Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3415564
GIRARD, MARC-AMABLE, notaire, fonctionnaire, homme politique et avocat, né le 25 avril 1822 à Varennes, Bas-Canada, cinquième des six enfants et fils unique d’Amable Girard, fermier, et de Josephte Daunais ; le 23 septembre 1878, il épousa à Montréal Marie-Aurélie de La Mothe, veuve d’Alfred Versailles, et ils eurent une fille et un fils qui mourut en bas âge ; décédé le 12 septembre 1892 à Saint-Boniface, Manitoba.
Marc-Amable Girard entra au collège de Saint-Hyacinthe en 1831. Huit ans plus tard, il commença son stage chez le notaire Louis Lacoste* à Boucherville. En 1840, il passa quelque temps à Middlebury, au Vermont, « pour apprendre l’anglais ». Il prit la direction de l’étude de Lacoste en 1843, car celui-ci, qui soutenait Louis-Hippolyte La Fontaine*, fut élu à l’Assemblée législative. Reçu notaire le 12 février de l’année suivante, Girard retourna à Varennes, pour y pratiquer durant 26 ans. De 1859 à 1870, il fut membre du conseil d’administration de la Chambre des notaires de Montréal. À Varennes, il fit de la spéculation foncière et occupa les fonctions de commissaire d’écoles, de conseiller municipal et de maire. Tout au long de sa vie, il conserverait un solide attachement pour sa paroisse natale et pour sainte Anne, qui en était la patronne.
Varennes se trouvait dans la circonscription de Verchères, où George-Étienne Cartier* s’était présenté pour la première fois, en 1848, et avait été élu. Girard faisait d’ailleurs partie de ceux qui l’avaient convaincu de poser sa candidature. Cartier, d’abord partisan de La Fontaine, allait devenir le chef du parti conservateur dans la province de Québec, et Girard, tout comme Lacoste, l’accompagnerait dans ce cheminement. Girard lui-même tenta sans succès de se faire élire dans la région de Montréal, d’abord à titre de membre du Conseil législatif en 1858, puis de député à l’Assemblée législative en 1863. Les opinions qu’il exprimait en 1863 étaient semblables à certaines de celles qu’il allait défendre par la suite au Manitoba. Il prônait la restriction des dépenses gouvernementales et la réduction de la dette publique, l’encouragement de l’agriculture en évitant l’impôt direct sur la propriété, l’égalité de représentation pour le Bas et le Haut-Canada, et une milice efficace.
Par l’Acte du Manitoba, le 15 juillet 1870, on créait la province du même nom qui devenait une partie du Canada. Selon Cartier, qui avait défendu le projet de loi à la chambre des Communes, il fallait absolument que quelques jeunes Canadiens français de profession libérale aillent s’installer sans délai dans la nouvelle province pour diriger les Métis. Naturellement, il songea à son ami Girard, alors âgé de 48 ans, célibataire, bilingue et doté d’une solide réputation de notaire et de négociant foncier ; on pouvait compter sur son conservatisme, tant en matière politique que religieuse. Ami de Girard depuis l’époque où ils avaient fait leurs études, l’évêque de Saint-Boniface, Alexandre-Antonin Taché, usa aussi de son influence auprès de lui. En outre, Cartier et Taché pressèrent l’Irlandais catholique Henry Joseph Clarke*, ainsi que l’avocat et journaliste ultramontain Joseph Royal*, de se rendre dans l’Ouest. Joseph Dubuc* partit aussi pour le Manitoba en juin 1870, avec l’encouragement de Cartier. On surnommait quelquefois ces hommes, tous issus de la région montréalaise, et dont Girard était le plus âgé, « les jeunes gens de Cartier ».
Girard se rendit à Saint-Boniface en compagnie de Taché et de Royal. Le soir même de leur arrivée, soit le 23 août 1870, Girard et Royal franchirent la rivière Rouge et eurent un entretien de dix minutes avec le chef métis Louis Riel* à Upper Fort Garry (Winnipeg). Le lendemain matin, au moment où le colonel Garnet Joseph Wolseley* et ses hommes, dépêchés dans l’Ouest par le gouvernement du Canada, pénétraient dans le fort par le nord, Riel s’enfuit du côté sud. Le premier lieutenant-gouverneur du Manitoba, Adams George Archibald, arriva plus d’une semaine après et commença à mettre sur pied le gouvernement provincial. Comme l’insurrection avait laissé la province dans un climat fort agité, Archibald tenait avant tout à appliquer une politique de conciliation qui consistait à traiter sur un pied d’égalité les catholiques francophones et les protestants anglophones. Agissant comme premier ministre, il fit ses premières nominations à l’exécutif le 17 septembre : Alfred Boyd* devint secrétaire de la province et Girard, qui représentait le parti francophone, trésorier de la province. Puis, le 13 décembre, il proclama la création de 24 districts électoraux, dont 12 à majorité catholique et 12 à majorité protestante. (Un recensement fait plus tôt dans l’année avait démontré que les deux groupes religieux étaient à peu près égaux en nombre.) Girard, le principal candidat catholique d’Archibald, fut élu sans opposition le 27 décembre dans la plus importante circonscription catholique, Saint-Boniface-Est. Clarke, Royal et Dubuc furent aussi élus sans opposition.
Bientôt des dissensions éclatèrent au sein du groupe, surtout à propos de Riel. Girard était convaincu que la politique de conciliation porterait fruits si l’on parvenait à persuader le chef métis, revenu au Manitoba en mai 1871, de se faire discret. Aussi l’exhorta-t-il en ces termes : « pour l’amour de votre pays et de vos amis, éloignez-vous pendant quelque temps ». Dubuc, le plus radical des jeunes Canadiens français, trouvait Girard trop timide. Le mois précédent, dans une lettre à Riel, il avait dit de lui qu’il était « pour le moins une ganache », et il ajoutait : « Son premier principe c’est de plaire aux anglais. » Cependant, comme les événements allaient le montrer, Girard avait raison de trouver « extrêmement imprudent » le retour de Riel dans la région de Saint-Boniface.
Le 5 octobre, sous le commandement de William Bernard O’Donoghue*, une poignée de féniens venus des États-Unis firent un raid au Manitoba. Les Métis ne leur apportèrent aucun appui. Archibald se rendit alors à Saint-Boniface pour passer en revue les cavaliers métis qui s’étaient portés à la défense de la province. Girard, qui l’accompagnait, lui présenta leurs chefs, dont Riel, sans les nommer toutefois, et le lieutenant-gouverneur leur serra la main à tous. À cause de cet incident, qui fut largement publicisé, on sut que Riel se trouvait toujours au Manitoba, ce qui souleva une vive indignation en Ontario et n’aida pas la politique de conciliation du gouverneur.
Entre-temps, Girard avait commencé à jouer un rôle important au Manitoba. Reçu attorney et barrister le 8 mai 1871, il devenait ainsi le premier membre du barreau de la province. Le 29 juin, il fut habilité, à titre de commissaire, à faire prêter les serments d’allégeance et d’office. En novembre, Archibald fit enfin connaître au premier ministre du pays, sir John Alexander Macdonald, le candidat qu’il recommandait de nommer au Sénat pour représenter l’élément francophone. Malheureusement, disait-il, « personne, parmi les résidents [c’est-à-dire les Métis,] n’est vraiment apte à occuper cette fonction ». Girard, bien qu’il n’ait pas été le candidat le plus acceptable pour les Métis ni pour les colons d’origine anglaise, avait été « d’une fidélité à toute épreuve depuis son arrivée [dans la province] ». Et le lieutenant-gouverneur ajoutait : « Il n’est pas tout à fait dans les bonnes grâces de l’évêque car il ne s’est pas montré aussi souple qu’on l’espérait. » Le 13 décembre, Girard accéda au Sénat. Il démissionna du Conseil exécutif du Manitoba le 14 mars 1872 (Royal le remplaça) mais conserva son siège à l’Assemblée. Le 12 avril, à titre de partisan du gouvernement conservateur de Macdonald, il proposa l’adoption de l’adresse du Sénat en réponse au discours du trône. Pendant les périodes où il participait aux travaux du Parlement, il pouvait se rendre souvent à Varennes. Le 28 décembre 1872, le gouvernement fédéral créa le Conseil des Territoires du Nord-Ouest, qui était investi de pouvoirs exécutifs et législatifs et qui devait assister le lieutenant-gouverneur. Le jour même, Girard en devint membre (il fut le premier conseiller à être nommé). Siégeaient aussi au conseil : Clarke, Boyd, Dubuc, Pascal Breland, John Christian Schultz, Donald Alexander Smith* et Andrew Graham Ballenden Bannatyne*.
