JOLLIET, LOUIS, explorateur, découvreur du Mississipi, cartographe, hydrographe du roi, professeur au collège des Jésuites de Québec, organiste, commerçant et seigneur, baptisé à Québec le 21 septembre 1645, fils de Jean Jollyet, charron au service de la Compagnie des Cent-Associés, et de Marie d’Abancourt, décédé en Nouvelle-France en 1700.

L’historien peut-il ne pas déplorer la mauvaise fortune qui semble s’être attachée aux papiers personnels de Louis Jolliet et aux documents le concernant ? Des accidents divers et des omissions regrettables ont ménagé comme à plaisir, dans la carrière de ce grand Canadien, des zones de silence et d’obscurité. Ainsi en est-il déjà de sa naissance, dont on ignore le lieu et la date. Vit-il le jour à Québec, à la côte de Beaupré ou dans une des seigneuries avoisinantes, territoires qui dépendaient tous, en 1645, de l’église paroissiale de Québec où il fut baptisé ? L’acte de baptême du 21 septembre 1645 ne fournit aucune précision là-dessus, non plus que sur la date de naissance de cet enfant « recens natum ».

Louis Jolliet perdit son père le 23 avril 1651. Sa mère se remaria dès le 19 octobre à Gefroy Guillot, qui se noya dans le Saint-Laurent à l’été de 1665. En troisièmes noces, le 8 novembre 1665, Marie d’Abancourt épousa Martin Prévost.

Vers l’âge de 11 ans, Jolliet entra au collège des Jésuites de Québec où il fit ses études classiques. Se destinant au sacerdoce, il reçut les ordres mineurs le 19 août 1662. À cette époque, Jolliet s’intéressait déjà à la musique et partageait avec Germain Morin* le titre d’officier de musique du collège. Premier organiste de la cathédrale de Québec, semble-t-il, il y toucha l’orgue à partir de 1664 ; un document de 1700 affirme qu’il y « a joué des orgues » pendant « beaucoup d’années ».

En 1666, Jolliet – que le recensement de cette année-là qualifie de « clerq d’esglise » – achevait ses études philosophiques. Le 2 juillet, en compagnie de Pierre Francheville*, il soutenait une « these de philosophie ». Mgr de Laval*, MM. de Prouville de Tracy, de Rémy de Courcelle et Talon étaient présents. « Mr. l’Intendant entr’autres y a argumenté très bien », note le Journal des Jésuites ; « Mons. Joliet & Pierre Francheville y ont très bien repondu de toute la Logique. » Cette « dispute », comme c’était l’usage, dut se dérouler en latin, langue que possédait bien Jolliet, qui y recourra du reste en 1679 à la baie d’Hudson.

Ne se sentant plus d’attrait pour la vocation sacerdotale, Jolliet quitta le séminaire vers le mois de juillet 1667. En octobre, grâce à une somme de 587# prêtée par Mgr de Laval, il s’embarquait pour la France. Nous ignorons le but de ce voyage, durant lequel il séjourna à Paris et à La Rochelle, partageant son temps à peu près également entre les deux villes. Il dut réfléchir, cependant, sur l’orientation qu’il donnerait désormais à sa vie. À son retour à Québec, il était fixé : le 9 octobre 1668, il achetait de Charles Aubert* de La Chesnaye une grande quantité de marchandises de traite. Jolliet serait trafiquant ! Mais dans cet immense pays de la Nouvelle-France, aux rivières invitantes et aux mirages faciles, une tentation guettait trafiquants et voyageurs : l’exploration. Le ci-devant « clercq d’esglise » allait-il y succomber ?

Bien que richement pourvu de marchandises, Jolliet ne serait pas parti pour l’Ouest à l’automne de 1668. Il était certainement à Québec le 14 octobre et, peut-être, au Cap-de-la-Madeleine le 9 novembre, dates bien tardives pour entreprendre un tel voyage ; sa présence est encore attestée à Québec le 13 avril 1669, trop tôt pour qu’il fût déjà de retour des Grands Lacs, à moins de supposer qu’il en est revenu avant la fonte des neiges et la débâcle. Mais on peut difficilement admettre qu’un voyageur sans expérience comme l’était Jolliet se soit lancé dans une aventure que redoutaient les plus aguerris et les plus courageux coureurs de bois. Il est plus vraisemblable qu’il ait passé l’hiver à Québec. Comment disposa-t-il alors de ses marchandises de traite ? Les réserva-t-il pour un voyage qu’il aurait fait en 1669–1670 ? Cela n’est pas impossible, quoique nous n’en possédions aucun indice. En 1669, il est vrai, un « sieur Jolliet » partait avec Jean Peré à la recherche d’une mine de cuivre au lac Supérieur ; mais on a pu démontrer qu’il s’agissait d’Adrien, le frère de Louis. Bref, il faut l’avouer, à l’exception de sa présence à Québec le 13 avril 1669, on ne sait rien de Louis Jolliet de l’automne de 1668 à l’été de 1670.

Le 4 juin 1671, au saut Sainte-Marie, quelques Français « qui étaient sur les lieux en traite » signaient l’acte de prise de possession des territoires de l’Ouest par Daumont de Saint-Lusson. Louis Jolliet était de ceux-là. Il avait vraisemblablement quitté Québec à l’automne de 1670 ; le 12 septembre 1671, il était de retour. On ignore à quoi il s’employa durant l’année qui précéda son départ pour le Mississipi, mais il est certain qu’il ne remonta pas dans l’Ouest.

Le Mississipi ! Fleuve mystérieux qui, pendant près de 15 ans, aura hanté l’imagination des missionnaires et des explorateurs. En 1660 et 1662, sur la foi des Amérindiens, la Relation rapportait l’existence vers l’Ouest d’une « belle rivière, grande, large, profonde, comparable à notre grand fleuve Saint-Laurent ». Cette rivière, qui débouchait, croyait-on, dans le golfe du Mexique ou, du côté de la Californie, dans la mer Vermeille, n’était peut-être pas le Mississipi, dont le nom n’apparaîtra du reste (sous la forme Messipi) qu’en 1667 ; du moins les enquêtes des missionnaires sur ce cours d’eau les amenèrent-elles à la connaissance du Mississipi. En 1670, avec les seuls renseignements fournis par les Amérindiens, le jésuite Dablon en réussissait une bonne description. L’année suivante, les sulpiciens Dollier* de Casson et Bréhant de Galinée s’intéressaient à leur tour au fleuve qu’ils nommaient Ohio ou Mississipi (Ohio, en langue iroquoise, et Mississipi, en langue outaouaise, signifient tous deux belle rivière). Ainsi donc, avant qu’aucun Blanc de la Nouvelle-France ne l’eût vu, et bien qu’il subsistât à son sujet quelques confusions inévitables, le Mississipi était en 1672 relativement bien connu des missionnaires qui, au contact des populations indigènes des Grands Lacs, en avaient acquis certaines notions assez exactes. Restait néanmoins, entier et troublant, le secret de son embouchure : ce fleuve serait-il enfin le passage convoité vers la mer de Chine, hallucinant objet des rêves et des recherches toujours déçus de tant d’explorateurs ?

Talon lui-même n’avait pas échappé à la hantise générale. En 1670, par exemple, il avait chargé Daumont de Saint-Lusson de « rechercher soigneusement [...] quelque communication » avec la mer du Sud. Dès ce moment, l’intendant avait certainement entendu parler du Mississipi ; mais les renseignements supplémentaires apportés, dans le courant de 1671, par Saint-Lusson et par la Relation de 1669–1670 éveillèrent en lui un espoir nouveau. Il résolut d’envoyer quelqu’un « à la découverte de la mer du Sud, par le pays des Mashoutins [Mascoutens], et à la grande rivière qu’ils appellent Michissipi qu’on croit se décharger dans la mer de Californie ». Pour ce grand dessein, Talon choisit Louis Jolliet ; peu avant de s’embarquer pour la France, en 1672, il proposa son candidat à Frontenac [V. Buade], qui l’agréa. La mission confiée à Jolliet n’était pas tant de découvrir le Mississipi que de constater dans quelle mer se décharge cette « belle rivière » : golfe du Mexique ou mer Vermeille ? C’était là l’énigme à débrouiller.

Pour le moment, l’explorateur affrontait d’autres problèmes. Talon l’avait prévenu que l’État ne subventionnerait pas son expédition, pas plus qu’il ne l’avait fait pour Saint-Lusson en 1670. Pour se procurer des fonds, Jolliet forma une société commerciale dont les revenus serviraient en particulier à défrayer sa découverte. Le 1er octobre 1672, François de Chavigny* Lachevrotière, Zacharie Jolliet, Jean Plattier, Pierre Moreau, Jacques Largillier*, Jean Thiberge (Téberge) et Louis Jolliet convenaient, devant Gilles Rageot, de « faire ensemble le voyage aux Outaouas, [et de] faire traite avec les sauvages le plus avantageusement [qu’il se pourrait] ». Le 3 octobre, les associés mettaient la dernière main aux préparatifs et réglaient quelques affaires chez le notaire Rageot. Ils quittèrent probablement Québec le lendemain, avec deux jours de retard par rapport à la date fixée.

Le 8 décembre 1672, Jolliet arrivait à Michillimakinac. Il y remit au père Jacques Marquette une lettre de Claude Dablon, supérieur des Jésuites de la Nouvelle-France, ordonnant au missionnaire de se joindre à l’expédition vers la mer du Sud. En 1670, Marquette avait été sur le point de se rendre, par le Mississipi, au pays des Illinois ; mais la détérioration soudaine des relations entre les Hurons, les Outaouais et les Sioux l’avait obligé à rompre son dessein. C’est avec enthousiasme et reconnaissance qu’il accepta d’accompagner Jolliet et de « chercher de nouvelles nations qui nous sont inconnues, pour leur faire connaître notre grand Dieu ». Si Jolliet, envoyé officiel de l’État, représentait les visées économiques et politiques de la Nouvelle-France, Marquette en représentait les aspirations religieuses. Ainsi retrouve-t-on, heureusement conjuguées dans l’expédition de 1673, les deux grandes forces qui sont à l’origine de l’étonnante expansion territoriale de la colonie : les impératifs du commerce et le zèle apostolique.

Jolliet aurait-il passé l’hiver de 1672–1673 au saut Sainte-Marie, occupé aux affaires de la traite, ainsi qu’on l’a prétendu ? Plus vraisemblablement, il aura séjourné à la mission Saint-Ignace de Michillimakinac, en compagnie de Marquette. Il lui fallait, d’une part, interroger minutieusement les Amérindiens sur le Mississipi et les populations riveraines ; or Michillimakinac était le centre de ralliement de plusieurs nations, et Marquette, un expert en langues amérindiennes. D’autre part, Michillimakinac, point de départ du voyage de découverte, était le meilleur endroit où compléter les préparatifs de l’expédition. Un extrait des Voyages du P. Jacques Marquette (rédigés par Dablon) suggère cette interprétation : « Nous prîmes toutes les connaissances que nous pûmes des sauvages qui avaient fréquenté ces endroits-là, et même nous traçames sur leurs rapports une carte de ce nouveau pays, nous y fîmes marquer les rivières sur lesquelles nous devions naviguer, les noms des lieux et des peuples par lesquels nous devions passer, le cours de la grande rivière [Mississipi] et le rumb de vent que nous devions tenir quand nous y serions. » Il n’est pas impossible que Jolliet ait également séjourné quelque temps au saut Sainte-Marie ; chose certaine, sa présence au saut n’était pas absolument nécessaire, puisque ses associés et, en particulier, son frère Zacharie veillaient à ses intérêts, lui assurant la tranquillité et les loisirs nécessaires à la mise au point de son grand projet.

Vers la mi-mai 1673, l’expédition se mettait en route. Elle comptait sept hommes, dans deux canots. En plus de Jolliet et de Marquette, le groupe comprenait sans doute quelques associés de Jolliet. Chavigny, présent au fort Frontenac en juillet 1673, n’était toutefois pas du voyage ; de même faudrait-il en exclure Zacharie Jolliet, qui serait resté au saut Sainte-Marie. Les autres associés (Largillier, Moreau, Thiberge et Plattier) accompagnaient probablement Louis Jolliet ; le septième personnage est resté anonyme. Bref, parmi les découvreurs du Mississipi, deux seulement – Jolliet, le chef de l’expédition, et Marquette – sont connus avec certitude ; pour le reste, on peut à vrai dire jongler avec des probabilités, mais on n’en tirera jamais qu’hypothèses et conjectures.

Sur le trajet des découvreurs, et davantage sur la chronologie, l’absence d’un journal de voyage laisse planer des doutes. Il semble à peu près sûr toutefois que, de Michillimakinac, les explorateurs se dirigèrent vers l’Ouest, longeant la rive nord du lac Michigan, puis la rive occidentale de la baie des Puants (Green Bay) jusqu’à la mission Saint-François-Xavier (près de De Pere, Wisconsin) ; de là, ils empruntèrent la rivière aux Renards (Fox River) jusqu’au village des Mascoutens (près de Berlin, Wisconsin). Après une vingtaine de jours de navigation, l’expédition venait d’atteindre la limite des territoires connus. Des Mascoutens, les Français apprirent l’existence – à trois lieues seulement ! – d’un affluent du Mississipi ; guidés par deux Amérindiens, ils firent un « portage de demi-lieue », passant de la rivière aux Renards à la rivière Meskousing (Wisconsin). Le 15 juin, après un voyage de plus de 500 milles, dont 118 sur le Wisconsin, les canots débouchèrent enfin sur le Mississipi. Un sentiment extrême de joie et de triomphe saisit la petite troupe ; mais Jolliet se garda d’oublier que la découverte du Mississipi, si exaltante fût-elle, n’était qu’une étape de sa glorieuse mission et qu’il avait promis à Frontenac de voir l’embouchure de ce fleuve.

Poussant leur trouée sur le Mississipi, les Français s’émerveillaient des paysages nouveaux, si différents de ceux qu’ils avaient jusqu’alors connus ; bientôt apparurent des oiseaux étranges, des plantes exotiques et de formidables bisons, dont certains troupeaux comptaient plus de 400 têtes. D’Amérindiens, cependant, on n’en voyait point. Pendant huit ou dix jours les rives restèrent obstinément désertes, jusqu’à l’embouchure de l’Iowa où, finalement, les découvreurs aperçurent un premier village d’Illinois, celui des Péorias. Ils y furent accueillis avec force gestes d’amitié et de bienvenue. Reprenant l’aviron, Jolliet et ses hommes poursuivirent leur voyage, que marquèrent encore deux étapes importantes : la rencontre du Missouri et de l’Ouabouskigou (Ohio), deux fleuves imposants qui se perdent dans le Mississipi. Nombreux dans cette région, les Amérindiens se montraient aussi hospitaliers que les Péorias. Parvenus à l’embouchure de l’Ohio, les Français avaient parcouru, depuis Michillimakinac, quelque 1 200 milles. De nouveau, à mesure que l’on s’éloignait de l’Ohio, la nature et le climat se métamorphosaient rapidement ; de même les Amérindiens devenaient-ils plus méfiants, sinon hostiles ; Marquette, bien qu’il parlât six langues indigènes, ne réussissait plus à se faire entendre. La petite troupe s’arrêta enfin au village des Kappas (Quapaws), à 450 milles environ de l’Ohio.

Les Kappas habitaient sur la rive droite du Mississipi, un peu en deçà de la frontière actuelle de l’Arkansas et de la Louisiane, à 34° 40′. Là devait se terminer le voyage de Jolliet. L’hostilité croissante des Amérindiens, le danger de tomber bientôt entre les mains des Espagnols avec lesquels les nations de l’Arkansas avaient commerce, la certitude acquise auprès des indigènes qu’ils n’étaient plus qu’à 50 lieues de la mer – en réalité, ils en étaient éloignés de 700 milles – et la crainte de compromettre les résultats de l’expédition décidèrent Jolliet et ses compagnons à rebrousser chemin. Dans la seconde quinzaine de juillet, les canots étaient lancés à contre-courant dans le Mississipi ; le voyage de retour s’effectua par la rivière des Illinois, le portage de Chicago et le lac Michigan jusqu’à la baie des Esturgeons (Sturgeon Bay) ; grâce à un nouveau portage, les canotiers passèrent dans la baie des Puants et descendirent à la mission Saint-François-Xavier, qu’ils atteignirent vers la mi-octobre.,

Louis Jolliet avait rempli sa mission. Il n’avait pas vu l’embouchure du Mississipi, mais il avait suffisamment progressé vers le Sud pour acquérir la certitude que le fleuve se déchargeait dans le golfe du Mexique. Cette nouvelle déçut profondément tous ceux qui croyaient déjà tenir le passage vers la mer de Chine ; à ce point qu’on ne sut pas toujours évaluer à son juste prix l’apport très important de Jolliet à la connaissance de la géographie nord-américaine et à l’expansion territoriale de la Nouvelle-France. Mais la hantise de l’Ouest était si fortement enracinée et les espoirs si vivaces que l’on se remit aussitôt à rêver d’un autre passage, cette fois par l’un des affluents du Mississipi.

Jolliet passa l’hiver de 1673–1674 au saut Sainte-Marie, occupé à faire des copies de son journal de voyage et de la carte qu’il avait dressée au cours de son expédition. Vers la fin de mai 1674, laissant à la garde des Jésuites les doubles de ces précieux documents, il s’embarquait pour Québec. Arrivé au saut Saint-Louis, vers la fin de juin, il fit naufrage : deux Français et un petit esclave illinois qu’on lui avait donné lors de la descente du Mississipi se noyèrent ; Jolliet, seul survivant, fut sauvé de justesse « après avoir été quatre heures dans l’eau » ; la cassette qui renfermait son journal, sa carte et ses papiers personnels disparut dans les flots. Le découvreur n’en fut pas quitte pour autant : les copies de son journal et de sa carte laissées au saut Sainte-Marie furent détruites dans un incendie ; et, pour boucler le cercle de la malchance, le journal de Marquette ne nous est pas parvenu. L’historien n’a donc, sur la découverte du Mississipi, que les renseignements fournis de mémoire par Jolliet et des documents de seconde main, en particulier le récit de Dablon. De là, de nombreuses lacunes : qui dira, par exemple, si Jolliet a officiellement pris possession, au nom de la France, des territoires découverts en 1673 ?

De retour du Mississipi, Jolliet songeait à se fixer. Le 1er octobre 1675, il signait un contrat de mariage avec Claire-Françoise Bissot, âgée de 19 ans, fille de François Byssot et de Marie Couillard, laquelle venait d’épouser en secondes noces (7 septembre 1675) Jacques de Lalande. La cérémonie religieuse fut célébrée dans la cathédrale de Québec le 7 octobre. L’année suivante, Jolliet demanda à Colbert la permission de s’établir, avec 20 hommes, au pays des Illinois qu’il avait découvert. La réponse, datée du 23 avril 1677, fut négative : « il faut, écrivait le ministre, multiplier les habitants avant de penser à d’autres terres ».

Ce refus ne prit pas Jolliet au dépourvu. Dès sa rentrée du Mississipi, il était revenu à son activité commerciale ; mais, ensuite de son mariage avec Claire-Françoise Bissot – dont le père avait trafiqué dans la région des Sept-Îles où la famille avait encore des intérêts —, Jolliet délaissa les pays d’en haut pour la côte nord du Saint-Laurent. Le 23 avril 1676, il joignait la société formée de Jacques de Lalande, son beau-père, de Marie Laurence, veuve d’Eustache Lambert, et de Denis Guyon ; le 2 mai, les associés louaient la barque de Guyon pour les besoins de la traite aux Sept-Îles. Jolliet et Lalande ne tardèrent pas, toutefois, à se procurer leur propre bateau : le 2 novembre 1676, ils achetaient de Michel Leneuf* de La Vallière une caiche à bord de laquelle ils firent le voyage aux Sept-Îles le printemps suivant.

Rapidement, Jolliet compta parmi les marchands importants. Le 20 octobre 1676, par exemple, il était au nombre des habitants réunis par Duchesneau pour fixer le prix du castor. Deux ans plus tard, le 26 octobre 1678, il était l’un des notables de la colonie consultés par Frontenac sur la traite des boissons enivrantes. L’opinion nuancée de Jolliet fut celle qu’adopta Louis XIV dans l’ordonnance du 24 mai 1679 permettant la traite de l’eau-de-vie à l’intérieur de la colonie, mais l’interdisant dans les bois.

Avec l’agrément de Frontenac, au printemps de 1679, Josias Boisseau, agent des fermiers de la Traite de Tadoussac, et Charles Aubert de La Chesnaye chargèrent Jolliet de « faire la visite des nations et des terres du domaine du roi en ce pays ». En vertu de sa commission, l’explorateur allait se rendre jusqu’à la baie d’Hudson. Il est difficile, cependant, de dire avec précision le but de ce voyage ; mais on peut supposer que Jolliet se vit assigner un double objectif : évaluer l’influence anglaise sur les peuplades du bassin hudsonien et, peut-être, jeter les bases d’une alliance commerciale avec les Amérindiens du Nord. Selon le père Crespieul*, qui travaillait dans la région du lac Saint-Jean en 1679, le rôle de Jolliet était d’« establir la Traitte et la Mission de St François Xavier a Nemiskau ». Ce témoignage n’infirme pas la double hypothèse formulée plus haut ; il semble assuré, en effet, que la tâche confiée à Jolliet ne concernait pas uniquement le poste de traite – ou la mission – de Nemiskau, qui ne fut qu’une étape dans son expédition.

Le voyage de 1679 n’en était pas un de découverte. Après trois tentatives infructueuses des Français pour atteindre la baie d’Hudson, par mer (Jean Bourdon en 1657) et par terre (les jésuites Claude Dablon et Gabriel Druillettes en 1661 ; Guillaume Couture* en 1661 et 1663), le jésuite Charles Albanel, accompagné de Paul Denys* de Saint-Simon et de Sébastien Pennasca, avait en effet touché l’embouchure de la rivière Nemiskau en juin 1672. Le jésuite refit le voyage en 1674. Ces précédents n’atténuaient pas pour autant la terrible difficulté des chemins : « Il y a, affirmait Albanel, 200 sauts ou chutes d’eau, et partant 200 portages […] : il y a 400 rapides ».

Le 13 avril 1679, Jolliet s’embarquait à Québec avec huit hommes, dont son frère, Zacharie. Deux Amérindiens, qui leur servirent de guides, se joignirent à eux probablement en cours de route. L’expédition adopta, semble-t-il, l’itinéraire suivant : Saguenay, lac Saint-Jean, rivière et lac Mistassini, rivière à la Marte (Marten) jusqu’à Nemiskau, et rivière Nemiskau, qui débouche dans la baie de Rupert, au sud de la baie James. Le voyage, estimait Jolliet, avait été de 343 lieues, « à cause des détours ». Dans la baie, l’explorateur rencontra des Anglais qui l’accueillirent avec beaucoup de civilités et, en particulier, le gouverneur Charles Bayly qui lui donna des galettes et de la farine pour le retour. Bayly avait entendu parler de Jolliet et de sa découverte du Mississipi ; il complimenta le Canadien, l’assurant que « les Anglais font état des découvreurs ». Après avoir complété ses renseignements et repoussé une offre alléchante du gouverneur qui l’invitait à se mettre au service des Anglais, Jolliet prit congé de ses hôtes. Il revint par les rivières Nemiskau et à la Marte, traversa les lacs Mistassini et Albanel et, par la rivière Temiscamie, passa dans la Péribonca, le lac Saint-Jean et le Saguenay. Le 25 octobre, il rentrait à Québec.

Au cours de son voyage, Jolliet avait acquis la certitude que les Anglais faisaient à la baie d’Hudson « le plus beau commerce du Canada ». Ils « cueillaient » le castor « tant qu’ils voulaient » et espéraient même « rendre cet établissement plus considérable à l’avenir ». Le cercle de leur influence s’élargissait sans cesse et, chaque printemps, les rivières du bassin hudsonien charriaient vers les postes anglais les canots lourdement chargés de nations aussi nombreuses qu’éloignées. « Il n’y a point de doute que si on laisse les Anglais dans cette baie, [ils] ne se rendent maîtres de tout le commerce du Canada en deça de six [dix ?] ans. » Les Outaouais, en effet, qui sont les fournisseurs des Français « ne font point de castor, mais les vont quérir aux nations de la baie des Puants ou à celles des alentours du lac Supérieur » ; or, il est à craindre que ces nations ne préfèrent porter leurs fourrures directement aux Anglais, ainsi que certaines ont commencé de le pratiquer. Et Jolliet d’inviter discrètement Sa Majesté à « faire sortir les Anglais de cette baie » ou, tout au moins, à « les empêcher de s’établir plus loin, sans les chasser ni rompre avec eux ».

Conscient des suites désastreuses qu’aurait, sur la Traite de Tadoussac, une poussée anglaise à la baie d’Hudson, Jolliet savait aussi combien son propre commerce sur la côte nord était menacé. Son intérêt dans cette région contiguë au Domaine du roi était d’autant plus vif que, le 10 mars 1679, l’intendant Duchesneau lui avait concédé, en copropriété avec Jacques de Lalande, les îles et îlets de Mingan. Jolliet, cependant, ne manquait ni d’ambition ni d’optimisme. En mars 1680, il obtenait de Duchesneau l’île Anticosti. Il se proposait d’y établir, comme à Mingan, des pêcheries de morues, de loups marins et de baleines et « par ce moyen [de] commercer en ce païs et dans les Isles de l’Amerique ».

Cette seconde concession valut à Jolliet l’opposition farouche de Josias Boisseau, agent du Domaine du roi, qui venait de se brouiller avec Aubert de La Chesnaye, oncle de Jolliet. Lalande et Jolliet auraient, par le commerce qu’ils entretenaient avec les Amérindiens des Sept-Îles, porté préjudice aux fermiers du Domaine de Sa Majesté. Comptant sur l’appui de Frontenac, Boisseau exigea en vain l’annulation de la concession d’Anticosti et de certaines permissions d’aller en traite accordées par Duchesneau à Jolliet et ses associés. L’agent du Domaine fit beaucoup de bruit, lança des accusations non fondées et se livra à de tels excès de langage et de conduite qu’à l’été de 1681 il fut destitué et rappelé en France.

En dépit des réclamations intempestives et des frasques de Boisseau, Jolliet poursuivit son commerce sur la côte nord. Dès 1680 ou 1681, il avait une habitation à Anticosti, où il passait la belle saison avec sa famille et quelques serviteurs ; l’hiver, il résidait à Québec. À cause de la rareté des documents le concernant pendant les années 1680–1693 – en 1682, ses papiers brûlèrent dans un incendie –, on sait peu de choses de l’activité de Jolliet entre ses voyages à la baie d’Hudson (1679) et au Labrador (1694). Il exploitait ses pêcheries de Mingan et d’Anticosti ; mais il est impossible de dire s’il trafiqua dans les Îles d’Amérique. Au cours de ses fréquents déplacements, Jolliet avait mis au point une carte du fleuve et du golfe du Saint-Laurent, qui fut envoyée au ministre en 1685. À cette occasion, Brisay* de Denonville sollicita pour Jolliet la charge de professeur de navigation. Cette récompense ne lui fut pas accordée. En 1690, la flotte commandée par Phips s’empara de la barque de Jolliet, confisqua des marchandises évaluées à 10 ou 12 000# et fit prisonnières la femme et la belle-mère du découvreur ; deux ans plus tard, deux navires anglais saccagèrent et brûlèrent ses établissements de Mingan et d’Anticosti. Jolliet était ruiné.

En 1689 peut-être, Jolliet avait fait, si l’on en croit un document de 1693, un voyage au Labrador. Il rêvait d’y retourner, mais avait besoin d’une subvention que la cour semblait peu disposée à lui accorder. Heureusement, un commerçant de Québec, François Viennay-Pachot, vint à la rescousse et accepta de défrayer l’entreprise. Plusieurs explorateurs – Waymouth, Knight, Jean Bourdon, Chouart Des Groseilliers et Radisson* – avaient déjà navigué sur les côtes du Labrador, mais aucun n’en avait rapporté une description un peu précise ou même une carte. Le premier, Jolliet allait révéler le secret de cette région qui s’étendait de la rivière Saint-Jean (15 milles à l’ouest de Mingan) à l’actuel Zoar, situé par 56° 8’ de latitude.

À Québec, le 28 avril 1694, Jolliet s’embarquait sur un vaisseau armé de 6 pierriers et de 14 canons et appartenant à Pachot ; l’équipage comprenait 18 personnes, dont un récollet. On mouilla d’abord à Mingan, où Jolliet séjourna plus d’un mois pour faire la traite et reconstruire les bâtiments incendiés par les Anglais. Le 9 juin, on mettait à la voile pour le Labrador. Jolliet longea la côte, qu’il décrivit et cartographia systématiquement, tout en trafiquant au hasard des rencontres. Peu après le 9 juillet, le navire franchissait la pointe du Détour (cap Charles) et entrait dans les eaux non connues. Poursuivant sa lente navigation, Jolliet cartographia le littoral et décrivit les Inuits avec qui il entrait en relations. À la hauteur de Zoar, l’explorateur décida de rebrousser chemin. La saison était avancée et le navire, pourvu de mauvais cordages, n’aurait pas supporté les gros temps de l’automne ; par ailleurs, le commerce avec les rares Inuits de la côte ne pouvait « payer ce que le vaisseau coûtait tous les jours » ; enfin, le navire transportait du sel « qu’il fallait employer en morue ». Le 15 août, Jolliet prenait le chemin du retour. Il atteignit Québec vers la mi-octobre, après avoir fait la pêche et s’être vraisemblablement arrêté à Mingan pour embarquer sa femme et ses enfants qui y avaient passé l’été.

Jolliet se hâta de mettre au point son journal de voyage. Ce document relativement considérable comporte, outre une description des côtes du Labrador et de leurs habitants, 16 croquis cartographiques. C’est la première relation du littoral compris entre le cap Charles et Zoar, d’où son importance historique ; de plus, c’était en 1694 la peinture la plus complète et la plus précise qui eût été faite des Inuits. Quant aux territoires visités, Jolliet en trouve la terre ingrate et les habitants rares ; il note la disparition rapide de la morue dès qu’on procède vers le Nord ; le seul trafic possible avec les Inuits est celui des huiles de baleine et de loup marin, mais encore faudrait-il compter sur la morue « pour payer une partie des frais ». Jolliet n’est pas rebuté pour autant : il sollicite le privilège – qui ne lui sera pas accordé – de trafiquer seul, pendant 20 ans, avec les Inuits du Labrador.

En automne 1695, parce que la saison était avancée et la navigation dangereuse dans le fleuve et le golfe, il fut désigné par le gouverneur et l’intendant pour piloter la Charente : il était « peut-être le seul dans ce pays, selon Frontenac, capable de se bien acquitter de cet emploi ». Pour cette tâche, Jolliet reçut 600#. Il passa l’hiver en France et rentra à Québec avant le 13 juin 1696 avec la promesse de sa nomination – confirmée le 30 avril 1697 – à la charge d’hydrographe. Dans un document de 1692, déjà, on avait donné à Jolliet le titre de maître d’hydrographie : était-ce un lapsus, ou bien Jolliet enseignait-il l’hydrographie au collège des Jésuites, sans en avoir officiellement la charge ? Quoi qu’il en soit, durant ces années, il fut souvent question de Jolliet et des cartes qu’il pouvait faire pour assurer la navigation dans le fleuve et le golfe. Une de ces cartes nous est parvenue, datée de 1698.

Le 30 avril 1697, Jolliet avait reçu de Frontenac et Bochart* de Champigny un petit fief sur la rivière des Etchemins, qu’il n’eut pas le temps de mettre en valeur. L’hiver, il enseignait au collège des Jésuites ; l’été, il résidait vraisemblablement à l’île Anticosti ou à Mingan. Malheureusement, les trois dernières années de sa vie se perdent dans l’incertitude. Est-ce dans ses domaines de la côte nord qu’il mourut, dans des circonstances restées inconnues, à l’été de 1700 ? On n’en sait rien et, malgré d’actives recherches, on n’a pas encore découvert le lieu de sa sépulture.

Ainsi prit fin, entre le 4 mai et le 15 septembre 1700, la remarquable carrière de cet explorateur ; son éducation poussée, sa culture, la variété de ses talents autant que son courage et son ambition ont fait de lui l’un des fils les plus grands et les plus illustres de son pays. Né en Nouvelle-France, formé dans ses institutions, Jolliet connut, de son vivant, une renommée internationale : en France, en Espagne, en Italie, en Hollande, en Allemagne, en Angleterre, des ouvrages célébrèrent son nom et la découverte du Mississipi. Sans conteste, le Canadien Louis Jolliet est l’une des plus authentiques et des plus parfaites réussites de cette bâtisseuse d’hommes que fut la Nouvelle-France.

André Vachon

Acte de baptême de Louis Jolliet (21 sept. 1645), et son acte de mariage avec Claire-Françoise Bissot (Québec, 7 oct. 1675), RAPQ, 1924–25 : 198, 224 (reproductions photographiques).— AJQ, Greffe de Romain Becquet, 7 mai 1666, 1er oct. 1675, 9 mai 1679, 16 avril 1680 ; Greffe de Pierre Duquet, 2 nov. 1676, 9 fév. 1679 ; Greffe de François Genaple, 14 mars 1680 ; Greffe de Gilles Rageot, 21 avril 1669, 1er et 3 oct. 1672, 23 avril 1676, 2 mai 1676, 4 déc. 1676, 17 avril 1680.— APQ, Ins. Cons. souv., II : 3.— Contrat de mariage de Louis Jolliet et de Claire-Françoise Bissot (1er oct. 1675), RAPQ, 1924–25 : 240 (reproduction photographique).— Correspondance de Frontenac, RAPQ, 1926–27, 1927–28, et 1928–29 : passim.— Correspondance de Talon, RAPQ, 1930–31 : passim.— [Claude Dablon], Voyages du P. Jacques Marquette, 1673–75, dans JR (Thwaites), LIX : 85–211.— JJ (Laverdière et Casgrain), 330, 345.— [Louis Jolliet], Journal de Louis Jolliet allant à la descouverte de Labrador, 1694, éd. Jean Delanglez, RAPQ, 1943–44 : 147–206.— JR (Thwaites), passim.— Jug. et délib., passim.— Ord. comm. (P.-G. Roy), I : 322s.— P.-G. Roy, Inventaire de pièces sur la côte de Labrador conservées aux Archives de la province de Québec (2 vol., Québec, 1940–42), I : 3–9.— Recensement de 1666.— Delanglez, Jolliet.— Ernest Gagnon, Louis Jolliet, découvreur du Mississipi et du pays des Illinois, premier seigneur de lîle dAnticosti (Montréal, 1946) ; Où est mort Louis Jolliet ? BRH, VIII (1902) : 277–279.— Godbout, Nos ancêtres, RAPQ, 1951–53 : 459.— Amédée-E. Gosselin, Jean Jolliet et ses enfants, MSRC, XIV (1920), sect. i : 65–81.— Lionel Groulx, Notre grande aventure : lempire français en Amérique du Nord (1535–1760) (Montréal et Paris, [1958]), 139–174.— Pierre Margry, Louis Jolliet, RC, VIII (1871) : 930–942 ; IX (1872) : 61–72, 121–138, 205–219.— Adrien Pouliot et T.-Edmond Giroux, Où est né Louis Jolliet ? BRH, LI (1945) : 334–346, 359–363, 374.

Bibliographie de la version révisée :
Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d
arch. de Québec, CE301-S1, 21 sept. 1645, 7 oct. 1675 ; CN301-S13, 1er oct. 1675.

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André Vachon, « JOLLIET, LOUIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/jolliet_louis_1F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    2017
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