MARQUETTE, JACQUES, jésuite, missionnaire, né à Laon, en France, le 10 juin 1637, mort en territoire illinois, près de l’emplacement actuel de Luddington, au Michigan, le 18 mai 1675.

Fils de Nicolas Marquette, seigneur de Tombelles et conseiller de Laon, et de Rose de La Salle, sa seconde femme, Jacques Marquette compte parmi ses ancêtres des soldats et des notables. La famille de son père, notamment, était une des plus anciennes et des plus considérables de la région de Laon. En octobre 1654, à l’âge de 17 ans, il entre au noviciat des Jésuites à Nancy ; il étudie et enseigne successivement à Auxerre, Reims, Charleville, Langres et Pont-à-Mousson, puis commence ses études de théologie à Pont-à-Mousson à l’automne de 1665. Cependant, depuis 1658, il n’avait cessé de faire part à ses supérieurs hiérarchiques et au général de l’ordre du vif désir qu’il avait d’être missionnaire. En mars 1665, il envoyait au général une seconde lettre où il déclarait : « Je vous demande comme une grâce de m’ordonner de partir pour des terres étrangères auxquelles je songe depuis mon plus jeune âge », et il le priait de lé dispenser de terminer ses études théologiques. « Une des raisons que j’ai de ne pas vouloir différer davantage, ajoutait-il, est que j’éprouve peu de goût pour les sciences spéculatives et que par nature et par tempérament je n’y suis point porté ». On l’avait néanmoins obligé à commencer ses études de théologie, mais sa scolarité fut, exceptionnelle, ment, réduite à une année.

Marquette quitte donc La Rochelle au début de juin 1666 et il arrive à Québec le 20 septembre. Trois semaines plus tard, le 10 octobre, il se rend à Trois-Rivières, où il passe un an à étudier le montagnais et d’autres langues indiennes sous la direction du père Gabriel Druillettes. En 1673, il en parlera couramment une demi-douzaine. Le 20 mai 1668, il quitte Québec pour la mission des Outaouais et se joint au père Claude Dablon au saut Sainte-Marie, mission dont dépendent environ 2 000 Algonquins. Un an plus tard, en septembre 1669, il fonde une mission à la pointe du Saint-Esprit, sur la baie Chequamegon, à l’extrémité occidentale du lac Supérieur, afin d’y accueillir les Outaouais et les Hurons qui avaient fui les rives du lac Huron et de la baie Georgienne. Il y rencontre les Illinois, dont la douceur et la gentillesse font contraste avec la cruauté des Hurons. Mais ces derniers, étant entrés en guerre avec les Sioux qui leur étaient numériquement supérieurs, abandonnent en hâte la pointe du Saint-Esprit et gagnent le lac Michigan. Marquette les suit et, dans le courant de l’été de 1671, il fonde la mission Saint-Ignace, sur la rive nord du détroit de Michillimakinac. Il y reste jusqu’en 1673, mis à part un séjour au saut Sainte-Marie au cours duquel, le 2 juillet 1671, il prononce ses vœux perpétuels. C’est aussi à Saint-Ignace que, le 8 décembre 1672, il reçoit Louis Jolliet, chargé d’aller reconnaître la vallée du Mississipi.

Après tout un hiver consacré aux préparatifs de ce grand voyage, Marquette et Jolliet partent vers la mi-mai. Un mois plus tard, ils pénètrent dans la vallée du Mississipi et, quelque part sur la rive qui borde aujourd’hui l’Iowa, ils sont accueillis dans un village péoria par un vieil homme qui s’écrie : « Le soleil n’est jamais aussi éclatant, ô Français, que lorsque tu viens nous voir », phrase qui fut gravée sur le socle de la statue de Marquette à Laon en 1937. Jolliet et Marquette descendent le fleuve en canot jusqu’à frontière actuelle de l’Arkansas et de la Louisiane et, à la mi-juillet, ils reviennent en remontant la rivière Chicago jusqu’au lac Michigan, qu’ils atteignent en septembre. Marquette, dont la santé avait été fort éprouvée par le voyage, demeure à la mission Saint-François-Xavier, près de l’emplacement actuel de De Pere, dans le Wisconsin. De son côté, Jolliet rentrait à Montréal.

A l’été de 1674, Marquette est suffisamment rétabli pour reprendre ses activités de missionnaire. Il décide de tenir la promesse qu’il a faite aux Kaskakias, et de retourner parmi eux. En octobre 1674, accompagné de deux voyageurs, Jacques Largillier* et Pierre portera, il quitte donc la baie des Puants (Green Bay) pour le territoire des Illinois. Mais avec le mauvais temps et le froid, Marquette retombe malade et, le 14 décembre, les trois voyageurs doivent s’arrêter et passer l’hiver dans les environs de l’actuelle Chicago. Des bandes d’Illinois viennent fréquemment leur rendre visite. Le 30 mars 1675, Marquette décide de se remettre en route et, le 8 avril, toujours en compagnie de Largillier et de Porteret, il atteint le but de son expédition, un village situé sur la rivière des Illinois. C’était la semaine sainte ; le jeudi, il prêcha en plein air devant 500 chefs et vieillards assis en cercle autour de lui, derrière lesquels se tenaient 1500 jeunes guerriers. Mais ce n’était plus qu’un mourant. Peu de temps après Pâques, il se mit en route pour Saint-Ignace, qu’il espérait pouvoir atteindre avant sa mort. Il n’y arriva pas. Ramené à terre par ses deux compagnons, il expira en pleine forêt, près de l’embouchure de la rivière qui devait porter son nom. Deux ans plus tard, une expédition de Kiskakons, comprenant 30 canots, alla exhumer ses restes qu’elle transféra en grande pompe à Saint-Ignace.

La vie et la personnalité du père Marquette, peut-être parce qu’il s’agit du plus célèbre des missionnaires jésuites en Amérique du Nord, ont suscité une assez vive controverse. Depuis environ 30 ans, cette controverse porte essentiellement sur trois points : l’attribution à Marquette du Récit de l’expédition de 1673, le fait de savoir si Marquette avait été ordonné prêtre, et finalement, l’homme et son importance comme missionnaire et comme explorateur. Jusqu’en 1927, on s’accordait pour attribuer à Marquette la paternité du Récit, écrit d’ailleurs à la première personne. C’est alors que le père Francis B. Steck, dans The Jolliet-Marquette Expedition of 1673, mit en doute l’attribution communément admise et affirma qu’il ne s’agissait pas du journal du père Marquette, mais de celui de Jolliet, remanié, à partir d’autres textes, par le père Claude Dablon. Ces conclusions ont été longuement examinées dans un article du père J. G. Garraghan, The Jolliet-Marquette Expedition of 1673 (Thought, IV, (1 929) : 32–71) ; l’auteur y critique la méthode du père Steck et déclare que, malgré le mystère qui plane encore sur la composition du Récit, celui-ci n’en présente pas moins, dans sa plus grande partie, le journal personnel du père Marquette. À cet article, le père Steck a alors riposté en publiant une plaquette intitulée Father Garraghan andThe Jolliet-Marquette Expedition of 1673”, dans laquelle il s’en tient à ses premières conclusions et critique à son tour la méthode suivie par le père Garraghan. En 1945, Jean Delanglez commence à faire paraître une série d’articles sur le Récit ; l’examen d’une somme déconcertante de manuscrits, de travaux divers et de cartes l’amène à conclure que l’emploi de la première personne n’est ici qu’un procédé littéraire, et que le Récit a bien été écrit par le père Claude Dablon, lequel a utilisé divers documents, mais non le journal de Jolliet. C’est cette même conclusion qu’il reprend dans ses deux ouvrages, Life and Voyages of Louis Jolliet et Louis Jolliet : vie et voyages, auxquels est jointe une impressionnante bibliographie.

La controverse au sujet de l’ordination du père Marquette provient surtout du silence qui règne partout à ce sujet, de la demande présentée en 1665 par Marquette pour obtenir d’être envoyé aux missions avant d’avoir terminé ses études de théologie, et enfin d’une interprétation nouvelle de la forme sous laquelle Marquette prononça ses vœux perpétuels. À deux reprises, dans sa critique du livre de Delanglez Jolliet dans le Wisconsin Magazine of History, XXXII, (1948) : 227–229, et dans son article « Jacques Marquette, cate-chist », (RUL, III (1948–1949) : 436s.), J. C. Short a prétendu que Marquette n’avait pas été ordonné prêtre et n’était que novice. Jérôme V. Jacobsen a réfuté cette opinion en l’appuyant sur les Constitutions de la Compagnie de Jésus et en publiant un document inédit qui fait état de l’ordination de Jacques Marquette à Toul, le 7 mars 1666 (« Attempted mayhem on Père Marquette », Mid-America, XXXI (1949) : 109–115). Il reprend ces arguments et apporte en outre le témoignage du Catalogue triennal des Jésuites de la Province de Champagne (à laquelle appartenait Marquette), dans un autre article publié dans la même revue, Marquette’s Ordination, (Mid-America, XXXII (1950) : 46–54). Claude Corrivault a fait le point de la situation et posé à nouveau tous les arguments en faveur du « pour » et du « contre » dans : Le père Jacques Marquette (BRH, LVI (1950) 46s.).

Quant aux divergences relatives à la personnalité du père Marquette et à l’importance de son rôle historique, elles dépendent très largement de l’attitude que l’on adopte à l’égard des deux premiers problèmes. Pour ceux qui s’en tiennent au Récit, au Journal, aux lettres et aux Relations, le portrait qui se dessine est celui d’un homme robuste, plein d’optimisme et de bonté, et d’un missionnaire zélé qui eut une grande influence sur les Indiens et qui commença d’être célèbre dès son vivant pour ses entreprises de missionnaire et la sainteté de sa vie privée. C’est là l’image de Marquette qu’a retenue la postérité et qui lui a valu d’être commémoré par des statues (entre autres, celle du Capitole, à Washington) ou de donner son nom à une université, à un chemin de fer, à une rivière, à plusieurs villes, à des quartiers et à des rues. À certains, cependant, qui se fondent sur d’autres textes et s’efforcent de reconsidérer l’attribution du Récit ou de mettre en doute son ordination, Marquette apparaît comme un « héros surfait ». Ils voient en lui l’homme qu’un de ses supérieurs jugeait, au cours de sa première année au sein de la compagnie, comme « médiocrement » ou tout au plus « moyennement » doué, de tempérament « bilieux » et « mélancolique ». Ils soulignent qu’il ne demeura que six ans et demi missionnaire et ne fonda pas d’autre mission que Saint-Ignace, qu’en dehors de l’expédition dans la vallée du Mississipi, il ne fit que suivre les traces d’autrui (en particulier celles du père Claude Allouez) et qu’enfin, même dans cette célèbre expédition, et contrairement à ce que déclarait Charlevoix*, ce n’est pas lui, mais Jolliet, qui prit toutes les initiatives. Dans une série de dix articles ronéotypés et inédits, M. Steck a repris et complété tous les arguments qu’il avait déjà présentés pour montrer que, selon lui, la place faite à Marquette dans l’histoire est excessive et injustifiée. Il les a publiés dans ses Marquette legends. Mais Lucien Campeau a contre-attaqué et lui a longuement répondu dans un compte rendu publié dans la Revue dHistoire de lAmérique française (XIV (1960–1961) : 282–286).

Si l’on en juge d’après la bibliographie des 30 dernières années, le dernier mot n’a pas encore été dit dans cette controverse qui, même vue sous l’angle historique le plus étroit, n’a aucune importance. Car elle a pour objet un homme qui, comme tout homme, est une énigme et qui, en sa qualité d’homme, eut sans doute les défauts de ses qualités.

J. Monet

JR (Thwaites), LIX.— Narratives of the Northweast (Kellogg) dans Original narratives (Jameson).— Mission du Canada : Relations inédites de la Nouvelle-France (1672–1679) pour faire suite aux anciennes relations (1615–1672) avec deux cartes géographiques, [éd. Félix Martin] (2 vol., Paris, 1861).—J. G. Shea, Discovery and exploration of the Mississippi valley with the original narratives of Marquette, Allouez, Membré, Hennepin, and Anastase Douay (New York, 1852).— Melchisédech Thévenot, Recueil de voyages de Mr. Thévenot (Paris, 1681).— Lucien Campeau, Marquette legends, RHAF, XIV (1960–61) : 282–286.— Charlevoix, Histoire de la N.F.— C. Corrivault, Le Père Jacques Marquette, BRH, LVI (1950) : 46–48.— Jean Delanglez, The discovery of the Mississippi, Mid-America, XXVII (1945) : 219–231 ; XXVIII (1946) : 2–22 ; Jolliet ; Marquette’s autograph map of the Mississippi River, Mid-America, XXVII (1945) : 30–53 ; The “Récit des voyages et des découvertes du Père Jacques Marquette”, Mid-America, XXVIII (1946) : 173–194, 211–258.— G. J. Garraghan, The Jolliet-Marquette expedition, 1673, Thought, IV (1929) : 32–71 ; Marquetteardent missioner, daring explorer (New York, 1937).— Some hitherto unpublished Marquettiana, Mid-America, XVIII (1936) : 15–26 ; Some newly discovered Marquette and La Salle letters, Archivum historicum Societatis Iesu, IV, fasc. II (1935) : 268–290.— Alfred Hamy, Au Mississippi : la première exploration, 1673 : le Père Jacques Marquette de Laon, prêtre de la Compagnie de Jésus 1637–1675), et Louis Jolliet, daprès Ernest Gagnon (Paris, 1903).— Jerome V. Jacobson, Attempted mayhem on Père Marquette, Mid-America, XXXI (1949) : 109–115 ; Documents : Marquette’s ordination, Mid-America, XXXII (1950) : 46–54.— L. P. Kellogg, The French régime in Wisconsin and the Northwest (Madison, Wis., 1925) ; Jacques Marquette, DAB, XXII. 294s. ; Marquette’s authentic map possibly identified, State Hist. Soc. of Wisconsin Proc., (1906), 183–193.— Agnes Repplier, Père Marquette : priest, pioneer and adventurer (New York, 1929).— J. C. Short, Jacques Marquette, catechist, RUL, III (1948–49) : 436–441 ; recension de l’ouvrage de Jean Delanglez, Life and voyages of Louis Jolliet, 1645–1700 (Chicago, 1948) dans Wisconsin Mag. of Hist. XXXII (1948–49) : 227–229.— Jared Sparks, Father Marquette, dans The Library of American biography, ed. Jared Sparks (10 vol., Boston and London, 1834–36), X : 263–299.— Francis Borgia Steck, Essays relating to the Jolliet-Marquette expedition, 1673, ed. August Reyling (2 vol., Quincy, Ill., 1953), hors-commerce ; Father Garraghan andThe Jolliet-Marquette expedition, 1673” (Quincy, Ill., 1929) plaquette hors-commerce ; The Jolliet-Marquette expedition, 1673 (« The Catholic University of America, Studies in American Church History », VI, Washington, D.C., 1927) ; Marquette legends, ed. August Reyling (New York, 1960).

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J. Monet, « MARQUETTE, JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/marquette_jacques_1F.html.

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Auteur de l'article:    J. Monet
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
Date de consultation:    28 novembre 2024