CAZEAU, CHARLES-FÉLIX, prêtre catholique et vicaire général, né à Québec le 24 décembre 1807, fils de Jean-Baptiste Cazeau, charron, et de Geneviève Chabot, décédé dans la même ville le 26 février 1881.
Charles-Félix Cazeau commence ses études classiques en 1819 au collège de la paroisse Saint-Roch, à Québec, fondé l’année précédente par Mgr Joseph-Octave Plessis* ; Charles-François Baillargeon*, futur archevêque de Québec, compte alors parmi ses professeurs. En 1822, il entre au séminaire de Nicolet où il poursuit ses études jusqu’au moment où Mgr Plessis, qui a financé son séjour à Nicolet, se l’adjoint en 1825 comme sous-secrétaire. Tout en se familiarisant avec l’administration du diocèse, il poursuit ses études théologiques au grand séminaire de Québec. Ordonné prêtre par Mgr Bernard-Claude Panet* le 3 janvier 1830, il occupe le poste de secrétaire du diocèse de Québec dès le lendemain, en même temps qu’il devient chapelain de la Congrégation des hommes de Notre-Dame de Québec. Il en assumera la direction spirituelle jusqu’en avril 1849 et agira à titre de secrétaire du diocèse jusqu’en octobre 1850.
Au moment où Cazeau est nommé secrétaire, l’Église catholique canadienne souffre d’une grave pénurie de prêtres, de sorte qu’au lendemain de leur ordination ceux-ci sont aussitôt dépêchés dans une paroisse ou dans une mission. Parmi les prêtres ordonnés au cours des 30 premières années du xixe siècle, Cazeau et Ignace Bourget seront les seuls à n’occuper que des fonctions administratives pendant toute leur vie sacerdotale.
Dès les premières années où il agit à titre de secrétaire, se manifestent chez Cazeau les principales caractéristiques qui marqueront sa longue carrière d’administrateur à l’archevêché de Québec. Sous l’épiscopat de Mgr Panet, il est surtout chargé de mettre en application les décisions relatives à l’administration temporelle du diocèse : érection de nouvelles paroisses et division d’anciennes, affectation de prêtres à de nouveaux postes ou à de nouvelles fonctions, construction d’églises, réponse à diverses requêtes de paroissiens. Bien qu’âgé de 22 ans seulement, Cazeau semble déjà jouir d’une grande confiance de la part de l’évêque. En septembre 1830, l’abbé Narcisse-Charles Fortier*, ex-secrétaire des évêques Plessis et Panet, n’est pas sans l’ignorer quand il suggère à son ami Charles-François Painchaud* de passer par l’entremise de Cazeau pour faire accepter par l’évêque son choix d’un directeur pour le collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière : « Par le moyen de Cazeau, vous réussirez dans cette affaire. » Simultanément, Cazeau s’initie à ce qui deviendra plus tard sa principale fonction, celle de porte-parole de l’épiscopat auprès du gouvernement. Au cours de l’automne de 1831, il assiste aux séances de la chambre d’Assemblée du Bas-Canada, lors de la discussion d’un projet de loi sur les fabriques, et c’est lui qui semble transmettre au député Jean-François-Joseph Duval les desiderata des évêques à propos de ce projet. Cazeau prend aussi conscience dès cette époque de l’importance de la presse pour servir les intérêts de l’Église. En 1831, il tente en vain d’intéresser les évêques Panet et Jean-Jacques Lartigue* à la fondation d’un journal qui serait dirigé par un prêtre de talent, entreprise qu’il juge « nécessaire pour s’opposer aux doctrines antipolitiques et anti-religieuses qui [...] viennent d’outremer ». Malgré cet échec, il n’en intervient pas moins indirectement au niveau de la presse, en cherchant à éviter des heurts possibles entre les hommes politiques et les représentants du clergé. À la fin de la même année, il prend l’initiative de conseiller à Mgr Lartigue, qui s’apprête à faire publier un article dans un journal de Québec, d’en retrancher un reproche à l’adresse de deux députés, afin de ne pas les indisposer contre le clergé, lequel pourrait en avoir besoin par la suite.
C’est sans doute à cause des connaissances approfondies de Cazeau des affaires du diocèse que Mgr Joseph Signay*, successeur de Mgr Panet, le maintient à son poste de secrétaire en février 1833, puisque le nouvel évêque, durant les 16 années que durera son épiscopat, manifestera beaucoup de méfiance à son endroit. Dès le mois d’août suivant, le nouveau coadjuteur de Mgr Signay, Mgr Pierre-Flavien Turgeon*, lui demande de témoigner plus de confiance envers Cazeau et lui suggère de ne pas trop l’humilier. Mgr Turgeon souligne d’ailleurs que l’évêque a d’autant plus intérêt à ménager son secrétaire « que l’on ne peut se passer de ses services ». La situation ne semble guère s’améliorer, car, le 16 juillet 1834, un ami de Cazeau, Mgr Joseph-Norbert Provencher*, l’incite à demeurer à son poste jusqu’à ce qu’il en soit chassé, sinon « tout va s’en aller sens dessus dessous, dans le diocèse ». Cazeau choisit donc de continuer à assumer sa tâche à l’évêché sans récriminer contre son supérieur, jusqu’à ce que l’avenir même de l’archidiocèse lui paraisse dangereusement compromis par l’attitude de Mgr Signay. Au début de 1846, Cazeau communique secrètement ses inquiétudes à Mgr Bourget et l’invite à venir constater par lui-même l’état déplorable des affaires de l’archidiocèse, créé en 1844, situation qu’il impute à l’impéritie de Mgr Signay. Peu avant le départ de Mgr Bourget pour Rome à l’automne de la même année, Cazeau lui suggère d’intercéder auprès du Saint-Siège pour demander la démission de Mgr Signay et il lui fournit les renseignements nécessaires pour justifier une telle démarche. Rome tardant à se prononcer, Cazeau presse Mgr Bourget à plusieurs reprises, au cours des années 1846 à 1848, de réitérer sa demande de démission de Mgr Signay auprès du Saint-Siège, en même temps qu’il l’engage à persuader l’archevêque de Québec d’offrir lui-même sa résignation. Mais, en novembre 1848, Cazeau découvre que Mgr Signay avait déjà offert sa démission à Rome depuis le 17 mars de la même année, à l’insu de son entourage. Il en avise aussitôt Mgr Bourget tout en l’exhortant à intervenir de nouveau auprès du Saint-Siège pour que la demande de Mgr Signay soit refusée, car elle est assujettie d’une condition financière telle que son successeur serait dans l’impossibilité de faire face aux besoins de l’administration de l’archidiocèse. Mgr Signay s’entend finalement avec ses collaborateurs immédiats quant aux modalités de sa résignation et, le 10 novembre 1849, il confie l’administration de l’archidiocèse à son coadjuteur, Mgr Turgeon. Moins d’un an plus tard, ce dernier prend possession du siège métropolitain de Québec, à la suite du décès de Mgr Signay, et, dès le lendemain, le 9 octobre 1850, il confère à Cazeau le titre de vicaire général.
Durant le mandat épiscopal de Mgr Signay, seulement quatre personnes, assistées à l’occasion d’un ou deux auxiliaires, administrent l’un des diocèses les plus étendus au monde : l’évêque, son coadjuteur, un secrétaire et un sous-secrétaire. Cazeau est donc amené à assumer une part importante de la gestion des affaires, et ce, d’autant plus que la maladie force souvent le coadjuteur Turgeon à prendre des périodes de repos plus ou moins prolongées. Au cours de ces années, Cazeau, dont le pouvoir dépasse de plus en plus son titre de mandataire de l’évêque, veille notamment à ce que l’érection des nouvelles paroisses soit valable tant sur le plan civil que canonique, et intervient souvent pour régler les conflits opposant des paroissiens ou des marguilliers à leur curé. Outrepassant quelque peu son mandat de secrétaire, il morigène parfois certains prêtres qui s’insurgent contre leur évêque. Sur ce chapitre de la discipline ecclésiastique, Cazeau se montre d’ailleurs intransigeant, et l’incapacité de Signay dans ce domaine est un des motifs qui le poussent à engager Mgr Bourget à demander la démission de l’évêque de Québec : « Le Clergé, lui écrit-il en 1846, s’accoutume à ne pas respecter ses chefs, et il faudra bien des années pour rétablir les choses dans leur état normal. » Cazeau n’hésite pas à rappeler, même à des ecclésiastiques qui occupent un rang supérieur au sien, dans la hiérarchie, leurs devoirs de respect et d’obéissance envers l’évêque de Québec. En 1836, il reproche à Mgr Lartigue, à l’occasion de la prise en charge de son siège épiscopal à Montréal, son attitude cavalière à l’endroit de Mgr Signay. Dix ans plus tard, il réprimande le vicaire général Alexis Mailloux* qui accuse Mgr Signay de malveillance à son égard. Au demeurant, les relations de Cazeau avec l’ensemble des membres du clergé s’avèrent cordiales, et plus d’un prêtre préfère s’adresser à lui pour obtenir une autorisation quelconque de la part de l’évêque ou de son coadjuteur.
Cazeau joue un rôle important dans l’élan missionnaire que connaît l’Église canadienne à compter des années 1840, à la suite d’une augmentation notable de ses effectifs. Grâce à lui et à Mgr Turgeon, Mgr Provencher obtient pour l’Ouest, en 1844, des missionnaires oblats, recrutés en France par Mgr Bourget. Au Bas-Canada, les desservants des missions du Saguenay et de la côte nord, notamment les pères Jean-Baptiste Honorat* et Flavien Durocher*, correspondent fréquemment avec Cazeau, lui faisant part de leurs travaux et recourant à ses services pour des questions d’ordre matériel : transactions financières, interventions auprès du gouvernement à propos d’octroi de terres aux Amérindiens, engagements d’ouvriers, achats d’objets divers nécessaires au culte et surveillance de l’impression d’un livre de prières. Lorsque des missionnaires se plaignent des tracasseries que leur imposent certains agents de la Hudson’s Bay Company, Cazeau transige le règlement de ces différends avec James Keith*, fonctionnaire de la compagnie résidant à Lachine, ou encore avec le gouverneur sir George Simpson*, de même qu’il s’entend avec eux pour fixer les conditions de passage de nombreux missionnaires vers l’Ouest, dans des canots de la compagnie. Mais le rôle principal de Cazeau consiste à gérer les fonds consacrés à l’activité missionnaire par l’Œuvre de la propagation de la foi à Québec. Besogne fatigante, confie-t-il en avril 1850 à Mgr Provencher, qui l’oblige à tenir un compte rigoureux de l’argent qu’il distribue aux missions du Bas-Canada comme à celles de l’Ouest, et qui l’astreint à entretenir une volumineuse correspondance, non seulement avec les nombreux missionnaires, mais encore avec les conseils de l’association situés à Lyon et à Paris, ainsi qu’avec l’abbé Mailly, procureur de certains évêques canadiens à Londres.
Officiellement, ce sont les évêques en titre qui dialoguent avec les représentants du gouvernement, mais Cazeau, malgré son rang de simple secrétaire, n’en devient pas moins, au cours des années 1840, un personnage clé des relations entre l’Église et l’État. Il surveille étroitement les travaux législatifs et intervient régulièrement lorsque les intérêts de l’Église sont en jeu. Il prend connaissance des nouveaux projets de loi susceptibles d’affecter le statut juridique de toute corporation religieuse, consulte les évêques concernés, rédige lui-même au besoin le brouillon d’amendements qu’il communique ensuite au député ou au ministre chargé de piloter le projet à l’Assemblée, tout en lui fournissant, si nécessaire, des arguments pour contrer une éventuelle opposition pouvant surgir au cours des débats. Cazeau prend ainsi une part plus ou moins active à la législation concernant les paroisses, la reconnaissance juridique d’établissements religieux, d’éducation et de charité, la constitution des évêques en corporation, l’immigration et les auberges. Il intervient aussi auprès des fonctionnaires ou des commissaires nommés par le gouvernement pour appliquer certaines ordonnances ou certaines lois, lorsque leurs décisions risquent de porter préjudice aux droits acquis de l’Église. Il conclut encore avec les gouverneurs généraux, tantôt directement, tantôt par l’entremise de leurs collaborateurs, des ententes relatives à la nomination et aux conditions de travail de prêtres dans des établissements sous la juridiction de l’armée britannique, comme les hôpitaux militaires et la station de quarantaine de la Grosse Île, Bas-Canada. Enfin, plusieurs membres du clergé et même certains laïcs ayant une faveur à obtenir du gouvernement ou une requête à lui adresser chargent Cazeau d’intercéder en leur nom, s’assurant ainsi une plus grande chance de succès.
Au lendemain de son accession au siège épiscopal à la fin de 1850, Mgr Turgeon augmente sensiblement le nombre de ses conseillers et collaborateurs, ce qui libère Cazeau de certaines tâches administratives et lui permet de se consacrer davantage à son rôle d’émissaire des évêques canadiens auprès des autorités gouvernementales. Les multiples démarches de Cazeau ne visent plus seulement à sauvegarder les intérêts de l’Église mais elles tendent désormais à assurer à celle-ci une certaine influence sur le pouvoir civil. Ainsi, en 1851, Cazeau engage Louis-Hippolyte La Fontaine*, procureur général du Bas-Canada, à confier la direction d’une école normale, dont le gouvernement prévoyait la création, à un bureau d’Éducation plutôt qu’à un ministère, afin de permettre à l’épiscopat ou à des personnes choisies par lui de diriger cette institution. Deux ans plus tard, Cazeau influence les ministres en incluant parmi les membres composant le « sénat » de l’University of Toronto le supérieur du Collège de Bytown (Ottawa). En décembre 1854, il songe à faire nommer au Conseil législatif un candidat favorable à l’épiscopat. Deux mois plus tôt, il avait même demandé à un ministre de supprimer une phrase contenue dans le préambule du projet de loi visant à séculariser les « réserves » du clergé, sous prétexte qu’elle pouvait laisser croire que l’État désirait s’affranchir « de tout contrôle religieux », alors qu’à son avis, les sociétés ne peuvent se gouverner « sans le secours de la religion ». À ce moment-là, l’influence de Cazeau auprès des hommes politiques est telle que Mgr Joseph-Bruno Guigues*, évêque d’Ottawa, le considère comme étant presque un ministre de la couronne.
Les interventions politiques de Cazeau sont toujours discrètes, officieuses. Elles revêtent le caractère feutré des jeux de coulisse. Sa place dans la hiérarchie cléricale le dispose mal d’ailleurs pour les actions éclatantes et les déclarations fracassantes : « Un bon grand vicaire, lui écrivait si justement Mgr Bourget à l’occasion de sa nomination au grand vicariat, se doit de travailler dans l’ombre de son évêque. » Cazeau s’accommode fort bien de ce conseil. Rares, en effet, sont les déclarations publiques signées de sa main. Quelques rectifications et mises au point dans les journaux lui suffisent quand il se sent attaqué personnellement, comme ce fut le cas en 1850, par exemple, lorsque Jean-Baptiste-Éric Dorion* de l’Avenir et Édouard-Louis Pacaud, dans le Moniteur canadien (Montréal), l’accusent de « cabaler » pour un candidat ministériel dans les comtés de Québec et de Mégantic. Ces interventions dans les journaux, qui remontent aux années 1830, se feront plus nombreuses et plus importantes à mesure que se multiplient ses relations avec les hommes éminents du parti libéral-conservateur, dont La Fontaine, Augustin-Norbert Morin*, René-Édouard Caron*, Étienne-Paschal Taché*, Jean-Charles Chapais, George-Étienne Cartier*, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau et même « Dear Brother » John Alexander Macdonald*. Son emprise sur une certaine presse cléricale et conservatrice, comme ce fut le cas avec le Courrier du Canada durant les années 1860 [V. Léger Brousseau], son opposition farouche et déterminée au libéralisme et son soutien indéfectible au parti libéral-conservateur trouvent leur motivation ou leur explication dans l’alliance conclue entre le clergé et les Patriotes modérés après les rébellions de 1837 et 1838 : alliance qui est à l’origine de la définition et du maintien, au sein de la société québécoise, d’un nationalisme de survivance, conservateur et défensif.
Sans abandonner son rôle de promoteur des intérêts de l’Église auprès de l’État, comme en témoignent ses interventions officieuses concernant la loi présentée par Thomas-Jean-Jacques Loranger Sur la présidence des assemblées de fabrique (1860), celles des écoles « séparées » (1861 et 1866), la loi sur les registres de mariages, baptêmes et sépultures (1862), puis le Code civil (1865) [V. René-Édouard Caron], Cazeau n’en continue pas moins, tout au long de l’épiscopat de Mgr Turgeon et de Mgr Charles-François Baillargeon, de 1850 à 1870, d’expédier les affaires courantes de l’archidiocèse. Aumônier de la Congrégation des Sœurs servantes du Cœur-Immaculé de Marie, dites sœurs du Bon-Pasteur, à Québec, il veille à l’installation des communautés religieuses dans certaines paroisses comme Saint-Patrice, à Rivière-du-Loup, Saint-Louis, à Lotbinière, et Saint-François-Xavier, à Chicoutimi. Durant cette période, c’est également lui qui supervise la création des nouveaux diocèses de la province ecclésiastique de Québec. Chargé d’affaires de Mgr Alexandre-Antonin Taché* du Manitoba et procureur des évêques Edward John Horan* de Kingston et Guigues d’Ottawa, il trouve le temps de faire fructifier leur avoir par de bons placements dans les banques et auprès d’amis comme l’homme d’affaires Thomas McGreevy*.
L’intérêt de Cazeau pour l’éducation le pousse naturellement à en favoriser le développement. Il assiste à l’inauguration de l’école normale Laval, le 12 mai 1857, et, le mois suivant, il prononce une allocution au banquet des instituteurs, parmi lesquels se retrouvait sans doute son frère Vincent, instituteur lui-même. C’est grâce à son intercession que le collège de Bytown, à Ottawa, le St Michael’s College, à Toronto, et l’école du père Flavien Durocher dans le quartier Saint-Sauveur à Québec reçoivent régulièrement leurs subventions gouvernementales. Son soutien à l’université Laval. est constant. Fidèle à l’attitude de l’archevêché de Québec et à celle du recteur de Laval, il n’hésitera pas lui aussi à faire pression jusqu’au Vatican pour contrer le projet d’une université rivale à Montréal [V. Charles-François Baillargeon].
C’est manifestement au moment de la Confédération que le militantisme politique de Cazeau prend des dimensions exceptionnelles par rapport à l’ensemble de sa carrière. Depuis la Grande Coalition de juin 1864 [V. George Brown*] jusqu’à la veille des élections de l’été de 1867, au cours duquel les parlements d’Ottawa et de Londres procédèrent à l’adoption de la nouvelle constitution, le clergé reste officiellement coi. Pourquoi parlerait-il publiquement d’une question sur laquelle l’électorat n’a pas à se prononcer ? Il se manifeste donc toujours privément chaque fois qu’il juge ses intérêts menacés, par des pressions sur les parlementaires et, à l’occasion, sur les journalistes. Cazeau s’y emploie avec tact, fermeté et célérité.
Le 23 juin 1864, au lendemain de la formation du cabinet de coalition, George Edward Clerk* du True Witness and Catholic Chronicle (Montréal) dénonce avec vigueur cette union « avec le fanatique et anticlérical [George] Brown ». Le grand vicaire lui en fait reproche le jour même et s’en plaint deux jours plus tard auprès de l’évêque de Montréal : « Il n’y avait pas à balancer, lui écrit-il, pour se garantir contre l’anarchie, il fallait recourir à cette union, quelque disproportionnée qu’elle paraisse. » Bourget refuse d’intervenir auprès du journaliste. Cazeau revient à la charge au mois de novembre suivant. C’est à sa suggestion que les évêques, réunis à Trois-Rivières pour célébrer les 50 ans de prêtrise de Mgr Thomas Cooke*, adressent à Bourget leurs plaintes contre le True Witness qui s’oppose maintenant aux aspects trop libéraux du projet de confédération. C’est le 7 novembre et on connaît alors le contenu des résolutions de la conférence de Québec qu’Antoine-Aimé Dorion* dénonce le même jour dans un manifeste à ses électeurs du comté d’Hochelaga.
Quand la législature est saisie du projet de confédération, le 3 février 1865, l’épiscopat bas-canadien, à l’exception de Bourget, a donc décidé de l’appuyer depuis quelques mois déjà. Le sachant, ministres et députés ministériels n’hésitent pas à engager le clergé derrière eux. Ainsi, le 7 février, à l’Assemblée, Cartier proclame l’adhésion du clergé, au grand mécontentement du grand vicaire Alexis-Frédéric Truteau*, de Montréal, mais sans inquiéter l’évêché de Québec. « Qui ne dit mot consent », confie Mgr Baillargeon à l’évêque de Kingston. C’est aussi l’opinion de Cazeau.
Les débats soulèvent deux questions délicates pour le clergé, l’une relative au divorce et l’autre aux droits des minorités. À propos de la première question, il faut rappeler que les délégués à la conférence de Québec prévoyaient insérer dans la nouvelle constitution un article relatif au mariage et au divorce, et en confier la juridiction au gouvernement fédéral. Comme le divorce n’était pas admis dans le Bas-Canada, une controverse s’installera parmi les chefs ecclésiastiques ; les autorités religieuses de Québec se montreront accommodantes, tandis que celles de Montréal manifesteront leur intransigeance à l’exemple de Pie IX dans son encyclique Quanta cura. Pour Cazeau, les législateurs catholiques se doivent « de tolérer un mal qu’ils ne peuvent pas empêcher ». Quel contraste avec l’attitude qu’il adoptera en 1870 au sujet d’un projet de loi analogue autorisant le divorce au Nouveau-Brunswick ; faisant sienne alors l’opinion de l’évêché de Montréal, il demandera, dans une lettre du 3 mars 1870 adressée à Cartier, de retirer ce projet comme le lui commande le Syllabus. Il est vrai qu’en 1865, à l’archevêché de Québec, le projet de confédération « est passé à l’état de dogme et [que] l’on est à chercher comment on peut sauter par dessus celui du mariage » pour préserver ce dessein politique.
Sur la question des droits des minorités du Bas et du Haut-Canada, débattue devant l’Assemblée à l’été de 1866, l’épiscopat fait l’unanimité et accepte difficilement la mollesse de ses alliés conservateurs. Que proposent-ils, en effet, pour les catholiques haut-canadiens comparativement à ce qu’ils accordent déjà aux protestants du Bas-Canada ? On pense particulièrement aux comtés protégés, au bilinguisme et au Conseil législatif. Dans ce contexte, l’hostilité des députés haut-canadiens au projet de loi du député de Russell, Robert Bell*, en 1866 sur les écoles séparées, projet analogue à celui qu’Hector-Louis Langevin* présentait, le 31 juillet, pour les protestants du Bas-Canada, frise la démesure et l’insulte [V. Joseph-Édouard Cauchon]. Cela gêne beaucoup l’évêché de Québec : « Que voulez-vous qu’on dise à nos amis et à nos ennemis pour vous justifier ? », confie Cazeau à Cartier, le 3 août 1866. Cartier retire le projet de loi Langevin. Cazeau l’en félicite aussitôt, mais non sans le tenir « pour responsable de ce qui sera réglé » à Londres à propos des privilèges de la minorité anglophone du Bas-Canada.
Depuis juin 1864 et particulièrement durant les débats constitutionnels de 1865 et de 1866, les pouvoirs politiques et religieux collaborent spontanément, malgré quelques divergences qui n’ébranlent jamais sérieusement leur confiance réciproque. Cette coopération est si étroite qu’à l’automne de 1865, à la demande de Cartier, Cazeau et l’évêque de Kingston, Mgr Horan, vont dans les Maritimes avec la mission de convaincre les catholiques du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse d’accepter la confédération. Aux élections de mars 1865 au Nouveau-Brunswick, le gouvernement conservateur de Samuel Leonard Tilley* avait été défait sur la question même de la confédération. On attribue ce revers à la défection des catholiques, dont les Acadiens, et à celle du clergé opposé au projet, à l’instar des évêques de Saint-Jean et de Chatham. Ce sont les circonstances qui incitent Tilley et Cartier à solliciter l’intervention de Cazeau et de Horan : « Plus les événements se déroulent, écrit Cartier à Cazeau, plus nous devons sentir les besoins de la Confédération pour ne pas être absorbés dans l’horrible, le vulgaire et l’anti-catholique système démocratique de nos voisins. » C’était aussi la conviction de Cazeau. Sont-ce ces arguments qui emportent l’adhésion de l’évêque James Rogers* de Chatham et de l’ensemble de la hiérarchie catholique des Maritimes ? Curieusement, il semble que la reprise du pouvoir par Tilley en 1866 soit attribuable au retour d’une partie du vote catholique de la province.
Jusqu’au printemps de 1867, le rôle politique du grand vicaire Cazeau est primordial. C’est lui qui conduit ce qu’on pourrait appeler les interventions secrètes de l’Église en faveur de la confédération, car l’archevêque de Québec est impotent depuis plus de dix ans et son coadjuteur, Mgr Baillargeon, se sent dépassé par les affaires politiques et ne fait qu’entériner les positions adoptées par ses collaborateurs. Cazeau est donc amené à jouer un rôle déterminant et occupe ainsi le vide que ne veulent remplir ni Bourget, pour des raisons idéologiques, ni les évêques Joseph La Rocque, de Saint-Hyacinthe, et Cooke, de Trois-Rivières, pour des raisons de santé. Après l’élévation de Mgr Louis-François Laflèche* au poste de coadjuteur du diocèse de Trois-Rivières, en 1867, Cazeau laissera à ce dernier le soin de convaincre l’épiscopat d’intervenir officiellement en faveur du nouveau régime. C’est Laflèche, en effet, qui avait proposé que chaque évêque prépare un mandement particulier sur le projet de confédération. À l’exception de Bourget, tous les évêques accueilleront cette idée avec enthousiasme.
Elzéar-Alexandre Taschereau* accédant à l’épiscopat en 1870, le grand vicaire Cazeau semble s’effacer un peu. Il n’en demeure pas moins encore très actif. À deux reprises, d’octobre 1870 à mars 1871 et de décembre 1872 à avril 1873, il administre l’archidiocèse en l’absence de l’archevêque. Durant cette période, il devient la cible d’une critique plus ouverte. En 1871, Alphonse Villeneuve, auteur de la Comédie infernale ou conjuration libérale aux enfers, par un illuminé (Montréal), l’accuse d’avoir volontairement déformé la pensée de l’archevêque dans le sens d’un désaveu du Programme catholique [V. François-Xavier-Anselme Trudel]. L’année suivante, Bourget dénonce l’intervention de Cazeau à propos de la loi sur les registres d’état civil, parce que celle-ci avait abouti à un amendement qui favorisait les sulpiciens dans leurs prétentions concernant la paroisse Notre-Dame de Montréal [V. Joseph Desautels].
L’évolution des mentalités dans l’Église et la société préoccupe aussi beaucoup Cazeau. La victoire des libéraux aux élections fédérales en 1874, le procès et la condamnation de l’influence indue du clergé [V. Pierre-Alexis Tremblay*], la querelle gaumiste [V. Charles-François Baillargeon] et les progrès du libéralisme catholique même au sein du clergé [V. Luc Désilets], malgré la lettre pastorale de Taschereau du 22 septembre 1875, l’attristent à tel point qu’il souhaite presque « arriver à la fin de [sa] carrière ». Ses réflexions sur l’histoire du libéralisme au Canada concordent avec la pensée officielle de l’Église depuis la Conquête. Ici et là, les mêmes références à « la loi et l’ordre », les mêmes analogies entre athéisme et déloyauté à l’Angleterre, entre démocratie et anarchie. C’est essentiellement aussi ce qu’il confie à l’éditeur de l’Événement, le 10 mars 1877, et le sens d’un article qu’il signe du pseudonyme An English speaking Catholic dans le Quebec Daily Evening Mercury en mars et avril de la même année.
Au mois de décembre 1879, Cazeau met fin définitivement à sa carrière et déménage à l’asile du Bon-Pasteur de Québec, qu’il dirigeait depuis 1862. C’est là qu’il célébrera, le 3 janvier 1880, son jubilé sacerdotal et qu’il mourra le 26 février 1881. Les témoignages qui affluent de partout à l’occasion de ces deux événements évoquent tous à leur manière les qualités d’urbanité, de politesse, de simplicité et de charité que le grand vicaire semble avoir cultivées durant toute son existence. La communauté irlandaise du Québec perdait en lui un protecteur. N’avait-il pas secouru quelque 700 orphelins lors des épidémies de 1847 et de 1849 ? Et la population de Québec, cruellement éprouvée elle aussi par ces épidémies et les incendies de 1849, 1854, 1860 et 1866, pleurait un homme dont le dévouement était devenu proverbial.
Membre de l’Institut canadien de Québec et de l’Institut littéraire de Saint-Patrice de Québec, Cazeau laissait aussi quelque souvenir parmi les intellectuels. Certains historiens et archivistes, comme Jacques Viger*, Henry de Courcy, Edmund Bailey O’Callaghan*, les abbés Jean-Baptiste-Antoine Ferland* et Louis-Édouard Bois, et même Francis Parkman le comptaient au nombre de leurs collaborateurs. Le poète Octave Crémazie* était aussi un peu son protégé.
De cet homme, que certains contemporains qualifiaient de cardinal Giacomo Antonelli du Canada (secrétaire d’État sous Pie IX) et d’éminence grise dans les coulisses même des parlements, quel meilleur témoignage invoquer que le sien pour rendre compte de sa carrière : « Ma vie, depuis 55 ans que je réside auprès des Archevêques de Québec, ne présente rien d’extraordinaire. Tout mon mérite consiste à avoir fait de mon mieux pour aider dans l’administration du diocèse les Prélats qui m’ont honoré de leur confiance. »
AAQ, 12 A, I : 130r. ; K : 45r., 86r., 120r., 121r. ; 20 A, VII : 13 ;1 CB, VII : 83 ; VIII : 41s., 82, 84s. ; XIV : 23–25 ; XVI : 1–3, 7, 9, 11, 14–20, 28s., 32–34, 49, 49a, 50, 58, 78–80, 84, 86, 90, 93, 97, 99s., 104, 107–110, 119, 131, 135, 148, 151s., 154, 173, 229, 240s., 250–255 ; 515 CD, II : 218 ; CD, Diocèse de Québec, I : 207 ; 53 CF, I : 12, 14 ; 321 CN, I : 58 ; 60 CN, XI : 139 ; 26 CP, XI : 84.— AASB, P 0 257–0 258, 0 680–0 683, 0 857–0 860, 1 860–1 866, 1 872–1 876 ; T 4 500–4 503, 5 917–5 919, 54 905–54 907 ; Ta 3 871–3 873.— AC, Québec, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 1er mars 1881.— ACAM, 295.098, 830–1 ; 295.099, 834–5 ; 295.101, 831–69, –75, –77, 836–48, –60, –69, –70, –71, –72, –77, 837–9, –18, –50, 839–15, –22, 840–5, 842–30, 846–2, –7, –10, –17, –18, –34, –37, 847–5, –15, –17, –18, –19, –20, –28, 848–5A, –8, –9, –13B, –28, –35, –36, 849–9, –11, –25, –26, –43, 850–20, –32, –46, 851–22, –71, –72A, –72B, 854–3, –6, –28, 860–27, 862–8, 864–14, 865–1, –4 ; 752.704, 872–39.— ANQ-Q, AP-G-134 ; État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 24 déc. 1807.— APC, MG 24, K3 ; MG 27, I, D8.— Arch. de l’archevêché de Sherbrooke (Sherbrooke, Québec), Fonds Antoine Racine, VII, B1, 8 oct. 1851.— Arch. de l’évêché de Nicolet (Nicolet, Québec), Brouillons de lettres envoyées à C.-F. Cazeau par J.-C. Canac-Marquis, 1848–1849, et par Jean Harper, 1832–1867.— Arch. de l’évêché de Trois-Rivières, Fonds L.-F. Laflèche, Corr. reçue, C.-F. Baillargeon, 14 mai 1867 ; Jean Langevin, 16 oct. 1870.— Archivio della Propaganda Fide (Rome), Scritture riferite nei Congressi : America Settentrionale, 8 (1865) : 992.— Arch. of the Archdiocese of Kingston (Kingston, Ontario), 1D8, Enveloppe no 10, C.-F. Cazeau à E. J. Horan, 28 mars, 13 juin, 26 août, 2 nov. 1866 ; 2D8, Enveloppe no 11, Cazeau à Horan, 10 janv. 1866, 31 mars, 9, 15 avril 1867 ; 4D9, Enveloppe no 7, C.-F. Baillargeon à Horan, 15 févr. 1865 ; Félix Buteau à Horan, 17 févr. 1865 ; Cazeau à Horan, 3 mars 1865.— ASQ, Fonds Viger-Verreau, Cartons 59, nos 155–203 ; 62, nos 228, 233, 262, 303 ; 68, no 5 ; 70, no 7.— BNQ,
Marcel Bellavance et Pierre Dufour, « CAZEAU, CHARLES-FÉLIX », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/cazeau_charles_felix_11F.html.
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Auteur de l'article: | Marcel Bellavance et Pierre Dufour |
Titre de l'article: | CAZEAU, CHARLES-FÉLIX |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |