TRUTEAU, ALEXIS-FRÉDÉRIC, prêtre séculier, chanoine, grand vicaire, supérieur de communauté religieuse, administrateur du diocèse de Montréal, né à Montréal le 11 juin 1808, fils de Toussaint Truteau, entrepreneur, et de Marie-Louise Papineau, décédé dans la même ville le 28 décembre 1872.
Alexis-Frédéric Truteau fit sa première communion le 25 mai 1818 et fut confirmé en juin 1819 par Mgr Jean-Louis Lefebvre de Cheverus, premier évêque catholique de Boston. Au collège de Montréal, il parcourut le cycle des études classiques, au terme duquel il revêtit l’habit ecclésiastique et devint professeur dans la même institution. Ce fut durant ses années de professorat qu’il étudia la théologie et reçut les différents ordres, pour être ordonné prêtre, le 18 septembre 1830, par Mgr Jean-Jacques Lartigue*.
Le 25 septembre de la même année, on le nomma vicaire à Boucherville (comté de Chambly). Le 27 septembre 1831, Mgr Lartigue l’appela à l’évêché de Montréal pour y diriger les jeunes ecclésiastiques qui, faute de grand séminaire, faisaient leur théologie chez lui. En étroite communion d’idées et de doctrine avec son supérieur hiérarchique, il insuffla à ses disciples les principes ultramontains. Plus tard l’abbé Truteau remplit les fonctions de procureur, puis celles de secrétaire de l’évêque en 1836, à la place de l’abbé Ignace Bourget*.
Lorsque Mgr Bourget, successeur de Mgr Lartigue, établit le chapitre de son évêché, il choisit Truteau comme un des premiers chanoines, qui furent installés, le 21 janvier 1841, par Mgr Charles-Auguste-Marie-Joseph de Forbin-Janson* ; en terminant la grande retraite qu’il venait de prêcher à Montréal, celui-ci avait été invité à présider cette cérémonie tout à fait nouvelle pour cette ville. Au décès du grand vicaire Hyacinthe Hudon, le chanoine Truteau fut choisi, le 21 décembre 1847, pour lui succéder dans un poste qu’il devait occuper un quart de siècle.
En 1867, lors de l’anniversaire de la mort de saint Pierre, il fit le voyage de Rome, député par son évêque, avec Mgr Joseph Desautels*, curé de Varennes (comté de Verchères), et le chanoine Étienne-Hippolyte Hicks. Le but de son voyage était de travailler, de concert avec ses collègues, au règlement des difficultés qui existaient alors, entre les sulpiciens et l’évêque diocésain, au sujet du démembrement de la paroisse Notre-Dame.
En plus de ses fonctions à l’évêché de Montréal, Truteau fut chargé de la conduite de quelques communautés religieuses, entre autres de celle de l’Institut de la Providence, dont il eut la direction comme confesseur ou supérieur pendant 21 ans. Ses subordonnées se plaisaient à le nommer « le bon Père Truteau ».
Mais le grand vicaire Truteau mérite de passer à l’histoire surtout pour le rôle capital qu’il joua dans « l’affaire Guibord » (Joseph Guibord*, dit Archambault) comme administrateur du diocèse de Montréal en l’absence de Mgr Bourget, parti le 19 janvier 1869 pour aller à Rome assister au concile du Vatican. Le 18 novembre 1869, Truteau écrivait au sulpicien Benjamin-Victor Rousselot, curé de Notre-Dame, qu’ayant reçu, la veille, « une lettre de Mgr de Montréal » lui prescrivant de « refuser l’absolution, même à l’article de la mort, à ceux qui appartiennent à l’Institut canadien et qui ne veulent pas cesser d’en être membres » [V. Doutre], il ne pourrait pas « permettre la sépulture ecclésiastique à ceux des membres qui mourront sans s’en être retirés ». « Vous me dites, ajoutait-il, que Mr Guibord était membre de l’Institut et qu’il est mort sans y avoir renoncé ; donc il m’est impossible de lui accorder la sépulture ecclésiastique. »
La veuve de Guibord, Henriette Brown, ayant intenté une action judiciaire au curé et au premier marguillier de Notre-Dame pour s’être opposés à l’inhumation de la dépouille de son mari dans la partie du cimetière réservée aux catholiques, l’administrateur Truteau fut appelé à témoigner devant le juge Charles-Elzéar Mondelet. Dans ses dépositions des 10 et 11 janvier 1870, il affirma que « la sépulture ecclésiastique », « étant du seul ressort de l’autorité ecclésiastique », avait dû « être refusée » à Guibord, « parce que l’excommunication mineure à laquelle il était soumis le rendait pécheur public », ayant encouru cette peine « du fait qu’il était membre de l’Institut canadien », « qui se trouvait, comme il se trouve encore, sous les censures de l’Église ».
Trois jours plus tard, l’administrateur rendait compte à son supérieur hiérarchique de ses actes et de son état d’esprit dans ces circonstances : « A la Cour d’enquête où j’ai été appelé, j’ai commencé par protester qu’en pareille matière, vu qu’il s’agissait d’une sépulture ecclésiastique, et non d’une simple sépulture, je ne connaissais comme mes Supérieurs, ayant droit de me faire rendre compte de ma conduite, que mon Évêque et le Saint Père. Malgré cela, le Juge Mondelet m’a forcé à parler, quoique ma protestation fût tenue sous réserve. Dans le fond, je n’étais pas fâché de répondre, afin de mieux faire connaître la conduite de l’Institut et son existence sous le fait de l’excommunication. »
Dans la même lettre, le grand vicaire Truteau faisait des pronostics au sujet de l’issue de ce procès : « Si l’affaire est plaidée devant le Juge Mondelet, l’Institut a des chances pour gagner une première fois. Mais alors la cause sera rappelée, et là il n’y aura plus de chance pour lui. » Il ne vécut pas suffisamment longtemps pour constater que, s’il avait vu juste dans la première partie de sa prédiction, il n’avait pas pressenti la sentence du Conseil privé d’Angleterre, qui devait confirmer, le 21 novembre 1874, le jugement de Mondelet.
Tous les témoignages concordent pour affirmer qu’Alexis-Frédéric Truteau fut un prêtre exemplaire, zélé, compatissant aux misères d’autrui, mais il faut ajouter que, aveuglément soumis aux directives d’un évêque passionnément ultramontain, il manqua de la souplesse et de l’ouverture d’esprit qui eussent imprimé une tout autre tournure à une « affaire », où le refus initial d’inhumation d’un catholique dans un cimetière catholique parut à un observateur impartial, le consul de France à Québec, Robert-Alexis Lefaivre, « d’une rigueur inouïe pour notre siècle ».
ACAM, 420.005.— Archives du ministère des Affaires étrangères (Paris), Correspondance politique des consuls, Angleterre, 50, f.33.— La Minerve (Montréal), 12 janv., 13 janv. 1870.— L’Institut de la Providence ; histoire des Filles de la Charité Servantes des Pauvres dites sœurs de la Providence (2 vol., Montréal, 1925-1928).— [Ignace Bourget], Mémoire pour servir à l’histoire du chapitre de la cathédrale S. Jacques de Montréal (Montréal, 1882), 141–157.
Philippe Sylvain, « TRUTEAU, ALEXIS-FRÉDÉRIC », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/truteau_alexis_frederic_10F.html.
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Auteur de l'article: | Philippe Sylvain |
Titre de l'article: | TRUTEAU, ALEXIS-FRÉDÉRIC |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1972 |
Année de la révision: | 1972 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |