VOYER, ANTOINE, homme d’affaires, homme politique et homme fort, né le 23 mai 1782 à Montréal, fils de Jacques Voyer et de Judith Taton, dit Brind’amour ; le 26 novembre 1804, il épousa à Montréal Marie-Anne Sainte-Marie, et ils eurent trois enfants ; décédé le 27 décembre 1858 dans la même ville.

Comme la plupart des auteurs de prouesses physiques, Antoine Voyer est entré dans une légende dont il est difficile de départager aujourd’hui la réalité du folklore. Celui que l’on a surnommé « le grand Voyer » ne manquait en tous cas ni de panache ni de réputation. Il semble avoir possédé suffisamment d’autorité physique pour qu’un Jos Montferrand*, homme fort d’entre les hommes forts, ait considéré ce personnage de 20 ans son aîné comme son père. Voyer eut d’autre part une vie civile assez remplie pour se bâtir une situation sociale et même accéder à la charge de conseiller municipal. Paradoxalement, cette phase de sa vie s’avère la moins connue, même si elle est plus repérable dans les documents, tandis que les exploits qui ont fait sa légende semblent n’avoir été inventoriés qu’après un long voyage dans la tradition orale.

Voyer est l’aîné d’une famille de sept enfants. Son père possédait quelques biens, dont quatre propriétés réparties dans le faubourg Saint-Laurent et le Coteau-Saint-Louis, qui forment la succession partagée entre la mère et les enfants en 1803. Sa part de succession lui procure peut-être un début d’indépendance financière, car on ne lui connaît aucun métier officiel. La légende veut qu’il ait été aubergiste, mais il a été impossible de confirmer ce fait. Cette dernière prête à Voyer une taille au-dessus de la moyenne et un physique svelte, soit près de « six pieds et demi » et à peine plus de 200 livres. Sa force n’a cependant pu être mesurée faute de défis ou d’exploits quantitatifs connus. Voyer aurait plutôt participé à plusieurs des échauffourées électorales qui ont marqué le début du xixe siècle. Au cours d’une élection, il aurait, en compagnie de Jos Montferrand, débloqué un bureau de scrutin occupé par un des partis en s’aidant d’un poids de 250 livres. Il aurait eu maille à partir avec des membres des forces armées : avec l’aide d’un autre homme fort, il aurait rossé sept ou huit soldats qui s’en prenaient à une vieille femme ; il aurait à lui seul affronté victorieusement cinq militaires qui, suite à l’incident précédent, l’avaient attaqué non loin d’un poste de garde. Aubergiste rue Saint-Laurent, à Montréal, il aurait un jour fait maison nette en sortant un à un par la fenêtre des marins qui se bagarraient dans son établissement.

De tous les exploits de Voyer, cependant, il en est un seul sur lequel on a des témoignages précis : sa participation à l’élection partielle de Montréal-Ouest, en 1832, pendant laquelle il met hors de combat un des « boulés » les plus respectés de Montréal. Cette élection s’ouvre le 25 avril et met en présence Stanley Bagg, qui se présente comme un homme d’affaires, et le docteur Daniel Tracey*, éditeur du journal réformiste montréalais le Vindicator and Canadian Advertiser. Bagg est soutenu par les tories et la Montreal Gazette. Tracey a l’appui des réformistes canadiens-français, de la Minerve et compte sur le vote des Irlandais. Voyer, qui habite rue Saint-Laurent, est inscrit dans cette circonscription. Il donne son appui au candidat Tracey et signe en compagnie de Louis-Hippolyte La Fontaine* une circulaire invitant les citoyens à voter dans ce sens.

Dès le premier jour de l’élection, un groupe de fiers-à-bras payés par Bagg, dont plusieurs sont en même temps assermentés comme connétables spéciaux par les magistrats de Montréal, tentent de s’assurer la mainmise sur le bureau de vote et d’empêcher les partisans de Tracey de s’en approcher. Au deuxième jour, Voyer est présent et au moment où les batailleurs reprennent leurs menaces et voies de fait, il assomme d’un seul coup de poing leur meneur, un certain Bill Collins, individu déjà condamné pour homicide. La tradition veut que Collins ait succombé au coup de Voyer. Rien n’est moins certain, et Voyer n’a pas eu à subir de poursuites judiciaires pour son geste. L’entrée en scène de Voyer a provoqué la déroute des fiers-à-bras tories et ramené le calme pour un temps, c’est-à-dire jusqu’à l’incident sanglant du 21 mai qui a rendu l’élection célèbre parce que l’armée a tiré sur la foule, faisant trois morts.

En dépit du genre d’exploit sur lequel repose sa légende, Voyer ne garde pas la réputation d’un fier-à-bras ; au contraire, il est considéré, respecté par ses contemporains, y compris par La Fontaine, et il n’est pas de ceux qui se bagarrent pour un rien. Il n’y a guère de doute que Voyer ne dépend pas de ses exploits physiques pour vivre. Sa réputation est suffisamment solide et n’a pas été entamée par les incidents de 1832, de telle sorte qu’il fait partie du Conseil municipal de la ville de Montréal en 1834 et 1835. Il y retrouve, incidemment, plusieurs citoyens bien connus engagés dans l’élection de 1832 : La Fontaine, Jacques Viger, Charles-Séraphin Rodier*, John Anthony Donegani*. Les seules traces d’une activité économique de Voyer apparaissent à cette époque. Une trentaine d’actes notariés, faits entre 1834 et 1843, indiquent une activité immobilière relativement soutenue. La plupart de ces actes sont en effet des baux à loyer et donnent à penser que Voyer a su faire fructifier l’héritage paternel et se tailler une place de grand propriétaire dans le quartier Saint-Laurent où il s’éteint en décembre 1858 à l’âge de 76 ans.

Antoine Voyer représente un cas particulier chez les hommes forts. Sa légende repose sur des exploits beaucoup plus qualitatifs que quantitatifs, mais elle n’en est pas moins assez impressionnante pour faire de lui le père d’un Jos Montferrand. Sa vie civile est en contrepartie celle d’un homme à l’aise, qui se range parmi les citoyens en vue de son quartier, qui ne se bat que par accident et vit de l’usufruit de ses propriétés. La légende aura cependant mis de côté cet aspect bourgeois du personnage pour garder l’image d’un homme qui utilise sa force pour protéger ses concitoyens durant la période troublée qui correspond à la mise en pratique du régime parlementaire britannique et au développement d’une société anglo-saxonne dans les Canadas au début du xixe siècle.

Paul Bernier

Trois récits des prouesses d’Antoine Voyer s’inspirent de la tradition orale et, de ce fait, présentent des lacunes quant aux dates et aux lieux des exploits. Ils se retrouvent dans les ouvrages d’Hector Berthelot, Montréal, le bon vieux temps, É.-Z. Massicotte, compil. (2 vol. en 1, Montréal, 1916), 1 : 99–101, d’É.-Z. Massicotte, Athlètes canadiens français ; recueil des exploits de force, d’endurance, d’agilité, des athlètes et des sportsmen de notre race depuis le XVIIIe siècle [...] biographies, portraits, anecdotes, records (2e éd., Montréal, [1909]) et de Sulte, Mélanges hist. (Malchelosse), 12. Le texte de Massicotte* est de loin le plus complet.  [p. b.]

ANQ-M, CE1-51, 23 mai 1782, 26 nov. 1804, 27 déc. 1858 ; CN1-32, 1834–1835, 1837, 1839–1843 ; CN1-194, 21 déc. 1803.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1832–1833, app. M ; 1834, app. NN.— La Minerve, avril–mai 1832.— Montreal Gazette, avril–mai 1832.— Vindicator (Montréal), avril–mai 1832.— F.-M. Bibaud, le Panthéon canadien (A. et V. Bibaud ; 1891).— Montreal almanack, 1829 ; 1848.— Montreal directory, 1820 ; 1850.— Hist. de Montréal (Lamothe et al.).— Robert Rumilly, Histoire de Montréal (5 vol., Montréal, 1970–1974), 2.

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Paul Bernier, « VOYER, ANTOINE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/voyer_antoine_8F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
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