La présence de Riel continuait de troubler la vie politique manitobaine, et son activité politique, de plus en plus intense, préoccupait Girard. Pourtant, de concert avec Royal, Dubuc et un Canadien français arrivé depuis peu, Alphonse-Alfred-Clément La Rivière*, il l’invita à se porter candidat à l’élection partielle qui devait se tenir dans Provencher, dont le siège était vacant depuis la mort de Cartier. Riel fut élu sans opposition en octobre 1873. L’année suivante, il remporta une autre victoire aux élections générales de février mais se vit expulser de la chambre des Communes, ce qui donna lieu, en septembre, à une nouvelle élection partielle dont il sortit vainqueur pour la troisième fois. La persistance de la circonscription de Provencher, formée de francophones, à voter en bloc pour Riel irritait un nombre de plus en plus grand d’électeurs anglophones aussi bien au Manitoba que dans tout le Canada. Le 19 mai 1874, Girard présenta un témoignage favorable au chef métis devant un comité spécial de la chambre ; il fut aussi l’un de ceux qui insistèrent le plus auprès du gouvernement fédéral pour que Riel soit amnistié, mais en vain. Finalement, en 1875, on le bannirait.
Dans la province, la politique de conciliation, dont le successeur d’Archibald, Alexander Morris*, avait hérité en décembre 1872, devenait de plus en plus difficile à appliquer. L’immigration protestante avait dépassé de beaucoup celle des catholiques, et au Parlement la représentation fondée sur l’appartenance religieuse ne correspondait plus, même de loin, à la population. La crise politique atteignit son paroxysme le 2 juillet 1874. Ce jour-là, le ministre des Travaux publics et de l’Agriculture, John Norquay*, présenta un projet de remaniement des districts électoraux, car on avait préparé à la hâte la révision adoptée en 1873. Le lendemain, sous la direction d’Edward Henry George Gunter Hay, la partie anglophone de l’opposition décida de s’associer aux francophones, alors dirigés par Dubuc, et fit adopter une motion de censure contre le gouvernement. Girard avait appuyé le parti francophone.
Sur l’avis du lieutenant-gouverneur, tous les membres du cabinet présentèrent leur démission. Puis Morris donna pour la première fois un premier ministre au Manitoba : Girard, le seul membre de l’opposition à avoir déjà siégé au Conseil exécutif. De plus, il n’avait pas exercé son droit de vote quand Royal avait proposé un amendement au projet de remaniement des districts électoraux de 1873, amendement qui avait provoqué un affrontement entre députés catholiques et protestants. Comme il allait diriger une coalition de deux partis fondés sur la religion ou la langue plutôt que sur un programme politique, Girard forma son gouvernement en tenant surtout compte de ce fait. Il fit passer le nombre de conseillers exécutifs de cinq à six pour donner une représentation égale à la population protestante, qui s’accroissait rapidement. Le conseil comprenait Girard et Hay, considérés respectivement comme les chefs francophone et anglophone, Dubuc et Robert Atkinson Davis*, ainsi que, du Conseil législatif, le catholique James McKay* et le protestant Francis Ogletree. Morris attira l’attention du secrétaire d’État, Richard William Scott*, sur le fait qu’on avait fait appel à un premier ministre pour former le gouvernement : « voilà, disait-il, qui instaure la forme moderne du gouvernement responsable dans la province – mon prédécesseur avait choisi lui-même le cabinet précédent – aucun de ses membres n’était reconnu comme premier ministre ».
En faisant connaître la composition de son gouvernement, le 8 juillet 1874, Girard annonça quel en serait le programme : réduction des dépenses gouvernementales, mise sur pied d’un système efficace de vérification des comptes publics, abolition du Conseil législatif, remaniement des circonscriptions électorales, confection minutieuse d’une liste des électeurs, définition des pouvoirs de la Cour du banc de la reine en matière d’equity et assignation par appels d’offres des marchés d’imprimerie du gouvernement.
Le nouveau gouvernement était vulnérable pour plusieurs raisons. Étant donné que le Conseil exécutif comptait un nombre égal de catholiques et de protestants et que ces derniers étaient en majorité à l’Assemblée, les membres du parti francophone de Girard devaient absolument conserver la confiance de leurs collègues anglophones et s’assurer leur coopération. Le grand malheur de Girard fut d’être premier ministre au moment où Riel, avec l’appui bruyant de ses sympathisants, continuait d’insister pour occuper son siège à la chambre des Communes – ce qui entretenait, dans les esprits, le souvenir des « troubles » survenus seulement quatre ans plus tôt. En pareilles circonstances, ce fut une grave erreur que d’avoir fait entrer Dubuc au cabinet, et plus encore de l’avoir nommé procureur général. En effet, quelques semaines auparavant, Dubuc avait assuré quelque temps la défense de l’ancien lieutenant de Riel, Ambroise-Didyme Lépine*, accusé d’avoir tué Thomas Scott* en 1870, et il était encore l’ami et l’organisateur politique de Riel. Tout comme Dubuc, Girard continuait d’afficher ses origines au lieu d’agir en représentant de toute la province. Le fait qu’il était président de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Manitoba l’identifiait à l’une des parties dans le conflit toujours aussi acharné à propos de Riel.
Girard fit siéger l’Assemblée jusqu’au 22 juillet 1874. Son gouvernement avait l’appui de tous les députés francophones, y compris Royal. Seul le remaniement de la carte électorale risquait de poser un problème sérieux. Très semblable à celui du gouvernement précédent mais rédigé avec une plus grande compétence, un nouveau projet de loi, présenté par Hay, ne souleva que peu d’opposition. Il y aurait 14 districts anglophones et 10 districts francophones. Girard avait admis le principe de la représentation basée sur la population, car c’est à partir de ce principe qu’Archibald avait délimité les divisions originales quatre ans auparavant. Un député tenta d’empêcher les sénateurs de siéger à l’Assemblée de la province (ce qui attira l’attention sur le double mandat de Girard), et son amendement fut battu en comité par une seule voix. Cependant, exception faite de cet incident, le projet de remaniement passa sans difficulté et reçut la sanction royale, comme une vingtaine d’autres.
Riel fut réélu le 3 septembre 1874 dans Provencher, ce qui souleva l’ire de la plupart des Manitobains anglophones. Une coalition franco-anglaise ne pouvait pas durer dans un tel climat, et Girard n’y pouvait pas grand-chose. Même s’il lui était impossible de tenir Riel en bride, on l’associait à lui et aux intérêts franco-catholiques ; or, déjà à cette époque, moins d’un sixième de la population parlait français. Le 2 novembre, on jugea Lépine coupable. L’élément anglais, qui détenait la balance du pouvoir à l’Assemblée, se déclara incapable de continuer à appuyer un gouvernement dont le premier ministre et le procureur général étaient non seulement des francophones, mais des amis et des conseillers bien connus de Riel.
Hay et Ogletree remirent leur démission à Girard ; ensuite, McKay et Dubuc firent de même. Girard présenta ces démissions à Morris, avec la sienne, et lui conseilla de demander à Davis, le seul ministre restant, de former un gouvernement. Ainsi donc, le 1er décembre 1874, pour la première fois au Manitoba, un premier ministre remettait la démission de son cabinet. On avait formé le gouvernement Girard pour faire face à la situation d’urgence de juillet 1874. Il avait réussi à gagner « l’appui entier des deux races » au projet de refonte de la carte électorale. Mais, cinq mois plus tard, ce premier gouvernement pleinement responsable s’écroulait parce qu’il avait perdu l’appui du parti anglophone. Le 5 décembre, Morris écrivit au premier ministre du Canada, Alexander Mackenzie : « Je vois partir à regret Girard, McKay et Dubuc. Ils ont agi avec la plus grande loyauté et montré beaucoup de désintéressement. » Les changements survenus dans le caractère de la province avaient eu des répercussions déterminantes sur leur carrière politique. On rapporte que Girard déclara : « Je suis le premier francophone à être premier ministre de cette province, et je pense que je serai le dernier. » Au deuxième scrutin général du Manitoba, à la fin de décembre 1874, on l’élut sans opposition dans Saint-Boniface, qui ne comptait plus deux députés mais un seul. Il avait donc conservé sa popularité dans sa circonscription.
En 1877, le Parlement d’Ottawa étudia un projet de loi qui modifiait l’Acte des Territoires du Nord-Ouest. Avant la troisième lecture, au Sénat qui siégeait en comité plénier, Girard proposa un amendement inspiré de l’Acte du Manitoba et qui prévoyait l’usage du français ou de l’anglais dans les débats, documents, journaux et ordonnances imprimées du conseil territorial ainsi que dans les tribunaux. L’amendement, adopté de mauvais gré à la chambre des Communes, allait provoquer un jour d’amers débats.
Girard, qui avait continué de vouer un culte à sainte Anne, fit en 1878, au cours d’un pèlerinage à Sainte-Anne-de-Beaupré, dans la province de Québec, la connaissance d’une veuve montréalaise, Marie-Aurélie de La Mothe. En vertu de leur contrat de mariage, Girard prenait en charge l’éducation de ses deux enfants. Les enfants issus de leur mariage ou, s’il n’y en avait pas, ses enfants à elle hériteraient de sa propriété de Saint-Boniface. Le 23 septembre, Mgr Édouard-Charles Fabre célébra leur mariage à Montréal. Mme Girard allait toujours préférer la vie à Montréal, ou dans la région, à la vie à Saint-Boniface.
En octobre 1878, Girard annonça qu’il se présenterait de nouveau à l’Assemblée du Manitoba. Fort de l’appui de Royal, chef du parti francophone, il tint une réunion d’électeurs le 30 octobre. À sa grande surprise, un « comité de citoyens » fort bien préparés exigèrent que leur représentant consacre tout son temps à sa circonscription provinciale. Apparemment, le comité avait l’appui du président de la réunion, Dubuc, alors député de la circonscription franco-manitobaine aux Communes, Provencher. La Rivière dénonça le double mandat de Girard et déclara qu’il allait l’affronter aux élections provinciales. Malgré des négociations, il ne changea pas d’avis et, le 11 décembre, jour de l’investiture officielle, on l’élut sans opposition dans Saint-Boniface. Pour la première fois depuis 1870, Girard ne siégeait pas à l’Assemblée.
Girard était donc libre de s’occuper exclusivement de la politique fédérale, et surtout de la construction du chemin de fer canadien du Pacifique. Fervent partisan de la politique ferroviaire du gouvernement conservateur et président d’un comité spécial du Sénat sur les chemins de fer, il usa avec succès de son influence pour que le chemin de fer canadien du Pacifique passe par Winnipeg. En avril 1879, il vota contre un projet de loi privé dont le but était de faire du 1er juillet un congé public « appelé fête du dominion », parce que ce n’était pas le gouvernement qui l’avait proposé, mais un sénateur, Robert William Weir Carrall*. Malgré l’opposition de Girard et d’autres membres du Sénat, le projet de loi fut accepté.
À l’issue des élections générales de 1878, le nombre de députés sur lesquels pouvait compter le gouvernement Norquay se situait entre 14 et 17. Les partis, au Manitoba, n’étaient pas divisés comme sur la scène fédérale. Norquay et Royal, de même que le principal député de l’opposition, Thomas Scott, étaient tous des conservateurs fédéraux. Cependant, le cabinet Norquay, tout comme auparavant celui de Girard et celui de Davis, s’appuyait sur une coalition d’intérêts, et il avait le soutien des députés francophones de l’Assemblée. À la fin de mai 1879, Royal tenta un coup de force : le parti francophone unifié, qui détenait la balance du pouvoir, s’allierait au groupe anglophone de Scott et formerait la majorité. Toutefois, la tentative échoua parce que Norquay s’assura vite l’appui de tous les députés anglophones, y compris ceux qui faisaient partie du groupe de Scott, et réclama la démission de Royal et de Pierre Delorme*, l’autre ministre francophone du cabinet. Le parti francophone se trouva alors complètement isolé. Quand le lieutenant-gouverneur, Joseph-Édouard Cauchon*, insista pour que les vacances du cabinet soient comblées immédiatement, Norquay ne put que nommer deux autres anglophones, car tous les députés francophones s’étaient opposés à lui.
Les députés de langue anglaise s’étaient ralliés autour d’une nouvelle politique antifrançaise qui consistait notamment à cesser d’imprimer les documents publics en français et à modifier encore une fois les limites des circonscriptions. Les partis politiques du Manitoba seraient divisés entre anglophones et francophones si Norquay n’arrivait pas à nommer au cabinet quelqu’un qui représenterait l’élément francophone à la chambre et qui accepterait cette politique. Il se tourna vers Girard, qui était à Ottawa et à Varennes au moment de la crise.
Nommé secrétaire de la province le 19 novembre 1879, Girard avait posé ses conditions : le système scolaire en vigueur ne devait pas changer et, si un poste se libérait au cabinet, il irait à un autre membre du parti francophone. En outre, Girard conclut avec Norquay un compromis sur l’impression des documents publics en français. De tous côtés, on l’applaudit ; jamais sa popularité et son prestige n’avaient été aussi grands. Parce qu’il inspirait confiance, il avait évité au parti francophone la condamnation à siéger dans l’opposition et, avec Norquay, il avait rendu possible l’émergence de partis fondés principalement sur des programmes politiques plutôt que sur la langue. L’Assemblée fut dissoute et, le 9 décembre, au cours des élections générales, on élut Girard sans opposition dans Baie-Saint-Paul, circonscription à prédominance francophone. Le gouvernement récolta une majorité écrasante.
Pendant un temps, parce qu’il était celui qui, plus que tout autre, avait apaisé les sentiments amers du « préjugé national », on traita Girard en homme d’État inattaquable. Cependant, le 16 novembre 1881, La Rivière devint secrétaire de la province, et l’on nomma Girard ministre de l’Agriculture et de la Statistique. En 1882, le gouvernement proposa d’augmenter son salaire, ce qui souleva de vives protestations de la part de la nouvelle opposition libérale de Thomas Greenway*. Même s’il s’ennuyait de plus en plus de Varennes, Girard demeura ministre et toucha son salaire aussi longtemps qu’il le put. Une loi provinciale adoptée depuis peu, et qui interdisait aux sénateurs de se porter candidats à l’Assemblée, l’empêcha de se présenter aux élections de janvier 1883. Le 6 septembre, il démissionnait du Conseil exécutif et de son ministère.
En mars 1886, Girard prononça au Sénat un important discours dans lequel il condamnait la rébellion du Nord-Ouest parce que l’on avait sacrifié des vies humaines « pour le maintien [du] dominion ». En outre, d’après lui, l’agitation que l’exécution de Riel avait provoquée dans la province de Québec était « préjudiciable aux intérêts du Manitoba et du Nord-Ouest ». Par sa modération, il s’éloignait du sénateur François-Xavier-Anselme Trudel*, chef ultramontain de l’aile québécoise du parti conservateur (les « castors »), qu’il avait pourtant reconnu comme son chef dans le passé.
L’époque du conservatisme expansionniste qui avait permis à Girard de faire carrière tirait à sa fin. En 1887, les libéraux d’Honoré Mercier prirent le pouvoir à Québec ; l’année suivante, les libéraux de Greenway furent élus au Manitoba. L’ordre ancien s’effondrait, mais ses champions étaient encore prêts à se battre sur la question des écoles et de la langue. En avril 1890, Girard intervint dans le débat sur les modifications présentées par D’Alton McCarthy à l’Acte des Territoires du Nord-Ouest. Il faisait partie des quelques sénateurs qui refusaient à l’Assemblée législative de ces territoires le pouvoir de réglementer l’usage du français ou de l’anglais dans ses délibérations. À ses yeux, la disparition du français était inévitable : « Nous entrevoyons le jour où l’usage du français disparaîtra, mais nous préférons que ce soit sous l’effet du temps, et non à cause d’hommes aujourd’hui vivants. » « Le gouvernement actuel du Manitoba, expliquait-il, a traité durement la minorité francophone. » Plus tard dans l’année, il présida le Congrès national, qui réunit à Saint-Boniface des représentants des sociétés nationales canadiennes-françaises et métisses de toute la province. Les délégués s’élevèrent, par voie de résolutions, contre la loi par laquelle le gouvernement Greenway avait aboli le système d’écoles publiques catholiques et protestantes de la province, et contre le déclin du français. Deux ans plus tard, en août, Girard convoqua une autre assemblée du Congrès national afin de réitérer les protestations de l’élite francophone du Manitoba. Il mourut le mois suivant, avant que le comité exécutif du congrès ne fasse parvenir une pétition au gouverneur général en conseil.
Marc-Amable Girard fut inhumé dans le cimetière de la cathédrale de Saint-Boniface, à quelques pas de Louis Riel. Sur sa pierre tombale, on a inscrit aussi le nom de son beau-fils, le docteur Alfred Versailles, mais rien n’indique qu’il naquit à Varennes ni qu’il fut premier ministre du Manitoba.
Le minutier de Marc-Amable Girard, contenant des actes passés entre 1844 et 1870, est conservé aux ANQ-M, sous la cote CN1-178.
AN, MG 27, I, C8 ; F3.— ANQ-M, CE1-10, 26 avril 1822 ; CE1-33, 23 sept. 1878 ; P-5.— PAM, MG 3, D1 ; D2 ; MG 12, A ; B1 ; B2 ; MG 13, A ; MG 14, B26.— Canada, chambre des Communes, Journaux, 1874, app. 6 ; Sénat, Débats, 1872–1892.— Manitoba, Assemblée législative, Journaux, 1871–1882 ; Sessional papers, 1871–1883.— J. H. O’Donnell, Manitoba as I saw it, from 1869 to date, with flash-lights on the first Riel rebellion (Toronto, 1909).— Daily Free Press (Winnipeg), 1872–sept. 1892.— Le Manitoba (Saint-Boniface), 1881–14 sept. 1892.— Le Métis (Saint-Boniface), 1871–1881.— Canadian directory of parl. (Johnson).— CPC, 1871–1892.— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 1.— Alexander Begg, History of the north-west (3 vol., Toronto, 1894–1895).— Choquette, Hist. du séminaire de Saint-Hyacinthe.— Dale et Lee Gibson, Substantial justice ; law and lawyers in Manitoba, 1670–1970 (Winnipeg, 1972).— J.-E. Roy, Histoire du notariat au Canada depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours (4 vol., Lévis, Québec, 1899–1902), 3 : 247, 292, 321, 336.
Gordon Oliver Rothney, « GIRARD, MARC-AMABLE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/girard_marc_amable_12F.html.
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Auteur de l'article: | Gordon Oliver Rothney |
Titre de l'article: | GIRARD, MARC-AMABLE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |