Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2897750
PAPINEAU, JOSEPH, arpenteur, notaire, agent seigneurial, homme politique et seigneur, né le 16 octobre 1752 à Montréal, fils de Joseph Papineau et de Marie-Josephte Beaudry ; décédé le 8 juillet 1841 au même endroit.
Le grand-père de Joseph Papineau, Samuel Papineau*, dit Montigny, s’établit au Canada vers la fin du xviie siècle ; après une carrière militaire, il devient cultivateur non loin de Montréal. Son père Joseph cultive aussi la terre mais, après plusieurs échecs, il se tourne vers le métier de tonnelier qu’il exerce à Montréal dans des conditions difficiles. C’est donc dans un milieu simple et modeste, où la vie est dure et l’argent rare, que Papineau développe très tôt l’ambition d’être quelqu’un, de prouver sa valeur, de devenir riche et puissant. Ce désir de réussir explique sa détermination au travail, son existence renfermée et studieuse. La modestie de son origine pèse lourd à sa fierté et à sa jeune ambition. Il n’est pas exagéré de dire que, doté d’une volonté peu commune, c’est lui qui donnera à la lignée des Papineau son impulsion et son caractère.
Le père de Papineau veut que son fils suive ses traces et devienne artisan ou cultivateur mais, en 1758, la construction d’une école primaire par les sulpiciens donne à ce dernier la possibilité de prendre une autre orientation. En 1765, au terme de ses études primaires, Papineau poursuit sa formation sous la tutelle de Jean-Baptiste Curatteau*, curé de Longue-Pointe (Montréal). Son intelligence n’échappe pas à la bienveillante sollicitude de Curatteau ; il entrevoit pour lui un brillant avenir et convainc ses parents de l’envoyer, à l’automne de 1767, au petit séminaire de Québec, afin qu’il puisse achever ses études classiques.
À Québec, l’ardeur de Papineau ne se relâche jamais. Il collectionne les prix et fait l’admiration de ses professeurs et de ses condisciples par son incroyable puissance de travail. Ses succès le rapprochent des prêtres du séminaire qui ont déjà l’œil sur ce brillant jeune homme, sérieux, replié sur lui-même, mais fort doué pour la spéculation philosophique et les mathématiques. L’évolution du jeune Papineau se fait donc sans rupture ni crise profonde, et son aboutissement laisse supposer que le climat religieux et moral du séminaire l’a marqué profondément. Dans ce contexte, ses professeurs n’ont sûrement pas de difficulté à le sensibiliser aux principes de la monarchie de droit divin et aux valeurs sociales d’Ancien Régime.
En juin 1771, ses études terminées, sans ressources financières, Papineau s’installe chez son père et est mis en face d’un choix de carrière limité : la médecine, le droit ou l’arpentage. En septembre, il s’initie à l’arpentage chez Jean De Lisle* qui exerce aussi la profession de notaire. Il bénéficie de l’érudition scientifique et des vastes connaissances en géométrie de ce dernier ; en peu de temps il est apte à exercer sa profession. Le 20 juillet 1773, il reçoit sa commission d’arpenteur et jusqu’en 1775 il accomplit cette tâche à plein temps. Son entrée dans la bourgeoisie des professions libérales signifie qu’à ce moment-là la famille Papineau s’engage dans un processus d’ascension sociale.
À titre d’arpenteur, Papineau fait preuve d’un remarquable esprit systématique. Exigeant pour lui-même comme pour les autres, il déteste le travail superficiel et bâclé, et n’hésite pas à reprendre ce qui lui semble imparfait. Ses qualités professionnelles retiennent rapidement l’attention des sulpiciens, propriétaires de plusieurs seigneuries dans le district de Montréal. Pendant deux ans, Papineau travaille exclusivement pour eux : il vérifie les contours de leurs seigneuries, exécute plusieurs plans et mesure les limites de plusieurs censives. Les relations étroites qu’il noue avec cette importante communauté religieuse lui permettent de mettre à profit ses connaissances en matière de seigneurie et de système seigneurial, et de se bâtir une importante clientèle dans la région de Montréal. Travailleur et économe, il a déjà acquis quelques terrains et bâtiments dans la ville de Montréal.
Cependant, Papineau n’est pas satisfait. La profession d’arpenteur est absorbante et nécessite de longs et difficiles déplacements. Depuis longtemps, le notariat l’attire et lui semble plus près de ses goûts et de son tempérament. En 1775, l’année qui suit la reconnaissance du droit français par l’Acte de Québec, Papineau, sans délaisser ses activités d’arpenteur mais pleinement conscient des possibilités qu’offre la pratique notariale, s’engage à faire un stage de clerc d’une durée de cinq ans chez De Lisle. Au moment de la guerre contre les Américains en 1776, il interrompt ses études et se voue à la défense de la colonie. Chargé de porter des dépêches militaires au gouverneur Guy Carleton*, il se révèle digne de confiance et ardent partisan de la monarchie et des valeurs aristocratiques. Il espère sans doute en la retombée prochaine des faveurs gouvernementales. Malgré sa loyauté, il n’obtiendra pas de contrat d’arpentage de l’administration publique et devra travailler presque exclusivement pour des seigneurs et des particuliers.
La carrière de Papineau est toutefois facilitée par son mariage, le 23 août 1779, avec Rosalie Cherrier, fille de François-Pierre Cherrier*, ancien marchand devenu l’un des notaires les plus en vue de la région du Richelieu et un homme riche ; il a déjà marié l’une de ses filles au chirurgien Jacques Larthigue et une autre au marchand Denis Viger*. Papineau entre ainsi dans une famille fortunée et influente. La dot de la future épouse confirme d’ailleurs la qualité de cette alliance et les avantages économiques que Papineau en retire.
Le 18 juillet 1780, Papineau reçoit la commission de notaire qui l’autorise à exercer dans toute la province de Québec. Déjà, il dispose d’importantes économies, puisque peu après son mariage il a acheté la maison de son père qu’il a fait transformer en une luxueuse maison de pierre de deux étages. C’est là qu’il ouvre son bureau et rédige son premier acte le 5 août 1780, prélude d’une carrière exceptionnellement longue et fructueuse, échelonnée sur plus de 60 ans et au cours de laquelle il dressera plus de 5 000 actes. Sa clientèle se répartit dans un espace géographique très vaste qui couvre la ville de Montréal et ses faubourgs, ainsi que les seigneuries de Saint-Hyacinthe, de l’Île-Jésus, Saint-Sulpice, des Mille-Îles, du Lac-des-Deux-Montagnes, de la Petite-Nation et celles qui sont situées sur les rives du Richelieu ; elle se recrute aussi dans toutes les couches sociales. Sa pratique notariale se divise en deux périodes bien distinctes l’une de grande activité, qui va de 1781 à 1803, l’autre plus calme, qui s’échelonne de 1804 à 1841.
Dès le début de sa carrière, Papineau compte parmi ses clients les sulpiciens du collège Saint-Raphaël (aussi appelé collège de Montréal) et plusieurs de leurs censitaires, qui viennent le consulter pour la vente de terres ou la ratification de titres. Sa clientèle s’accroît rapidement, et il fait de plus en plus affaire avec des artisans de la ville et des cultivateurs des environs. De 1781 à 1788, il rédige en moyenne 147 actes par année. Son étude est un observatoire et un moyen efficace de se bâtir un réseau d’influences, voire d’établir des liens de domination.
Cet aspect de ses activités professionnelles amène Papineau à s’intéresser aux affaires publiques. Dès novembre 1784, il se joint au comité réformiste canadien qui regroupe les forces bourgeoises francophones et anglophones. Il joue même un rôle important dans le regroupement du mouvement réformiste de Montréal et de Québec en participant à la rédaction de la pétition du 24 novembre 1784 qui vise à sensibiliser les autorités métropolitaines au projet d’établissement d’une chambre d’Assemblée dans la colonie. Même si Papineau a été formé au contact des institutions monarchiques et est attaché aux valeurs d’Ancien Régime, il n’hésite pas dans ce débat politique à se ranger du côté de la bourgeoisie. Sans doute croit-il que l’établissement d’une Assemblée est le meilleur moyen de préserver les droits de la collectivité d’expression française. En outre, il est fort probable qu’il veuille entretenir des relations avec le petit groupe privilégié des marchands de Montréal, qu’ils soient francophones ou anglophones. D’ailleurs, à partir de 1787, sa clientèle urbaine s’élargit et s’étend aux marchands, aux constructeurs et aux spéculateurs immobiliers.
En 1788, à la demande des autorités du séminaire de Québec, Papineau administre la seigneurie de l’Île-Jésus et celle de la Petite-Nation qui est encore inexploitée. La même année, les sulpiciens lui confient plusieurs fonctions administratives dans leurs seigneuries. Grâce à sa bonne gestion, il gardera ces postes jusqu’au début du xixe siècle. Mais c’est à titre d’administrateur de la seigneurie de l’Île-Jésus que Papineau se distingue d’une façon particulière. Il obtient d’abord de la part du procureur du séminaire, qui réside à Québec, une large liberté de manœuvre et devient en pratique le seul maître de l’exploitation. C’est lui qui concède les terres, perçoit les redevances fixes, surveille les mutations pour toucher les lods et ventes, vend le blé de rente et de mouture, veille au bon fonctionnement des moulins et à leur entretien. En plus de bien diriger la seigneurie, il en modifie profondément la gestion : d’une part, dans le sens de la rationalisation, notamment lorsqu’en 1804 il entreprend à ses frais la construction d’un deuxième moulin pour mieux desservir les censitaires et vendre le blé à Montréal et à Québec ; d’autre part, dans le sens du durcissement des modes d’exploitation, par exemple lorsqu’il augmente les rentes et exige le rétablissement de tous les autres droits seigneuriaux.
Agent de ces puissances foncières que sont les communautés religieuses, Papineau en tire avantages économiques et influences. Il en profite aussi pour élargir son champ d’action comme notaire et parfaire ses connaissances des questions seigneuriales. Ainsi de 1789 à 1803 sa clientèle augmente de plus de 40 % dans les seigneuries de l’Île-Jésus, du Lac-des-Deux-Montagnes et Saint-Sulpice. De même, il ne peut manquer de profiter des réseaux d’information privilégiés qui se tissent autour de ses multiples fonctions. Notaire, arpenteur, agent seigneurial, en rapport constant avec les propriétaires fonciers et les marchands influents, situé en quelque sorte au carrefour de trois catégories sociales – petite noblesse seigneuriale, clergé, bourgeoisie –, Papineau est mieux placé que quiconque pour tirer profit du régime seigneurial et de son mode d’exploitation. À la fin du xviiie siècle, au moment où le nombre des censitaires augmente d’une façon considérable et que le marché des terres est fort actif, il jouit de positions privilégiées pour effectuer plusieurs opérations foncières tant à la ville qu’à la campagne.
Au départ, les sommes que Papineau investit dans la propriété foncière sont relativement faibles (moins de 2 000ll jusqu’en 1788), mais ensuite il fait de brillantes affaires : entre 1788 et 1803, il effectue des achats de terres dont le montant global dépasse 50 000ll. Il parvient ainsi à posséder un ensemble de propriétés qui font sa fierté : quelques terrains et maisons dans la ville de Montréal, plusieurs parcelles de terre dans le faubourg Sainte-Marie de Montréal ainsi qu’un ensemble de biens-fonds à Saint-Martin (Laval). Les prêts à intérêt, pour leur part, représentent un débours de plus de 3 000ll. Papineau continue malgré l’ampleur de ses affaires à avancer fréquemment de petites sommes d’argent à des cultivateurs, des artisans et des journaliers.
Tout en poursuivant ses multiples occupations, Papineau suit de près la vie politique. En 1791, l’avènement d’un régime constitutionnel qui établit une chambre d’Assemblée dans le Bas-Canada l’incite à se lancer dans l’arène politique. Afin de s’initier au fonctionnement de ce nouveau régime, il doit d’abord faire l’apprentissage de la procédure et d’un ensemble de concepts qui sont nouveaux pour lui. Intéressé par les théoriciens du parlementarisme, il acquiert une connaissance remarquable des auteurs anglais, entre autres John Locke et sir William Blackstone, qu’il lit et commente avec toute la minutie dont il est capable. À quoi s’ajoutent l’étude passionnée du droit naturel dans le volume de Burlamaqui ainsi que celle d’un bon nombre de philosophes français de l’époque, en particulier Bonnot de Mably, Bernardin de Saint-Pierre, Montesquieu, Voltaire et Rousseau. Papineau découvre la notion de souveraineté populaire et devient rapidement un admirateur des institutions britanniques. Toutefois, il n’est pas pour autant partisan de la démocratie et encore moins du républicanisme. Imbu d’un certain libéralisme, ayant rompu avec la tradition absolutiste, il demeure un monarchiste modéré. Selon lui, le modèle politique par excellence réside dans la monarchie constitutionnelle anglaise qui a su maintenir l’équilibre entre les valeurs aristocratiques et bourgeoises en évitant le radicalisme outré et la liberté excessive de la France révolutionnaire. Par ailleurs, la lecture des philosophes du xviiie siècle amène Papineau à s’éloigner de la pratique religieuse, malgré les remords qu’il éprouve vis-à-vis de sa mère et de sa femme, toutes deux d’une grande dévotion. Bien qu’il n’ait plus l’âme religieuse, il n’abandonnera le catholicisme que vers les années 1810 pour y revenir à la fin de sa vie.
En politique, Papineau connaît une carrière importante, mais sans grand éclat. D’abord facilement élu dans la circonscription de Montréal en 1792, grâce à l’appui de plusieurs marchands canadiens et britanniques, il est élu sans opposition dans Montréal-Est en 1796. Afin de consacrer plus de temps à ses affaires personnelles, il ne compte pas briguer les suffrages aux élections de juillet 1800, mais les électeurs ne l’entendent pas ainsi, et Papineau se retrouve de nouveau député de Montréal, malgré lui. Cette vie le laisse insatisfait et lui apparaît comme un devoir. Préoccupé avant tout de sa carrière professionnelle, il s’absente souvent de la chambre d’Assemblée. En 1801, par exemple, il ne participe pas au débat relatif à l’implantation de l’Institution royale pour l’avancement des sciences [V. Joseph Langley Mills*]. Cependant, il sait intervenir au moment opportun. Ainsi en 1793, au moment du débat sur la langue de la législation et des délibérations de l’Assemblée – dont le tiers seulement des députés est anglophone –, Papineau proteste de toutes ses forces contre la proposition qui veut qu’on rédige uniquement en anglais les procès-verbaux de l’Assemblée. Grâce, entre autres, à son intervention, la chambre décide qu’ils seront rédigés soit en français soit en anglais, selon qu’ils touchent au droit civil français ou au droit criminel anglais. Sur des questions moins importantes, il partage ses votes entre le groupe des Britanniques et celui des Canadiens. Manifestement, à cette époque, Papineau fait l’apprentissage du système parlementaire et ne se définit pas encore totalement par opposition à la bourgeoisie anglophone.
Comme Papineau a obtenu en 1801 du séminaire de Québec une partie de la seigneurie de la Petite-Nation, en compensation d’honoraires, puis a acheté le reste deux ans plus tard, il est de moins en moins intéressé à siéger et ne se représente pas aux élections de 1804. Son départ de la scène politique se produit au moment où la bourgeoisie des professions libérales francophone prend conscience de son appartenance à une nation canadienne et veut imposer ses vues et son leadership politique. Une lutte sans merci s’engage entre le parti canadien et les marchands et bureaucrates anglophones qui remettent en question les institutions traditionnelles et utilisent l’appareil politique en vue de se constituer en classe dominante. Cette rivalité pour la mainmise sur les institutions politiques rend impossible le bon fonctionnement de l’Assemblée.
C’est dans cette atmosphère survoltée que Papineau, à la demande de plusieurs électeurs de la circonscription de Montréal-Est, revient à l’action politique à la fin de l’année 1809. Même s’il désapprouve les orientations prises par plusieurs députés de la région de Québec, il est déterminé à trouver une solution à la crise politique qui secoue l’Assemblée bas-canadienne. En 1810, l’emprisonnement de Pierre-Stanislas Bédard*, leader du parti canadien, rend sa tâche encore plus difficile. La députation francophone réclame la libération de Bédard, afin qu’il puisse reprendre son siège. Appuyé par son fils Louis-Joseph*, élu lui aussi en 1809, Papineau exige une enquête sur les principaux faits et gestes du gouverneur sir James Henry Craig*. Insatisfait des réponses reçues, il plaide en vain la cause de son collègue auprès de Craig.
Néanmoins, la menace américaine et l’arrivée d’un nouveau gouverneur, sir George Prévost*, reconnu pour ses idées conciliatrices, ont pour effet d’assainir l’atmosphère politique. La fin de la crise parlementaire précipite la fin du leadership de Bédard et ouvre la voie aux ambitions de Louis-Joseph Papineau. En 1815, on l’élit président de la chambre d’Assemblée et, avec la bénédiction de son père, il s’affirme de plus en plus comme le nouveau leader des Canadiens. Louis-Joseph est l’héritier désigné, porteur des espérances familiales sur le plan politique. À la même époque, Denis-Benjamin* administre la seigneurie de la Petite-Nation, André-Augustin est notaire et marchand à Saint-Hyacinthe où habite sa sœur Marie-Rosalie, qui épousera en 1816 le seigneur Jean Dessaulles*, et Toussaint-Victor étudie au petit séminaire de Montréal et se destine à la prêtrise. L’ascension sociale de la famille Papineau est de plus en plus une œuvre collective, à laquelle chacun contribue selon ses facultés et ses capacités. Dans cet élan, les forts entraînent les faibles, et tous profitent dans une certaine mesure de la réussite et des nombreuses relations du père. Papineau est assez proche de ses enfants pour recevoir leurs confidences, mais garde assez de réserve pour empêcher rivalités et excès d’enthousiasme. Conscient de ses responsabilités, il a véritablement assuré l’avenir de la lignée où prédominera de plus en plus l’esprit de clan. Sa réussite financière et son influence ont déterminé l’image de cette famille qui marquera le destin socio-politique du Bas-Canada et du Québec pendant plus d’un siècle.
En 1814, à l’expiration de son mandat de député, Papineau se retire définitivement de la scène politique et concentre son énergie sur la gestion de sa seigneurie de la Petite-Nation. Déjà, une trentaine de colons y sont installés et on a construit deux moulins sur la rivière Petite Nation. Précis et méticuleux, Papineau a fait arpenter plusieurs terres et dresser le plan du territoire occupé. Depuis quelques années, l’exploitation de la forêt seigneuriale alimente un important commerce de bois. Toutefois, le maintien des droits seigneuriaux demeure sa préoccupation majeure. La rédaction des contrats de concession, la mise à jour des taxes de mutation ainsi que la perception régulière des redevances seigneuriales visent à obtenir le maximum des censitaires et à assurer une saine gestion de la seigneurie. Dès le début, les principaux objectifs de Papineau étaient de donner à ses droits une assise solide et de jeter les bases d’une administration efficace, de manière à faire de lui un seigneur tout-puissant. Avant tout percepteur de la rente, il se trouve dans une situation de classe bien caractérisée : celle de l’homme qui s’approprie une part du produit du travail paysan au moyen de la servitude seigneuriale. À cette époque, Papineau continue de placer son argent dans la terre et devient un important spéculateur foncier dans le faubourg Sainte-Marie et à Saint-Martin. Le mode de constitution de son immense fortune essentiellement foncière demeure traditionnel. Au bout du compte, ses attitudes et ses gestes ont concrétisé ses aspirations aristocratiques et nobiliaires.
En 1817, Joseph Papineau vend la seigneurie de la Petite-Nation à son fils Louis-Joseph pour la somme de £500 et se consacre à sa profession. Il n’en continue pas moins de jouer un certain rôle dans l’administration de la seigneurie, en prodiguant dans ses lettres aide et conseils à Denis-Benjamin, qui est resté l’administrateur de l’exploitation. Âgé de 65 ans, il ralentit aussi ses affaires dans le domaine foncier et commence à liquider ses biens. Sur le plan professionnel, cependant, Papineau demeure fort actif, puisque, pendant les 24 dernières années de sa vie, il rédigera pas moins de 1 000 actes. Considéré comme la fine fleur du notariat, il est mêlé de plus en plus à des causes complexes qui concernent de difficiles successions de familles de la bourgeoisie et de la petite noblesse seigneuriale. Qu’une affaire paraisse embrouillée, et l’on recourt à son bon jugement et à son esprit de discernement. En qualité d’arpenteur, il détermine le tracé de plusieurs routes et fait le levé de plusieurs seigneuries du district de Montréal.
Papineau suit aussi de près les événements politiques. La radicalisation de la députation francophone dans les années 1830 l’inquiète. Il n’approuve pas les prises de position de son fils qui parle de démocratie, de constitution républicaine, de souveraineté populaire, d’émancipation de l’État, d’enseignement laïque, de séparation de l’Église et de l’État. Admirateur des institutions britanniques, Papineau maintient sa foi en la métropole et se fait le partisan de réformes constitutionnelles dans le Bas-Canada car, à ses yeux, c’est la minorité anglophone de la colonie qui représente une menace à la survie de la collectivité francophone. Pendant les rébellions de 1837–1838, malgré qu’il soit le père de Louis-Joseph, il n’est pas inquiété par les autorités britanniques. En 1838, à l’âge de 86 ans, il se rend à Saratoga (Schuylerville, New York) où son fils s’est réfugié après la défaite de 1837. Craignant que le gouvernement ne confisque ses biens, il lui conseille de vendre rapidement la Petite-Nation.
À la fin de sa vie, Papineau, qui a déjà avantagé tous ses enfants, n’est pas dépourvu de tout bien. Le montant de ses créances, 2 281ll, est assez élevé, mais normal à la fin d’une carrière. Quant à la valeur de ses biens meubles et immeubles, elle se chiffre à £1 796. Sa bibliothèque compte plus de 200 volumes très divers : des ouvrages de droit anglais et français voisinent les œuvres complètes de Rousseau, de Raynal et de Voltaire ainsi que des livres sur le médecin herboriste, l’art des forges et du meunier, le parfait négociant et les recréations mathématiques.
Miné par une grave maladie supportée sans mot dire et marqué par les événements douloureux de 1837–1838, Papineau se tourne vers la religion. Peu avant sa mort, survenue le 8 juillet 1841, il rencontre Mgr Ignace Bourget*, évêque de Montréal, et se réconcilie avec le catholicisme.
Joseph Papineau représente la première génération d’une famille dont l’élévation sociale, la fortune, l’orientation de l’action et des choix politiques sont caractéristiques de certaines élites de son temps. Par ses qualités et ses talents propres, par ses relations et les appuis que celles-ci lui procurent, il engage la lignée dans un processus d’ascension sociale et pose les fondements de sa fortune. Cependant, sa carrière fulgurante et ses multiples occupations rendent difficile toute classification sociale précise. Par sa culture, Papineau est manifestement un homme du début du xixe siècle, sensible à certains aspects des Lumières et vivant dans une atmosphère intellectuelle et politique propice à l’ébranlement des vieilles structures. Par contre, à titre de propriétaire d’une seigneurie, de défenseur des droits seigneuriaux et d’une gestion de type traditionnel qui s’apparente à celle de la petite noblesse seigneuriale, il appartient aussi au passé. Tout compte fait, il se trouve au carrefour de plusieurs modèles sociaux qui caractérisent la société coloniale en mutation.
Les procès-verbaux d’arpentage de Joseph Papineau, rédigés entre 1773 et 1775, sont conservés aux ANQ-M, sous la cote CA1-71, et son minutier, qui contient 5 564 actes passés entre 1780 et 1841, est conservé aux ANQ-M, sous la cote CN1-313.
ANQ-M, CE1-51, 16 oct. 1752, 8 juill. 1841 ; CE2-12, 23 août 1779 ; CN1-16, 18–19, 22 sept. 1800, 22 mai 1809, 18 août 1813, 26 oct. 1814, 7 mars, 5 avril, 24 juill. 1815 ; CN1-74, 23 juill. 1798 ; CN1-108, 15 sept. 1748, 16 juill. 1753 ; CN1-128, 7 oct. 1796 ; CN1-134, 8, 29 juill. 1822, 7 janv., 24, 28 oct. 1825 ; CN1-158, 18 oct. 1777, 13 avril 1779 ; CN1-194, 23 nov. 1801, 12 janv., 23 déc. 1803, 13 sept. 1804, 1er juin 1805, 4 août 1806, 30 oct. 1807, 3 mars, 17 oct. 1808, 15, 18, 24 févr., 8, 21 mars, 6, 14, 17 avril, 17 juin, 19 août 1809, 24 avril, 10, 29 mai, 7, 30 juin, 18, 20 oct., 5 déc. 1810, 3 avril, 7 juill., 18 août, 15 oct. 1811, 16 juill. 1814, 7 août 1815, 1er, 12 févr. 1816, 7 juill., 18 nov. 1817, 17 oct. 1818 ; CN1-310, 25 déc. 1841 ; CN1-317, 10 oct. 1818 ; CN1-385, 12–13 nov. 1829, 18 sept., 4, 9, 20 oct., 15 nov. 1830, 5 avril 1831, 16 avril, 25 mai 1832, 13 janv. 1835, 19 janv. 1838, 22 nov. 1839, 2 juill. 1840.— APC, MG 24, B2 : 6–25, 78–81, 86–89, 178–181, 212–214, 239, 280–283, 288–290, 293–294, 303–305, 328–331, 433–437, 506–513, 528–531, 550–553, 558–561, 945–947, 1065–1068, 1190–1193, 1354–1357, 1369–1372, 1381–1382, 1435–1438, 1553–1556, 1610–1613, 1774–1777, 2009–2016, 2018–2021, 2041–2044, 2054–2057, 2066–2069, 3018–3020, 3050–3057, 3073–3079, 3084–3086, 3091–3094, 3115–3122, 3145–3148, 3157–3160, 3165–3168, 3183–3190, 3194–3197, 3345–3348, 3371–3374, 3395–3400, 3413–3416, 3465–3468, 3503–3506, 3519–3521, 3548–3551, 3576–3579, 5305–5309, 5329–5331, 5340–5342, 5369, 5486, 5840–5843, 6821–6824 ; L3, 37, 24 avril 1783 ; 39, 13 sept. 1796 ; 44, 9 juin 1787 ; 48, 26 nov. 1787 ; MG 30, D1, 23 : 775–819 ; RG 1, E3, 101 : 55–58 ; RG 4, 138 : 98–99 ; RG 68, General index, 1651–1841.— ASQ, C 36 ; C 37 ; Polygraphie, VI, no 18 ; XXVII, no 76 ; S, 2–3 ; Séminaire, 40, nos 22, 22B–22D, 22F–22P ; 82, nos 2–3, 6, 13, 13C, 16C, 16E–16F, 16H–16M ; 120, nos 401, 407–409, 426 ; 121, nos 395–396, 398–402 ; 122, nos 73, 76, 139–141, 192, 500 ; SME, 17 mars, 21 avril 1788, 21 avril 1793, 26 mars 1794, 22 oct., 9 déc. 1798, 4 mai 1801, 27 juin 1802.— ASSM, 8, A, carton 28 ; 9.— Joseph Papineau, « Correspondance de Joseph Papineau (1793–1840) », Fernand Ouellet, édit., ANQ Rapport, 1951–1953 : 160–300.— L.-O. David, Biographies et Portraits (Montréal, 1876), 1–19.— Desjardins, Guide parl.— Claude Baribeau, la Seigneurie de la Petite-Nation, 1801–1854 ; le rôle économique et social du seigneur (Hull, Québec, 1983), 21–27, 61–73, 81–83.— L.-O. David, Les Deux Papineau (Montréal, 1896), 5–43.— Gérard Parizeau, la Société canadienne-française au XIXe siècle : essai sur le milieu (Montréal, 1976), 383–413.— Rumilly, Papineau et son temps.— [R.] C. Harris, « Of poverty and helplessness in Petite-Nation », CHR, 52 (1971) : 23–50.— Fernand Ouellet, « Joseph Papineau et le Régime parlementaire (1791) », BRH, 61 (1955) : 71–77.— D.-B. Papineau, « Samuel Papineau », BRH, 39 (1933) : 331–339.
Richard Chabot, « PAPINEAU, JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/papineau_joseph_7F.html.
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Auteur de l'article: | Richard Chabot |
Titre de l'article: | PAPINEAU, JOSEPH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |