VIGER, JACQUES, journaliste, auteur, officier de milice, fonctionnaire, homme politique, propriétaire foncier, érudit et collectionneur, né le 7 mai 1787 à Montréal, fils de Jacques Viger et d’Amaranthe Prévost ; le 17 novembre 1808, il épousa dans la même ville Marie-Marguerite La Corne, veuve du major John Lennox, et ils eurent trois enfants, qui moururent tous en bas âge ; décédé le 12 décembre 1858 à Montréal.

Jacques Viger appartient au puissant réseau familial des Viger-Papineau-Lartigue-Cherrier. Cousin de Denis-Benjamin Viger*, de Louis-Joseph Papineau*, de Jean-Jacques Lartigue* et de Côme-Séraphin Cherrier*, il se tient durant toute sa vie en contact constant avec eux, soit en leur écrivant ou en leur rendant de nombreuses visites. Il joue auprès d’eux un précieux rôle d’informateur bien renseigné de la scène montréalaise, allant jusqu’à compiler à leur intention de véritables dossiers. Il agit aussi très souvent comme le messager des uns et des autres.

En 1799, à l’âge de 12 ans, Viger est inscrit au collège Saint-Raphaël. Cet établissement, dirigé par les sulpiciens, donne une formation classique aux enfants de la bourgeoisie montréalaise. Après ses études, Viger se rend à Québec où il travaille comme rédacteur au journal le Canadien de novembre 1808 à mai 1809. Peu après son retour à Montréal, il prépare en 1810 un recueil de néologismes observés à son époque et qui sera publié un siècle plus tard sous le titre de « Néologie canadienne ou Dictionnaire des mots créés en Canada [...] ». En 1812, il édite aussi Relation de la mort de Louis XVI, roi de France, par Henry Essex Edgeworth de Firmont, qui paraîtra également dans une version anglaise. Lors de la guerre de 1812, il s’enrôle dans la milice comme lieutenant dans le 3e bataillon de la ville de Montréal, puis il est promu capitaine dans le corps des Voltigeurs canadiens. Présent à la bataille de Sackets Harbor, dans l’état de New York, en mai 1813, Viger obtient un congé en août à cause d’affaires de famille et de la mort de sa mère. Un malentendu s’ensuit et le gouverneur en chef de l’Amérique du Nord britannique, George Prevost*, le destitue de son poste en novembre pour s’être absenté sans permission. En mars 1814, l’erreur ayant été reconnue, il est réintégré dans son grade.

Viger demeurera toute sa vie fasciné par l’expérience militaire, et particulièrement par celle qu’il a vécue pendant les campagnes de la guerre de 1812. Louis-Joseph-Amédée Papineau raconte même dans ses mémoires que Viger se fit « peindre en costume de Voltigeur, avec Shakos, long sabre et Saberdache ». Il sera aussi sensible à la préservation du souvenir de la bataille de Châteauguay. C’est ainsi qu’il accompagne son ami Joseph-D. Mermet, officier royaliste français au service de la Grande-Bretagne, sur le champ de bataille en 1816 et qu’il jouera un rôle très actif dans la promotion d’une gravure du héros de Châteauguay, Charles-Michel d’Irumberry* de Salaberry.

La carrière militaire de Viger est cependant sans relief, si l’on excepte l’affaire de sa destitution. À la suite de sa réintégration, Viger continuera de s’intéresser à la chose militaire et servira dans la milice jusqu’à la fin de sa vie. Il occupe, par exemple, certains postes dans la milice comme celui de lieutenant-colonel du 3e bataillon de la ville de Montréal auquel il a été nommé en 1829. Pour l’historien Fernand Ouellet, cet intérêt viendrait en partie de la volonté des Canadiens français du début du xixe siècle d’exprimer et de démontrer leur loyalisme. D’après lui, Viger serait mû par la volonté de montrer comment la conduite de ses compatriotes à la guerre est au-dessus de tout soupçon. Cet intérêt prendra ensuite une tournure différente, lorsque Viger cherchera à reconstituer la tradition militaire de la Nouvelle-France. Ainsi, Ouellet voit une filiation directe entre le climat du début du xixe siècle et les travaux d’érudition de Viger.

Entre-temps, en décembre 1813, Viger a été nommé inspecteur des grands chemins, rues, ruelles et ponts de Montréal, en remplacement de Louis Charland*. À cette époque, l’administration municipale est à l’état embryonnaire. Les juges de paix qui en ont la charge ne disposent que de peu de pouvoirs et de moins de fonctionnaires encore ! Le principal fonctionnaire est alors l’inspecteur des grands chemins, rues, ruelles et ponts. En cette qualité, Viger prépare des procès-verbaux, régularise des voies, fait reprendre certains alignements et exécuter des travaux de drainage, d’aplanissement et de pavage. Il achète des pierres, passe des marchés de construction et signe divers contrats de fournitures. Il s’occupe également de l’application des règlements de police.

L’activité de Viger l’amène à faire une certaine forme de planification urbaine rudimentaire. Par exemple, après l’arasement de la butte sur laquelle s’élevait l’ancienne citadelle de Montréal, près du Champ-de-Mars actuel, se pose la question de savoir comment on utilisera une partie des terrains ainsi libérés. Viger dresse à cette fin un plan qui prévoit, entre autres, le prolongement vers le nord de la rue Bonsecours. Toutefois, les initiatives de Viger ne plaisent pas à tout le monde. Nommé par le gouverneur de la colonie, il échappe en partie à l’autorité des juges de paix et lorsque l’un d’eux semble lui faire des remontrances à propos de son plan, Viger passe outre à ses remarques, faisant présenter celui-ci au gouverneur par un avocat de ses amis.

À titre d’inspecteur des chemins, Viger rédige aussi un certain nombre de rapports. Ainsi, en 1825, il témoigne devant la chambre d’Assemblée du Bas-Canada et dépose un rapport intitulé Observations en amélioration des lois des chemins telles qu’en force dans le Bas-Canada en 1825, paru d’abord dans les journaux de la chambre d’Assemblée la même année, puis édité par ses soins 15 ans plus tard. En 1841, il publiera Rapports sur les chemins, rues, ruelles et ponts de la cité et paroisse de Montréal, avril et mai 1840. Ces deux publications constituent sans doute des plaidoyers en faveur de son travail devant le conseil municipal. Par ailleurs, pour faciliter sa tâche, il a élaboré deux registres des rues de Montréal, l’un en 1817 et l’autre en 1837.

En 1825, Viger est également nommé avec Louis Guy* commissaire du recensement dans le comté de Montréal, c’est-à-dire à l’époque l’ensemble de l’île de Montréal. Il produira un document d’une qualité exceptionnelle qui montre bien à quel point il est animé d’un besoin de bien connaître sa société. Ainsi il ajoute au questionnaire prévu dans la loi ordonnant le recensement une série de questions de son cru qui font de ce document une source de renseignements précieuse et de grande qualité pour l’histoire de la ville de Montréal.

Viger a brigué ou espéré obtenir d’autres charges publiques, mais en vain. En 1820, par exemple, il demande le poste d’inspecteur de police à Montréal. En 1825, il aimerait devenir juge de paix et commissaire de la maison de correction de Montréal. En 1830, il est question de lui en tant que commissaire de la Maison de la Trinité de Montréal et, en 1832, il postule la charge de grand voyer. En revanche, entre 1829 et 1836, il occupe différents postes de commissaire chargé notamment de l’amélioration des chemins de Montréal et des environs.

Mêlé aux affaires publiques, Viger n’a cependant pas fait beaucoup de politique active. Il n’occupe qu’un seul poste d’importance, soit celui de maire de Montréal, entre 1833 et 1836. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’il a été élu à la mairie. D’abord, en 1828, il a conseillé ses cousins Papineau et Denis-Benjamin Viger, tous deux membres de la chambre d’Assemblée, non seulement sur le découpage des quartiers urbains, mais aussi sur l’importance de maintenir le cens électoral assez bas pour permettre à une majorité de petits propriétaires de voter. Par ce choix, tout à fait délibéré, il s’assure que les Canadiens français forment la majorité des électeurs. Les auteurs de l’étude sur le gouvernement municipal pour le rapport de lord Durham [Lambton*], Adam Thom* et William Kennedy, ne s’y sont pas trompés et dénoncent cette pratique qui dilue le pouvoir des marchands britanniques payant une plus large part de l’évaluation. Ensuite, sa position d’inspecteur des chemins, qu’il exerce alors depuis près de 20 ans, lui permet d’occuper une place importante sur la scène publique municipale. Mais il y a plus. Il a aussi conseillé ses cousins à l’occasion des débats de la chambre d’Assemblée sur le projet de loi visant à ériger Montréal en municipalité. Cette première loi d’érection en municipalité, adoptée en 1832, est le fruit d’un compromis entre les marchands de Montréal et les partisans montréalais du parti de Papineau. Les premiers désirent l’appui du parti patriote pour obtenir que Montréal devienne un port d’entrée affranchi de la tutelle de celui de Québec, tandis que les seconds cherchent à ériger la ville en municipalité pour la soustraire à l’administration des juges de paix qui relèvent du gouverneur et qui sont impopulaires dans la ville.

Très rapidement, l’expérience tourne mal. Peu après l’adoption de la loi, Montréal est secoué par une double crise qui laisse des cicatrices profondes et engendre une méfiance généralisée. Il y a d’abord l’élection partielle dans la circonscription de Montréal-Ouest en mai 1832 et l’intervention des troupes britanniques qui entraîne la mort de trois Canadiens français [V. Daniel Tracey*]. Puis, au début de juin, c’est l’épidémie de choléra qui fauche au moins 2 000 Montréalais et frappe davantage les Canadiens français. L’élection de Viger à la mairie en 1833 ne réussit pas à ramener le calme dans les esprits. Désireux d’éviter la répétition des événements de 1832, Viger intervient au cours de la campagne électorale de 1834 en utilisant les hommes du guet pour maintenir l’ordre dans la ville, ce qui lui vaut les critiques acerbes de la part de la presse conservatrice. On reproche par ailleurs à Viger de cumuler le poste de maire et celui d’inspecteur des chemins et de négliger ainsi une partie de ses devoirs. Entre 1833 et 1836, il fait entreprendre d’importants travaux de drainage dans les faubourgs montréalais. C’est l’époque du choléra dont la virulence est attribuée en partie à l’état marécageux de la zone qui s’étend au nord de la rue Sainte-Catherine, au pied de la côte de la rue Sherbrooke. François-Maximilien Bibaud* écrira qu’on doit à Viger l’assainissement de ces faubourgs. Toutefois, la capacité fiscale de la ville est très limitée, aussi bien avant qu’au moment de l’érection en municipalité, et ces travaux sont faits au détriment de l’entretien des rues ailleurs dans la ville. Lorsque la loi d’érection en municipalité vient à échéance en 1836, l’ancien système de gouvernement municipal par des juges de paix est rétabli et, comme il n’y a plus de maire, Viger perd son poste. Quatre ans plus tard, au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle charte, Viger est cette fois écarté de son poste d’inspecteur des chemins et remplacé par John Ostell*, sans doute parce que les rues de la ville demeurent mal entretenues et parce qu’il était tenu pour suspect à cause de ses attaches familiales. Il vivra par la suite du revenu qu’il tire des quelques propriétés foncières qu’il possède à Montréal et des postes de commissaire chargé de l’érection des paroisses et de la construction des églises et de commissaire chargé d’enquêter sur les pertes subies pendant la rébellion.

Les sympathies politiques de Viger vont au parti de Papineau, comme l’indiquent son rôle d’informateur et de messager ainsi que sa correspondance. Il préside le premier banquet de la Saint-Jean-Baptiste en 1834. Toutefois, comme beaucoup de Montréalais, il ne jouera pas de rôle actif durant la rébellion. Ce qui ne l’empêche pas d’appuyer Ludger Duvernay lors de son emprisonnement en 1836. Sa position personnelle, relativement modérée, de même que les nécessités de sa charge d’inspecteur des chemins rendent compte de son attitude, laquelle lui sera amèrement reprochée par Papineau en 1837. Six ans plus tard, il fera partie du comité d’organisation de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal dont il sera élu président en 1856.

Viger s’est souvent occupé de l’organisation des élections. D’après ses biographes, il remplira les fonctions de directeur du scrutin à huit reprises. Son amour du détail fait de certaines de ses réclamations de frais de bonnes sources d’information sur le déroulement des élections. D’une manière générale, il s’intéresse de très près aux élections. Même s’il n’y joue pas de rôle précis, il prend force notes, ce qui vaut de précieux comptes rendus, par exemple au moment de l’élection de 1832.

C’est par ses travaux savants, d’érudition et de collectionneur, que Viger s’est cependant le plus distingué au cours de sa vie. Fait remarquable, il y a chez lui une volonté de connaître et de comprendre qui va bien au delà de la curiosité de l’érudit local. En effet, lorsqu’il s’intéresse au comté de Montréal, à la suite de l’enquête qu’il a menée parallèlement au recensement de 1825, les divers calculs qu’il fait et qu’il regroupe sous le titre de « Tablettes statistiques du comté de Montréal en 1825 » montrent un esprit préoccupé de saisir les mécanismes de la société. En fait, il rappelle ces premiers statisticiens amateurs, préoccupés des « mathématiques sociales » et de leur pouvoir d’explication, et qui préfigurent le développement des statistiques et des sciences sociales à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle. La valeur de ses travaux est reconnue, notamment par John Holmes qui reproduira des extraits des « Tablettes statistiques » dans Nouvel Abrégé de géographie moderne suivi d’un petit abrégé de géographie ancienne à l’usage de la jeunesse de 1831. De plus, d’après certains auteurs, Viger aurait collaboré avec Joseph Bouchette*, soit à titre d’auteur de la première carte de Montréal, soit pour ses ouvrages descriptifs. Sur ce point, il y a sans doute une confusion entre l’aide fournie par Viger et la confection de la carte et aussi le plagiat qu’aurait fait Bouchette des travaux de William Berczy*. Enfin, la notoriété d’érudit de Viger lui vaut des demandes de renseignements d’un peu partout. Entre autres, les historiens Étienne-Michel Faillon* et Francis Parkman* auront recours à ses services ; sa correspondance porte la trace de demandes d’autres érudits, comme en témoignent par exemple les références qu’on retrouve dans ses lettres à Pierre Margry.

Les travaux de nature plus historique de Viger sont consacrés aux institutions religieuses. Archéologie religieuse du diocèse de Montréal, publié à Montréal en 1850, constitue un recueil de notices historiques sur les paroisses du diocèse avec la liste des desservants. En 1853, à l’occasion d’une visite du nonce apostolique, Mgr Cajetan Bedini, Viger prépare à son intention une série d’aquarelles représentant les costumes des diverses communautés de religieuses canadiennes-françaises. Ce travail lui vaut d’être nommé commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand en 1855. En préparant ce recueil, Viger a fait des notices sur chacune des communautés qu’il communique à l’ultramontain français Henry de Courcy. Ce dernier en fera un livre publié en 1855 sous le pseudonyme de C. de La Roche-Héron et intitulé les Servantes de Dieu en Canada : histoire des communautés religieuses de femmes de la province.

Ces divers travaux font de Viger autant un archiviste qu’un historien. À cette époque du développement de l’historiographie canadienne-française, on semble se préoccuper tout autant d’écrire l’histoire que de préparer des « mémoires » sur divers sujets qui permettront par la suite de le faire. Manifestement, Viger appartient à la seconde tendance. C’est d’ailleurs comme mémorialiste qu’il a le plus écrit. Il a commencé avec ses souvenirs de la guerre de 1812 sous le titre de « Mes tablettes de 1813 ». Mais c’est surtout dans « Ma saberdache », recueil monumental en 43 volumes, qu’il a consigné ses observations. Cet ensemble, dont la rédaction débute en 1808, se divise en deux séries : une première, appelée « Saberdache rouge », composée de 30 volumes, renferme des matériaux divers pour servir à l’histoire du Bas et du Haut-Canada ; une seconde, plus courte, appelée « Saberdache bleue », comprenant 13 volumes, contient la correspondance, des notes et papiers divers de Viger. En fait, il ne s’agit pas de mémoires au sens classique du terme, mais, bien plutôt de notes diverses sur certains événements auxquels il a été mêlé. Collaborateur au Spectateur canadien, puis à la Bibliothèque canadienne de son ami Michel Bibaud, il y publie de nombreux extraits de « Mes tablettes » et de « Ma saberdache ». Quant aux livres que les historiens contemporains font paraître alors, Viger ne sera pas tendre dans ses critiques à leur égard. Ultramontain, il ne prise guère les travaux de François-Xavier Garneau* ou encore ceux de Charles-Étienne Brasseur* de Bourbourg qu’il appelle dans sa correspondance « Brasseur de Boue ». Toutefois, au delà de ses tendances idéologiques, il se montre soucieux de précision et de critique documentaire.

Les préoccupations d’archiviste de Viger trouvent leur pendant dans ses goûts de collectionneur. Au cours de la plus grande partie de sa vie, il a collectionné sans relâche documents et matériaux divers sur l’histoire du Canada, sur la littérature et sur d’autres sujets. On trouve de tout dans ses collections. Ses « Albums » sont représentatifs à cet égard. Il y a des aquarelles et des dessins uniques à côté de copies et de travaux purement décoratifs, comme une dentelle de papier, fruit d’un patient labeur, mais d’une importance anecdotique. Compte tenu de son vif intérêt pour la conservation des documents anciens, il n’est pas surprenant que Viger ait participé en 1858 avec quelques autres érudits à la fondation de la Société historique de Montréal dont il est élu premier président. Il est mêlé à la préparation de la première livraison des mémoires de cette société que celle-ci publiera un an après sa mort, en 1859. Ce recueil comprendra, entre autres, une étude intitulée « De l’esclavage en Canada » que Viger avait préparée avec Louis-Hippolyte La Fontaine*. La Société historique de Montréal sera reconnue juridiquement la même année.

Viger s’est également intéressé à l’éducation. Son recensement de Montréal en 1825 contient des notes très précises sur le personnel de chacune des écoles qu’il a trouvées ainsi que des renseignements sur les écoliers et les matières enseignées. En 1829 et en 1835, il fait un relevé détaillé des établissements d’enseignement de Montréal. En 1836, il siège au comité de régie de l’école normale de Montréal. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que Charles Buller* ait fait appel à lui pour la préparation de son enquête sur l’éducation menée dans le cadre des travaux du rapport de lord Durham. Par la suite, Viger est proposé par l’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget*, comme candidat au poste de surintendant de l’Éducation du Bas-Canada, mais le gouverneur, sir Charles Bagot*, lui préfère Jean-Baptiste Meilleur*.

Les relations de Viger avec l’Église ont toujours été très cordiales. Dès le moment où son cousin Jean-Jacques Lartigue occupe la charge d’auxiliaire de l’archevêque de Québec à Montréal en 1820, il l’appuie dans sa querelle avec les sulpiciens au sujet de la cathédrale et fait même publier sous un pseudonyme des lettres de Lartigue dans les journaux montréalais. Sous l’épiscopat de Mgr Bourget, il jouit de la confiance de ce dernier.

La fortune de Viger, tout en ne semblant pas très considérable, lui procure une certaine aisance. Selon Ouellet, au début de sa carrière, Viger a amélioré sa condition financière lors de son mariage grâce à la succession Lennox. Par la suite, il semble s’être maintenu à ce niveau. En sus de son traitement de fonctionnaire, il bénéficie du revenu de quelques propriétés foncières. D’après un examen des minutiers de notaires, on voit qu’il a exercé une certaine activité dans ce domaine. En 1811 et 1812, il vend conjointement avec sa mère des emplacements rue Saint-Paul, à Montréal, venant de la succession de son père. En 1816, il vend également l’arrière-fief Saint-Jean, dans la seigneurie de Boucherville, dont il a également hérité à la mort de son père en 1798. La même année, il se départ des terrains qu’il a acquis de Joseph Papineau*, rue Sanguinet, à Montréal, tout en achetant un terrain au faubourg des Récollets et, conjointement avec sa femme, une propriété, rue Bonsecours, où il résidera pendant la plus grande partie de sa vie. En 1832, il vend son immeuble de la rue Saint-Paul et, en 1840, un lot dans le quartier Saint-Antoine. Les propriétés sont quelquefois louées, comme celle de la rue Saint-Paul ou celle de la rue Bonsecours ; cette dernière sera finalement occupée par un hôtelier. Le recensement de 1842 permet de jeter un coup d’œil sur la maisonnée des Viger : en plus de ses trois belles-filles, le couple Viger vit avec deux servantes et un serviteur ; il dispose aussi d’un cheval et d’une vache, pratique qui n’est pas rare à cette époque, même en ville. En 1858, Viger possédait toujours l’emplacement de la rue Bonsecours. Cependant, au moment de sa mort, ses dettes dépassent la valeur de son actif, amenant les légataires à remettre aux demoiselles Lennox, belles-filles de Viger et principales créancières de la succession, la totalité des biens du défunt.

Il n’est pas facile de saisir les multiples facettes de l’existence de Jacques Viger. Tant sa personnalité que l’ampleur de son activité et la diversité de ses intérêts en font un individu qui sort nettement de l’ordinaire. C’était, comme le dit Ouellet, un personnage énigmatique et déroutant. Il connaissait tous les détails de la vie de ses concitoyens – son recensement de 1825 énumère toutes les maisons et leurs occupants, y compris les moins recommandables. Il n’était pas très beau, mais la vivacité de son esprit, le mordant de ses réparties et sa proverbiale jovialité faisaient son charme. Modéré en politique au début des années 1830, puis résolument ultramontain après la rébellion, il représente très bien les ambiguïtés et les problèmes vécus par un certain groupe de la petite bourgeoisie canadienne-française de la première moitié du xixe siècle. Ce groupe qui oscille entre le libéralisme et une certaine forme de nationalisme, finira par rechercher la voie du réformisme et de la modération, voire du conservatisme. À la fin de sa vie, Viger a acquis une grande notoriété, comme en témoignent son titre de commandeur, qu’il porte fièrement, son rang de militaire et sa participation à un certain nombre de sociétés savantes. Ses travaux le placent parmi les intellectuels qui ont cherché à comprendre les mécanismes de la société dans laquelle ils vivaient. Son importante collection de livres – il en avait plus de 1 200 – et de documents sera achetée par des amis, dont Hospice-Anthelme-Jean-Baptiste Verreau*.

Jean-Claude Robert

La principale source sur Jacques Viger est le fonds Viger-Verreau qui est déposé aux ASQ. Ce fonds contient, entre autres, les papiers « Ma saberdache » (Sér. O, 095–0125 ; 0139–0152) ainsi que le journal personnel de Jacques Viger (Sér. O, 0165–0171). Fernand Ouellet a fait l’inventaire de la saberdache de Viger qui a été publié dans ANQ Rapport, 1955–1957 : 31–176. Le fonds Viger-Verreau comprend de plus un « Album » de Viger. Un autre « Album » est conservé à la BVM-G.

Viger a préparé en 1810 un recueil de néologismes observés à son époque et qui sera publié un siècle plus tard sous le titre de « Néologie canadienne ou Dictionnaire des mots créés en Canada et maintenant en vogue ; – des mots dont la prononciation et l’orthographe sont différentes de la prononciation et orthographe françaises, quoique employés dans une acception semblable ou contraire, et des mots étrangers qui se sont glissés dans notre langue », dans le Bull. du parler français au Canada (Québec), 8 (1909–1910) : 101–103, 141–144, 183–186, 234–236, 259–263, 295–298, 339–342.

De plus, Viger a écrit des ouvrages de nature historique comme Archéologie religieuse du diocèse de Montréal (Montréal, 1850) et Archéologie canadienne : souvenirs historiques sur la seigneurie de La Prairie (Montréal, 1857). En collaboration avec Louis-Hippolyte La Fontaine, il a également rédigé un essai intitulé « De l’esclavage en Canada » qui paraîtra dans la première livraison de Soc. hist. de Montréal, Mémoires (Montréal), 1 (1859) : 12–65.

Enfin, Viger a produit des travaux de fonctionnaire de grande qualité, notamment : « Tablettes statistiques du comté de Montréal en 1825 », dont le manuscrit est conservé aux ASQ dans le fonds Viger-Verreau sous la cote Sér. O, 018A (pour de plus amples informations sur ce document, voir l’article de P.-A. Linteau et J.-C. Robert cité plus loin) ; Observations en amélioration des lois des chemins telles qu’en force dans le Bas-Canada en 1825 (Montréal, 1840) ; et Rapports sur les chemins, rues, ruelles et ponts de la cité et paroisse de Montréal, avril et mai 1840 (Montréal, 1841).

ACAM, 901.023.— ANQ-M, CE1-6, 15 déc. 1858 ; CE1-51, 7 mai 1787, 17 nov. 1808 ; CN1-7, 14 juin 1836 ; CN1-134, 19 mai 1840 ; CN1-243, 28 févr. 1816 ; CN1-270, 13 mars 1832 ; CN1-295, 19 mars 1816, 6 nov. 1825 ; CN1-312, 8 janv. 1859 ; CN1-313, 18 déc. 1819 ; CN1-334, 22 mars 1811, 5–6, 8, 13 mai, 13 juill. 1812, 30 juill. 1813, 3 juin 1814, 11 janv., 21, 26–27 nov. 1816, 17 janv., 31 juill. 1817 ; P-24 ; P1000-3-383 ; P1000-5-516 ; P1000-20-709 ; P1000-49-1097.— APC, MG 24, B2 ; MG 24, L3 ; MG 30, D1, 30 : 415 ; RG 31, A1, 1831, 1842, Montréal ; RG 68, General index, 1651–1841 ; 1841–1867.— Arch. de la ville de Montréal, Dossier surintendant, inspecteur, directeur des travaux publics depuis 1796 ; Dossiers Jacques Viger ; Procès-verbaux des juges de paix.— ASQ, Fonds Viger-Verreau, Cartons 22, no 38 ; 62, no 196a ; Sér. O, 015A ; 018A ; 021.— Marius Barbeau, « Vieux papiers », le Canada français (Québec), 2e sér., 26 (1938–1939) : 286–296.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1825, app. X ; Statuts, 1831, chap. 54.— Canada, prov. du, Statuts, 1859, chap. 119.— « Documents inédits », RHAF, 6 (1952–1953) : 110–111.— Election of the West Ward of the city of Montreal 27 March 1810 from the poll books alphabetieally arranged (Montréal, s.d.).— [J. G. Lambton], Lord Durham’s report on the affairs of British North America, C. P. Lucas, édit. (3 vol., Oxford, Angl., 1912 ; réimpr., New York, 1970).— Lettres à Pierre Margry de 1844 à 1886 (Papineau, Lafontaine, Faillon, Leprohon et autres), L.-P. Cormier, édit. (Québec, 1968).— Le Courrier du Canada, 15 déc. 1858.— La Minerve, 15 déc. 1858.— L’Ordre (Montréal), 14 déc. 1858.— Le Pays, 14 déc. 1858.— Beaulieu et Hamelin, la Presse québécoise, 1.— F.-M. Bibaud, le Panthéon canadien (1858 ; A. et V. Bibaud, 1891).— DOLQ, 1.— F.-X. Grondin, « Bio-bibliographie de Jacques Viger » (thèse de bibliothéconomie, univ. de Montréal, 1947).— Reginald Hamel et al., Dictionnaire pratique des auteurs québécois (Montréal, 1976).— Le Jeune, Dictionnaire.— Montreal directory, 1820 ; 1842–1858.— Wallace, Macmillan dict.— Chaussé, Jean-Jacques Lartigue.— Serge Gagnon, le Québec et ses historiens de 1840 à 1920 : la Nouvelle-France de Garneau à Groulx (Québec, 1978).— Pierre de Grandpré, Histoire de la littérature française du Québec (2e éd., 4 vol., Montréal, 1971–1973), 1.— F.-X. Grondin, Jacques Viger (Montréal, 1942).— Labarrère-Paulé, les Instituteurs laïques.— Robert Lahaise, les Édifices conventuels du Vieux Montréal : aspects ethno-historiques (Montréal, 1980).— Meilleur, Mémorial de l’éducation (1860), 174.— Monet, la Première Révolution tranquille.— Montréal : artisans, histoire, patrimoine, Henri Béchard et al., édit. (Montréal, 1979).— Fernand Ouellet, Histoire économique et sociale du Québec, 1760–1850 : structures et conjoncture (Montréal et Paris, [1966]).— Gérard Parizeau, la Vie studieuse et obstinée de Denis-Benjamin Viger (1774–1861) (Montréal, 1980).— Pouliot, Mgr Bourget et son temps, 1–5.— J.-C. Robert, « Montréal, 1821–1871 ; aspects de l’urbanisation » (thèse de ph.d., univ. de Paris, 1977).— Robert Rumilly, Histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal : des patriotes au fleurdelisé, 1834–1948 (Montréal, 1975) ; Histoire de Montréal (5 vol., Montréal, 1970–1974), 2–3.— L. J. Ste Croix, « The first incorporation of the city of Montreal, 1826–1836 » (thèse de m.a., McGill Univ., Montréal, 1971).— Jules Bazin, « l’Album de consolation de Jacques Viger », Vie des arts (Montréal), 17 (Noël 1959) : 26–30.— L.-O. David, « Viger », la Patrie (Montréal), 8 mai 1926 : 31.— France Galarneau, « l’Élection partielle du Quartier-Ouest de Montréal en 1832 : analyse politico-sociale », RHAF, 32 (1979) : 565–584.— J.-J. Lefebvre, « la Famille Viger : le maire Jacques Viger (1858) ; ses parents – ses ascendants – ses alliés », SGCF Mémoires, 17 (1966) : 203–238.— P.-A. Linteau et J.-C. Robert, « Un recensement et son recenseur : le cas de Montréal en 1825 », Archives (Québec), 8 (1976–1977), no 2 : 29–36.— É.-Z. Massicotte, « Jacques Viger et les Centenaires », BRH, 33 (1927) : 100–102 ; « Jacques Viger et sa famille », 21 (1915) : 148–149 ; « Jacques Viger et sa famille : autres notes », 24 (1918) : 209.— Olivier Maurault, « Souvenirs canadiens ; album de Jacques Viger », Cahiers des Dix, 9 (1944) : 83–99.— Victor Morin, « Esquisse biographique de Jacques Viger », SRC Mémoires, 3e sér., 32 (1938), sect. : 183–190.— Gérard Morisset, « l’Album de Jacques Viger », Vie des arts, 8 (automne 1957) : 15–18.— Camille Roy, « Jacques Viger », Bull. du parler français au Canada, 8 (1909–1910) : 42–55.— Claude Tousignant, « Michel Bibaud : sa vie, son œuvre et son combat politique », Recherches sociographiques (Québec), 15 (1974) : 21–30.

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Jean-Claude Robert, « VIGER, JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/viger_jacques_8F.html.

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Auteur de l'article:    Jean-Claude Robert
Titre de l'article:    VIGER, JACQUES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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