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GOWAN, OGLE ROBERT, orangiste, journaliste, fermier et homme politique, né le 13 juillet 1803 à Mount Nebo, dans le comté de Wexford, en Irlande, sixième fils de John Hunter Gowan, grand propriétaire foncier ainsi que magistrat et capitaine de la yeomanry de Wexford, et de Margaret Hogan, sa deuxième épouse, mort à Toronto le 21 août 1876.
Ogle Gowan passa sa jeunesse à Mount Nebo et fit ses études à la maison. Il était le fils d’un orangiste éminent de la région de Wexford et le filleul de George Ogle qui fut l’un des premiers grands maîtres de l’ordre irlandais d’Orange ; Ogle Gowan fut initié à la société orangiste en 1818, dans le comté de Wicklow. Il s’installa plus tard à Dublin, où il publia, en collaboration avec George Perkins Bull*, un petit journal politique appelé l’Antidote. Gowan écrivit également plusieurs pamphlets hostiles à l’Église catholique et une longue supplique au lord-lieutenant d’Irlande, le marquis de Wellesley. Ces écrits parurent certainement dans l’Antidote, et il se peut que certains aient été publiés sous forme de brochure. L’œuvre la plus importante qu’il écrivit durant cette période est un livre intitulé The annals and defence of the Loyal Orange Institution of Ireland, paru en 1825.
Quand les loges orangistes irlandaises furent dissoutes temporairement en 1825, Gowan devint grand secrétaire adjoint de la Benevolent and Loyal Orange Institution of Ireland, mise sur pied par un éminent orangiste, sir Harcourt Lees. Cette société ne reçut qu’un appui relatif en Irlande, mais elle entretenait une correspondance avec les orangistes du Canada. Gowan était ainsi déjà connu de beaucoup d’orangistes canadiens avant son arrivée au pays en 1829.
À l’époque, les orangistes du Haut-Canada étaient solidement établis dans quelques villes telles que York (Toronto), Kingston, Perth et Brockville. Ils comptaient probablement plusieurs milliers d’adhérents et avaient déjà suscité une certaine hostilité en provoquant des émeutes à Perth et à Kingston. En politique, les orangistes de York accordaient leur appui à William Lyon Mackenzie* ; ailleurs, un grand nombre d’entre eux se rangeaient du côté des tories locaux, qui d’ailleurs n’y tenaient nullement. La plupart des orangistes estimaient qu’il leur fallait une grande loge, afin de donner au mouvement une direction centrale, et un porte-parole compétent qui se fasse leur avocat sur la scène politique. On peut se demander si Gowan n’avait pas cette idée en tête lorsqu’il vint au Canada, d’autant plus qu’il s’était attiré l’inimitié de l’Irish Grand Lodge que l’on avait reformée, par son entêtement à perpétuer l’existence, à titre d’organisme distinct, de la Benevolent and Loyal Orange Institution. Mais son départ d’Irlande peut avoir également été influencé par l’adoption de la loi sur l’émancipation des catholiques, et par la perspective d’un avenir plus brillant dans le Nouveau Monde.
Gowan s’installa à Escott Park, dans le comté de Leeds, Haut-Canada, et sa maisonnée comptait en plus de lui-même neuf personnes, dont deux domestiques. Il devint bientôt un riche gentleman-farmer, mais il s’intéressait avant tout à la politique, et le meilleur moyen d’y entrer au Canada était de donner aux orangistes canadiens un chef et une grande loge. Le jeune Gowan, issu des hautes classes de la société, qui avait milité dans les rangs du mouvement orangiste irlandais (au Canada on n’était guère au courant, à son arrivée, de sa querelle avec l’Irish Grand Lodge), qui pouvait parler et écrire une langue comprise par l’orangiste des classes populaires, était tout désigné pour servir la cause du mouvement canadien. Il put convoquer les représentants de la plupart des loges du Haut et du Bas-Canada et les réunir au palais de justice de Brockville le 1er janvier 1830 : la grande loge orangiste d’Amérique du Nord britannique fut fondée et Gowan en fut nommé grand maître adjoint. On pria le duc de Cumberland d’en devenir le grand maître mais ce dernier refusa l’honneur qu’on lui offrait et, après plusieurs années de pourparlers, c’est Gowan qui devint le premier grand maître canadien. Le mouvement se consacrait à la défense du protestantisme et à la sauvegarde des liens avec la Grande-Bretagne, mais il devait une grande part de sa vitalité au fait que c’était une fraternité. L’orangisme pouvait être un élément d’anticléricalisme mais c’est le loyalisme qui domina le mouvement pendant les années 30.
À titre de leader des orangistes du Canada, Gowan était un personnage d’une certaine importance dans la province. C’est pourquoi il décida de se porter candidat lors des élections de 1830, à titre d’« immigrant » indépendant, briguant les suffrages des catholiques comme ceux des Irlandais protestants. Son refus de s’associer avec le candidat tory, Henry Sherwood*, semble avoir indisposé les orangistes de Perth, et il fut attaqué dans des lettres publiées dans le journal tory Brockville Gazette ; ces lettres trahissaient nettement un exclusivisme en faveur des citoyens nés au Canada.
Gowan fut battu, mais il avait pris pied dans la politique provinciale. Il tenta de consolider sa position en fondant, en 1830, un petit journal, le Brockville Sentinel (rebaptisé l’Antidote en 1832), mais il n’eut guère de succès. Ses efforts à la Brockville Gazette, fondée en 1828, ne réussirent pas mieux. En décembre 1831, Gowan acheta le journal, qui, après quelques numéros, cessa de paraître jusqu’en juillet, époque à laquelle il fut racheté par l’orangiste Arthur McClean.
Parallèlement à ces expériences journalistiques, Gowan, avec l’aide des familles tories d’Ephraim Jones* et de Solomon Jones*, essayait de fonder des cercles « indépendants » et plus tard des cercles « patriotiques ». Ceux-ci ressemblaient, à bien des égards, aux cercles constitutionnels qui se fondèrent plus tard un peu partout à l’époque des élections de 1836. Bien que Gowan bénéficiât sûrement de ses rapports avec les Jones, il semble que ces relations l’aient quelque peu gêné. Lors d’une rencontre avec Mackenzie, il se crut obligé de nier avoir servi les intérêts des Jones et des Sherwood et, à l’occasion d’une élection partielle qui eut lieu à Grenville, il traita de calomnies les rumeurs voulant qu’il ait donné aux orangistes la consigne de voter pour le candidat des Jones. Mackenzie fit alors cette réflexion : « M. Gowan me plaît beaucoup dans sa façon de parler, mais je regrette sincèrement de voir un Irlandais de cette valeur jouer les utilités auprès de gens comme les Jones et les Sherwood. » Les propos de Mackenzie ne décrivaient guère sous un beau jour les rapports qu’entretenait Gowan avec les familles du « Family Compact » qui habitaient Brockville, et Gowan était évidemment sensible à ce genre de critique. Il n’en continua pas moins, cependant, de coopérer avec les familles Jones et Sherwood en 1832, en apportant son appui aux sociétés d’immigrants de sir John Colborne*, auxquelles s’opposaient les réformistes.
Toutefois, en 1833, Gowan entra en conflit avec des familles tories de la région de Brockville. La querelle eut son origine dans le refus du shérif, Adiel Sherwood, de relâcher un orangiste convaincu d’incendie volontaire. Les rapports s’envenimèrent encore plus lorsque Gowan attaqua certains membres du « Family Compact » pour avoir violemment critiqué le ministère des Colonies au moment du renvoi de Christopher Hagerman* et d’Henry Boulton* en 1833. On peut se rendre compte de la nature des rapports qui existaient entre les orangistes et le « Family Compact » à cette époque d’après une résolution de la grande loge déclarant que « c’[était] la politique de W. L. Mackenzie qui [devait] triompher », bien que la grande loge désapprouvât les méthodes de Mackenzie et le soupçonnât de tendances républicaines secrètes. À cette époque, Andrew Norton Buell, du journal réformiste Brockville Recorder, écrivait : « Gowan se rapproche des libéraux et il suffirait d’y mettre un peu la main pour qu’il soit entièrement gagné à cette cause. »
En 1834, Gowan se présenta aux élections en compagnie du procureur général, Robert Jameson*, candidat du « gouvernement » plutôt que du parti tory. Jameson accepta de se présenter avec Gowan, ce qui montre bien que l’influence de Gowan était en train de supplanter celle du « Family Compact » dans le comté de Leeds. Cette influence, Gowan l’avait obtenue en grande partie grâce à ses efforts pour obtenir des titres de propriété pour les immigrants et leur donner ainsi le droit de vote. Il fut élu député de Leeds en 1834 et en 1835, mais chaque fois on annula son élection à cause des manifestations de violence auxquelles se livrèrent les orangistes au moment du vote. Il fut battu lors d’une élection partielle qui eut lieu au début de 1836, mais fut élu avec Jonas Jones* au cours de l’été de 1836, après la dissolution de la chambre d’Assemblée par le lieutenant-gouverneur, sir Francis Bond Head.
Lors des élections générales de 1836, Gowan avait formé avec les catholiques une alliance qu’il recherchait depuis longtemps et dont il mûrissait le projet depuis 1832. Guidée par lui, la grande loge de l’Amérique du Nord britannique accueillit favorablement « les manifestations de loyauté des catholiques et de leur vénérable évêque ». De son côté, dans un mandement portant sur les élections adressé aux petits propriétaires fonciers de Stormont et de Glengarry, l’évêque catholique, Alexander Macdonell*, reconnut « avoir reçu des orangistes une preuve substantielle et non équivoque de leur amitié désintéressée ». L’alliance permit de rallier les catholiques et les orangistes en faveur des candidats qui soutenaient Head. Avant les élections, Gowan avait également fait une tournée dans la région de Toronto, en compagnie du journaliste tory George Gurnett*, aidant ainsi à soustraire les orangistes de l’endroit à l’influence que pouvait encore exercer sur eux Mackenzie. En 1836, Gowan avait atteint une position importante dans la politique de la province, et il la consolida en fondant, en 1836, le Brockville Statesman, qui fut sa première réussite dans le domaine du journalisme.
Quand éclatèrent les troubles au Bas-Canada, à la fin de l’automne de 1837, Gowan encouragea le recrutement d’une compagnie de volontaires que l’on nomma les Brockville Invincibles. Il fut nommé capitaine du 2e régiment de la milice de Leeds et, plus tard, on lui donna une compagnie des Queen’s Own Rifles, à la tête de laquelle il se trouvait lors de la capture de l’île Hickory, près de Gananoque, en 1838. Il reçut alors le commandement d’un bataillon provisoire de la milice du Haut-Canada, avec le grade de lieutenant-colonel. À la bataille de Windmill, près de Prescott, où il fut blessé à deux reprises, on le cita pour sa bravoure et son bataillon provisoire eut l’honneur d’être baptisé du nom de Queen’s Royal Borderers.
Avant même que sa brève carrière militaire ne prit fin, Gowan critiquait déjà la politique de Bond Head et celle de son successeur, sir George Arthur*. Les loges orangistes du Royaume-Uni avaient été dissoutes en 1836, devant la menace d’adoption de lois anti-orangistes, et Head avait exprimé l’espoir que les loges canadiennes se dissolvent également. Quelques orangistes rompirent bien avec le mouvement, par déférence pour Head, mais la grande loge, sous la direction de Gowan, refusa la dissolution. Arthur et Head étant incapables – ils n’y tenaient pas d’ailleurs – de reconnaître les services rendus au cours de l’insurrection par les orangistes, ces derniers étaient prêts à introduire leur propre programme de réforme.
La tradition veut que Gowan ait écrit, en 1830, une lettre traitant du gouvernement responsable ; lui-même affirma toujours qu’il était indépendant plutôt que tory. En 1839, il publia une lettre sur le gouvernement responsable dans le Statesman, que Francis Hincks* fit paraître sous forme de brochure. Ce geste eut pour résultat de faire perdre à Gowan son poste d’agent des terres de la couronne dans le district de Johnstown, qui comprenait les comtés de Leeds et de Grenville, et les tories exercèrent des pressions sur les loges orangistes pour qu’on lui enlève sa fonction de grand maître. Gowan devait mettre encore davantage en péril l’unité des loges et rendre plus difficiles ses relations avec les tories en soumettant le 8 avril 1839, à la chambre d’Assemblée, un projet de loi sur les « réserves » du clergé qui demandait leur répartition entre toutes les Églises reconnues par la loi. Sous la pression de tories orangistes, et étant donné qu’on se proposait d’effectuer une union avec le Bas-Canada, Gowan passa à d’autres sujets, sans toutefois abandonner ses vues sur les réserves du clergé et sur le gouvernement responsable.
L’opinion de Gowan à l’égard de l’union du Haut et du Bas-Canada ne différait guère de celle des tories, du fait qu’il exprimait lui aussi la crainte que lui inspirait un rapprochement des réformistes du Haut-Canada et de la majorité française du Bas-Canada. Il n’eut guère la possibilité de faire partager ses vues à ses collègues car il perdit son siège au moment des premières élections qui suivirent l’Union en 1841. Cet échec le força à se consoler en s’occupant de politique dans le district de Johnstown. Il y fut bientôt impliqué dans une querelle avec Buell, un réformiste qu’il accusa de trahison lors de l’insurrection de 1837. Buell se vengea en accusant Gowan d’avoir exagéré l’importance de ses biens pour satisfaire aux exigences du cens d’éligibilité lors des élections. Gowan dut aussi essuyer le plus dur de l’attaque lancée contre les loges orangistes par le gouvernement de Robert Baldwin* et de Louis-Hippolyte La Fontaine*, appuyés moralement par le gouverneur, sir Charles Bagot*, puis, pendant un certain temps, par sir Charles Metcalfe*.
Les attaques du ministère atteignirent un sommet en 1843, lorsqu’on adopta un projet de loi présenté par Baldwin, destiné à empêcher les orangistes d’occuper un poste au gouvernement ou d’être juré, et risquant de faire perdre leur permis de débit de boissons aux tavernes où se réunissaient les orangistes. Comme on se trouvait au milieu d’une crise ministérielle provenant de disputes entre Metcalfe et Baldwin à propos de favoritisme, le gouverneur différa l’adoption de la loi pour que le parlement impérial puisse l’étudier. Ce dernier rejeta finalement la loi. Le gouverneur toutefois permit l’adoption d’une loi interdisant les défilés orangistes. Le geste de Metcalfe était certainement une concession à l’égard de Gowan qu’il consulta d’ailleurs vers le même temps sur la possibilité de former un nouveau gouvernement.
Gowan fut élu à nouveau député de Leeds et de Grenville aux élections de 1844, et ses qualités de parlementaire lui valurent bientôt l’estime de ses amis comme celle de ses adversaires. La Fontaine déclara qu’il était l’orateur le plus accompli de l’Assemblée. Hincks le trouvait remarquable et estimait qu’il possédait « plus de tact et était mieux renseigné que tout autre homme politique ». Ses talents furent mis en lumière lors des débats de 1846 sur les réserves du clergé : Gowan s’opposa à la proposition de Henry Sherwood demandant que les réserves ecclésiastiques soient réparties entre les différentes Églises, en alléguant que cela amène rait la création d’un système de tenure à bail au Canada. Il proposa ensuite un amendement demandant que la vente des réserves du clergé soit effectuée le plus rapidement et avec le moins de dépenses possible. Cet amendement fut adopté avec une majorité considérable.
Pendant toute cette période, Gowan travailla en étroite collaboration avec John Alexander Macdonald*. Le Pilot de Montréal reconnut que c’était Gowan qui dirigeait le groupe populaire des conservateurs opposés aux intérêts du « Family Compact » que dirigeait sir Allan Napier MacNab*. On a dit que ce furent les rapports entre Macdonald et Gowan qui amenèrent le leader du gouvernement, William Henry Draper, à offrir à Macdonald le poste de procureur général peu de temps avant la mort de Christopher Hagerman. De plus, Draper insista pour que Macdonald rendît visite à lord Elgin [Bruce*] en compagnie de Gowan, afin de convaincre le nouveau gouverneur que les conservateurs n’étaient pas des ultra-tories. La nature des rapports que Gowan entretint avec Macdonald et le gouvernement Draper ressort d’une lettre de Macdonald, datée du 18 mai 1847, où il écrit : « Nous ne pouvons espérer obtenir ses [il s’agit de Gowan] services et refuser de l’en récompenser. Et si j’estime qu’il pourrait nous rendre de grands services, je redoute encore plus qu’il ne nous joue quelque tour pendable. » La récompense en question était la nomination de Gowan au poste de commissaire adjoint des Terres de la couronne ; mais les espoirs de Gowan dans ce domaine s’évanouirent avec la chute du gouvernement Draper.
L’indifférence que le gouvernement manifesta à l’égard de Gowan peut provenir en partie du fait qu’il était grand maître de la loge orangiste, poste qu’il ne voulait pas abandonner, mais elle était surtout le résultat de l’influence constante des tories du « Family Compact » qui se méfiaient de Gowan et détestaient chez lui le démagogue et le manœuvrier. Gowan était enclin à blâmer Macdonald qui, estimait-il, n’avait pas insisté suffisamment sur ses droits à un poste officiel ; ce sentiment ne fit qu’augmenter lorsqu’il se rendit compte que Macdonald ne s’occupait pas de lui quand les conservateurs revinrent au pouvoir en 1854. Gowan semble avoir gardé pour lui ses griefs, car il accepta le poste relativement peu important de contrôleur des péages sur les canaux situés à l’ouest de Lachine, poste qui lui fut enlevé en 1849 par le gouvernement Baldwin-La Fontaine. Macdonald aurait probablement pu intervenir avec plus de force pour qu’on donnât un poste important à Gowan, mais il n’aurait pas eu l’appui des autres libéraux conservateurs qui trouvaient parfaitement inutile de voir Gowan rentrer dans le petit cercle d’initiés du gouvernement Draper, de 1844 à 1847.
L’influence croissante de Gowan dans le domaine politique ne l’aida pas à conserver sa place au sein des orangistes, car il dut céder sa place de grand maître à George Benjamin*, de Belleville, en 1846. Benjamin et, plus tard, John Hillyard Cameron furent des grands maîtres d’un style nouveau, plus aptes à se concilier les gens influents et travaillant à se gagner l’estime des conservateurs traditionnels. Mais ils n’avaient pas la puissance de leader populaire que possédait Gowan, et, par conséquent, ils furent moins en mesure de contrôler le protestantisme militant des loges qui menaçait si souvent les alliances politiques des conservateurs.
Lors des élections de 1847–1848, Gowan fut battu à une faible majorité par le réformiste William Buell Richards*, et il perdit encore de son prestige au moment où il prit la tête du groupe orangiste opposé au projet de loi pour l’indemnisation des pertes subies pendant la rébellion. Gowan prit une part active aux manifestations contre lord Elgin, lors de la visite de ce dernier au Canada-Ouest (que l’on continuait en général de nommer Haut-Canada), et il se livra à une attaque virulente contre le gouverneur dans le Statesman. Ces façons d’agir lui firent perdre son poste de juge de paix à Brockville en 1845, et on lui enleva en 1849 son titre de lieutenant-colonel de la milice.
En 1849, Gowan s’occupa, de concert avec le nouveau grand maître de la loge d’Orange, George Benjamin, d’organiser la British American League, dont le but serait de rallier l’opinion publique devant ce qui semblait une menace aux liens de la province avec l’Empire britannique. À la réunion de la ligue à Kingston, en juillet 1849, Gowan soumit une proposition demandant le « protectionnisme » canadien, proposition qui eut l’appui de Macdonald. Quand on souleva la question de la fédération des provinces de l’Amérique du Nord britannique, Macdonald s’y opposa, estimant la mesure prématurée, et Gowan se-déclara personnellement opposé à une union fédérale des provinces parce que, selon lui, elle placerait les Anglais du Bas-Canada sous la domination française. Il proposa à la place une nouvelle répartition des comtés du Bas-Canada (ou Canada-Est), ce qui donnerait les comtés situés le long du fleuve aux Français, et l’arrière-pays aux Anglais. À la réunion de la British American League à Toronto, en novembre, après la parution du « Manifeste d’annexion » de Montréal, Gowan s’opposa vigoureusement à l’annexion, mais déclara qu’il appuyait le principe d’un conseil législatif élu, faisant remarquer que les dernières des 13 colonies américaines à se soulever avaient un conseil législatif élu.
Gowan continua de s’occuper de politique dans le district de Johnstown, et semble également avoir poursuivi des activités de gentleman-farmer, car il occupait une place importante dans la société agricole de l’endroit. En 1851, il fut encore une fois battu aux élections par le réformiste W. B. Richards. Au début de 1852, Gowan cessa de publier le Statesman et il alla s’installer à Toronto où il acheta l’ancien journal du Compact, le Toronto Patriot, et se lança dans la politique municipale. Il fut élu échevin de Toronto en 1853 et en 1854.
En même temps qu’il s’adonnait à la politique et au journalisme, Gowan s’en prit au leadership de Benjamin, grand maître des orangistes, à la réunion de la grande loge qui eut lieu à Kingston en 1853. Benjamin était devenu un rival puissant, car les orangistes lui attribuaient l’abrogation de la loi interdisant les défilés orangistes. Mais les partisans de Gowan, plus agressifs et mieux organisés, parvinrent à le faire élire grand maître. Au cours de la lutte et après, les partisans de Benjamin firent état des accusations qu’avait portées contre Gowan l’orangiste irlandais G. P. Bull, avec lequel Gowan s’était disputé en Irlande. Bull était arrivé au Canada en 1832 et avait immédiatement attaqué Gowan, l’accusant de n’être qu’un imposteur, sous prétexte qu’il n’était pas membre de la Grand Lodge of Ireland qui venait d’être reformée en 1828, un peu avant son départ au Canada. Comme Gowan avait été le grand secrétaire adjoint d’une organisation reconnue parla British Grand Lodge, l’accusation de Bull avait peu de poids. Mais ce dernier fit également circuler le compte rendu d’une cause (opposant Hopkins et Gowan) entendue devant un tribunal irlandais, à propos d’un testament, et au cours de laquelle on avait émis des doutes sur la filiation légitime de Gowan. Un témoin avait déclaré que Gowan avait été apprenti cordonnier. Bien que Bull eût été auparavant coupable de déclarations mal fondées (il fut emprisonné en Irlande pour diffamations contre un prêtre catholique), ses accusations semblent avoir amené les orangistes de Montréal à refuser d’avoir Gowan pour chef dans les années 30 et les ennemis de ce dernier dans le Haut-Canada firent, de temps en temps, circuler ces rumeurs. Cependant le grand public n’en fut guère impressionné, semble-t-il, et encore moins les amis de Gowan.
Après la défaite de Benjamin, la minorité qui lui avait accordé son appui forma une grande loge séparée qui, au dire de ses membres, était la seule vraie grande loge d’Amérique du Nord britannique. Les chefs dissidents accusaient Gowan de se servir des loges à des fins politiques, mais, de leur côté, ils en faisaient tout autant. Ils se contentaient de prôner une ligne de conduite plus authentiquement anticléricale. Les accusations se firent plus vives encore lorsque Gowan, après avoir hésité entre une alliance protestante avec les réformistes et une alliance des conservateurs avec les « bleus » français, choisit ce dernier parti, laissant aux partisans de Benjamin le soin d’appuyer la campagne de George Brown en faveur de la représentation basée sur la population. Gowan chercha à obtenir le soutien des catholiques, en prétendant, avec les autres conservateurs, que la sécularisation totale des réserves du clergé mettrait en danger la position toute particulière de l’Église catholique dans le Québec et les aspirations des catholiques dans toute la province. Gowan arriva à rallier la plupart des voix des orangistes autour des conservateurs, mais fut lui-même battu dans la nouvelle circonscription d’Ontario-Nord en 1854, et fut forcé de vendre le Patriot à James Beaty* qui le fusionna avec le Leader.
Gowan mena une campagne vigoureuse contre la faction dissidente de Benjamin qu’il accusa à l’occasion, quoique sans preuves, de chercher à créer un mouvement d’opposition contre tous les immigrants. Des 563 loges canadiennes, 106 seulement suivirent Benjamin, et toutes celles des provinces maritimes se rangèrent derrière Gowan. Cependant le schisme était fort peu populaire auprès de l’orangiste moyen et Gowan accepta de donner sa démission de grand maître en 1856. On put alors réunir les deux factions sous la direction de George Lyttleton Allen qui avait été grand secrétaire pendant des années.
L’année suivante, Gowan se présenta de nouveau dans la circonscription d’Ontario-Nord et, une fois encore, il fut battu. Les orangistes de l’endroit l’accusaient en effet de s’être « laissé acheter par le pape ». Cette humiliation fut effacée dans une certaine mesure, au printemps de 1858, alors qu’il remporta la victoire à une élection partielle qui eut lieu dans la circonscription de Leeds-Nord. Pendant ses campagnes, Gowan rendit Brown furieux en adoptant son slogan de « représentation basée sur la population » et en le transformant en « représentation basée sur la population et sur le territoire ». Brown attaqua Gowan, disant qu’il était « un authentique représentant du parti du clergé, tout en se faisant passer pour un orangiste et un bon protestant », et il déclara qu’aucune circonscription ne voudrait de lui comme député.
Après la victoire de Gowan à l’élection partielle, Brown reprit ses attaques contre lui, déclarant que le gouvernement trouverait gênante sa présence au parlement, et qu’il était encore plus dangereux pour ses amis que pour ses ennemis. Mais lorsque Gowan abandonna la politique provinciale en 1861, on le qualifia de « père de l’Assemblée ». La décision prise par Gowan de se retirer de l’arène politique à l’âge de 58 ans ne put s’expliquer, apparemment du moins, que par le besoin de repos et peut être par le désir d’acquérir une plus grande sécurité financière. Il accepta les fonctions d’inspecteur au département des mandats-poste, au ministère des Postes du Haut-Canada, fonctions qu’il exerça pendant bien des années, avant de devenir inspecteur des permis et chargé de les délivrer pour la ville de Toronto, de 1869 à 1874. Pendant les années 60, il se consacra également au mouvement orangiste, et particulièrement à la création de l’Imperial Grand Council, à Belfast en 1867. Dès 1855, Gowan avait écrit au grand maître d’Irlande, le comte d’Enniskillen, lui suggérant des rencontres périodiques entre les orangistes des différentes parties de l’Empire britannique. Il assista à un congrès préliminaire à Belfast en 1866, à titre de représentant de la Provincial Grand Lodge of Western Canada, et c’est alors qu’il proposa qu’un grand conseil impérial ait lieu tous les ans pour « étudier la situation de l’orangisme et du protestantisme en général, et pour trouver les moyens de donner plus d’expansion au mouvement ».
Gowan avait épousé Francis Anne Turner, de Wexford, qui mourut en 1852. De ses onze enfants deux fils, soit l’aîné, Nassau, qui devint ministre de l’Église méthodiste New Connexion, et Harcourt, furent d’éminents orangistes. Parmi ses filles, Aliza Amelia épousa le révérend William Peck de Lansdowne et Frances Jane épousa Thomas Roberts Ferguson. Gowan se remaria en 1866, avec Alice Hitchcock.
À bien des égards, Gowan ressemble aux leaders chartistes irlandais tels que Feargus O’Connor et Bronterre O’Brien. Comme eux, c’est dans l’Irlande des années 20 qu’il apprit l’art d’une éloquence populaire, au moment où la Catholic Association de Daniel O’Connell dominait la scène. Comme eux, Gowan était un orateur éloquent, avec un flair tout spécial pour le journalisme populaire, et il était passé maître dans la manœuvre politique. Comme eux également, Gowan utilisa ces talents au maximum, mais à la différence des chartistes, sa politique était plus conventionnelle et ses opinions plus modérées. Dans les questions d’ordre général, ses vues étaient sensiblement les mêmes que celles de John A. Macdonald. Après 1850, le fait d’être orangiste ne barrait plus l’accès aux fonctions importantes, et pourtant, bien que des hommes comme Mackenzie, Hincks et Macdonald aient eu l’occasion d’apprécier la compétence de Gowan comme leader populaire, il n’obtint aucun poste important, car la plupart des réformistes et presque tous les tories du « Family Compact » ne le considéraient pas comme un homme « respectable ».
Cette impression que donnait Gowan venait surtout de son style et de son allure, mais aussi de ce qu’il était sans cesse impliqué dans des querelles privées aboutissant souvent devant les tribunaux. Le premier et le plus grave de ces épisodes fut sa longue dispute avec G. P. Bull. Mais Gowan fut certainement le plus remarquable des grands maîtres orangistes canadiens ; et il donna au mouvement le prestige et la direction énergique dont il avait besoin à l’époque où il se formait, c’est-à-dire dans les années 30. Dans les années 50, les loges, ayant acquis une place solide dans la société canadienne, furent mieux servies par des chefs sans trop d’originalité, comme Benjamin et Cameron.
Les écrits politiques de Gowan, assaisonnés de citations du vicomte Bolingbroke et d’Edmund Burke, nous offrent des commentaires perspicaces sur les affaires du temps. C’est sa lettre sur le gouvernement responsable, parue en 1839, qui eut le plus d’influence, mais son œuvre littéraire la plus importante fut un ouvrage en plusieurs volumes, intitulé Orangeism, its origins and history et dont trois volumes furent publiés à Toronto en 1859 et en 1860. Le quatrième volume, qui traitait du mouvement orangiste au Canada, ne fut jamais publié, et le manuscrit en a été perdu. Les volumes parus donnent de nombreux et précieux renseignements sur l’orangisme irlandais ; on y trouve aussi beaucoup de folklore orangiste et une interprétation de l’histoire propre à la secte.
Ogle Robert Gowan est l’auteur de The Annals and defence of the Loyal Orange Institution of Ireland (Dublin, 1825) ; An important letter on responsible government (Toronto, 1839) ; et Orangeism ; its origin and history (3 vol. parus, Toronto, 1859–1860). On peut trouver la liste de ses autres ouvrages dans Morgan, Bibliotheca Canadensis.
Les principales sources manuscrites sont FM 27, I, E30 (Papiers T. R. Ferguson) et FO 5, A1, aux APC, et, aux PAO, les papiers de A. N. Buell, de sir James Robert Gowan et de Ogle Robert Gowan (ces derniers sont décevants car ils ne contiennent que quelques lettres échangées principalement entre Gowan et son cousin James R. Gowan* entre 1825 et 1843), et la collection Mackenzie-Lindsey. Un album sur Gowan, compilé par sa fille, Mme Emily Ferguson, et actuellement en la possession du colonel Ashmore Kidd, Kingston, Ont., contient un nombre important de notes et de coupures intéressantes. Une série de lettres écrites par l’une des petites-filles de Gowan furent publiées dans le Mail and Empire (Toronto), le 15 mars 1930 et le 12 juill. 1934, ainsi que dans le Globe and Mail (Toronto), le 12 oct. 1938 ; ces lettres nous donnent des détails précieux sur la vie de Gowan.
Les sources les plus riches sont les journaux et plus particulièrement le Brockville Statesman de Gowan, 1836–1851, et son Toronto Patriot, 1852–1854. D’autres journaux donnent également des renseignements utiles : le Colonial Advocate, 1829–1834, le Constitution, 1836–1837, l’Examiner, 1838–1855, et le Globe, 1844–1861, de Toronto ; le Pilot and Journal of Commerce, 1844–1862, et le Vindicator and Canadian Advertiser, 1828–1837, de Montréal ; l’Orange Lily and Protestant Vindicator, 1849–1854, de Bytown (Ottawa) ; enfin, le Brockville Gazette, 1831–1832, et le Brockville Recorder, 1830–1849. Les Annual reports of the Grand Lodge of the Loyal Orange Association of British North America contiennent certains des discours de Gowan et les rapports annuels de 1853 à 1856 relatent abondamment le schisme du mouvement orangiste. La brochure la plus intéressante est Interesting trial : Hopkins against Gowan, Wexford spring assizes [...] (Dublin, 1827 ; Kingston et Toronto, 1837).
Dans son ouvrage intitulé Macdonald, young politician, Creighton analyse les relations qu’entretint Gowan avec John A. Macdonald, et dans One man’s loyalty ; background of first grand master, Ogle R. Gowan [...] (« History of the Orange Association in the Dominion of Canada », no 1, s.l., 1953), [Walter McCleary] essaie d’écrire une histoire officielle de l’ordre orangiste et donne une biographie de Gowan assez incomplète. Il faut citer les trois articles, intéressants et approfondis, sur l’orangisme ; de l’historien et orangiste W. B. Kerr : The Orange order in Upper Canada in the 1820’s, et The Orange order and W. L. Mackenzie in the 1830’s, publiés dans le Sentinel and Orange and Protestant Advocate (Toronto), 19 janv., 2 févr., 16 févr., 2 mars, 16 mars, 6 avril, 20 avril, 4 mai, 18 mai 1939, When Orange and Green united, 1832–9 ; the alliance of Macdonnell and Gowan, dans l’Ont. Hist., XXXIV (1942) : 32–42.
Les articles nécrologiques parus en août 1876 dans des journaux de Toronto tels que le Globe, le Leader et le Mail rendent compte brièvement de la vie de Gowan et contiennent des erreurs. On peut également trouver des renseignements biographiques dans Encyclopedia Canadiana, V : 5 ; Morgan, Sketches of celebrated Canadians, 777–779 ; Sketches of the 13th parliament in Upper Canada (Toronto, 1840) ; Wallace, Macmillan dictionary, 274 ; et Davin, Irishman in Canada, 411. [h. s.]
Hereward Senior, « GOWAN, OGLE ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gowan_ogle_robert_10F.html.
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Auteur de l'article: | Hereward Senior |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1972 |
Année de la révision: | 1972 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |