Provenance : Lien
MORIN, MARIE, hospitalière de Saint-Joseph, première religieuse canadienne, supérieure de l’Hôtel-Dieu de Montréal (1693–1696, 1708–1711), annaliste, née à Québec le 19 mars 1649, fille de Noël Morin, seigneur de Saint-Luc, et d’Hélène Desportes*, filleule de Louis d’Ailleboust* de Coulonge, décédée et inhumée à Montréal le 8 avril 1730.
Marie Morin est membre d’une famille de 12 enfants dont l’aîné Germain, qui eut pour marraine la mère du célèbre explorateur Louis Jolliet*, devient le premier prêtre canadien.
Marie Morin fait ses études chez les Ursulines de Québec. Elle y est pensionnaire lorsqu’en 1659 le monastère des Ursulines de Québec accueille, à leur arrivée de France, Jeanne Mance* et les trois premières hospitalières choisies par Jérôme Le Royer pour fonder l’Hôtel-Dieu de Ville-Marie. La rencontre de ces missionnaires a dû profondément impressionner la fillette. Chose certaine, c’est qu’à 11 ans elle décide d’entrer chez les Hospitalières de Ville-Marie. Ses parents s’y opposent, alléguant qu’elle peut tout aussi bien réaliser son projet chez les Hospitalières de Saint-Augustin établies à Québec. La fillette plaide si bien sa cause qu’après deux ans de résistance elle obtient l’autorisation de Mgr de Laval qui pourtant n’approuve pas la fondation d’une nouvelle communauté d’hospitalières à Montréal. À 13 ans, Marie Morin entre donc au noviciat des Hospitalières de Ville-Marie.
En prononçant ses vœux solennels le 27 octobre 1671, sœur Morin devient la première moniale canadienne de Montréal. On reconnaît bientôt ses talents de femme d’affaires puisqu’en 1672 on la nomme dépositaire. Elle le sera de nouveau en 1676, en 1681, en 1689 et en 1696. Sœur Morin explique modestement cette nomination : elle connaît mieux le pays que ses compagnes françaises et elle peut obtenir de meilleurs matériaux et à meilleur compte. En 1693, elle devient la première supérieure canadienne de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Elle sera de nouveau élue supérieure en 1708.
Par ces titres et fonctions, sœur Morin est intimement mêlée à l’expansion de l’Hôtel-Dieu, restauré en 1689. Elle connaît les incroyables soucis que comporte la construction d’un édifice de 200 pieds de longueur sur 31 de large, à 3 étages, auquel s’ajoutent, en forme de T, deux pavillons de 25 pieds sur 31 chacun. Le nouvel hôpital est béni le 21 novembre 1694 et, trois mois après son inauguration, le jeudi 24 février 1695, le feu le détruit de fond en comble. Marie Morin est alors supérieure et, l’année suivante, on la nomme dépositaire pour s’occuper de la reconstruction.
C’est à cette époque de sa vie, plus précisément en 1697, qu’elle commence la rédaction des Annales de l’Hôtel-Dieu qu’elle poursuivra jusqu’en 1725. Elle meurt, des suites d’une longue maladie, le 8 avril 1730.
Marie Morin a écrit ses mémoires à la demande des sœurs hospitalières de Saint-Joseph en France, désireuses de connaître la vie et l’œuvre de leurs compagnes parties pour la Nouvelle-France : « jay plus de connaissance de ces choses, que beaucoup dautres sanparler hardyment, estant La première fille quelles resurent en Leur Compagnie La 3e année apres Leur arrivée en Canada jai eu Le bonheur destre temoin oculaire de presques tout ce quelles ont fait et soufert, et ne croyez pas mes sœurs que jexagere mais persuadé vous comme il est vray, que ce nest que La moindre partie et que cest pour votre recreation que je prans plaisir a écrire cecy ».
Dans la préface, elle s’excuse de toutes ses fautes de style car, à cette époque, elle est dépositaire et doit voir aux dépenses et aux travaux de la maison : « Les charpentiers, massons, taillieurs de pierre, menuisiers ayant besoin de me parler souvant, cela me distrait de mon sujet et me fait faire des repetitions mal à propos, et couper cour un discours commencé ». Puis elle passe en revue les religieuses de l’Hôtel-Dieu de Montréal, les fondatrices d’abord, venues de France, puis les Canadiennes. Elle raconte les circonstances, parfois pittoresques, de leur entrée en religion, puisque quelques-unes entrèrent « nuitamment » pour échapper à l’opposition de leurs parents. La préface se termine par une description de l’île de Montréal.
Sœur Morin divise ensuite son récit en 46 chapitres d’inégale longueur auxquels elle donne des titres descriptifs du contenu. Nous trouvons dans ces pages l’histoire détaillée de la fondation de la communauté des religieuses hospitalières de Saint-Joseph en France et de l’Hôtel-Dieu de Montréal, les biographes de Jérôme Le Royer de La Dauversière, de Paul Chomedey* de Maisonneuve et de Jeanne Mance peuvent y puiser une abondante documentation, compte tenu toutefois qu’un souci d’édification morale oriente les jugements de sœur Morin sur les personnes et sur les événements. À ces pages, qui ont été publiées par la Société historique de Montréal, s’ajoutent 108 autres où Marie Morin raconte l’incendie de 1695, celui de 1721, le siège de Québec en 1690 et le naufrage de l’Île-aux-Œufs en 1711.
Ce qui nous a paru le plus intéressant dans ces Annales, ce sont les renseignements que donne Marie Morin sur la vie quotidienne à son époque et les jugements familiers qu’elle porte sur ses contemporains. C’est là, il nous semble, le charme et le plus grand mérite de cette chronique « domestique ». Ainsi, elle raconte l’arrivée à Montréal en 1669 des sœurs Andrée de Ronceray, Renée Le Jumeau et Renée Babonneau : « Mr. Souart[*] notre confesseur les mesna voir la mission des sauvages au lieu nommé La Montagne quils les reçurent avec des acclamations et des cris de joie qui furent entendus de loin, elles de leur part, leurs firent baucoup de caresse, et mangèrent de leurs aprets, qui consistoit en sagamité faites de farine de bledinde cuittes à l’eau, des sitroulles cuittes dans la sandres et du bledinde fleuri et en espy, qui sont des mets exquis ».
Parlant des difficultés de l’établissement de l’Hôtel-Dieu à Montréal, sœur Morin écrit : « Croyes mes sœurs, qu’il a fallu bien du courage et de la force pour le suporter avec toutes les autres peines qui acompagnes celles la, celles du froit quelles ont souffert pendant plus de 28 ans est extremes, vous savés que celuy de ce pays ne peut estre compris que par ceux qui le soufrent, leur maison estant trouées en plus de 2 cens endroits le vant et la neige y passeis sans peine [...] de sorte que quand il avoit neigé et vanté la nuit, une des premières choses quon feset le matin, estoit de prandre des pelles de bois et le balet pour jeter dehors la neige gui estoit proches des portes et fenestres [...] et l’eau quon metet sur la table pour boire, s’y glasset en lespasse dun cardheure ».
On trouve également sous la plume de l’annaliste le récit des préoccupations pécuniaires de la dépositaire et des renseignements intéressants sur les ressources financières dont disposaient les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal.
Sœur Morin, nommée dépositaire en 1689, se trouve alors chargée de la reconstruction du premier Hôtel-Dieu qui tombe en ruines. Un mémoire de Brisay de Denonville et Bochart de Champigny, adressé au roi le 3 octobre 1687 afin d’obtenir du secours pour l’hôpital de Montréal, nous donne une idée des difficultés financières auxquelles doit faire face la dépositaire : « Les 16,000 livres qui restent de la fondation sont entre les mains du sieur Desbordes qui en paie tous les ans 800 livres de rente, qui font, avec les 400 que l’on tire de la terre de l’Hôtel-Dieu, tout le revenu de cet établissement. Les religieuses qui le dépensent sont encore plus à plaindre. La dame de Bullion ayant donné 20,000 livres pour les entretenir, le sieur de la Dauversière, receveur des tailles à la Flèche, à qui on remit cette somme, s’obligea de l’employer à l’acquisition d’une rente de 1,000 francs. Cependant il la porta au trésorier de l’épargne en acquit de sa recette des deniers du roi, dans la pensée de la remplacer lorsqu’il aurait trouvé des personnes sures pour la mettre en rente. Mais étant mort peu de temps après, redevable au roi de plus qu’il n’avait de biens, les 20,000 livres qu’il avait en dépôt sont entrées dans les coffres de Sa Majesté, et la fondation des religieuses a été perdue. Il paraît par les comptes que M. l’abbé de Saint-Vallier a vérifiés, que la dépense se monte à 8,000 livres par an. De cette manière, on voit que la dépense passe le revenu, et qu’à moins d’un secours extraordinaire, il faut que cette maison périsse ».
Et Mgr de Saint-Vallier [La Croix] écrit en France en 1688 : « [...] Il est surprenant que leur Communauté et leur hôpital n’ait pas péri jusqu’à présent, et j’attribue à leur vertu les ressources extraordinaires qu’elles ont trouvée de temps en temps dans la divine Providence, qui semble leur avoir ménagé des secours imprévus à proportion de leurs besoins et de leurs souffrances ».
On sait que l’hôpital, bâti malgré tout et grâce à « des secours imprévus », est détruit par le feu le 24 février 1695, trois mois à peine après son inauguration. Dès le lendemain, on commence les quêtes pour la reconstruction qui est aussitôt entreprise sous la direction de l’architecte Gédéon de Catalogne. Sœur Morin donne le nom des bienfaiteurs et le montant de leurs dons, ajoutant qu’il faudrait aussi nommer tous ceux qui donnèrent du bois, de la pierre, du blé, qui des journées d’hommes, qui des journées de harnais. Mais « vers la fin du mois de juillet, on mit en deliberation sy on ne quitteret point le travail commansé, le fonds des questes estant déja épuisé ». Emprunter ? Impossible, dit sœur Morin, car « l’estat où nous éstions ne conviet personnes à nous confier des sommes considérables joint que l’argent est rare en ce pays. »
Fort heureusement, Frontenac [Buade*], qui prévoit une expédition contre les Iroquois et le besoin qu’il aura alors de l’Hôtel-Dieu pour les soldats blessés, intervient personnellement pour la reprise des travaux. Sœur Morin, alors supérieure, le reçoit : « Monsr le Compte de Frontenac vingt se promener dans nos masures, aiant tout visité, il paru assé comptant de la diligence des ouvriers, puis demanda la supérieure pour luy dire quil faillet absolument continuer à faire travaillier à rétablir son monastère, et comme elle san escuset sur le peu de moyens dan soutenir la Depance, il nous feret présant, luy dy il, de cent escu pour nous y aider, mais à condition que nous ne nous découragère point ».
Les religieuses entrent dans leur nouvelle maison le 21 novembre 1695, mais la construction est loin d’être achevée. Sœur Morin, de nouveau dépositaire en 1696 et jusqu’en 1702, connaîtra encore de grands soucis financiers et se heurtera à des obstacles imprévus : « La segonde année après notre insandie nous perdimes tout les rantes d’une année que nous avions en france quon avoit employee en provisions pour nous comme estoffe tailles vin audevie et ferremens necessaire aux pays, le navire ou ces choses furent chargee fut pris par les anglois, ce qui est arrivé plusieurs autres fois de ma connessance que nous perdions tout ce qui nous venet de france [...] C’est les anglois qui ont profité de nos pertes sur la mer. »
Marie Morin consacre les 25 dernières pages de ses Annales au récit de la seconde conflagration de l’Hôtel-Dieu en 1721. Alors âgée de 72 ans, elle éprouvera avec ses compagnes l’angoisse de voir menacée la survie de leur œuvre, faute de ressources financières.
Comme le feu a ravagé « toutes la Basse ville on n’a point fait de questes generalles par la ville comme la première fois que nous avons brusle a cause que ceux qui aurais pu nous donner sont presque ruinés par le feu ».
Les religieuses hospitalières, logées à l’hospice des frères Charon, devront attendre deux ans avant de commencer les travaux de reconstruction. Pour s’aider à survivre, elles exploitent leur ferme : « nos sœurs les plus vigoureuses ont esté bien des fois aider à celles ci à fener, à cœur de journée le foin et à jaulet le bled pendant les récoltes, ala force du soleil, à cause quon navet pas de quoy payer des hommes ». Mgr de Saint-Vallier demande à la supérieure de « faire l’impossible pour quon poussa louvrage malgré la disette », mais « comme il ne donnet point de moyen, on ne se presset pas [...] Que faire sans argent ». De son côté, le roi, après avoir accordé 2 000# de gratification, envoie à l’intendant « l’ordre darester les travaux ». Rigaud de Vaudreuil et Bégon* n’offrent que 8004# et encore est-ce sous la forme d’un acompte sur la pension des soldats malades, pension qui était de « onze soubs par jour et dont il a fallu se contanter et faire comme on pouret ».
Enfin grâce à un don substantiel de 5 000# offert par Mgr de Saint-Vallier, à la générosité du séminaire de Saint-Sulpice et à l’initiative de l’aumônier des religieuses, M. Louis Normant* Du Faradon, qui entreprit « une queste qui dura une semaine » et dont « il parut assez comptant », l’Hôtel-Dieu peut de nouveau ouvrir ses portes, le 11 novembre 1724.
L’année suivante, on parachève l’édifice grâce surtout à un emprunt fait au marchand Lespérance. L’ancienne dépositaire ne peut s’inquiéter des dettes : « Les payra qui poura. Je crains beaucoup quon en ait du regret. » Mais elle clôt ses Annales par une prière sereine et ces simples mots : « J’écris ceci le 16 7bre 1725 ».
Les Annales – manuscrit sauvé de tous les incendies qui dévastèrent l’Hôtel-Dieu – constituent aujourd’hui par leur authenticité et leur intérêt un trésor très précieux pour l’histoire de Montréal et du Canada. À travers ces pages, nous retrouvons la personnalité remarquable de sœur Morin, type de femme héroïque qu’ont produit les premiers temps de la Nouvelle-France.
AHDM, Marie Morin, Histoire simple et véritable de l’établissement des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph en l’Île de Montréal, dite à présent Ville-Marie, en Canada, de l’année 1659 [...]. Ce manuscrit a été publié sous le titre d’Annales de l’Hôtel-Dieu de Montréal, A. Fauteux, É.-Z. Massicotte et C. Bertrand, édit. ( « Mémoires de la Société historique de Montréal », XII, 1921).— AHDM, Annales de sœur Véronique Cuillerie, 1725–1747 ; Lettre de sœur Morin aux sœurs de France relatant le tremblement de terre de 1663.— Bibliothèque municipale de Montréal, Fonds Gagnon, Lettre autographe de sœur Morin à Monsieur de Villeray [...] 23 sept. 1693.— Mandements des évêques de Québec (Têtu et Gagnon), I.— Esther Lefebvre, Marie Morin, premier historien canadien de Villemarie (Montréal, Paris, 1959).— Maria Mondoux, L’Hôtel-Dieu, premier hôpital de Montréal [...] 1642–1763 (Montréal, 1942).-É.-Z. Massicotte, Le premier écrivain né en Canada, BRH, XXXVII (1931) : 202.— Léo Pariseau, Pages inédites du premier écrivain canadien, Le Journal de l’Hôtel-Dieu de Montréal, 1937.
Hélène Bernier, « MORIN, MARIE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/morin_marie_2F.html.
Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:
Permalien: | http://www.biographi.ca/fr/bio/morin_marie_2F.html |
Auteur de l'article: | Hélène Bernier |
Titre de l'article: | MORIN, MARIE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |