COLLINS, FRANCIS, imprimeur, journaliste, fonctionnaire et éditeur, né vers 1799 à Newry (Irlande du Nord) ; en 1824, il épousa Ann Moore, de Newry, et ils eurent quatre enfants ; décédé le 29 août 1834 à Toronto.
Après avoir reçu à Newry une formation classique « acceptable » selon lui, Francis Collins fit l’apprentissage de son métier d’imprimeur à Dublin et apprit aussi la sténographie. Il publia pendant quelque temps un journal whig d’opposition, l’Ulster Recorder, lequel, prétendit-il, dut bientôt fermer ses portes sous la pression exercée par lord Castlereagh. Il immigra dans le Haut-Canada en 1818 et obtint une concession de 100 acres près d’York (Toronto). Peu après son arrivée, il trouva un emploi comme typographe à l’ Upper Canada Gazette, chez Robert Charles Horne*, l’imprimeur du roi. De plus, au début de 1821, il commença à faire la chronique des débats de la chambre d’Assemblée pour le compte de la Gazette, remplissant ainsi la même fonction que John Carey* à l’Observer. Ses comptes rendus, rédigés à partir de ses notes sténographiques, étaient plus étayés et généralement plus exacts que tous ceux qui avaient été publiés jusqu’alors. Cependant, Collins accordait une place plus grande aux réformistes qu’aux tories et, une fois, le procureur général John Beverley Robinson* dénonça devant l’Assemblée le compte rendu d’un débat rédigé par Collins, en disant que ce rapport n’aurait pu être « plus faux, plus absurde et même plus ridicule ». Horne reçut un blâme à la barre de la chambre d’Assemblée et s’excusa de la chronique parue dans la Gazette, mais il garda Collins à son service tout en le sommant de se montrer impartial dans ce genre d’écrits. Plus tard, Horne attribua « les inexactitudes mineures » à l’exiguïté des locaux assignés aux journalistes de la tribune de la presse, locaux que Collins qualifiait de « loges de violoneux dans le poulailler ».
Quand Horne résigna ses fonctions d’imprimeur du roi en 1821, Collins espérait lui succéder, mais il se fit dire que le poste ne serait confié « qu’à un gentleman », affront qui l’offusqua puisqu’il faisait remonter ses origines aux anciens rois d’Irlande. Cependant, son talent de chroniqueur lui mérita la satisfaction générale et lui valut d’ailleurs d’être nommé sténographe parlementaire pour la session de 1821–1822, ainsi que sténographe judiciaire à peu près à la même époque. Apparemment, il occupa le poste à la chambre d’Assemblée pendant cinq ans. En juillet 1825, il fonda son propre journal, le Canadian Freeman, et commença aussitôt à attaquer le lieutenant-gouverneur sir Peregrine Maitland* et ses conseillers tories qu’il qualifiait de « bande de reptiles ». Il protesta contre la politique que le gouvernement adopta dans la question des non-naturalisés [V. John Rolph*] et publia un pamphlet sur ce sujet. De plus, il se fit l’ardent défenseur de la liberté de la presse lorsqu’un groupe de jeunes tories saccagea l’imprimerie de William Lyon Mackenzie* en 1826, même s’il n’appréciait guère ce dernier, ni comme personne ni comme homme politique. En fait, il bombardait d’insultes la plupart de ses confrères rédacteurs, qu’ils soient réformistes ou tories.
En 1826, après la révocation de Charles Fothergill*, l’imprimeur du roi, le président du comité d’impression de l’Assemblée, Hugh Christopher Thomson, fit un appel d’offres pour l’impression du journal de la chambre. Mackenzie obtint le contrat en soumissionnant en dessous des prix courants, au grand mécontentement de Collins. « Cette session, nous aurons un journal au rabais ! » commenta Thomson. Cependant, lorsque l’imprimerie de Mackenzie fut détruite par les émeutiers, celui-ci dut confier le travail d’impression à Collins, même si son nom continua d’apparaître sur la première page du journal. En 1827, Collins perdit une seconde fois le contrat d’impression au profit de Mackenzie, en partie parce qu’il n’avait pu résister à la tentation d’intituler sa soumission « Devis d’impression de journaux bon marché » ; cette allusion sarcastique à l’adresse de Thomson n’amusa guère les députés. Collins fut accusé d’outrage au Parlement et sommé de s’excuser à la barre de l’Assemblée. En janvier 1828, une motion adoptée par la chambre d’Assemblée partagea l’impression des débats entre Collins, Carey et Mackenzie. L’année suivante, pendant que Collins était incarcéré à la prison d’York pour diffamation, son imprimerie publia le journal des débats du 9 janvier au 20 mars « sur l’ordre de la chambre d’Assemblée ».
Comme Collins avait attaqué le gouvernement dans le Freeman, le Conseil exécutif suspendit en 1826 le traitement que l’Assemblée lui avait accordé par vote pour le reportage des débats. Or, au lieu de mettre un frein à ses critiques, cette mesure lui fournit une arme nouvelle contre le gouvernement. Maitland réagit en poursuivant Collins sous quatre chefs d’accusation pour diffamation au printemps de 1828. Quand le rédacteur en chef se présenta au tribunal sans avocat, le juge John Walpole Willis* lui permit de faire une déclaration préliminaire. Collins profita de l’occasion pour accuser le procureur général Robinson, qui représentait la couronne, d’avoir manqué à ses devoirs. Au dire de Collins, Robinson s’était abstenu d’intenter une poursuite d’ordre criminel contre Henry John Boulton* et James Edward Small*, tous deux témoins de Samuel Peters Jarvis* dans le duel funeste qui l’avait opposé à John Ridout en 1817. Robinson n’avait pas non plus traduit en justice les émeutiers qui avaient détruit l’imprimerie de Mackenzie. Malgré la protestation de Robinson, Willis enjoignit à Collins de dévoiler ces faits au jury d’accusation. On trouva les accusations fondées et, au cours des procès qui s’ensuivirent, les témoins de Peters Jarvis furent acquittés, et les émeutiers libérés moyennant une amende symbolique. Willis recommanda alors l’abandon des accusations de diffamation portées contre Collins, « afin de calmer les esprits », mais Robinson décida que la cause serait entendue aux assises d’automne.
Lors de sa deuxième comparution en octobre 1828, Collins était représenté par John Rolph et Robert Baldwin*. Trois accusations furent retirées et la quatrième se solda par l’acquittement de Collins. Robinson porta alors deux autres accusations, l’une en diffamation parce que Collins l’avait accusé de « malveillance innée », et l’autre parce que le journaliste avait fait allusion au juge Christopher Alexander Hagerman* en des termes irrespectueux. Le président du tribunal à ce procès, Levius Peters Sherwood*, était absent lorsque le jury prononça un verdict de culpabilité pour la première accusation seulement. Hagerman, qui remplaçait Sherwood, donna ordre au jury de rendre une décision générale qui s’appliquerait entre autres à son propre cas. Le jury obtempéra et Sherwood condamna Collins à un an de prison et à une amende de £50. Ce dernier dut en outre verser une caution de £600 comme gage de bonne conduite pour une période de trois ans. Selon l’opinion générale, la condamnation était tout à fait démesurée par rapport à la faute.
Au cours de réunions publiques tenues à York et à Hamilton en faveur de Collins, on recueillit des souscriptions et on fit parvenir des protestations au lieutenant-gouverneur sir John Colborne*. Le 26 novembre 1828 et de nouveau le 4 décembre, Collins fit lui-même appel à Colborne, qui refusa d’intervenir. À l’exception de trois dissidents, l’Assemblée épousa alors sa cause à l’unanimité et adopta une résolution demandant que Collins bénéficie d’une remise de peine. Cette requête ne réussit pas davantage à faire bouger Colborne. L’Assemblée adressa alors au roi une supplique plus véhémente dans laquelle elle sollicitait la clémence royale. Le roi réagit favorablement et Collins fut libéré en septembre 1829, après 45 semaines de détention. Quant à l’amende et à la caution, elles lui furent remboursées.
Si les persécuteurs de Collins avaient espéré le réduire au silence en le faisant emprisonner, ils avaient bien mal jugé leur homme. De sa cellule, Collins continua à diriger la publication du Freeman, dénonçant ses adversaires dans une série de « lettres ouvertes » émaillées de sarcasmes cinglants. Après sa mise en liberté, ses éditoriaux eurent surtout pour cible Egerton Ryerson* et les méthodistes, ainsi que Mackenzie qu’il accusa de républicanisme. Whig indépendant avoué, il croyait à une réforme de type britannique plutôt qu’américain. Quand Mackenzie fut expulsé de l’Assemblée en 1831 pour ses écrits diffamatoires publiés dans le Colonial Advocate, nombre de réformistes comptèrent encore une fois sur Collins pour mener une croisade en faveur de la liberté de la presse. Au lieu de répondre à leur espoir, Collins stigmatisa l’Advocate, le qualifiant de séditieux, et loua l’Assemblée pour avoir expulsé un « méprisable démagogue ». Lorsque Mackenzie se mit à recueillir « des griefs », Collins rétorqua qu’aucun grief n’était insurmontable pour une bonne Assemblée. À propos du gouvernement de Maitland, Collins soutint qu’il y avait « beaucoup à condamner et peu à louer », et « beaucoup à louer et peu à censurer » dans celui de sir John Colborne. Accusé de devenir tory, Collins répondit qu’il s’était joint aux « tories les plus absolus » afin d’abattre Mackenzie et sa faction, mais qu’il allait continuer, une fois son but atteint, à exprimer ses opinions politiques « sans tenir compte des clans ou des partis ». En 1833, Collins était déjà bien disposé envers ses anciens adversaires tories et il déclara dans le Freeman : « Il est notoire que « les plus éminents légistes de la couronne » ont poursuivi le Freeman à un certain moment [...] Enfin, tout cela a été oublié, croyons-nous, des deux côtés, par les parties en cause, et s’est soldé par un pardon réciproque. »
Au cours des trois dernières années de sa vie, Collins fut mêlé à un conflit public aigu avec William John O’Grady*, prêtre catholique d’York. La discorde naquit en juillet 1831 quand le frère de Collins, John, dut poursuivre O’Grady pour le recouvrement d’une dette. Le Freeman publia des comptes rendus de cette affaire qui irritèrent O’Grady ; il refusa alors de baptiser le fils de Collins. Cette querelle aurait pu s’apaiser si O’Grady, piqué au vif par une réprimande de Mgr Alexander McDonell*, n’avait pas contesté l’autorité de McDonell, sous prétexte qu’il détenait son mandat directement de Rome. Collins était le premier partisan de l’évêque parmi les laïques, et James King le principal allié d’O’Grady. Lorsque Rome intervint en faveur de McDonell, O’Grady capitula et, avec King, lança un journal réformiste radical, le Canadian Correspondent, qui se livrait chaque semaine à une vendetta avec le Freeman.
Mais Collins n’en avait plus pour longtemps à vivre. Durant l’épidémie de choléra de 1834, il alla à l’hôpital visiter des Irlandais atteints de cette maladie. Vers la fin d’août, il fut lui-même contaminé et mourut peu après. Ce fut ensuite le tour de sa femme et de sa fille aînée, puis de son frère et de sa belle-sœur.
John Charles Dent* écrivit de Francis Collins que « sa nationalité transparaissait clairement dans son apparence personnelle, ses traits étant taillés à la hache et immanquablement celtiques, alors que sa barbe et ses cheveux roux n’étaient généralement pas très soignés, ce qui lui donnait une allure sauvage et fruste ». Personnage complexe et paradoxal, Collins pouvait se montrer généreux, humain et indulgent, mais il s’engageait trop souvent dans des polémiques virulentes et accablait ses adversaires d’injures. Opposé à tout pouvoir arbitraire, que ce soit de gauche ou de droite, il croyait en une réforme constitutionnelle qui maintienne l’allégeance au roi et à la Grande-Bretagne. Dans le Patriot du 29 août 1834, Thomas Dalton* publia un article à la mémoire de Collins, où il le décrivit comme un vrai libéral qui se souciait « aussi bien de l’honneur et de la dignité de la couronne que des droits et du bien-être des sujets ». « Il est [douteux] que la presse du Haut-Canada, d’ajouter Dalton, puisse aujourd’hui se vanter de compter un défenseur de principes qui soit de la trempe du regretté Francis Collins. »
Francis Collins est l’auteur de : An abridged view of the alien question unmasked ; by the editor of the Canadian Freeman (York [Toronto], 1826).
AO, MS 78, J. B. Robinson à Macaulay, 4 mars 1821 ; Hagerman à Macaulay, 11 mars 1821 ; Robert Stanton à Macaulay, 14 oct., 4 nov. 1826 ; 14, 23 avril, 10 nov. 1828 ; MS 444, B-2-1, Ewen Macdonald à Aeneas Macdonald, 15 oct. 1831.— APC, RG 1, E3, 15 : 1–19 ; L3, 101 : C12/80 ; 103 : C12/274.— Arch. of the Archdiocese of Toronto, M (Macdonell papers), AB46.03 ; CC50.04, .06 ; CD06.02.— MTL, W. D. Powell papers, S. P. Jarvis corr., Jarvis à Powell, 24 août, 28 oct. 1828, 1er avril 1829.— Debates of the Legislative Assembly of United Canada, 1841–1867, Elizabeth Abbott [Nish] Gibbs, édit. (12 vol. en 25 parus, Montréal, 1970– ), 1 : xxix-xxx.— J. C. Dent, The story of the Upper Canadian rebellion : largely from original sources and documents (2 vol., Toronto, 1885), 1.— H.-C., House of Assembly, App. to the journal, 1835, no 21 : 133–137.— Town of York, 1815–34 (Firth).— Canadian Correspondent (Toronto), 30 août, 6 sept. 1834.— Canadian Freeman, 1825–1834.— [A. J. Dooner] Brother Alfred, Catholic pioneers in Upper Canada (Toronto, 1947), 141–165.— H. P. Gundy, « Liberty and licence of the press in Upper Canada », His own man : essays in honour of Arthur Reginald Marsden Lower, W. H. Heick et Roger Graham, édit. (Montréal et Londres, 1974), 71–92.— Charles Lindsey, The life and times of Wm. Lyon Mackenzie [...] (2 vol., Toronto, 1862 ; réimpr., 1971), 1.— F. M. Quealey, « The administration of Sir Peregrine Maitland, lieutenant-governor of Upper Canada, 1818–1828 » (thèse de ph.d., 2 vol., Univ. of Toronto, 1968).— John Ward, The Hansard chronicles : a celebration of the first hundred years of Hansard in Canada’s Parliament (Ottawa, 1980).— Mary McLean, « Early parliamentary reporting in Upper Canada », CHR, 20 (1939) : 378–391.
H. Pearson Gundy, « COLLINS, FRANCIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/collins_francis_6F.html.
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