Cartier et l’Union : forces et limites d’un régime (1848–1867)

Titre original :  The House of Assembly of Montreal, circa 1848, is shown in this drawing by James Duncan. Archeologists digging up a Montreal parking lot that once was home to a pre-Confederation parliament have begun unearthing bits and pieces of its past.

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Élu député à l’Assemblée législative du Canada-Uni en 1848, George-Étienne Cartier, comme le chef réformiste Louis-Hippolyte La Fontaine, continue de croire que les Canadiens français peuvent tirer profit du régime de l’Union. L’extrait suivant provient de la biographie de Cartier :

À l’ancien chef [patriote Louis-Joseph Papineau] qui avait décidé de revenir à la politique après ses années d’exil et qui demandait le rappel de l’Union, La Fontaine répondait que le régime avait été préparé pour écraser les Canadiens français, mais que ceux-ci avaient réussi à l’utiliser à leur profit et qu’il fallait continuer à en tirer tous les avantages. C’est l’idée que Cartier devait mettre en pratique.

 

Cependant, les institutions politiques de l’Union s’adaptent difficilement aux importants changements démographiques et socioéconomiques qui surviennent à partir des années 1850. La biographie de John Alexander Macdonald, qui deviendra co-premier ministre avec Cartier en 1857, montre l’évolution de la situation et la nécessité de la poursuite de la réforme :

En fait, si les conservateurs haut-canadiens avaient gardé le pouvoir jusque-là, c’était en général grâce à leur alliance avec Cartier et le bloc des « bleus », qui détenait la majorité au Bas-Canada. Cette association, qui reflétait la foi de Macdonald en la coopération entre francophones et anglophones et en la nécessité économique de l’union du Haut et du Bas-Canada, présentait des avantages évidents sur le plan politique. Cependant, elle réduisait progressivement la popularité de son type de conservatisme dans sa section de la province et exposait le cabinet à des accusations de plus en plus fréquentes d’être « dominé par les [Canadiens] Français » […] À compter de 1851, la population de la partie ouest de la province [du Canada] dépassa celle de l’est […] De 1854 à 1864, il se trouvait donc, par sa propre faute, dans une sorte de piège politique. Pour rester au pouvoir, il avait besoin du soutien des Canadiens français.

 

C’est dans ce contexte qu’Alexander Tilloch Galt, membre du cabinet, tout comme Cartier, expose sa conception d’une éventuelle union des colonies britanniques d’Amérique du Nord. Celle-ci pave la voie aux ambitieux projets nationaux de Cartier :

Galt avait […] à l’époque une vision très détaillée de ce que pourrait être l’organisation des pouvoirs au sein d’une telle fédération : gouvernement central doté des pouvoirs essentiels ainsi que des pouvoirs résiduels, création d’une cour suprême, paiement de subsides fédéraux aux provinces. Il réussit à convaincre ses collègues de faire de ce projet de fédération un objectif avoué du nouveau ministère. En octobre 1858, encouragés par le gouverneur Head, les ministres Galt, Cartier et John Ross* s’embarquèrent pour la Grande-Bretagne afin de discuter de la proposition avec les responsables du ministère des Colonies. 

 

Le gouvernement britannique rejette les propositions de Galt. L’impasse politique tend à se poursuivre au Canada-Uni jusqu’en 1864, où elle atteint un seuil critique (il y a eu deux élections et quatre administrations depuis 1861). Dans sa recherche de solutions, Cartier est finalement inspiré par les idées d’un adversaire, le chef des Clear Grits, George Brown :

[Brown] fit savoir aux chefs conservateurs qu’il était prêt à leur accorder son appui, comme à tout autre ministère, s’ils étaient décidés à prendre les mesures voulues pour résoudre la question constitutionnelle. Ils étaient maintenant prêts à l’écouter. Le 17 juin, John A. Macdonald et Alexander Galt*, un des principaux partisans d’une fédération de l’Amérique du Nord britannique, eurent un entretien avec Brown dans sa chambre de l’hôtel Saint-Louis. Cartier se joignit un peu plus tard à la discussion. On en arriva bientôt à la conclusion que la seule solution était « le principe d’une fédération, suggéré dans le rapport du comité de M. Brown », et qu’il faudrait commencer par pressentir les provinces de l’Atlantique, pour tenter d’arriver à une union générale de l’Amérique britannique. Brown avait bien envisagé cette vaste union comme but final, mais il estimait que les recommandations faites plus tôt à ce sujet par les conservateurs étaient prématurées, et ne servaient qu’à détourner l’attention du public afin d’éviter d’avoir à prendre des mesures sur les problèmes constitutionnels internes du Canada. Mais, puisque les conservateurs avaient maintenant accepté l’idée de constituer en fédération l’union canadienne, il ne voyait qu’avantages à y inclure les autres colonies si c’était possible. Il accepta, mais à contrecœur, de faire partie du gouvernement avec deux partisans réformistes. La nouvelle coalition, formée dans le but de créer une confédération, jouirait d’un pouvoir remarquable au parlement, puisqu’elle aurait l’appui des Grits de Brown, qui avaient la majorité dans le Haut-Canada, et celui des bleus de Cartier, qui avaient la majorité dans le Bas-Canada. On était enfin sorti de l’impasse. George Brown avait été l’instigateur des pourparlers et du mouvement en faveur d’une forme d’union totalement nouvelle.

Le 22 juin 1864, on annonça la formation de la « Grande Coalition » à un parlement enthousiaste.

 

Converti, en somme, au projet :

Cartier se fit l’apôtre d’une fédération des provinces de l’Amérique du Nord britannique parce qu’elle lui parut le meilleur moyen de sortir des difficultés politiques de l’époque, créées en particulier par la question de la représentation basée sur la population.

 

Cartier veut toutefois lier le projet aux droits des minorités, en particulier ceux de ses compatriotes canadiens-français catholiques. Il défend ces principes aux conférences confédératives de Charlottetown et de Québec en 1864, puis à Londres en 1866 :

C’est à la conférence de Londres que devait être de nouveau discuté et fixé le sort des minorités protestantes et catholiques de la future fédération. Cartier quitta Montréal pour Londres le 12 novembre 1866 et, à compter du 4 décembre, il participa aux travaux de la conférence. Les délégués du Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse approuvèrent, après quelques transformations, les Résolutions de Québec qui devinrent les Résolutions de Londres et, finalement, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, sanctionné par la reine Victoria le 29 mars 1867. D’après un témoignage publié dans le Constitutionnel de Trois-Rivières, le 26 mai 1873, par Elzéar Gérin*, qui était à Londres, John A. Macdonald aurait tenté de transformer le système fédératif accepté à Québec en une union beaucoup plus centralisée. George-Étienne Cartier s’y serait opposé et aurait menacé son collègue de demander par télégramme au premier ministre Belleau la dissolution du ministère. Macdonald n’aurait pas insisté. Cette version a été reprise par quelques historiens qui n’ont pu toutefois l’étayer de preuves sérieuses, mais il reste que Cartier continua à Londres, comme il l’avait fait à Québec, à protéger les intérêts du Bas-Canada.

 

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