CLERK, GEORGE EDWARD, journaliste, né le 18 mars 1815 à Penicuik House, près de Penicuik, comté d’Édimbourg, en Écosse, fils de sir George Clerk, sixième baronnet de Penicuik, et de Marie Law, décédé le 26 septembre 1875 à Montréal.
George Edward Clerk naquit d’une famille écossaise aristocratique mais pauvre à Penicuik House, château que ravagea un incendie en 1899. Son père était le sixième titulaire de la baronnie de Penicuik, acquise en 1646 par la famille Clerk, qui s’était distinguée par son attachement à la cause de Marie Stuart. George Clerk, né en 1787, avait épousé en août 1810 Marie, fille de Ewan Law, qui lui donna huit fils et quatre filles.
George Edward était le second de ses fils. Il étudia à Eton, puis grâce à un appui politique entra comme aspirant dans la marine royale, ce qui lui donna l’occasion de naviguer le long de la côte ouest de l’Afrique et d’assister à maintes péripéties du trafic des esclaves. Au début des années 1830, il fit également partie de l’équipage du navire de guerre mis à la disposition de sir Walter Scott pour une croisière en Méditerranée.
La politique l’avait fait entrer dans la marine, c’est aussi la politique qui l’en fit sortir au bout de deux ans, un changement de ministère étant survenu dans l’intervalle. L’un des débouchés qui s’offraient à un jeune aristocrate écossais se fermait donc devant lui. Restaient l’armée et l’Église, mais ni l’une ni l’autre n’exerçaient suffisamment d’attraits sur un jeune homme qu’exaltait la vie aventureuse. Il résolut donc de s’expatrier en Australie où, pendant 14 ans, il se fit éleveur de moutons. Une affection des yeux, causée par la réverbération intense de la lumière solaire sur un sol sec et sablonneux, l’obligea à revenir en Écosse.
Entre-temps un événement important s’était produit dans sa vie : il s’était converti au catholicisme à la lecture d’un ouvrage de Nicholas Patrick Stephen Wiseman. Jusque-là assez indifférent au fait religieux, il n’aspira plus désormais qu’à conformer le plus exactement possible sa vie aux exigences du credo auquel il avait une fois adhéré d’un seul élan de son esprit et de son cœur.
C’est en route pour un second séjour en Australie qu’il arrivait à Montréal le 7 octobre 1847, dans l’intention de n’y faire qu’une courte halte ; mais une attaque de fièvre rhumatismale provoquée par une température humide lui fit d’abord prolonger son séjour ; puis l’amour conjugal et paternel – il épousait Marie-Louise-Élisabeth Dupuis à Laprairie, le 27 novembre 1849 – conféra à ce nomade une sédentarité exemplaire, en l’enracinant pour le reste de son existence dans la métropole canadienne.
Pour vivre, il tâta d’abord du notariat. Il entra alors en relations avec Mgr Ignace Bourget* et l’abbé Joseph La Rocque*, rédacteur des Mélanges religieux. Grâce à eux il eut accès à la bibliothèque de l’évêché, ce qui lui permit d’établir les assises de cette culture philosophique et théologique qui devait assurer le succès et l’autorité du journaliste.
Mais ce n’est qu’après que l’Américain Orestes Augustus Brownson eut décliné, le 2 mai 1850, leur invitation à prendre la direction de la feuille que Bourget et La Rocque avaient eu l’intention de confier à son expérience de publiciste chrétien, qu’ils s’adressèrent à Clerk. Encouragé chaleureusement par les deux porte-parole des Irlandais catholiques de Montréal et de Québec, le libraire James Sadlier et le curé Patrick McMahon*, l’Écossais accepta. Dès le 8 mai, il exposait un projet de journal devant les évêques, qui l’approuvèrent. Trois jours plus tard une circulaire apprenait au public que les catholiques anglophones seraient bientôt pourvus d’une publication consacrée à la défense de leur foi et de leurs droits « Pressés par les besoins de l’époque, et à la demande de plusieurs laiques profondément affligés de voir que le catholicisme en Canada n’a pas un seul organe, dans la langue anglaise, pour repousser les attaques incessantes des journaux protestants, nous nous sommes arrêtés à ce qui suit. Nous approuvons de tout notre cœur, comme une œuvre avantageuse à la religion, la publication d’un journal religieux anglais, pourvu qu’il ne s’attache à aucun parti politique. »
Ce fut désormais pour les Montréalais un spectacle de haut goût que d’assister aux campagnes vivement menées de cet authentique Écossais qui devint, sans arrière-pensée, le héraut et le défenseur attitré du groupe catholique anglophone le plus nombreux au Canada, les Irlandais. Et le personnage, non plus que le journaliste, n’était dépourvu de ces traits, de ces singularités même, qui excitent et retiennent la curiosité publique, toujours friande de ces types d’hommes dont l’apparence et l’allure introduisent une note originale dans la monotonie grégaire. Large d’épaules, l’œil d’un bleu intense abrité le plus souvent derrière des lunettes également bleues, le front bien dégagé, des favoris et une moustache taillés à la mode de l’époque, la bouche au dessin nettement indiqué, original jusqu’à la bizarrerie dans sa mise, Clerk, quoique travailleur acharné, quittait le plus souvent qu’il le pouvait sa plume et ses livres pour déambuler, par presque tous les temps, dans les rues, son inséparable parapluie de coton rapporté d’Australie à la main, accompagné d’amis et suivi de deux ou trois chiens.
Il intitula son journal, dont le premier numéro parut le 16 août 1850, The True Witness and Catholic Chronicle. Ce titre indiquait tout un programme. C’était aussi une déclaration de guerre à John Dougall*, du Montreal Witness, et à George Brown, fondateur et rédacteur en chef du journal torontois The Globe. Un Écossais émigré levait la claymore contre deux autres Écossais émigrés comme lui. De part et d’autre s’engagea alors sur les rives du Saint-Laurent, avec une ardeur toute calédonienne, une lutte qui certes ne perdit rien de sa vivacité à ne pas se dérouler sur les bords de la Clyde.
En plus d’être le champion intransigeant de la foi catholique, Clerk se révéla l’adversaire déterminé des libéraux, surtout quand ils appartenaient à l’Institut canadien. Ses préférences l’inclinaient vers le parti conservateur, à la grande satisfaction du clergé. Mgr Bourget lui écrivait le 3 octobre 1860 : « En parcourant vos colonnes avec tant soit peu d’attention, l’on est bientôt convaincu que vous êtes un véritable conservateur, travaillant de toutes vos forces à unir fortement cette colonie à la Mère-Patrie ; et pour réussir dans cette entreprise, vous faites, avec votre logique irrésistible, mouvoir puissamment le principe religieux, qui est en effet la seule base solide de la société civile et politique. »
C’est seulement lorsqu’il pensait que les intérêts du catholicisme étaient en jeu, qu’il s’écartait de cette ligne politique, comme il le fit, par exemple, au sujet de la Confédération. « En 1865, écrit Laurent-Olivier David*, une assemblée publique convoquée par les adversaires du projet de confédération avait lieu dans une des salles de l’Institut canadien-français. Dans le cours de la discussion, un homme se leva et prit la parole en anglais ; il se prononça énergiquement contre ce changement de constitution et donna, comme exemple de dangers qu’elle renfermait pour la minorité catholique canadienne-française, l’histoire des catholiques de l’Écosse et de l’Irlande. Sa forte stature, son maintien militaire et sa parole vive, énergique, donnaient l’impression d’une grande vigueur physique et intellectuelle. » Ne le connaissant pas encore, David apprit alors que l’homme qui parlait était George Edward Clerk, « le célèbre rédacteur du True Witness ». Et David ajoutait : comme Clerk « avait toujours fait preuve d’indépendance en politique, les adversaires de la Confédération étaient heureux d’avoir un si puissant auxiliaire dans leur lutte contre la nouvelle constitution. »
Le journal dont Clerk était le propriétaire et pratiquement le seul rédacteur paraissait tous les vendredis. Il était imprimé par John Gillies, qui en assurait la diffusion. En 1858, The True Witness comptait 2 837 abonnés et était distribué par des agents dans 21 localités. L’année suivante, Clerk céda la propriété du journal à Gillies, qui fit de multiples voyages dans le Canada-Ouest, les Maritimes et la Nouvelle-Écosse pour augmenter le nombre des abonnés.
Malgré les efforts de Gillies, la situation financière du True Witness demeura toujours précaire. Dès la fondation du journal, Mgr Bourget avait assuré Clerk qu’il pourrait compter sur une somme annuelle de $600, $200 provenant de l’évêché, $200 des sulpiciens et $200 du diocèse de Québec par l’entremise du grand vicaire Charles-Félix Cazeau*. Or, si par hasard l’une de ces sources venait à tarir, Clerk ne manquait pas d’intervenir auprès de l’évêque de Montréal pour lui rappeler sa promesse initiale. Grâce à cette maigre subvention, Clerk se maintint héroïquement à son poste de rédacteur, encore qu’il lui restât « bien peu de moyens pour soutenir sa nombreuse famille », comme l’écrivait le grand vicaire Alexis-Frédéric Truteau à Mgr Bourget, le 18 février 1870. En effet, du mariage Clerk-Dupuis étaient nés onze enfants, dont neuf parvinrent à l’âge adulte : six garçons et trois filles. Le plus jeune des fils, Jean-Pio-Robert, devait épouser une fille du sénateur Laurent-Olivier David, qui écrivit au sujet de Clerk des pages informées et chaleureuses, insérées plus tard dans les Gerbes canadiennes.
Un quart de siècle de travail harassant et de journalisme de combat avaient miné la santé de Clerk, qui fut finalement terrassé par une crise plus grave d’angine de poitrine en février 1875. C’est entouré de sa famille et après avoir reçu les derniers sacrements de l’Église qu’il expira le 26 septembre 1875.
ACAM, RLB, 11, p.450.— Mandements des évêques de Québec (Têtu et Gagnon), III : 571s.— L.-O. David, Les gerbes canadiennes (Montréal, 1921), 67–80.— Robert [Philippe] Sylvain, Clerc, garibaldien, prédicant des deux mondes : Alessandro Gavazzi (1809–1889) (2 vol., Québec, 1962), II : 323–329.— Agnes Coffey, George Edward Clerk, founder of the « True Witness » ; a pioneer of Catholic action, CCHA, Report, 1934–1935 : 46–59 ; The True Witness and Catholic Chronicle ; sixty years of Catholic journalistic action, CCHA, Report, 1937–1938 : 33–46.
Philippe Sylvain, « CLERK, GEORGE EDWARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/clerk_george_edward_10F.html.
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Auteur de l'article: | Philippe Sylvain |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1972 |
Année de la révision: | 1972 |
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