PELLETIER, ALEXIS, prêtre catholique, éducateur et polémiste, né le 26 avril 1837 à Saint-Arsène, alors rattaché à la paroisse Saint-Georges de Cacouna, Bas-Canada, fils de Louis Pelletier et de Sophie Michaud ; décédé le 25 juin 1910 chez les Sœurs du Bon-Pasteur d’Angers à Montréal.

Entré au séminaire de Québec à 13 ans, Alexis Pelletier y fait ses études classiques (1850–1859) et théologiques (1859–1863), puis y entreprend une carrière d’enseignant. Il se révèle l’un des plus fidèles disciples du prêtre lorrain Jacques-Michel Stremler, chaud partisan des thèses gaumistes sur la réforme chrétienne de l’enseignement classique, qui ferait la part trop large aux classiques païens. Sous la direction de ce mentor et en collaboration avec quelques autres professeurs du séminaire, il publie à la fin de 1864, dans le Courrier du Canada, des textes qui soulèvent de vives réactions au séminaire et à l’archevêché de Québec. Interdit dans les journaux, Pelletier continue la croisade en publiant en 1865, sous le couvert de l’anonymat, deux brochures intitulées Mgr Gaume, sa thèse et ses défenseurs : les classiques chrétiens et les classiques payens dans l’enseignement et Situation du monde actuel ; coup d’œeil sur l’origine et la propagation du mal dans la société [...]. L’entrée en scène de son confrère, l’abbé Thomas-Aimé Chandonnet*, l’incite à publier la même année une troisième brochure, la Question des classiques en présence des rectifications et des critiques de M. l’abbé Chandonnet, qu’il signe du pseudonyme d’Un chrétien. Pour arrêter la zizanie qui secoue son institution, le supérieur du séminaire, l’abbé Elzéar-Alexandre Taschereau*, élimine la plupart des gaumistes. Pelletier, pour sa part, reçoit par deux fois des remontrances écrites pour « son zèle outré et imprudent » et, le 21 mai 1866, il croit prudent de démissionner pour se réfugier au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, alors dirigé par son oncle André Pelletier.

En belles-lettres comme en rhétorique, Pelletier s’avère un professeur compétent et dynamique, qui soulève l’enthousiasme de ses élèves. Toutefois, l’enseignement n’est qu’une mince partie de ses activités. Depuis plusieurs années, le collège est secoué par des affrontements féroces entre partisans et adversaires de l’abbé François Pilote* ; Pelletier ne tarde pas à en faire sa tête de Turc et il ira jusqu’à le dénoncer en 1870 comme malhonnête sinon atteint de folie. Par ailleurs, de façon tout à fait secrète et sous le pseudonyme de George Saint-Aimé, le jeune professeur publie trois brochures : une première plus didactique, la Méthode chrétienne considérée dans ses avantages et sa nécessité et réponses à certaines difficultés (1866), et deux autres au titre révélateur, Lettre à Monseigneur Baillargeon, évêque de Tloa, sur la question des classiques et commentaire sur la lettre du cardinal Patrizi (1867) et Réponse aux dernières attaques dirigées par M. l’abbé Chandonnet contre les partisans de la méthode chrétienne et commentaires sur des documents authentiques qui dévoilent les machinations de MM. les abbés Chandonnet et Benjamin Paquet (1868). Les attaques personnelles et les insinuations malveillantes entraînent la condamnation de ces écrits par l’archevêque de Québec, Mgr Charles-François Baillargeon*, et la menace de suspense ipso facto si l’auteur, inconnu, ne répare pas le scandale dans les 30 jours.

Conseillé par ses amis Stremler, Jean-Joseph Gaume et Mgr Luigi Filippi, Pelletier fait le mort tout en continuant sa collaboration à la Gazette des campagnes. De 1868 à 1871, il y rédige la « Revue de la semaine » où, dans un style percutant et impertinent, il pourchasse le libéralisme sous toutes ses formes et les libéraux comme Mgr Félix Dupanloup et Joseph-Édouard Cauchon*. La riposte vient de six journaux et de divers correspondants anonymes, et même de l’archevêque Baillargeon et de son grand vicaire Charles-Félix Cazeau* qu’il égratigne au passage. En vue de protéger le collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et l’école d’agriculture, l’abbé Pilote, redevenu supérieur, fait des pieds et des mains pour obtenir la destitution de Pelletier. Dès son retour du premier concile du Vatican, Mgr Baillargeon sévit en nommant Pelletier vicaire à Saint-Joseph-de-Beauce. Aux yeux de l’intéressé, une telle nomination, survenant avant la fin de l’année scolaire (il quitte le collège le 20 mai 1870) et pour ce que le curé Louis Proulx* appelle une « colonie pénale », est une flétrissure qu’il dénonce immédiatement à Rome. En attendant une réponse, Pelletier se réfugie quelque temps chez le curé Joseph-Elzéar Michaud de Saint-Onésime, puis chez le curé Louis-Napoléon Cinq-Mars de Saint-Fidèle.

Un autre problème qui concerne Pelletier est alors en discussion à Rome : la question de son appartenance au diocèse de Rimouski, lieu de sa naissance. Même si les autorités de Québec sont prêtes à le laisser aller « pour plus d’une raison » – Mgr Baillargeon lui écrit même qu’il appartient à Rimouski –, Pelletier exige un jugement de Rome, qui survient finalement le 2 septembre 1871 et qui le met sous l’autorité de l’évêque de Rimouski, Mgr Jean Langevin*, pourvu qu’il lui offre un emploi ou une subsistance convenable. Pelletier s’appuie sur cette condition pour refuser toutes les propositions de l’évêque – missionnaire à Natashquan ou à Moisie, curé à Rivière-au-Renard – et pour demander finalement son exeat du diocèse de Rimouski. De guerre lasse, Mgr Langevin acquiesce pour autant qu’il se trouve un évêque qui l’accepte et donne un prêtre en échange. Mgr Louis-François Laflèche*, de Trois-Rivières, manifeste son intérêt, mais doit renoncer devant les réticences de son clergé. Le ton monte entre Pelletier et son évêque, qui interprètent différemment une nouvelle réponse du préfet de la Propagande ; en mars 1872, Pelletier va même jusqu’à accuser l’évêque de ne lui fournir qu’une version tronquée de cette réponse et de commettre « des erreurs qui ne sont pas tout à fait involontaires ». Devant une lettre « si outrageante », Mgr Langevin « ne peut plus avoir aucun rapport personnel » avec lui et renonce définitivement à ce prêtre de talent. Il lui accorde son excardination le 5 août 1872, non sans prévenir « confidentiellement » Mgr Ignace Bourget*, de Montréal, qu’il considère Pelletier « comme un esprit orgueilleux & exalté, pouvant surtout dans certaines positions, faire un grand mal à la Religion, en semant la division dans le clergé, & sapant, par la base, l’autorité épiscopale ». L’évêque de Montréal ne l’incardine pas moins le 8 septembre.

Dans son nouveau diocèse, Pelletier est d’abord vicaire à Saint-Henri-des-Tanneries (Montréal), avant de devenir curé de Saint-Bruno, à Saint-Bruno-de-Montarville (1873–1878) et de Sainte-Cécile, à Salaberry-de-Valleyfield (1878–1891). Il n’abandonne pas pour autant la polémique. Le dimanche 27 octobre 1872, au début des fêtes des noces d’or de Mgr Bourget, il prononce, dans la chapelle de l’évêché et en présence des évêques Taschereau et Langevin, un sermon qui froisse les deux prélats par des attaques à peine voilées. En novembre de la même année, il commence une collaboration assidue au journal ultramontain, le Franc-Parleur ; jusqu’au 19 janvier 1877, il y écrit 186 articles, les uns à caractère doctrinal, les autres à contenu politique. Sous divers pseudonymes (Abbé Ste. Foy, Luigi, Un conservateur, Un collaborateur du Franc-Parleur), il dénonce sans merci les erreurs modernes comme le libéralisme, le gallicanisme, le modérantisme et le naturalisme, et il continue à promouvoir la réforme chrétienne de l’enseignement. Enfin, en 1881, il rédige, sous le pseudonyme d’Un catholique, une brochure intitulée la Source du mal de l’époque au Canada, mémoire confidentiel réservé et exclusivement destiné aux autorités romaines, qui n’en circule pas moins au Canada et s’attire la condamnation de plusieurs évêques.

Pelletier avait pourtant connu son chemin de Damas quelques années auparavant. En effet, en 1876, pour mieux connaître la portée de la sentence du Saint-Office de 1868 concernant les brochures de George Saint-Aimé, il s’adresse à Rome et révèle qu’il en est l’auteur et qu’il n’a pas tenu compte des peines infligées par son évêque. Après avoir demandé des explications à Mgr Taschereau, le cardinal Prospero Caterini écrit à l’évêque de Montréal que Pelletier a été légitimement et validement censuré par l’archevêque de Québec, qu’il s’est rendu coupable en ne respectant pas la sentence, qu’il s’est mis en situation d’irrégularité et qu’il ne peut être absous qu’en reconnaissant humblement ses torts et en renonçant pour toujours à écrire sur la question des classiques. Au contraire de Mgr Édouard-Charles Fabre*, qui soutient que Pelletier a rempli les conditions de Rome en s’excusant auprès de l’archevêque de Québec et que tout est terminé, Mgr Taschereau exige fermement une déclaration publique de soumission ; elle paraît le 19 janvier 1877 dans le Franc-Parleur et est reproduite dans tous les journaux sous la signature de « Luigi, alias Alexis Pelletier, ptre ».

Sauf deux ou trois « oublis » vite réprimés par son supérieur, Alexis Pelletier abandonne la polémique et se consacre au ministère paroissial. En 1891, il quitte Salaberry-de-Valleyfield pour aller se reposer à Saint-Gabriel-de-Brandon jusqu’en 1895. Il est alors nommé aumônier au monastère provincial des Sœurs du Bon-Pasteur d’Angers à Montréal [V. Marie-Elmire Cadotte]. C’est là qu’il meurt le 25 juin 1910 d’un cancer à la gorge et il est inhumé à Saint-Arsène, sa paroisse natale. Malgré ses convictions intransigeantes et ses outrances de langage, Alexis Pelletier a été dans son milieu un écrivain de valeur et un polémiste hors pair qui ne craignait pas de recevoir des coups et savait les rendre avec usure. En dehors des querelles d’idées, il a été une personne aimable, un pasteur dont Mgr Paul Bruchési* a dit dans son éloge funèbre : « Demandons à Dieu de nous donner beaucoup de prêtres aussi instruits, aussi pieux et aussi bons que M. Pelletier. »

Nive Voisine

De 1865 à 1881, Alexis Pelletier publie 17 brochures, de façon anonyme ou sous divers pseudonymes. Il collabore régulièrement à la Gazette des campagnes (La Pocatière, Québec) et au Franc-Parleur (Montréal) ; il écrit occasionnellement dans le Nouveau Monde, la Minerve et l’Étendard de Montréal. Pour avoir une liste des brochures et des articles qu’il a publiés, on consultera : Thomas Charland, « Bibliographie de l’abbé Alexis Pelletier », RHAF, 1 (1947–1948) : 463–468.

AAQ, 31-16 A.— AP, Saint-Georges (Saint-Georges-de-Cacouna, Québec), RBMS, 27 avril 1837.— Arch. de l’archevêché de Rimouski, Québec, A-1, reg. d’insinuations B ; A-4-1, corr. générale, reg. A-E ; A-13-3, prêtres diocésains (les Anciens), Pelletier, Alexis ; A-24-1, diocèse de Québec.— Arch. de l’évêché de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière), Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière.— Arch. du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Pelletier 58, XXVI-XXVII ; Pilote 67, LXXIX.— Archivio della Propaganda Fide (Rome), Scritture riferite nei Congressi, America settentrionale, 12.— ASQ, Lettres, B nos 4, 7, 9, 16c–18c ; Séminaire, 73, nos 25, 26a ; Univ., 116bh.— Thomas Charland, « Un gaumiste canadien : l’abbé Alexis Pelletier », RHAF, 1 : 195–236.— Antonine Gagnon, « Alexis Pelletier, collaborateur au Franc-Parleur (1872–1877) », dans les Ultramontains canadiens français, sous la dir. de Nive Voisine et Jean Hamelin (Montréal, 1985), 183–204.— Serge Gagnon, « le Collège de Sainte-Anne au temps de l’abbé François Pilote : les conflits du personnel enseignant » (thèse de d.e.s., univ. Laval, 1968).— Pierre Galipeau, « la Gazette des campagnes », dans Idéologies au Canada français, 1850–1900, sous la dir. de Fernand Dumont et al. (Québec, 1971), 149–178.— Wilfrid Lebon, Histoire du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (2 vol., Québec, 1948–1949), 1.— Mandements, lettres pastorales, circulaires et autres documents publiés dans le diocèse de Montréal depuis son érection (30 vol. parus, Montréal, 1869–  ), 6.— Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec, Henri Têtu et C.-O. Gagnon, édit. (19 vol. parus, Québec, 1887–  ), [6].— Séraphin Marion, les Lettres canadiennes d’autrefois (9 vol., Hull, Québec, et Ottawa, 1939–1958), 6 ; « la Querelle des humanistes au XIXe siècle », Rev. de l’univ. d’Ottawa, 17 (1947) : 405–433.— Philippe Sylvain et Nive Voisine, les XVIIIe et XIXe siècles : réveil et consolidation (1840–1895), dans Histoire du catholicisme québécois, sous la dir. de Nive Voisine (4 vol. parus, Montréal, 1984–  ), [3].— Robert [Philippe] Sylvain, « la Querelle des classiques païens et chrétiens au Canada », le Voilier (Québec), 1946 : 72–81.

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Nive Voisine, « PELLETIER, ALEXIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pelletier_alexis_13F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    1 décembre 2024