O’SULLIVAN, MICHAEL, avocat, officier de milice, homme politique, juge de paix, fonctionnaire et juge, baptisé le 4 mai 1784 à Clonmel (république d’Irlande), fils de John O’Sullivan et d’Eleonora O’Donel ; décédé le 7 mars 1839 à Montréal.
Michael O’Sullivan, qui était apparenté à l’élite du comté de Tipperary (république d’Irlande), arriva à Montréal dès son jeune âge et s’inscrivit en 1799 au collège Saint-Raphaël que dirigeaient les sulpiciens. Sept ans plus tard, il terminait ses études à la tête d’une classe qui avait compris au moins trois jeunes nationalistes, soit Hugues Heney, Jean-Moïse Raymond et André Jobin*. En décembre 1805, il entra à titre de clerc chez le jeune et brillant avocat montréalais Denis-Benjamin Viger*. Dans le but peut-être d’approfondir sa connaissance du droit anglais et d’améliorer ses chances de réussir dans la pratique privée, il quitta Viger en mars 1808 pour terminer sa formation auprès de l’influent Stephen Sewell*. Il reçut sa commission d’avocat le 6 avril 1811.
Probablement à cause des relations qu’il avait nouées au collège et avec Viger, O’Sullivan écrivit vers 1806 des articles pour le Canadien, porte-parole du parti canadien. Le 1er juin 1809, il épousa Cécile Berthelet, fille de l’homme d’affaires Pierre Berthelet* et de Marguerite Viger. Ce mariage resserra ses liens avec la bourgeoisie canadienne de Montréal ; parmi les témoins figuraient Louis Guy, Pierre-Dominique Debartzch et l’avocat Benjamin Beaubien, ainsi que Sewell et le docteur George Selby*. Malheureusement, Cécile mourut en 1811. L’année suivante, O’Sullivan devint lieutenant et adjudant dans le bataillon de milice de Beauharnois. Aide de camp du lieutenant-colonel Charles-Michel d’Irumberry* de Salaberry à la bataille de Châteauguay, en 1813, il fut cité pour bravoure dans des dépêches. Le 9 novembre 1813, il publia un compte rendu de la bataille dans la Gazette de Montréal afin de « rendre justice » à Salaberry et de contredire ceux qui, tel le lieutenant-colonel George Richard John Macdonell*, s’attribuaient le mérite de la victoire. O’Sullivan affirmait que, à quelques exceptions près, « ces trois cents hommes et leur brave commandant, étaient tous Canadiens ». « Qu’on le dise toutes les fois qu’on fera mention de la bataille de Châteauguay, lançait-il, et il faudra que le préjugé cache sa tête hideuse. » Par la suite, tous les Canadiens français qui commentèrent cette bataille allaient s’appuyer sur son récit.
Dans l’intervalle, O’Sullivan s’était constitué une importante clientèle à Montréal et était devenu une autorité en matière de droit. William Walker, ainsi que Charles-Elzéar* et Dominique* Mondelet furent stagiaires dans son cabinet ; en 1818, avec son ami James Stuart* et Samuel Gale*, il servit de conseiller juridique à lord Selkirk [Douglas*], accusé d’avoir commis des méfaits au fort William (Thunder Bay, Ontario). Il s’associa à James Charles Grant vers 1822 ; jusqu’à la mort de celui-ci en 1836, leur étude conserva une place prépondérante dans le milieu juridique de Montréal.
Avocat brillant, influent et reconnu pour son courage, O’Sullivan n’eut apparemment aucun mal à se faire élire député de la circonscription de Huntingdon en 1814. À l’Assemblée, il collabora étroitement avec Stuart et concentra son attention sur des mesures judiciaires et administratives. Bien que réformiste, il semble qu’il ne joua pas un rôle de premier plan dans les nombreuses batailles qui, à l’époque, opposèrent l’Assemblée et le gouvernement colonial ; il assista à moins de la moitié des sessions durant ses dix années en chambre. Cependant, son opposition ouverte au financement gouvernemental d’un hôpital non confessionnel à Montréal (qui risquait selon lui d’enlever des patients à l’Hôtel-Dieu, un établissement catholique) l’amena à se battre en duel contre l’un des grands promoteurs du projet, le docteur William Caldwell*. Blessé deux fois, O’Sullivan fut dès lors souvent pris de douleurs atroces et souffrit d’une claudication prononcée parce qu’on ne pouvait retirer une balle qui s’était logée près de la colonne vertébrale. Il quitta l’Assemblée en 1824 et son ancien condisciple, Jean-Moïse Raymond, le remplaça. Peut-être avait-il déjà commencé à se distancier du nationalisme prôné par le parti canadien, qui dominait la chambre. En 1822 ou à peu près, il avait tenu un dîner gastronomique pour lequel Jacques Viger* avait composé un chant patriotique mais, dès janvier 1823, Hugues Heney l’accusait de chercher une « querelle d’Allemand » à Denis-Benjamin Viger au sujet d’un projet de loi judiciaire.
Le fait qu’O’Sullivan entretenait toujours d’étroites relations avec ses anciens maîtres, les sulpiciens, à qui il donnait souvent des avis juridiques, dut déplaire au parti canadien à compter de 1820. Cette année-là, les sulpiciens, majoritairement français, perçurent comme une menace pour leur suprématie spirituelle à Montréal l’accession d’un Canadien, Jean-Jacques Lartigue, aux titres d’auxiliaire et de suffragant montréalais de Joseph-Octave Plessis*, archevêque de Québec. Sous la conduite de Jean-Henry-Auguste Roux*, ils intriguèrent dans la colonie, à Londres et à Rome pour miner l’autorité de Lartigue et le forcer à résider hors de la ville. Dans le même temps, Plessis persuada les chefs du parti canadien, surtout Denis-Benjamin Viger et Louis-Joseph Papineau*, cousins de Lartigue, de voler au secours du suffragant. O’Sullivan soutint les sulpiciens et donna des avis sur des questions de droit canonique et civil à Augustin Chaboillez*, prêtre canadien sympathique à leur cause, qui en 1823–1824 contesta publiquement la légalité de la nomination de Lartigue. Toujours à la même époque, O’Sullivan contribua peut-être à faire confier à l’un de ses parents, l’architecte James O’Donnell*, l’élaboration des plans d’un bâtiment plus grand pour l’église Notre-Dame, qu’on devait édifier en partie pour empêcher la construction d’une cathédrale pour Lartigue. En 1824, O’Sullivan parcourut l’Angleterre, la France et l’Italie, soi-disant en touriste, mais dans les faits il avait aussi pour but de faire pression en faveur des sulpiciens. Des amis de Lartigue et Plessis suivaient attentivement ses déplacements. Même si ses efforts échouèrent, ils contribuèrent probablement à rendre la position de Lartigue inconfortable pendant bien des années.
La réputation d’O’Sullivan dans la colonie et dans sa profession ne cessa de croître. On l’avait nommé major du bataillon de milice de Beauharnois en 1821, puis muté au 1er bataillon de milice de la ville de Montréal en 1830 ; en 1832, on le désigna à titre de commissaire chargé de l’érection civile des paroisses. Élu président de l’Advocates’ Library and Law Institute of Montreal en 1831 et 1832, il commença à donner des cours de droit, tout comme Sewell, Viger et d’autres avocats éminents ; en décembre 1831, il prononça des conférences publiques sur l’histoire du droit romain jusqu’à Justinien Ier. En 1829, il avait été nommé commissaire enquêteur et, en 1831, il devint conseiller du roi et juge de paix. Par suite de la promotion de Charles Richard Ogden* au poste de procureur général, lord Aylmer [Whitworth-Aylmer] nomma O’Sullivan solliciteur général en avril 1833 en raison de ses antécédents d’avocat et de « l’estime de la population de la province pour sa probité, sa compétence professionnelle et les solides principes constitutionnels [qu’il défendait] en politique ».
O’Sullivan n’évoluait plus dans les mêmes cercles qu’auparavant. Le 17 mai 1831, il avait épousé Jeanne-Marie-Catherine Bruyères, veuve du docteur David Thomas Kennelly et petite-fille de John Bruyères*, ancien seigneur et secrétaire du gouverneur. Au nombre des témoins à ce mariage, on remarquait Toussaint Pothier, conseiller législatif, Charles William Grant, baron de Longueuil et conseiller législatif, le docteur Selby, vieil ami d’O’Sullivan, et – fait étonnant – Joseph Papineau. Les opinions politiques d’O’Sullivan avaient changé aussi : son réformisme avait cédé le pas au torysme. En 1835, Louis-Joseph Papineau estimait que la crise politique du Bas-Canada se dénouerait si seulement Aylmer trouvait le courage de heurter certains fonctionnaires ; « mais, écrivait-il à sa femme, la Politique d’O’Sullivan prévaudra, celle de temporiser, [...] puis viendra enfin la grande débâcle, qu’il eut été si aisé de prévenir ». Quand la rébellion de 1837 éclata, O’Sullivan se révéla un solliciteur général efficace. Le 25 octobre 1838, il reçut en récompense le siège de juge en chef de la Cour du banc du roi du district de Montréal, mais il ne fit qu’une seule session : il mourait le 7 mars 1839.
En dépit des revenus que lui avaient rapportés son prospère cabinet d’avocat et ses postes dans l’appareil judiciaire, Michael O’Sullivan avait accumulé de grosses dettes, dont certaines remontaient à 1815. Il ne s’attendait pas à laisser une succession importante, et on peut douter que même la liquidation de ses avoirs, dont quatre propriétés à Montréal et une riche bibliothèque, ait suffi à les rembourser. Malgré sa mort prématurée et sa piètre situation financière, O’Sullivan avait été un personnage éminent du milieu juridique du Bas-Canada. Homme aux aptitudes indéniables, lié personnellement aux plus grandes figures politiques, cléricales et sociales du xixe siècle montréalais, il doit être considéré comme une grande personnalité catholique de son temps.
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Alan Dever, « O’SULLIVAN, MICHAEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/o_sullivan_michael_7F.html.
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Auteur de l'article: | Alan Dever |
Titre de l'article: | O’SULLIVAN, MICHAEL |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |