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HAGERMAN, CHRISTOPHER ALEXANDER, officier de milice, avocat, fonctionnaire, homme politique et juge, né le 28 mars 1792 dans le canton d’Adolphustown, Haut-Canada, fils de Nicholas Hagerman et d’Anne Fisher ; le 26 mars 1817, il épousa à Kingston Elizabeth Macaulay, fille de James Macaulay*, et ils eurent trois filles et un fils, puis le 17 avril 1834, à Londres, Elizabeth Emily Merry, et de ce mariage naquit une fille, et enfin, en 1846, Caroline Tysen, avec qui il n’eut pas d’enfants ; décédé le 14 mai 1847 à Toronto.
Parmi tous les personnages de l’histoire politique parfois tumultueuse du Haut-Canada, il en est peu qui aient inspiré autant d’hostilité que Christopher Alexander Hagerman. De tous les hommes auxquels les historiens l’ont communément associé, il fut le plus opiniâtre défenseur de l’alliance entre l’Église et l’État. Il manifesta, par tempérament plus que par dessein, une agressivité que l’on ne trouvait pas chez un John Macaulay* et qui, chez un John Beverley Robinson*, était moins patente. Selon Charles Lindsey*, biographe de William Lyon Mackenzie*, Hagerman avait « tendance à pousser l’abus de privilège aussi loin que le souverain le plus despotique avait jamais poussé l’abus de prérogative ». Charles Morrison Durand, avocat de Hamilton qu’il poursuivit en justice après la rébellion de 1837, le qualifiait de « sinistre vieux bouledogue ». Si Macaulay fut le garçon de service des gouvernements qui se succédèrent dans le Haut-Canada depuis sir Peregrine Maitland* jusqu’à sir George Arthur*, Hagerman en fut le fier-à-bras.
Contrairement à des contemporains, tels Robinson, John Macaulay, Archibald McLean* et Jonas Jones, qui obtinrent sans peine des postes clés, Hagerman accéda au pouvoir par la bande. Il lui manquait ce que Robinson appelait du « crédit », c’est-à-dire un protecteur. Non pas qu’il ait été dépourvu d’atouts ; simplement, il en avait moins que les autres. Il venait d’une respectable famille loyaliste. Nicholas Hagerman, New-Yorkais d’ascendance hollandaise, avait « vite pris fait et cause pour le gouvernement britannique » au moment de la Révolution américaine. Il avait immigré à Québec en 1783 puis s’était fixé, l’année suivante, sur le territoire qui allait devenir le canton d’Adolphustown, dans la baie de Quinte. À titre de capitaine de milice et de juge de paix, il s’était taillé une certaine réputation dans son milieu. En 1797 – événement plus marquant dans sa carrière –, il devenait l’un des premiers barristers du Haut-Canada.
Les Hagerman formaient une famille unie, et le jeune Christopher éprouvait une affection particulière pour son frère Daniel et sa sœur Maria. C’est son père, semble-t-il, qui lui instilla sa conscience aiguë de l’héritage loyaliste et sa fidélité absolue à l’Église anglicane. On peut prêter une valeur symbolique au fait que c’est John Langhorn*, l’un des plus farouches défenseurs de l’Église, qui l’avait baptisé. Un ami d’enfance, J. Neilson, raconta en 1873 à Egerton Ryerson* que Christopher n’avait « pas [fait...] beaucoup d’études dans sa jeunesse » ; comme l’historien Sydney Francis Wise l’a démontré, il ne fut jamais l’élève de John Strachan*. En 1807, il commença son apprentissage au cabinet d’avocat de son père, à Kingston. Le droit était alors l’un des plus sûrs moyens de gravir les échelons et d’accéder à une vie confortable. Son admission au barreau allait avoir lieu au trimestre de janvier 1815.
Hagerman avait une personnalité singulière. En novembre 1810, Robinson, d’York (Toronto), écrivit à John Macaulay, à Kingston : « Depuis deux ou trois semaines, un jeune homme éclairé du nom de Christopher Hagerman nous gratifie de sa présence [;] la modestie ne l’étouffe pas – et l’on peut avancer que jamais il ne se gênera d’étaler ses talents naturels ou ses connaissances pour en tirer le meilleur parti possible. Tout compte fait cependant, il a bon cœur et ne manque pas de qualités [;] bref, il n’est pas aussi fou que les gens le croient. » Comme Robinson l’avait constaté, Hagerman était bravache et suffisant ; ces traits, discernables dans sa jeunesse, n’allaient pas s’estomper avec l’âge.
Hagerman ne dut pas son ascension sociale à des gens en place, mais à ces militaires qui firent un bref séjour dans la province, pendant les années de guerre, et qui se souciaient peu des coteries locales. Dès le début de la guerre de 1812, il s’enrôla comme officier dans la compagnie de milice de son père. Comme il le noterait en 1833, il eut « la bonne fortune d’attirer l’attention et d’obtenir la protection » du gouverneur sir George Prevost*, qui séjourna à Kingston de mai à septembre 1813. C’est au cours de cette période qu’il commença à se faire connaître dans sa région et dans toute la province. En août 1813, il livra des dépêches pour le major général Francis de Rottenburg*, commandant des troupes du Haut-Canada. En novembre suivant, à la bataille de Crysler’s Farm, il se distingua comme aide de camp du lieutenant-colonel Joseph Wanton Morrison*. En décembre, il devint aide de camp provincial du lieutenant général Gordon Drummond*, successeur de Rottenburg, en même temps qu’il obtenait le grade de lieutenant-colonel. C’était là une ascension plutôt remarquable.
La chance allait continuer de sourire à Hagerman. Le poste de receveur des douanes à Kingston, vacant depuis la mort de Joseph Forsyth* en septembre 1813, lui revint le 27 mars 1814. En mai, au moment de l’attaque d’Oswego, dans l’État de New York, il était aux côtés de Drummond, qui nota dans sa dépêche avoir reçu de lui « un secours de tous les instants ». Présent au siège du fort Erie en septembre, il livra de nouveau des dépêches le mois suivant. Le successeur de Drummond, sir Frederick Philipse Robinson, frappé lui aussi par la compétence de son jeune subalterne, le nomma, le 5 septembre 1815, « conseiller de Sa Majesté dans et pour la province du Haut-Canada ». Hagerman était donc parvenu à s’introduire au sein de la bonne société haut-canadienne, mais dans le contexte particulier de la guerre. Lorsque les choses revinrent à la normale, au retour du lieutenant-gouverneur Francis Gore*, absent depuis 1811, sa nomination de conseiller du roi se trouva menacée. Gore s’était enquis à ce sujet – en fait, il se demandait probablement qui était Hagerman – et avait consulté les juges de la Cour du banc du roi. Le 4 novembre 1815, le juge en chef Thomas Scott* rendit compte de leur décision unanime : « étant donné les circonstances dans lesquelles la nomination projetée a eu lieu [...] il n’est pas indiqué, pour l’instant, de lui donner effet ».
À la fin de la guerre, Hagerman reprit la pratique du droit à Kingston. Son ami d’enfance Neilson, le voyant plaider, nota son « grand pouvoir de persuasion », qui allait le mettre en évidence dans sa profession. Cependant, Hagerman découvrit que la fonction de receveur des douanes l’absorbait plus qu’il ne l’avait prévu. Il avait dû louer une maison pour y loger un bureau, « dépense fort disproportionnée avec l’allocation et les honoraires attachés [au poste] ». En 1816, il demanda donc au Conseil exécutif de lui concéder à Kingston un lot vacant où il pourrait construire une maison comportant un bureau. Il reçut un cinquième d’acre. Il possédait déjà des terres : en 1814, il avait obtenu en concession 1 000 acres, qu’il avait choisies dans le canton de Marmora, et 200 autres acres à titre de fils de loyaliste. Comme il seyait à une étoile montante du barreau, il se plongea dans nombre d’activités communautaires. Les « aimables qualités » que lui prêtait Neilson faisaient certes de lui un participant efficace. En 1821, il avait notamment versé des dons ou des souscriptions à la Midland District School Society, à la Kingston Auxiliary Bible and Common Prayer Book Society, à la Kingston Compassionate Society, à l’école Lancastrian, à l’Union Sunday School Society, à la National School Society, à la Society for Bettering the Condition of the Poor in the Midland District et à la Society for Promoting Christian Knowledge. Il fut actionnaire de l’hôpital de Kingston, commissaire de la Midland District Grammar School, trésorier de la Midland Agricultural Society et vice-président de la Frontenac Agricultural Society.
Dans le Haut-Canada, pour faire partie du meilleur monde, on ne pouvait guère se passer d’un mariage respectable. En 1817, Hagerman épousa Elizabeth Macaulay, dont il connaissait bien le frère George. C’était un choix judicieux : le père d’Elizabeth avait de bonnes relations, tant à York qu’à Kingston ; son frère James Buchanan* allait devenir conseiller exécutif en 1825. Hagerman lui-même était un bon parti, promis à un bel avenir. Son attrait pour les femmes, comme la grâce de ses manières, l’aidait sans doute dans ses entreprises romanesques ; en outre, il était grand, vigoureux et beau. (Plus tard, il subit « un accident au nez » qui donna à son visage une allure bizarre », mais cette « difformité faciale », faisait observer John Ross Robertson*, ne fut pas pour lui « un obstacle au succès en amour ».) On connaît peu de détails sur sa vie privée, car il n’existe aucun papier de famille. Les quelques impressions que l’on peut recueillir ça et là suggèrent cependant qu’il avait autant de cordialité en privé qu’en public. Apparemment, il était un père affectueux et un mari aimant. Sa fille aînée naquit en 1820 ; un an plus tard, dans une lettre à un ami, il ajouta ces mots badins à un post-scriptum : « Notre gamine se porte comme à l’habitude. » Il trouva amusant qu’au cours d’un procès en 1826, le juge en chef William Campbell* dise que « les hommes, en tant que maîtres de la création, [avaient] le droit d’infliger une gentille petite correction à [leurs] dames rebelles ». La même année, un bref mais « grave accès de maladie » subi par sa femme le jeta dans le tourment.
Hagerman entra sur la scène politique peu après son mariage. En 1828, il allait déclarer avoir été mû avant tout par « l’impatience [...] de promouvoir en toute occasion les plus hauts intérêts de la province en soutenant les positions et mesures du gouvernement », lesquelles s’inspiraient, il en était convaincu, du plus grand désintéressement et du plus ardent patriotisme. Dès le début, cette impatience prit un tour belliqueux. En juin 1818, il joua un rôle modeste dans la préparation de l’accusation d’écrit séditieux qui fut portée contre l’agitateur écossais Robert Gourlay*. Plus tard le même mois, dans les rues de Kingston, il affronta Gourlay en brandissant un fouet, qu’il utilisa avec grand effet contre son adversaire désarmé. Cet incident, à la suite duquel il fut arrêté puis relâché, révéla clairement sa position politique aux Kingstoniens. Désormais bien connu dans la ville, il accéda, aux élections du 26 et du 27 juin 1820, au siège de député de la circonscription de Kingston. Il recueillit 119 voix, contre 94 pour son concurrent, George Herchmer Markland*, élève de Strachan, ami de Robinson et John Macaulay et fils de l’éminent Kingstonien Thomas Markland.
Au début de la huitième législature (1821–1824), les gens de l’extérieur de Kingston se méprenaient sur les convictions de Hagerman. En février 1821, Robinson, à York, avoua avec surprise à Macaulay qu’il s’était « lourdement trompé » sur lui : « Ce n’est pas du tout un démocrate. Au contraire, sa conduite est virile, correcte, raisonnable, et révèle toujours cette très rare indépendance qui l’amène à défendre une position juste même si elle peut sembler impopulaire. Ses discours lui donnent un grand crédit. » Une telle méprise de la part de Robinson, qui connaissait Hagerman depuis 1810, avait travaillé avec lui (quoique pendant peu de temps) durant la guerre et avait collaboré avec lui à la mise en accusation de Gourlay, indique peut-être que le paysage politique n’était pas bien net. Après tout, au cours de la même législature, Mackenzie prit d’abord Jonas Jones pour un membre de l’opposition. Mais, quelle qu’en ait été la nature, l’erreur de Robinson se dissipa vite. Dès la mi-février, Hagerman et Robinson collaboraient et prenaient ensemble l’initiative de certaines mesures gouvernementales. À la fin de la session, ce dernier envoyait ces mots enthousiastes à John Macaulay : « Notre ami Hagerman est un homme en or, dépourvu de préjugés, et qui penche toujours du bon côté [...] Nous ne pouvons guère nous passer de ses talents et de ses connaissances. »
Hagerman était un « non-libéral », pour reprendre le qualificatif que Robinson emploierait en 1828 pour se définir lui-même (le mot « conservateur » ne faisait pas encore partie du vocabulaire politique du Haut-Canada). Il était aussi, selon une autre expression de Robinson, « partisan de l’alliance entre l’Église et l’État ». En 1821, il se rangea aux côtés de William Warren Baldwin, qui défendait l’aristocratie et la règle de primogéniture contre un projet de loi sur les successions des intestats qui était parrainé par Barnabas Bidwell* et David McGregor Rogers*. Selon Hagerman, accorder son suffrage à ce projet équivalait à « renoncer à tout ce qui [était] vénérable, noble et honorable ». « La démocratie, poursuivait-il, s’enroule peu à peu autour de nous, comme un serpent, il faut l’écraser à la première occasion, car si le projet est adopté, il ne restera plus que l’ombre de la Constitution britannique. » À ses yeux, la monarchie et la prérogative de l’exécutif étaient l’essence même de la constitution. Toujours en 1821, il s’opposa à un projet de loi conçu pour annuler la liste civile : « le gouvernement exécutif, disait-il, doit avoir à sa disposition un fonds de cette sorte ; tous les gouvernements en ont un, sauf ceux qui sont purement démocratiques. [...] La monarchie doit être soutenue, et le moindre empiétement menace toute la structure. » Il fut aussi l’un des principaux participants au débat sur le droit, pour Barnabas et Marshall Spring* Bidwell, de siéger à l’Assemblée, débat qui allait s’élargir pour englober la question fort controversée des non-naturalisés.
Sur un autre plan, Hagerman se révéla un bon député, qui conçut et proposa plusieurs mesures d’intérêt local. Son principal rôle sous ce rapport fut de seconder John Macaulay, qui dirigea les forces pro-unionistes de Kingston lorsqu’il fut question en 1822 d’une union avec le Bas-Canada. La dislocation de l’ancienne province de Québec, en 1791, avait eu, soutenait-il, la conséquence « tout à fait anormale de désunir [...] des sujets du même vaste et glorieux empire, dont les intérêts [étaient] inséparables par nature et dont la force comme le progrès repos[aient] entièrement et uniquement sur l’union conférée par la conformité de leurs coutumes et de leurs sentiments, et sur une juste compréhension de leur intérêt commun ». Macaulay faisait valoir les avantages économiques et financiers de l’union ; Hagerman était d’accord avec lui sur ces points mais se concentrait sur les questions politiques et constitutionnelles, qui formaient le gros des préoccupations des anti-unionistes comme Baldwin. Ardent défenseur de l’Acte constitutionnel de 1791, auquel le Haut-Canada devait sa constitution, Hagerman tenait autant que Baldwin à ce qu’aucun des aspects essentiels de ce document ne soit mis en danger. Pour lui, l’union était un moyen de vaincre par le nombre, et relativement tôt, les opposants bas-canadiens qui, en plaçant les pouvoirs de l’Assemblée au-dessus de ceux du Conseil législatif, menaçaient de rompre « cet équilibre entre la monarchie absolue et la démocratie, qui distinguait si admirablement la Constitution britannique ». Ce qui arrivait dans le Bas-Canada, maintenait-il, aurait tôt ou tard des répercussions dans le Haut-Canada. Pour ne pas risquer de « perdre la constitution sous laquelle ils viv[aient] », les Haut-Canadiens devaient donc cesser d’être des « observateurs indifférents ». Bien que Hagerman ait été populaire auprès des marchands kingstoniens, son appui à l’union ne suffit pas à assurer sa réélection en 1824.
Hagerman sortit en effet perdant d’une lutte à deux (un troisième candidat, Thomas Dalton, brasseur et banquier de la région, s’était retiré), avec seulement 11 voix de moins que son adversaire. Dalton s’attribua le mérite de cette victoire, mais les choses ne sont pas aussi simples. Comme Sydney Francis Wise l’a avancé, Hagerman perdit peut-être des plumes à cause de ses commentaires peu judicieux à l’occasion de la querelle sur la « prétendue » Bank of Upper Canada de Kingston. Il avait fait partie du premier groupe d’administrateurs et d’actionnaires, comme Dalton ; lorsque la banque s’effondra, en 1822, il en était le conseiller juridique, et peu après, à titre de président du conseil d’administration, il en supervisa la dissolution. En mars 1823, le Parlement déclara la banque illégale, imposa aux administrateurs la responsabilité des dettes et forma, pour s’occuper des affaires de l’établissement, une commission composée de John Macaulay, George Markland et John Kirby. Le rapport des commissaires, déposé l’année suivante, n’était pas favorable aux administrateurs de la banque. Hagerman l’attaqua et défendit le conseil d’administration, à l’exception de Dalton. Celui-ci réagit par une réplique pleine de venin dans laquelle il disait que Hagerman ne critiquait les commissaires que pour la forme et qu’en réalité il complotait avec eux en vue de détruire sa réputation. Étant donné que, dès janvier 1823, des « témoignages et insinuations » avaient laissé entendre que Hagerman n’avait pas défendu au mieux les intérêts de la banque pendant son passage à la présidence, il est possible que les victimes de la faillite aient pris le mors aux dents en lisant, dans la réplique de Dalton, qu’il était lié aux agents de l’élite yorkaise, et que cela ait contribué à sa défaite électorale.
L’outrecuidance de Hagerman, visible dans tous les aspects de sa carrière, contribua peut-être aussi à la défaite. Au cours d’une réunion mondaine à York le 30 décembre 1823, tenue en présence du lieutenant-gouverneur Maitland, du juge en chef William Dummer Powell* et du juge William Campbell, Hagerman insinua (comme Campbell le rapporta au secrétaire de Maitland, le major George Hillier) : « [les juges ont] l’habitude de statuer indépendamment des lois que nous avons le mandat d’administrer ». Campbell, ennuyé, se vit placé devant l’alternative de passer l’incident « sous silence [en n’y voyant] qu’une manifestation de rudesse et de malséance indigne d’une attention sérieuse, ou de prendre les mesures qu’[il] estimai[t] le plus aptes à défendre [sa] réputation de juge et à signaler à juste titre une insulte personnelle ». Au début de cette année-là, Hillier avait été « fort ébranlé » d’apprendre que Hagerman avait commis une « inconvenance flagrante » envers Robert Barrie, commissaire du chantier naval de Kingston. Strachan rapporta à Macaulay les « nombreuses rumeurs » qui circulaient au sujet de cette affaire et de la « récente prise de becs » de Hagerman et de Thomas Markland. Ce n’était pas tout. Strachan avait entendu dire que Hagerman souhaitait devenir le conseiller juridique des commissaires qui faisaient enquête sur la banque dont il était déjà conseiller juridique – « grossièreté, soupira-t-il, que je n’aurais pas crue concevable ».
Si Hagerman se gênait peu pour offenser les hommes de son propre rang, il pouvait se montrer carrément insupportable envers les autres. En qualité de receveur, il appliquait rigoureusement les règlements douaniers. En 1821, par exemple, il avait fait irruption dans l’île Carleton, État de New York, pour saisir un dépôt de thé et de tabac tenu par Anthony Manahan, qui n’était à ses yeux qu’un contrebandier et un « marchand yankee ». Il laissa même entendre à Hillier qu’il devrait avoir droit, à l’occasion, à une aide militaire. Au début de juillet 1824, un étudiant de son cabinet d’avocat, venu l’assister dans ses fonctions de receveur, fit feu accidentellement sur un dénommé Elijah Lyons. Deux mois plus tard, 31 Kingstoniens se plaignirent à Maitland des « procédés et [de la] conduite » de Hagerman. Mis « entre les mains d’une personne passionnée, vindicative, ambitieuse ou portée à la spéculation », déclaraient les pétitionnaires, les énormes pouvoirs d’un receveur des douanes devenaient « dangereux pour les droits et les biens des individus, la bonne marche des affaires et la paix publique ».
Temporairement écarté de la scène politique, Hagerman retourna à la pratique du droit et à ses diverses autres occupations. Il vendit, acheta et loua des propriétés dans tout le district de Midland et à l’extérieur. Il servit de représentant à plusieurs propriétaires et acquit quelques lots en commun avec d’autres personnes. Il fut vice-président de la Kingston Savings Bank en 1822 et membre du conseil d’administration de la Cataraqui Bridge Company quatre ans plus tard. La faillite de la « prétendue » Bank of Upper Canada lui avait coûté cher : £1 200 plus des imprévus, selon sa propre estimation ; en 1825, il devait « épargner ». En octobre de la même année, il refusa un siège de juge à la Cour de district, pour la raison suivante : « Je ne puis me permettre d’abandonner une quelconque partie de ma pratique à la Cour du banc du roi, car j’ai des motifs de penser qu’elle pâtirait réellement si je cessais d’accepter des procès au tribunal inférieur. » Cependant, il était disposé à siéger dans un autre district ; le 14 juin 1826, Hillier l’informa de sa nomination dans celui de Johnstown.
Hagerman était un avocat habile qui, avec Bartholomew Crannell Beardsley*, avait défendu John Norton* contre une accusation de meurtre en 1823. Il acquit encore plus de notoriété en représentant, à l’automne de 1826, les jeunes dandys qui avaient détruit la presse et l’atelier d’imprimerie de Mackenzie. Dans les années 1820, son cabinet s’avérait « lucratif », mais Hagerman était de plus en plus las de s’en occuper, et la vie urbaine ne lui plaisait guère. En 1827, il acheta une propriété à la campagne et s’installa avec sa famille dans une « petite mais confortable villa de pierre » en attendant l’achèvement d’une « résidence plus spacieuse ». Il n’avait « nulle intention » de retourner à Kingston : « Je mène depuis assez longtemps un train de vie certes agréable selon mon goût à moi, mais qu’il n’est pas prudent que je continue, eu égard aux besoins de mes petits. »
Cette année-là, Hagerman recherchait une promotion. Il voulait, disait-il à Hillier, « de l’avancement dans [sa] profession », et « dans aucun autre domaine ». Il escomptait ne pas être déçu si une occasion se présentait « sous le gouvernement en place ». Au début de l’année suivante, tandis que Campbell essayait, en Angleterre, d’obtenir une pension de retraite, et que le juge D’Arcy Boulton*, dont la santé déclinait, arrivait à la fin de sa carrière, Hagerman adressa une requête à Maitland dans l’espoir d’accéder à la Cour du banc du roi. À l’époque, l’administration de la justice suscitait une vive controverse [V. William Warren Baldwin], qui remontait à janvier 1828, lorsque William s’était plaint à l’Assemblée du traitement arbitraire que lui infligeait Maitland. La destitution du juge John Walpole Willis*, en juin 1828, envenima le climat politique ; le même mois, la nomination imprévue de Hagerman à sa succession dut empirer les choses. Hagerman était beaucoup trop identifié au gouvernement Maitland pour que sa nomination redonne à celui-ci une quelconque part de la confiance qu’il avait perdue à cause de son attitude devant notamment la réforme politique, les réserves du clergé, l’administration de la justice et la question des non-naturalisés. La nomination de Hagerman eut cependant un avantage pour l’opposition : il ne put se présenter aux élections générales tenues cet été-là.
En août 1828, après avoir eu le temps nécessaire pour régler ses affaires à Kingston et s’installer à York afin d’occuper son poste (sa nomination n’avait pas encore été ratifiée), Hagerman partit en tournée. De Brockville, il écrivit à Hillier : « Jusqu’à maintenant, je n’ai rien eu de bien désagréable à faire, aucun événement digne de mention n’est survenu. » Mais ce calme allait s’évanouir dès le 5 septembre, lorsque Hagerman présida à Hamilton le procès de Michael Vincent, accusé du meurtre de sa femme. Au mépris de la tradition qui voulait que le juge joue, auprès de l’accusé, le rôle de conseiller juridique, et non de procureur de la couronne, il déclara au jury que « la personne décédée avait été assassinée par le prisonnier ; et il n’eut aucun mal à dire que tel était son opinion ». Malgré les objections de l’avocat de la défense, John Rolph*, le jury alla délibérer et déclara Vincent coupable. Hagerman le condamna à la peine capitale et à la dissection ; trois jours plus tard, Vincent fut pendu d’une manière grossièrement expéditive. Le rédacteur en chef du Niagara Herald, Bartemas Ferguson*, trouva l’allocution de Hagerman « singulière » et se demanda si elle avait inspiré « un parti pris indu au jury ». Francis Collins*, du Canadian Freeman, vit dans son geste un écart extraordinaire, une irrégularité de plus dans l’administration de la justice. Selon lui, Hagerman était un incompétent qui n’avait droit à un poste de juge qu’en raison de sa flagornerie. Cette opinion n’était nullement générale, mais elle était courante parmi les adversaires du gouvernement. Robert Stanton* notait qu’après l’inauguration de la neuvième législature, en janvier 1829, il ne se passait pas un jour sans que Hagerman ne se fasse appeler « Judge Kit » (Kit étant un diminutif de Christopher) et ne soit la cible des pires invectives. En juillet, de nombreuses rumeurs annonçaient que sa nomination ne serait pas ratifiée. Elles étaient fondées. Robinson remplaça Campbell, et James Buchanan Macaulay remplaça Hagerman. Le nouveau lieutenant-gouverneur, sir John Colborne*, rapporta au secrétaire d’État aux Colonies que Hagerman s’estimait « victime d’une injustice ».
Tout n’allait quand même pas mal pour Hagerman. Depuis son arrivée en août 1828, Colborne avait fui les principaux conseillers de Maitland : Robinson et Strachan. Hagerman devint l’unique bénéficiaire de la faveur du gouverneur et fut pendant un temps son confident. À titre de compensation pour la perte de son poste de juge, il obtint le 13 juillet 1829 celui de solliciteur général. L’année suivante, sa victoire électorale sur Donald Bethune*, dans Kingston, accrut son prestige. En 1834, il n’eut aucun mal à se faire réélire, cette fois contre William John O’Grady. Kingston était alors devenu son château fort : il y fut élu par acclamation en 1836.
Comme Robinson était devenu juge, ce furent Hagerman et le procureur général Henry John Boulton* qui, au nom du gouvernement, dirigèrent les débats de la onzième législature (1831–1834). Cela eut des effets désastreux. Le second était un dandy inepte, le premier n’était pas à la hauteur d’une telle responsabilité. Hagerman tirait sa force de son appui inconditionnel au gouvernement et à l’alliance entre l’Église et l’État. Son grand talent était une éloquence naturelle que vivifiait la passion du moment. Le Kingston Chronicle le croqua sur le vif au cours d’un procès tenu en 1826, et le rédacteur en chef eut, en conclusion, ces paroles justes : « Nous avons entendu des personnes qui pouvaient, peut-être, avoir un raisonnement plus serré que celui de M. Hagerman, mais bien peu, vraiment, dont l’éloquence [...] est plus puissante. » Comme Thomas David Morrison* le dirait en 1836, il était « le Jupiter tonnant de Kingston », un homme porté à « l’expression violente de ses opinions ». Hélas ! dans un débat, un discours ou une conversation, une fois qu’il était gonflé à bloc, il nuisait en général à la cause qu’il défendait au lieu de la faire avancer. L’exemple le plus patent de cette faiblesse fut la manière dont, avec Boulton, il fit expulser maintes fois William Lyon Mackenzie de l’Assemblée. Mis au courant de leurs interventions, le secrétaire d’État aux Colonies, lord Goderich, les démit tous deux de leurs fonctions de légistes en mars 1833. Colborne protesta, cependant, et Hagerman (devenu veuf) s’embarqua pour l’Angleterre afin de faire appel. Lorsqu’il revint au pays, l’année suivante, le nouveau secrétaire aux Colonies, lord Stanley, l’avait réintégré dans ses fonctions.
Hagerman était aussi revenu avec une nouvelle épouse. « Ce mariage, a dit George Markland, n’a pas eu l’heur de plair aux gens d’un certain milieu dans le pays – ils ont dit ouvertement que jamais rien ne les avait ennuyés autant. Cette demoiselle Merry et Kit Hagerman, oh ! c’était horrible, disaient-ils. » Peut-être était-ce à cause des charmes de sa nouvelle femme que Hagerman se mit à trouver la politique et ses fonctions officielles fastidieuses, ou peut-être éprouvait-il un vif désir de changement comme au milieu des années 1820. Quoi qu’il en soit, Robert Stanton nota en 1835 qu’il n’arriva pas à s’imposer durant la douzième législature et qu’il s’absenta plus souvent de l’Assemblée. Cependant, il y était, et sur la défensive, lorsqu’en 1835 il s’opposa en vain à l’élection de Marshall Spring Bidwell à la présidence de l’Assemblée et quand la chambre fit passer de £600 à £375 son salaire de solliciteur général.
En décembre de la même année par ailleurs, après que Colborne eut commis l’énorme erreur politique de doter 44 rectories anglicans, Hagerman se porta à la défense de l’Église d’Angleterre et des réserves du clergé. Pour lui, qui se définissait comme un « homme de la Haute Église et du Roi » et qui avait déjà accusé les non-conformistes d’« infidélité », l’Église établie était un rempart essentiel contre l’immoralité, l’égalité et la démocratie athée. Membre dévot de sa propre congrégation, celle de St George à Kingston, il avait, en 1825, aux côtés de John Macaulay et de Stanton, fait partie d’un comité qui avait défendu par un document arrogant la juridiction exclusive des anglicans sur le cimetière de la basse ville. John Barclay* avait ensuite affirmé, dans un écrit, que l’Église d’Écosse avait sur ce cimetière des droits égaux à ceux de sa rivale, et Hagerman, comme le révéla Robinson, fut l’un des trois auteurs anonymes qui lui répondirent. En 1821, il avait tout naturellement établi un lien direct entre une déclaration faite en chambre par Robert Nichol*, selon laquelle il n’y avait pas d’Église officielle dans le Haut-Canada, et la profanation de l’église anglicane d’York survenue plus tard dans la soirée. Vu ses convictions, il n’est pas surprenant qu’il ait volé à la défense de Colborne dans l’affaire des rectories anglicans. Toutefois, ses affronts inconsidérés à presque toutes les autres confessions religieuses ne firent qu’aggraver la bourde du lieutenant-gouverneur.
En 1836, Hagerman essaya d’endiguer la colère qui anima l’Assemblée lorsque le lieutenant-gouverneur Francis Bond Head* affronta le Conseil exécutif [V. Robert Baldwin* ; Peter Perry*] ais ce fut peine perdue. Aussi prit-il la résolution « de retourner à la vie privée ». Ses fonctions parlementaires et officielles l’éloignaient de son cabinet d’avocat « plus qu’il n’[était] convenable, sans compter leur grand désavantage pour [son] confort domestique ». En octobre 1834, des rumeurs avaient parlé de sa nomination possible à un autre siège de juge. Un changement survint effectivement dans sa carrière, mais ce ne fut pas celui qu’il espérait. Le 22 mars 1837, il succéda à Robert Sympson Jameson* au poste de procureur général ; William Henry Draper*, qui exerçait dans le même cabinet que lui depuis 1835, devint solliciteur général. Cependant, le secrétaire d’État aux Colonies, lord Glenelg, refusa d’approuver la nomination. Il n’avait rien à redire contre « la moralité privée et le mérite public » de Hagerman, mais il formulait de sérieux doutes quant à la compatibilité de ses opinions religieuses avec les positions du gouvernement. Le problème venait des remarques désobligeantes qu’il avait faites à l’Assemblée le 9 février à propos de l’Église d’Écosse. Les fidèles de la congrégation St Andrew de Kingston (ancienne congrégation de Barclay) avaient fait parvenir au ministère des Colonies une résolution qui condamnait les « déclarations outrageusement incorrectes et le langage excessif » de Hagerman. En septembre, Head expliqua à Glenelg que Mackenzie, dans son journal, avait altéré le discours de Hagerman et l’avait, « à dessein et par malveillance, rendu aussi offensant que possible pour les Écossais ». Cette explication, tout comme les assurances que l’intéressé donna à Glenelg au sujet de ce qu’il avait dit, convainquit celui-ci de ratifier la nomination de Hagerman en novembre.
L’éclatement de la rébellion en décembre 1837 (le 30 novembre, Hagerman avait noté « la tranquillité et la satisfaction générales ») l’amena – ou l’obligea – à replonger avec plus d’ardeur dans les affaires publiques. Tout au long des années 1838 au 1839, il s’occupa de détails administratifs et de questions judiciaires concernant le traitement des rebelles et des patriotes. Bien qu’il ait été le beau-père du secrétaire de Head, John Joseph*, cela ne lui donnait guère que l’avantage d’avoir facilement accès au lieutenant-gouverneur. Robinson était le principal conseiller de Head, et deux recrues du gouvernement, John Macaulay et Robert Baldwin Sullivan*, étaient en pleine ascension. Hagerman ne pouvait rivaliser avec eux en matière de travail administratif, d’analyse ou de politique. Les notes laconiques de Head sur les membres de son exécutif décrivent parfaitement Hagerman : « Bon orateur, loyal défenseur de la constitution, mais je n’ai pas une très haute opinion de son jugement. Solide, honnête. » Lorsque sir George Arthur succéda à Head, en mars 1838, le rang officiel de Hagerman ne changea guère, non plus que la distribution des rôles au gouvernement. Arthur le dépeignait ainsi : « personne honnête et droite – A une bonne vision des choses et sait parler avec vigueur – mais ce n’est pas un gros travailleur ! » La réaction de Hagerman à l’arrivée du rapport de lord Durham [Lambton] le consterna : « Il a lu le rapport puis s’est rendu à un dîner – Alors qu’il aurait dû envoyer un mot d’excuse, s’installer tout de suite pour le commenter et le porter sans délai à la connaissance de la chambre. »
L’union du Haut et du Bas-Canada avait préoccupé de plus en plus les esprits dans la seconde moitié des années 1830 ; la position de Hagerman à ce sujet est intéressante. En février 1838, au cours d’un débat, il précisa qu’il n’appuierait l’union que si la suprématie des anglo-protestants était suffisamment garantie. Lorsqu’il prit connaissance du projet d’union de 1839, il le condamna en raison de « sa tendance républicaine » et réclama le renforcement du « principe monarchique ». Le 19 décembre 1839 pourtant, lorsque le projet de loi fut mis aux voix à l’Assemblée, il l’appuya, en dépit de ses intrépides déclarations antérieures. Tout crâneur qu’il ait été, il s’était déglonflé sous les pressions du gouverneur Charles Edward Poulett Thomson. Le 24 novembre, celui-ci s’était demandé, à l’occasion d’une conversation avec Arthur et John Macaulay, pourquoi « les fonctionnaires semblaient agir comme s’ils n’avaient aucun égard pour la volonté du gouvernement en quelque matière d’intérêt public ». Son premier mouvement fut de congédier son officier de justice récalcitrant, mais il se ravisa sur le conseil d’Arthur. Le 7 décembre, après une franche discussion avec Thomson, Hagerman était toujours hardiment opposé à l’union. Cinq jours plus tard, à l’Assemblée, il nia que les administrateurs pouvaient être contraints d’appuyer le projet de loi. Sa résistance, toutefois, s’effrita vite. Le 19, il expliqua en chambre que, comme les résolutions sur l’union étaient débattues « de par la volonté du souverain », il leur « accorderait son suffrage si le vote en leur faveur [...] se maintenait ». John Macaulay écrivit à un correspondant : « [je suis troublé de] voir les amis de Hagerman établir une comparaison entre sa conduite et la mienne dans l’affaire de l’union – je serais embarrassé de crier si fort comme il l’a fait et d’abandonner finalement la partie ». « Vous apprendrez bientôt, poursuivait-il, qu’il est passé [...] à une fonction de juge puîné. » En effet, dès que Levius Peters Sherwood eut pris sa retraite, Hagerman rejoignit Robinson, James Buchanan Macaulay, MacLean et Jones dans la magistrature le 15 février 1840. Son ancien associé, Draper, lui succéda au poste de procureur général.
Au moment de sa promotion, Hagerman confia son cabinet d’avocat à James McGill Strachan*. Il avait espéré un congé immédiat, mais dut attendre la fin d’août 1840 pour partir en Angleterre avec sa femme ; ils revinrent en juillet 1841. À côté des exigences de sa vie passée, la routine du tribunal dut lui paraître assez ennuyeuse. De mars 1840 à octobre 1846, il fit dix fois la tournée des diverses assises et tint presque une cinquantaine d’audiences. En outre, il participa aux audiences régulières où la Cour du banc de la reine siégeait avec les pleins pouvoirs. Sa carrière de juge nécessiterait une étude complète, mais l’un de ses jugements mérite particulièrement d’être relevé. Le 15 avril 1840, à Sandwich (Windsor), il présida le procès d’un Noir, Jacob Briggs, accusé d’avoir violé une fillette blanche de huit ans. En droit, pour conclure à un viol, il fallait qu’il y ait preuve de pénétration et d’éjaculation, ce dont Hagerman informa le jury. Malgré des dépositions contradictoires – un médecin qui témoigna pour la défense soutint qu’« il aurait été impossible pour un homme fait, surtout pour un Nègre, d’entrer dans le corps » d’une petite fille – le jury déclara Briggs coupable, et Hagerman le condamna à mort. Dans son rapport au Conseil exécutif, Hagerman négligea l’obligation de prouver qu’il y avait eu émission de sperme et se limita à la question de la pénétration. Sa conclusion, « la plus conforme au droit et à la raison », fut qu’une condamnation pour viol pouvait être prononcée sans preuve de défloration. Après avoir consulté son collègue James Buchanan Macaulay, Hagerman établit que rien, légalement, ne s’opposait au verdict du jury. Les conseillers exécutifs acquiescèrent mais commuèrent la peine en transportation. L’année suivante, on révisa la loi sur le viol et on abandonna la clause technique concernant la preuve d’éjaculation, décision que les historiennes féministes ont saluée comme un événement décisif. Bien que rien ne démontre l’existence d’un lien direct entre le rapport de Hagerman et la loi de 1841, il semble raisonnable de conclure que ce rapport, parce qu’il exprimait le point de vue du milieu judiciaire, eut une certaine influence sur les légistes.
Dans les années 1840, Hagerman n’avait plus aucun pouvoir politique. Échaudé par son altercation avec Thomson, il avait affirmé à Arthur, en août 1840, qu’il était résolu à « ne plus [se] mêler d’aucune façon aux luttes ou aux discussions de parti ». L’année suivante, dans une lettre écrite depuis Londres, Arthur rapporta à Thomson, devenu lord Sydenham, qu’il avait vu Hagerman à une réception : « [il] parlait beaucoup, comme toujours, mais se montrait discret dans toutes ses remarques ». Néanmoins, en 1842, Hagerman pria sans hésitation John Solomon Cartwright d’éviter, « au sein du gouvernement, de [s’]associer pour quelque raison que ce soit avec des fauteurs de trahison – ou les apologistes de traîtres ».
La mort de sa deuxième femme, en 1842, ébranla Hagerman, mais sa croyance en l’origine providentielle de tout changement lui apporta du réconfort. En 1823, dans un message de condoléances à John Macaulay, qui était en deuil d’un jeune frère, il avait écrit : « Nous ne pouvons espérer traverser cette vie sans afflictions, et quand la Providence nous en envoie, il peut nous faire du bien de songer que, en étant bons et vertueux, nous éviterons le remords qui s’attache à ceux qui sont obligés de les considérer comme un châtiment du vice. » Ses convictions lui donnèrent la force de supporter ses nombreux malheurs familiaux. À la mort de sa fille Anne Elizabeth Joseph, en 1838, il dit à une connaissance : « il a plu à Dieu de m’enlever cette enfant ».
Hagerman se maria une troisième fois en 1846. Son épouse était Caroline Tysen, une Anglaise de la bonne société tout comme sa deuxième femme. Cette année-là, il projetait de se retirer en Angleterre, mais la maladie l’en empêcha. Son testament, signé d’une écriture à peine lisible, et remarquable par l’absence de toute allusion à la religion, stipulait plusieurs legs, dont les plus importants allaient à ses deux filles survivantes. Il pourvoyait à la subsistance de son fils Frank, vraisemblablement un jeune bon à rien qui l’avait beaucoup déçu, en prévenant les exécuteurs testamentaires de ne lui verser sa rente annuelle que s’ils « considé[raient] la chose convenable [...] après avoir dûment examiné la manière dont il se conduir[ait] ». Le 18 mars 1847, un jeune avocat du nom de Larratt William Violett Smith écrivit : « Le pauvre juge Hagerman languit encore, si faible qu’on peut dire qu’il se meurt. Son vaurien et ivrogne de fils titube à son chevet le jour et passe ses nuits dans la compagnie la plus dépravée. » Hagerman mourut deux mois plus tard, et sa femme retourna en Angleterre peu après.
Christopher Alexander Hagerman avait bien servi les administrateurs qui s’étaient succédé depuis Maitland jusqu’à Arthur. Il fut surtout intime avec Colborne, qui finit cependant par se confier plutôt à Robinson. Surtout à la fin des années 1830, il représenta peut-être assez bien le type du courtisan inflexible de ce qu’on appelait alors le family compact – du moins l’Examiner de Francis Hincks* le décrivait-il ainsi – mais il n’avait ni les talents ni l’esprit qui assurèrent une plus grande importance à Robinson, Strachan, Macaulay et Jones. Son trait dominant était « le bruit et la fureur », ce qui le mit plus souvent qu’autrement dans l’embarras.
Christopher Alexander Hagerman est l’auteur de : Letter of Mr. Attorney General to the editor on the subject of Mr. Bidwell’s departure from this province [...] (Toronto, 1838). Un discours qu’il prononça à l’Assemblée a été publié dans Speeches of Dr. John Rolph, and Christop’r A. Hagerman, esq., his majesty’s solicitor general, on the bill for appropriating the proceeds of the clergy reserves to the purposes of general education [...] (Toronto, 1837). Son journal manuscrit, « Journal of events in the War of 1812 », qui couvre les années 1813–1814, est déposé à la MTRL.
AO, MS 4 ; MS 35 ; MS 78 ; MS 186 (mfm) ; MU 1376 ; MU 1838, nº 537 ; MU 2319 ; MU 2818 ; RG 22, sér. 155 ; sér. 159, Nicholas Hagerman, Daniel Hagerman.— APC, MG 24, A40 ; RG 1, E3 ; L3 ; RG 5, A1 ; RG 7, G1.— Law Soc. of U.C. (Toronto), Minutes.— MTRL, William Allan papers.— PRO, CO 42.— « A register of baptisms for the township of Fredericksburgh [...] », John Langhorn, compil., OH, 1 (1899) : 34, 38.— Arthur papers (Sanderson).— [Thomas Dalton], « By the words of thy own mouth will I condemn thee »; to Christopher Alexander Hagerman, esq. ([Kingston, Ontario, 1824] ; copie à la MTRL).— Doc. hist. of campaign upon Niagara frontier (Cruikshank), 1–2 ; 6 ; 8–9.— Charles Durand, Reminiscences of Charles Durand of Toronto, barrister (Toronto, 1897).— [Charles Grant, 1er baron] Glenelg, Lord Glenelg’s despatches to Sir F. B. Head, bart., during his administration of the government of Upper Canada [...] (Londres, 1839).— H.-C., House of Assembly, Journal, 1832–1840.— F. B. Head, A narrative, with notes by William Lyon Mackenzie, introd. de S. F. Wise, édit. (Toronto et Montréal, 1969).— « Journals of Legislative Assembly of U.C. », AO Report, 1914.— Select British docs. of War of 1812 (Wood).— [L. W. V.] ith, Young Mr Smith in Upper Canada, M. L. Smith, édit. (Toronto, 1980).— British Colonist, 1838–1839.— Canadian Freeman, 1828.— Chronicle & Gazette, 1833–1845.— Examiner (Toronto), 1838–1840.— Kingston Chronicle, 1819–1833.— Kingston Gazette, 1815.— Niagara Herald (Niagara [Niagara-on-the-Lake, Ontario]), 1828.— Patriot (Toronto), 1835–1836.— Royal Standard (Toronto), 1836–1837.— U.E. Loyalist, 1826.— Weekly Register, 1823.— York Weekly Post, 1821.— Death notices of Ont. (Reid).— DHB (biog. de Michael Vincent).— Reid, Loyalists in Ont.— C. B. Backhouse, « Nineteenth-century Canadian rape law, 1800–92 », Essays in the history of Canadian law, D. H. Flaherty, édit. (2 vol., Toronto, 1981–1983), 2 : 200–247.— D. R. Beer, Sir Allan Napier MacNab (Hamilton, Ontario, 1984).— William Canniff, History of the settlement of Upper Canada (Ontario), with special reference to the Bay Quinte (Toronto, 1869 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1971).— Darroch Milani, Robert Gourlay, gadfly.— R. L. Fraser, « Like Eden in her summer dress : gentry, economy, and society : Upper Canada, 1812–1840 » (thèse de ph. d., Univ. of Toronto, 1979).— W. S. Herrington, History of the county of Lennox and Addington (Toronto, 1913 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972).— Lindsey, Life and times of Mackenzie.— Robertson’s landmarks of Toronto, 1 : 274.— S. F. Wise, « The rise of Christopher Hagerman », Historic Kingston, n° 14 (1966) : 12–23 ; « Tory factionalism : Kingston elections and Upper Canadian politics, 1820–1836 », OH, 57 (1965) : 205–225.
Robert Lochiel Fraser, « HAGERMAN, CHRISTOPHER ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hagerman_christopher_alexander_7F.html.
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Auteur de l'article: | Robert Lochiel Fraser |
Titre de l'article: | HAGERMAN, CHRISTOPHER ALEXANDER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |