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FAILLON, ÉTIENNE-MICHEL, prêtre, sulpicien, professeur et historien, né à Tarascon, Bouches-du-Rhône, France, le 29 décembre 1799, fils de Jacques-Michel Faillon, géomètre, et de Claire Raoûx, décédé à Paris le 25 octobre 1870.
Étienne-Michel Faillon fréquente le lycée d’Avignon et le séminaire d’Aix-en-Provence avant de poursuivre ses études théologiques chez les sulpiciens à Paris. Ordonné prêtre le 18 septembre 1824, il devient membre de cette communauté et séjourne une année à la Solitude (noviciat) d’Issy-les-Moulineaux, près de Paris, où se préparent les prêtres chargés de l’œuvre des grands séminaires. Il y fait la connaissance des futurs supérieurs du séminaire de Saint-Sulpice à Montréal : Joseph-Vincent Quiblier*, Pierre-Louis Billaudèle et Joseph-Alexandre Baile*.
De 1826 à 1829, Faillon enseigne la théologie dogmatique au grand séminaire de Lyon. C’est au cours de ces premières années de professorat qu’il prépare au profit de ses élèves et plus spécialement du clergé engagé dans la pastorale des milieux ouvriers deux récits hagiographiques Vie de M. Démia, instituteur des sœurs de S. Charles [...] (Lyon, 1829) et Vie de M. de Lantages, premier supérieur du séminaire de Notre-Dame du Puy (Paris, 1830). En 1829, il est nommé professeur au séminaire de Paris. En plus de l’enseignement de la patrologie, il s’intéresse à l’histoire de la formation des clercs et à l’œuvre des catéchismes. La responsabilité de la catéchèse l’amène à écrire plusieurs ouvrages : un Directoire des associées du catéchisme de persévérance de Saint-Sulpice (Paris, 1830), une Histoire des catéchismes de Saint-Sulpice (Paris, 1831) ainsi qu’une Méthode de Saint-Sulpice dans la direction des catéchismes (Paris, 1832).
En 1837, Faillon quitte Paris pour devenir directeur de la Solitude. Moins immédiatement liées à l’enseignement, ses nouvelles fonctions ne le détournent pas pour autant du travail intellectuel. Commencée au début de 1830, une première édition en deux volumes de la Vie de M. Olier, fondateur du séminaire de S. Sulpice accompagnée de notices sur un grand nombre de personnages contemporains (Paris) voit le jour en 1841. L’historien français, René-François Rohrbacher, s’inspirera de cette œuvre dans sa monumentale Histoire universelle de l’Église catholique (Paris, 1842–1849) en 29 volumes. La vie de l’abbé Jean-Jacques Olier est particulièrement goûtée des ultramontains : « un livre extraordinaire [...] la biographie la plus admirable que j’ai lue », s’exclame Louis Veuillot. Pour la revue l’Université catholique de Paris, il s’agit d’un ouvrage « écrit à la manière allemande », c’est-à-dire caractérisé par le souci de l’érudition. Ce livre a le grand mérite de ressusciter le contexte socio-religieux dans lequel s’est insérée l’œuvre d’Olier. Une quatrième édition de ce maître ouvrage paraît trois ans après la mort de Faillon et deux éditions anglaises en 1861 et 1885. Le premier volume relate l’origine de son apostolat auprès du clergé ; le second, la tranche de la vie d’Olier consacrée au ministère dans la paroisse Saint-Sulpice. Le troisième traite de l’œuvre des séminaires. Certains, telle la Semaine religieuse de Paris, y voient le « modèle du genre ». Faillon devait publier en Europe d’autres travaux importants qui se situent dans le sillon d’une histoire apologétique du xixe siècle dont les catholiques se sont régalés.
L’historien sulpicien fait trois voyages au Canada ; il y séjourne au total environ sept ans : d’octobre 1849 à juin 1850, de mai 1854 à septembre 1855 et de novembre 1857 à juin 1862. Chargé de la visite des maisons sulpiciennes en Amérique, en qualité d’assistant général de la compagnie, Faillon entre en relation avec les communautés féminines de Montréal établies sous le Régime français. Son expérience dans le genre hagiographique le dispose à accepter d’écrire la biographie de leurs fondatrices : Marguerite Bourgeoys*, Marie-Marguerite d’Youville [Dufrost* de Lajemmerais] et Jeanne Mance*. C’est pour Faillon une manière de participer au renouveau religieux des années 1840 dans le diocèse de Montréal.
Grâce à des séjours prolongés, l’œuvre canadienne de Faillon va atteindre des proportions exceptionnelles dépassant largement le domaine littéraire. Ses biographies, il est vrai, ont été pour lui une forme d’apostolat visant à favoriser un retour à l’esprit des fondatrices dans les communautés montréalaises. Mais Faillon s’occupe aussi de codifier les règlements de ces congrégations ; il va même jusqu’à rédiger un règlement de voyage à l’usage des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame. Mêlé à la question du démembrement de la paroisse Notre-Dame de Montréal [V. Ignace Bourget*], il s’intéresse aussi, il va sans dire, à la bonne marche des « affaires » sulpiciennes.
Dans un esprit plus spécifiquement pastoral, Faillon fait installer chez les filles de mère Bourgeoys à Montréal une statue réputée miraculeuse de Notre-Dame de Pitié, originaire d’Avignon. L’abbé Adam-Charles-Gustave Desmazures rapporte à ce sujet : « Plusieurs maladies réputées incurables depuis nombre d’années, furent guéries presque instantanément par l’huile de la lampe de la statue ; plusieurs personnes en danger de mort, abandonnées par les médecins, retrouvèrent la santé ; plusieurs infirmes paralytiques ou blessés qui languissaient depuis longtemps furent rétablis. La dévotion se répandit si universellement que des imitations de la statue furent faites en différentes dimensions. On en trouva bientôt dans toutes les églises principales du pays et dans différentes communautés. »
Lors de son troisième séjour à Montréal, Faillon joue un rôle important dans la propagation du culte de la Vierge. En juillet 1860, il prêche à l’inauguration de l’église construite en l’honneur de Notre-Dame de Pitié. Les miracles continuent et Faillon consigne les prodiges attribués à l’intercession de la Madone. Il visite les miraculés, se rendant même jusque dans les pays d’en haut, accumule les témoignages des médecins, des confesseurs et les faits miraculeux ; à Saint-André-d’Acton (Acton Vale), le curé Narcisse-Édouard Ricard lui désigne cinq familles ayant obtenu des faveurs. Ainsi, en 1861, il déclare authentiques une trentaine de miracles que la presse religieuse rapporte avec enthousiasme. Outre cet apostolat, Faillon s’occupe de répandre, tant au Canada qu’en Europe, la dévotion à saint Joseph. En 1843, il avait publié un opuscule intitulé Sentiments de M. Olier sur la dévotion à saint Joseph (Saint-Denis, France) qui fut réimprimé en 1854. Quatre ans plus tard, 40 000 exemplaires avaient été vendus au Canada. En 1859, Faillon fait paraître à Montréal une volumineuse Vie de saint Joseph, composée d’après les vues communiquées à M. Olier [...]. Qu’il s’agisse des catéchismes de première communion ou des catéchismes de persévérance, Faillon a, là aussi, joué un rôle important auprès de l’Église montréalaise.
Néanmoins, la grande œuvre de Faillon demeure son Histoire de la colonie française en Canada qu’il met définitivement en chantier lors de son second voyage. À cette fin, il consulte les archives des communautés de Montréal et de Québec et les greffes des notaires de ces deux villes. Il est assisté de plusieurs copistes qui transcrivent les documents sous ses ordres. En France, il complétera sa documentation aux archives de la Marine et du ministère des Affaires étrangères. Il visite aussi les grandes bibliothèques de Paris, parcourt les collections de Saint-Sulpice, de la préfecture de Versailles, de l’archevêché et de la préfecture de Rouen, ainsi que les collections du British Museum de Londres. Il réunit ainsi en 30 volumes in-quarto une documentation devant servir à rédiger une histoire de la Nouvelle-France en quelque dix volumes. Ses réalisations furent plus modestes que ses ambitions : il ne put faire imprimer avant sa mort que les trois premiers volumes de son Histoire de la colonie française. Si l’on ajoute cette œuvre monumentale à ses biographies de fondatrices ainsi qu’à sa vie de la recluse Jeanne Le Ber*, parue en 1860, Faillon a publié quelque 4 000 pages en histoire canadienne.
Sa synthèse parut durant les quelques années (1864–1869) qu’il passa à Rome à titre de procureur général de la compagnie. De retour à Paris en 1869, Faillon succomba au milieu des événements troublés de 1870. Éduqué dans l’Église concordataire, sous la direction de maîtres qui avaient connu la révolution de 1789, Faillon a épousé le caractère combatif et apologétique de son temps. Profondément attaché au culte marial, il dédie très souvent ses livres à la mère de Jésus ; on lui doit d’ailleurs une Vie intérieure de la Très-Sainte Vierge [...] (2 vol., Rome, 1866). Sa foi à l’égard de la Providence est exceptionnelle. Dans sa correspondance comme dans son œuvre historique, on a l’impression que les « causes secondes » ne sont rien comparées à l’action omniprésente de celle-ci. Témoin des révolutions françaises de 1830 et de 1848, il est amené à considérer ces « malheurs » comme des calamités voulues par Dieu pour la sanctification de l’Église. En 1870, les troubles politiques qui accompagnent ses derniers jours lui inspirent un leitmotiv qui constitue en quelque sorte la synthèse de sa vie consacrée à Dieu : « ils ne nous ôteront pas Jésus-Christ », aime-t-il alors répéter à ceux qui se trouvent à son chevet. Au demeurant, toute son œuvre historique, il le reconnaît lui-même, se veut littérature d’édification.
Ses profondes convictions religieuses ont en effet marqué ses œuvres au plus haut point. Les personnages de Faillon n’agissent que sous la dictée de Dieu ou du démon. À la limite, ils ne sont que des instruments-robots programmés suivant les deux cités de saint Augustin ; de là les miracles, les apparitions, les visions et les extases qui s’y succèdent à une cadence qui répugne à notre mentalité séculière. La Providence intervient partout, même aux moments les plus inattendus. Par exemple, on sait que les fondateurs de Montréal ont connu une opposition assez vive à leur projet. Faillon explique : c’est là un fait providentiel, car il a obligé les fondateurs à écrire les Véritables Motifs de messieurs et dames de la Société de Nostre Dame de Monreal ; pour la conversion des Sauvages de la Nouvelle-France ([Paris], 1643). Sans ce document, on ignorerait l’origine providentielle de la fondation de Montréal. Un incendie détruit le premier établissement de Marguerite Bourgeoys. Faillon y voit l’œuvre de la Providence, car le malheur a permis à la congrégation de s’installer au cœur de la ville, endroit plus convenable que les abords du port, étant donné le développement ultérieur de la cité. On pourrait multiplier les exemples de ce type. Ils ne feraient que mieux décrire le climat surnaturel qui enveloppe les narrations de Faillon.
Il serait toutefois exagéré de réduire la pensée historique de Faillon à son adhésion au providentialisme ainsi qu’à son exaltation des vertus chrétiennes. Son Histoire de la colonie française débouche sur la réalité profane. Ayant été, à son époque, le seul historien au pays à recourir aux archives judiciaires, il n’hésite pas à présenter certains aspects de la criminalité à Montréal. Quelques pages consacrées à la population et à la vie économique mettent en veilleuse les préoccupations moralisantes et la causalité surnaturelle. Ainsi, pour expliquer la faiblesse numérique de l’immigration en Nouvelle-France, l’historien mentionne la rigueur du climat, l’absence de métaux précieux et la pauvreté du colon imputable au monopole du commerce du castor. Si les historiens canadiens se sont souvent scandalisés de ce que les compagnies ne remplissaient pas leurs obligations de peuplement, Faillon constate, sans animosité, que les marchands trouvaient leur intérêt dans la colonie de comptoir.
Sur les modes de vie, Faillon se permet des observations qui ne manquent pas d’intérêt. L’histoire du travail, par contre, le ramène à des considérations morales. Les dirigeants comme les simples colons en Nouvelle-France mettaient la main à la pâte. L’auteur y voit un indice d’équilibre social, les élites n’étant pas dispensées du travail manuel. Dans la colonie, la nécessité incite à la débrouillardise. Faillon y décèle l’origine de l’homme à tout faire canadien-français qu’il observe au xixe siècle. Au niveau de la qualité de la main-d’œuvre, l’historien risque de judicieuses observations ; il note que Montréal est mieux pourvue que Québec en ouvriers spécialisés. En somme, l’histoire économique et sociale n’est pas complètement ignorée par l’historien sulpicien. Il est malheureux que les trois volumes parus s’arrêtent aux années 1680, l’auteur comptant poursuivre le récit jusqu’en 1836. D’autres tâches l’ont accaparé, ce qui a privé le Canada d’une des plus complètes synthèses historiques qu’il eût possédée.
Faillon fut beaucoup lu et souvent cité. En dépit de son régionalisme montréalais qui faisait le désespoir du clergé de la ville de Québec, son œuvre renferme des renseignements d’une exceptionnelle richesse. Bien documentée, sa synthèse fut, méthodologiquement parlant, le modèle de plusieurs historiens canadiens. Au total, la pensée historique de Faillon faisait pendant au renforcement des structures cléricales. Elle le justifiait et lui conférait une légitimité. Les ultramontains, dont Mgr Ignace Bourget*, pouvaient y voir la justification de leur lutte contre les évêques « libéraux » de Québec. Et c’est ainsi que la rivalité Québec-Montréal au xixe siècle servait de miroir déformant aux historiens de la Nouvelle-France.
Étienne-Michel Faillon a laissé une correspondance ainsi que des travaux manuscrits considérables. Un inventaire des papiers Faillon conservés dans les Archives de la Compagnie de Saint-Sulpice (Paris) apparaît dans le ANQ Rapport, 1969. Plusieurs lettres de Faillon sont reproduites dans Lettres à Pierre Margry de 1844 à 1886 (Papineau, Lafontaine, Faillon, Leprohon et autres), L.-P. Cormier, édit. (Québec, 1968). En 1948, les sœurs grises de Montréal ont imprimé un ouvrage intitulé Lettres adressées aux sœurs grises de Montréal. Ce livre reproduit la correspondance adressée à la communauté par l’historien. Les Archives de la Congrégation de Notre-Dame (Montréal) possèdent aussi quelques lettres ainsi qu’un règlement de voyage à l’usage de la communauté dus à la plume de Faillon. D’autres lettres se trouvent aux Archives générales des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph (Montréal), aux Archives paroissiales de Notre-Dame de Montréal et aux ASSM. En fait, il est rare qu’un dépôt ancien d’archives privées au Québec ne possède pas quelques lettres de l’historien ; par exemple, des lettres peuvent être retracées aux ACAM, aux ASQ ainsi qu’à la Bibliothèque de la ville de Montréal.
Faillon, dont le nom n’apparaît jamais sur la page de titre de ses volumes, a écrit plusieurs ouvrages historiques sur le Canada. Ce sont : Vie de Mme d’Youville, fondatrice des Sœurs de la Charité de Villemarie dans l’île de Montréal, en Canada (Villemarie [Montréal], 1852 ; réimpr., Saint-Jovite, Québec, 1971) ; Vie de la sœur Bourgeoys, fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame de Villemarie en Canada, suivie de l’histoire de cet institut jusqu’à ce jour (2 vol., Villemarie, 1853) ; Mémoire pouvant servir à l’histoire religieuse de la Nouvelle-France (2 vol., Paris, 1853) ; Mémoires particuliers pour servir à l’histoire de l’Église de l’Amérique du Nord (4 vol., Paris, 1853–1854) ; Vie de Mlle Mance et histoire de l’Hôtel-Dieu de Villemarie dans l’île de Montréal, en Canada (2 vol., Villemarie, 1854) ; L’héroïne chrétienne du Canada ou vie de Mlle Le Ber (Villemarie, 1860) ; ce volume a été traduit en anglais sous le titre The Christian heroine of Canada ; or, life of Miss Le Ber (Montréal, 1861) ; Histoire de la colonie française en Canada (3 vol., Villemarie, 1865–1866).
Il existe deux biographies importantes, mais fort élogieuses, de Faillon : [A.-C.-G. Desmazures], M. Faillon, prêtre de St. Sulpice ; sa vie et ses œuvres (Montréal, 1879) ; [F.-R. Gamon], Vie de M. Faillon, prêtre de Saint-Sulpice, par l’auteur de la « Vie de M. Mollevaut » (Paris, 1877). Enfin, pour avoir une description plus complète des écrits de Faillon ainsi que des articles qui lui ont été consacrés dans les différentes revues, le lecteur pourra consulter avec profit la thèse de L.-G. Deland, Bio-bibliographie de M. Étienne-Michel Faillon, p.s.s. (thèse de bio-bibliographie, université de Montréal, 1946). [s. g.]
Archives départementales, Bouches-du-Rhône (Marseille), État civil, Tarascon, 30 déc. 1799.
Serge Gagnon, « FAILLON, ÉTIENNE-MICHEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/faillon_etienne_michel_9F.html.
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Auteur de l'article: | Serge Gagnon |
Titre de l'article: | FAILLON, ÉTIENNE-MICHEL |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 1977 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |