement imprévisibles, tout comme la configuration des glaces qui se formaient à l’extrémité d’un grand lac peu profond ; le fond du fleuve était traître. Tous ces aléas rendaient l’ouvrage extrêmement difficile à réaliser. Des accidents navrants et nombreux jalonnèrent la construction des solides piliers de maçonnerie. Finalement, le 17 octobre 1873, on inaugura le pont de 3 651 pieds. Au cours de la cérémonie, le directeur général du Grand Tronc, Charles John Brydges*, déclara : « Aucun autre homme de ce pays n’aurait pu construire ce pont ni supporter l’anxiété que ces travaux engendrèrent chaque jour et chaque heure durant les quatre dernières années, sauf le colonel Gzowski. »
Que Brydges l’ait appelé « colonel » indique que Gzowski avait recommencé à s’intéresser aux questions militaires. En 1864, la possibilité que les Britanniques rappellent certaines des troupes envoyées en Amérique du Nord après l’incident du Trent, en 1861 [V. sir Charles Hastings Doyle*], poussa Gzowski et un comité de citoyens inquiets à tenir une assemblée de protestations polie mais ferme. Il correspondit même personnellement avec des personnages publics en leur faisant valoir que l’on devait renforcer la garnison et les fortifications de Toronto, et il soumit des plans de son cru pour la défense de Montréal. Les invasions féniennes de 1866 [V. John O’Neill*] le poussèrent à intervenir de nouveau ; on présenta des pétitions qui réclamaient un renforcement de la présence militaire britannique. Il fut trésorier du fonds qui servit à construire, au Queen’s Park de Toronto, le monument commémorant la bataille de Ridgeway.
Plus tard dans les années 1860, Gzowski joua aussi un rôle important dans l’organisation de la Dominion Rifle Association. Cette fédération paramilitaire de miliciens avait pour but de maintenir, dans tout l’Empire britannique, une force armée de civils bien entraînés et prêts à intervenir en cas d’urgence. C’était aussi une association sportive, financée en grande partie par le département de la Milice et de la Défense, qui envoyait un contingent chaque année à un concours impérial de tir à Wimbledon (Londres). Chaque été, pendant un mois, soldats, tireurs d’élite et distingués parrains comme Gzowski se mêlaient, notamment au cours de dîners, à l’aristocratie britannique et à la famille royale. Dans les compétitions nationales, au Canada, les tireurs d’élite de l’association se disputaient la coupe Gzowski. En reconnaissance de sa contribution à la défense du Canada et de son travail à l’association de tir, et afin de « lui donner une position militaire parmi ceux qu’il rencontr[ait] dans ces associations », le gouverneur général lord Dufferin [Blackwood*] fit nommer Gzowski lieutenant-colonel de la milice en avril 1873.
Tout en gravissant les échelons de la société, Gzowski résistait fermement aux attraits de la politique. Contrairement à ses anciens associés, qui avaient tous tenté leur chance avec un succès varié, et même contrairement à certains de ses anciens collègues ingénieurs, tels Walter et Francis* Shanly, Gzowski se tenait résolument en marge. En 1867, John Alexander Macdonald lui offrit la circonscription de Toronto West, qu’il déclina. « Je sais que vous serez d’accord avec moi, écrivit-il à Galt pour expliquer son refus, la vraie place du cheval de derrière est à l’extérieur de l’écurie politique. »
La situation était tout de même délicate ; il était impossible de renoncer entièrement à la politique, car elle était la source de tous les honneurs officiels. Et, à mesure que Gzowski vieillissait, il en réclamait. Il ne pouvait non plus échapper complètement aux obligations politiques. En 1870, Macdonald l’enrôla, presque malgré lui, dans une commission royale sur les canaux parce qu’il le savait capable de tact et de discrétion. En 1872, Gzowski aida de nouveau Macdonald, cette fois en constituant un fonds de 66 576 $, dont il devint aussi l’un des fiduciaires, et qui était destiné à offrir au premier ministre un revenu régulier et digne de sa position. Féroce partisan, en privé, des conservateurs, il versa des sommes substantielles à Macdonald en 1878 pour sa lutte électorale contre ceux qu’il appelait les « philistins ». En public, toutefois, il était au-dessus de la politique. Il servit aussi quand le gouvernement libéral d’Oliver Mowat*, en Ontario, lui offrit une fonction prestigieuse comme la présidence de la Niagara Falls Park Commission, qu’il exerça de 1885 à 1893. Pendant une brève période, en 1896–1897, il fut administrateur de la province, alors sans lieutenant-gouverneur.
Finalement, les honneurs vinrent. Ayant reçu plusieurs gouverneurs généraux dans son domaine torontois et ayant assumé, à titre privé, la responsabilité du bien-être du premier ministre, Gzowski apprit avec émotion en 1879, après le retour de Macdonald au pouvoir, sa nomimation à titre d’aide de camp honoraire de la reine Victoria. Cette sinécure lui donnait le privilège de porter un uniforme de cour impressionnant et d’assister à une réception annuelle au château de Windsor. De même, elle exigeait qu’il soit promu au grade de colonel, ce qui fut fait en 1882, car il fallait qu’il puisse rendre « à Sa Majesté les honneurs qui lui [étaient] dus ». En 1890, sur la recommandation de Mowat et de Macdonald, on le fit chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges. Ainsi, à l’âge de 77 ans, il était de nouveau chevalier, au service d’un autre empire.
Ce gentleman digne et fortuné, au passé romanesque, propriétaire d’un grand domaine urbain, qui avait d’excellentes relations politiques, des associés militaires et des amis aristocrates, était très souvent pressenti pour parrainer de bonnes causes. C’était un ardent promoteur d’une fédération impériale et un fervent protecteur des arts et de la musique. Avec d’autres laïques en vue, dont les Blake, il participa en 1877 à la fondation d’un collège de théologie de la Basse Église, la Protestant Episcopal Divinity School, qui deviendra plus tard le Wycliffe College [V. James Paterson Sheraton*]. De 1873 à 1893, il fit partie du « sénat » de la University of Toronto et, en 1881, le bureau de l’adjudant général le nomma au conseil des visiteurs pour qu’il révise les activités du Royal Military College of Canada [V. Edward Osborne Hewett].
Dans les dernières années de sa vie, cet homme imposant, à la fois soldat, ingénieur, homme d’affaires et gentleman, exerça des fonctions symboliques. En 1887, les praticiens du génie civil se regroupèrent au sein de la Société canadienne des ingénieurs civils afin d’améliorer leur statut professionnel, et Gzowski, qu’ils considéraient comme leur « véritable héros », leur accorda son appui et présida l’organisme de 1889 à 1892. La médaille Gzowski devint la plus prestigieuse décoration décernée par cette nouvelle société. Il appartenait aussi à l’American Society of Civil Engineers et à la British Institution of Civil Engineers. Sa formation, son expérience et sa réputation internationale en faisaient une figure de proue quasi idéale. Il avait construit des ouvrages d’envergure et avait fait fortune, ce à quoi tous les ingénieurs aspiraient. Le symbolisme n’était cependant pas absolument parfait : Gzowski était avant tout entrepreneur, et l’entrepreneur est souvent l’adversaire de l’ingénieur. Toutefois, avec les années, ce détail perdait de l’importance. En un sens, cet homme qui avait eu une formation de soldat et que l’on avait exilé dans des circonstances romanesques était un symbole frappant des aspirations militaires canadiennes. Il était cependant plus ingénieur militaire que soldat, et il s’était distingué au combat seulement à titre de rebelle. Néanmoins, droit comme un i dans son uniforme écarlate, il correspondait parfaitement à l’image du vieux soldat et, si l’on tient compte de son assiduité indéfectible aux parades de la garnison et des prix remis en son nom, il est évident que la vie militaire demeura importante pour lui jusqu’à ses derniers jours. Dans les années 1930, donc bien longtemps après sa mort, les Canadiens d’origine polonaise le considéraient comme l’un des leurs qui s’était acquis l’acceptation complète qu’eux-mêmes recherchaient. Il incarnait l’idéal de la résistance, de la force morale et de la réussite polonaises. Pourtant, sir Casimir ne s’intéressait guère à son pays natal et, à mesure qu’il vieillissait, il n’entretenait que des relations sporadiques avec les survivants de sa famille. À la vérité, il s’identifiait entièrement à son nouveau pays et à l’Empire britannique. Un éventail inhabituel d’ingénieurs, de militaristes et d’associations patriotiques polonaises revendiquaient donc tous sir Casimir comme l’un des leurs.
Sir Casimir Stanislaus Gzowski mourut le 24 août 1898 après trois mois de maladie. C’est peut-être le Toronto World qui lui rendit l’hommage le plus poétique : « Hier matin, au moment même où le terrible orage prenait fin et où le soleil matinal pointait à l’horizon oriental, l’esprit de l’un des plus illustres citoyens de Toronto a pris son envol. » Sous des titres pleins d’émotion, les journaux racontèrent l’histoire de son existence fascinante. Rétrospectivement, sir Casimir apparaissait surtout comme un exilé romantique qui avait appris son métier aux États-Unis mais qui s’était voué à l’édification du Canada et à la défense de l’Empire, de sorte qu’il avait bien mérité richesse et honneurs. À titre de personnage public, on l’aimait beaucoup aussi. Le Globe disait : « Avec la mort [de Gzowski], Toronto perd un homme qui, pendant près de soixante ans, a occupé une place de tout premier plan dans la vie sociale et industrielle de la collectivité. Homme d’allure impressionnante et [d’un] maintien plein de dignité, c’était un personnage familier aux habitants de la ville et quelqu’un qui ne passait jamais inaperçu. Ceux qui le fréquentaient le chérissaient à un degré exceptionnel pour son extrême amabilité, le charme de ses manières, sa vaste culture et sa généreuse hospitalité. »
L’exilé avait trouvé une patrie ; le soldat devint chevalier ; l’ingénieur mourut gentleman.
Les publications de sir Casimir Stanislaus Gzowski comprennent : Description of the International Bridge, constructed over the Niagara River near Fort Erie, Canada, and Buffalo, U.S. of America (Toronto, 1873), et un certain nombre de rapports, dont Report of C. S. Gzowski, esq., appointed to examine and report upon the mines of the Upper Canada Mining Company on Lake Huron (Hamilton, Ontario, 1848 ; copie aux AO, Pamphlet Coll., 1848, no 5) ; ses rapports pour la Desjardins Canal Company sous le titre de Detailed accounts and general abstract of the affairs of the Desjardins Canal Company, from 1831, to 1848 [...] (Dundas, Ontario, 1849 ; copie aux AO, Pamphlet Coll., 1849, no 11) ; pour la Saint Lawrence and Atlantic Railroad Company dans Meeting of the board of directors, 24 March 1852 [...] (Montréal, 1852) ; dans Canada., Dép. des Travaux publics, Welland Canal enlargement [...] (Ottawa, 1873) ; et dans Report on the accommodation for railways on the water front of the city of Toronto and the location of the Canadian Pacific freight yards, rédigé en collaboration avec Walter Shanly (Toronto, [1889]). À la suite de l’annulation du contrat de l’esplanade, il a publié une réfutation, The esplanade contract : letter from C. S. Gzowski & Co., to the citizens of Toronto ([Toronto, 1855]).
AN, MG 24, B40, Holton à Brown, 9 déc. 1860 (mfm aux AO) ; E9 ; E14 ; MG 26, A : 50555–50566, 50597–50606, 50642–50656, 156775–156776, 158487–158489, 160720, 162979–162980, 242340 ; MG 27, I, D8, Holton à Galt, 15, 18 févr., 10 avril 1853 ; Gzowski à Galt, 15 avril 1854, 2 juin 1867 ; MG 31, H67 ; RG 9, II, A1 ; RG 11, A1 ; A1B. — AO, MS 74, package 14, lettre d’introduction, P. S. V. Hancock à Merritt, 1er oct. 1841 ; Gzowski à Merritt, 6 oct. 1841 ; MU 1188–1192 ; MU 2194 ; MU 2690–2701. — Baker Library, R. G. Dun & Co. credit ledger, Canada, 26 : 252, 297 (mfm aux AN). — UTA, A73-0026/132 (16–17). — UWOL, Regional Coll., William Clambers papers, reports to C. S. Gzowski regarding West York Road and Dundas Street, 1846–48. — York County Surrogate Court (Toronto), no 12899. — Canada, prov. du, Assemblée législative, App. des journaux, 1852–1853, app. XX ; Commission appointed to inquire into the affairs of the Grand Trunk Railway, Report (Québec, 1861) ; Special committee on the condition, management and prospects of the Grand Trunk Railway Company, Report (Toronto, 1857) ; Special committee on the subject of the proposed railroad from Toronto to Guelph, Report (Toronto, 1851) ; Parl., Doc. de la session, 1861, no 11. — Canadian Soc. of Civil Engineers, Trans. (Montréal), 3 (1889)–8 (1894). — Daylight through the mountain : letters and labours of civil engineers Walter and Francis Shanly, F. N. Walker, édit. ([Montréal], 1957). — Samuel Keefer, Report on Baie Verte Canal, 18 February, 1873 ; with Mr. Gzowski’s approval prefixed (Montréal, 1873). — Montreal and Kingston Railway Company, Montreal and Kingston Railroad Company ([Montréal, 1852]). — Walter Shanly, Report on the preliminary surveys of the Toronto & Guelph Railway (Toronto, 1852). — Toronto and Guelph Railway Company, Board of directors, Annual report (Toronto), 1853. — Upper Canada Mining Company, Report of the proc. (Hamilton), 1847. — Evening News (Toronto), 24 août 1898. — Evening Telegram (Toronto), 24 août 1898. — Globe, 25 août 1898. — Toronto Evening Star, 24 août 1898. — Toronto World, 25 août 1898. — A. W. Currie, The Grand Trunk Railway of Canada (Toronto, 1957). — G. C. D. Jones, « Sir Casimir Gzowski in the Toronto city assessment rolls, 1854–1875 » (note de recherche, Toronto, [1986]) ; « Sir Casimir Gzowski, the Toronto Esplanade, and the Toronto and Guelph Railway, 1840–1855 » (note de recherche, Toronto, [1986]). — H. C. Klassen, « L. H. Holton : Montreal business man and politician, 1817–1867 » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1970), 135–145. — Ludwik Kos-Rabcewicz-Zubkowski et W. E. Greening, Sir Casimir Stanislaus Gzowski : a biography (Toronto, 1959). — J. J. Lerski, « The United States and the Polish exiles of 1831 » (thèse de ph.d., Georgetown Univ., Washington, 1953). — R. S. Longley, Sir Francis Hincks : a study of Canadian politics, railways, and finance in the nineteenth century (Toronto, 1943). — J. R. Millard, The master spirit of the age : Canadian engineers and the politics of professionalism, 1887–1922 (Toronto, 1988). — Skelton, Life and times of Galt (MacLean ; 1966). — G. R. Stevens, Canadian National Railways (2 vol., Toronto et Vancouver, 1960–1962). — Tulchinsky, River barons. — Paul Craven et Tom Traves, « Canadian railways as manufacturers, 1850–1880 », SHC Communications hist., 1983 : 254–281.
Henry Vivian Nelles, « GZOWSKI, sir CASIMIR STANISLAUS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gzowski_casimir_stanislaus_12F.html.
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Auteur de l'article: | Henry Vivian Nelles |
Titre de l'article: | GZOWSKI, sir CASIMIR STANISLAUS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |