POPE, WILLIAM HENRY, homme de loi, agent des terres, journaliste, homme politique et juge, né le 29 mai 1825 à Bedeque, Î.-P.-É., fils aîné de Joseph Pope* et de Lucy Colledge, décédé le 7 octobre 1879 à St Eleanors, Î.-P.-É.

William Henry Pope commença ses études à l’Île-du-Prince-Édouard et les poursuivit en Angleterre, d’où son père avait émigré en 1819. William fit son droit au Inner Temple de Londres, puis revint dans son île natale pour y faire un stage dans l’étude d’Edward Palmer* à Charlottetown, et fut admis au barreau en 1847. Il épousa Helen DesBrisay en 1851 ; deux fils et six filles naquirent de cette union. Leur fils aîné, Joseph Pope*, devint le secrétaire particulier de sir John A. Macdonald*, puis son biographe.

À l’instar de nombreux hommes de loi de la colonie, William Pope devint agent des terres. Cette fonction et l’exercice du droit demeurèrent ses principales activités jusqu’à ce qu’il devînt journaliste et fît partie du gouvernement, en 1859. Son père, constructeur naval et homme politique, était l’un des membres les plus respectés de l’élite locale qui, au début, jouait avant tout le rôle d’intermédiaire entre les propriétaires absentéistes de l’île et leurs locataires. Cela valut à William Pope d’importants clients, entre autres le capitaine Cumberland, lady Cecilia Georgiana Fane et Charles Worrell*. C’est à titre de représentant de Worrell que Pope devait s’attirer une impopularité durable dans l’Île-du-Prince-Édouard. En 1854, après que le gouvernement libéral eut voté une loi sur l’achat des terres, les mandataires de Worrell dans l’île lui conseillèrent de vendre. Ils envoyèrent l’un d’entre eux, Theophilus DesBrisay*, le beau-père de Pope, demander le consentement de Worrell. DesBrisay persuada ce dernier d’abandonner ses terres au gouvernement moyennant la somme de £10 000 mais n’avertit pas les autres mandataires qu’il avait obtenu le consentement désiré. Puis, sans raison apparente, il dit à Worrell que le gouvernement n’était plus acheteur. Worrell suggéra alors qu’on offrît la propriété à quelqu’un qui semblait intéressé pour la somme de £9 000, mais DesBrisay ne transmit pas l’offre. Après avoir ainsi, de son propre chef, fait échouer deux transactions, il conseilla à Worrell de discuter de l’affaire avec Pope, qui était en route pour l’Angleterre.

Worrell, qui avait hâte de se débarrasser de ces terres lointaines et lourdement hypothéquées, accepta promptement l’offre de £14 000 que lui fit Pope. Le 28 décembre 1854, Pope et ses bailleurs de fonds, en l’occurrence son père, son beau-père et un nommé George Elkana Morton, de Halifax, revendirent la propriété de Worrell au gouvernement pour la somme de £24 100. Si les libéraux avaient accepté de payer un prix qu’ils savaient être exorbitant, c’est que Pope, en termes voilés, avait menacé de traîner les locataires de son nouveau domaine devant les tribunaux pour obtenir le paiement des arrérages. Les terres consistaient en cinq cantons d’un seul tenant numérotés de 38 à 42, dans le nord du comté de Kings ; on aurait risqué l’émeute, si Pope avait mis sa menace à exécution. En plus, DesBrisay aurait extorqué £1 700 à Worrell pour ses « bons offices ». Le fait que Pope et ses associés ne transférèrent pas la totalité des 81 303 acres au gouvernement, en dépit de leurs promesses, amena toutefois les libéraux à refuser de faire le dernier versement de £3 000 sur le prix d’achat. Bien que ses agissements fussent connus de tous, Pope ne se donna jamais la peine de nier énergiquement l’essentiel des accusations portées contre lui. Comme il était fort compétent et rempli d’ambitions sur le plan politique il est probable que s’il avait cru pouvoir réfuter ces accusations, il l’aurait fait. Le résultat de cette « transaction », unique par son importance vu la situation de l’île à cette époque, fut de ternir à jamais la réputation de Pope.

À mesure que s’écoulaient les années 50, William et son frère cadet, James Colledge Pope*, jouèrent un rôle de plus en plus actif au sein du parti conservateur qui était alors dans l’opposition. Quand le gouvernement libéral, dirigé par George Coles, fut battu en 1859, James qui était membre de l’Assemblée fut nommé membre du Conseil exécutif et William, qui n’appartenait à aucune des deux chambres, devint secrétaire colonial. La nomination de William était conforme à la ligne de conduite adoptée par le nouveau gouvernement, qui ne voulait pas donner aux députés des postes dans la fonction publique. Les tories prétendaient que les libéraux avaient instauré un « système de partage du butin », et que les législateurs étaient les premiers à bénéficier du favoritisme. En conséquence, ils avaient promis de ne pas accorder aux députés les postes auxquels s’attachait un traitement et de les réserver, en principe, à des non-partisans. Les libéraux eurent tôt fait de reconnaître en Pope un des hauts fonctionnaires les plus influents du nouveau gouvernement. Edward Whelan* avait écrit, deux mois plus tôt : « M. Pope est un homme qui inspire aux tories plus de crainte que de respect [...] ; il a plus d’astuce, plus de persévérance dans la poursuite de ses objectifs (quels qu’ils soient) et plus de talent véritable qu’aucun autre membre de son parti. »

William Pope occupait déjà un poste stratégique dans la classe dirigeante. Peu après l’élection de 1859, Duncan MacLean*, rédacteur en chef de l’Islander, le principal journal conservateur de la colonie, était mort, et Pope avait été nommé pour lui succéder par John Ings, propriétaire du journal et nouvel imprimeur de la reine. Pope, devenu rédacteur en chef, sut conserver au journal sa place importante et, suivant en cela la tradition créée par MacLean, engagea la controverse, qui devait demeurer continuelle, avec Whelan, propriétaire et rédacteur en chef de l’Examiner. Pope et Whelan étaient tous deux doués pour la polémique et le contraste qu’offraient leurs talents était fort intéressant. Whelan maîtrisait parfaitement l’écriture élégante et l’épigramme piquante. Pope, dont le style était moins spontané, faisait preuve d’une logique sans faille, et son argumentation était impeccable. À eux deux, ils donnaient aux lecteurs de l’île l’occasion d’assister à un dialogue politique d’une rare valeur.

La question la plus sérieuse et la plus longue à régler dans l’île, avant la Confédération, était celle des terres. Pour sa part, Pope estimait que, bien que la tenure à bail fût « odieuse » et eût des effets « nocifs » sur la colonie, il ne fallait prendre aucune mesure susceptible de « porter atteinte au droit de propriété ». Les propriétaires absentéistes « n’étaient pas responsables du système des baux » ; en réalité, la « grande injustice », selon Pope, était le fait du gouvernement impérial qui, en 1767, avait établi ce système dans l’île. Les propriétaires actuels avaient pleinement droit à leurs terres et, par conséquent, seule « leur magnanimité » pourrait améliorer le sort des occupants. Il n’était pas question d’adopter un principe aussi radical que celui de la confiscation des terres [V. Coles] : « il faut à tout prix sauvegarder le droit de propriété, que tous les pays civilisés considèrent comme un droit sacré ». La meilleure solution pour les locataires était d’« entamer des négociations à l’amiable » avec les propriétaires. Le nouveau gouvernement tory, qui avait des rapports étroits avec les hommes riches et haut placés, serait le médiateur idéal entre propriétaires et locataires.

Mais ce n’est ni à l’affaire Worrell ni à la question des terres que Pope doit le plus sa réputation, sa notoriété pourrait-on dire, dans l’île. Les conservateurs avaient remporté la victoire en 1859 grâce surtout à la façon habile dont ils avaient exploité l’inquiétude des protestants sur la question de la Bible ; Pope n’avait pas joué un très grand rôle dans cette campagne qui avait réussi à diviser l’électorat presque uniquement suivant des considérations d’ordre religieux. Bien que né dans une famille méthodiste, William Pope était en général considéré comme un « infidèle », nom que l’on réservait, dans l’île, aux athées, aux agnostiques, aux unitariens et aux apostats. Il n’avait pas de convictions profondes concernant la valeur intrinsèque ou la fausseté des doctrines du catholicisme, pas plus que de celles du protestantisme. Après 1860, une fois réglée, à la satisfaction générale, la question du rôle de la Bible dans les écoles de district, Pope et le premier ministre, Edward Palmer, estimèrent que la brouille entre leur parti et l’Église catholique n’avait pas lieu de persister. Au début de 1861, Palmer et le colonel John Hamilton Gray*, qui était son bras droit dans le cabinet, se livrèrent à deux tentatives clandestines de rapprochement avec les représentants de l’Église catholique, en offrant de faire certaines concessions dans le domaine de l’éducation. Dans les deux cas, leur échec est largement attribuable à la malchance.

Entre-temps, William Pope trouva par hasard une troisième possibilité de réconciliation. Il advint que l’évêque, Mgr Peter MacIntyre*, lui fit part de son intention de soumettre une pétition au gouvernement en vue d’obtenir une subvention pour St Dunstan’s College, établissement d’enseignement catholique. Pope promit de pressentir le gouvernement et ses amis, afin de créer un climat favorable à la requête, à condition cependant que l’évêque consentît à retarder quelque peu la présentation de sa requête au gouvernement. Mgr MacIntyre accepta, et Pope eut des entretiens avec le Conseil exécutif, avec le « caucus » de son parti et avec des membres du clergé protestant. À part Palmer et Gray, personne ne l’encouragea outre mesure. En fait, la plupart l’informèrent que de toute manière, ils s’opposeraient à l’octroi d’une subvention.

Lorsque Pope transmit ces nouvelles peu encourageantes à Mgr MacIntyre, ce dernier se mit en colère et déclara qu’aux prochaines élections il allait mobiliser, comme jamais il ne l’avait fait, tous les catholiques de l’île pour renverser un gouvernement composé uniquement de protestants. Apparemment, Pope crut que l’évêque était sérieux, ce qui l’amena à changer d’avis sur l’orientation que devaient prendre les rapports des conservateurs avec les catholiques. Les tories, semblait-il, devaient s’appuyer uniquement sur les protestants s’ils voulaient conserver leur majorité. Durant l’été de 1861, Pope publia donc une série d’articles intitulée « Letters to the protestants of Prince Edward Island ». Il exposait son message politique dès la première lettre : « dans l’état actuel des choses, tout gouvernement qui ne serait pas exclusivement protestant serait virtuellement un gouvernement catholique ». Dans les lettres suivantes, le ton devenait injurieux à l’égard des croyances catholiques ; on y parlait de la présence réelle comme d’« un Dieu fait d’un peu d’eau et de farine » ; on rappelait aux protestants que le concile de Trente avait décrété que ceux qui ne croyaient pas au dogme de l’Eucharistie étaient « maudits ». « Les épîtres de Pope contre les Romains », ainsi que les baptisa Whelan, marquent le début d’une querelle religieuse qui devait alimenter les journaux de l’île durant 18 mois. Les principaux combattants étaient Pope et le recteur de St Dunstan, l’abbé Angus MacDonald*. Pope, redoutable polémiste, à qui la fougue ne faisait jamais perdre de vue ses objectifs, était en train de devenir rapidement le personnage le plus controversé de la colonie et la bête noire des libéraux.

L’abbé MacDonald et Pope s’étaient déjà querellés publiquement au sujet des pouvoirs temporels de la papauté et maintenant, vers la fin de 1861, le recteur prenait la défense de son Église. La situation s’envenima en février 1862 lorsque MacDonald, faisant allusion à quelques lettres anonymes injurieuses parues dans le journal de David Laird*, le Protestant, déclara qu’elles avaient été écrites par « quelque individu à l’esprit vil et venimeux, qui occupait sans doute dans le monde des lettres la même place que celle qui est dévolue, dans la société, à l’escroc, au voyou, au maquereau ». Et cet individu, d’ajouter le recteur, c’était W. H. Pope. Cela amena ce dernier à écrire une lettre ouverte à MacDonald, et à citer saint Jérôme pour montrer que catholicisme et ignorance allaient de pair, et Baronius afin de prouver que les premiers papes avaient été « choisis par des putains ». Finalement, il se demandait si, à l’instar des augures de la Rome antique, l’abbé Angus ne se moquait pas de la crédulité de ses ouailles qui croyaient « qu’un petit peu de farine de blé » pouvait devenir Dieu. Dans le même numéro, « un protestant », qui n’était autre que William Pope, établissait une liste d’indulgences et de dispenses, datée de 1514, avec les prix auxquels elles se vendaient. Après ces écrits incendiaires, Pope abandonna la lutte.

MacDonald donna une dimension nouvelle à la querelle au cours de l’été de 1862, en demandant à la fois au lieutenant-gouverneur, George Dundas, et au ministre des Colonies, le duc de Newcastle [Clinton], de démettre Pope de ses fonctions à cause de ses attaques contre le dogme catholique. La tentative ne réussit pas et, quand la tempête qu’elle souleva se fut apaisée, – MacDonald publia ses lettres, Pope y répondit – on n’entendit plus parler de polémique pendant deux mois. Puis, en septembre, Pope déclara dans un éditorial que « le but premier du clergé catholique de l’île, c’est d’obtenir une subvention pour leur collège de St Dunstan. Ils n’y arriveront que si le gouvernement actuel tombe ». Les journaux libéraux et MacDonald répondirent en affirmant que le gouvernement avait déjà eu lui-même l’intention d’accorder un appui financier à St Dunstan. Pope nia le fait, et donna sa propre interprétation des entretiens du printemps de 1861, qui n’avaient jamais été rendus publics.

Ces précisions permirent à Pope de mettre ses adversaires en déroute. C’était là une écrasante démonstration de la logique de son esprit. Cela voulait également dire que le gouvernement Palmer conservait la confiance des protestants de l’île. Les suites de la controverse engendrée par les révélations de septembre et d’octobre furent énormes : on lança un journal ultramontain, on mobilisa les presbytériens et les orangistes militants contre « l’agression papiste », et les conservateurs furent victorieux aux élections générales de janvier 1863 qui portèrent sur les questions connexes de l’enseignement et de la religion. Pope se porta candidat dans la circonscription de Belfast, la plus presbytérienne de la colonie, et fut élu. Il entra ensuite au Conseil exécutif, et demeura secrétaire colonial car, après quatre ans d’essai, on avait abandonné le principe de ne pas donner aux députés de poste dans le gouvernement.

La session qui suivit les élections fut orageuse du début jusqu’à la fin. William Pope, au sommet de sa puissance et de son influence sur la vie politique de l’île, était rempli d’une sourde rancune car il savait que l’abbé MacDonald avait de nouveau écrit à Londres, quoique sans résultat, pour le faire démettre de ses fonctions. Le jour de la Saint-Patrice, Pope présenta une loi en vue de constituer juridiquement la loge orangiste de l’île. Les débats qui suivirent cette proposition furent probablement les plus violents de toute l’histoire de l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard. Ils atteignirent vraiment un sommet lorsque George William Howlan*, libéral catholique, accusa Pope d’avoir dit, en dehors du parlement, qu’« une catholique qui va se confesser à un prêtre, c’est une jument que l’on donne à un étalon ». Mais l’incendie provoqué par la question religieuse ne pouvait durer indéfiniment, et au bout de quelques mois, il s’éteignit, semble-t-il, de lui-même.

Pendant ce temps, la question des terres demeurait sans solution. Le gouvernement Palmer avait fait nommer en 1860 une commission composée de trois membres éminents, dont les recommandations avaient été rejetées par le gouvernement britannique sur les instances des propriétaires. Au cours de l’été de 1863, le gouvernement de l’île, qui avait maintenant à sa tête le colonel Gray, s’efforça de nouveau de régler la question. On envoya en Angleterre deux des principaux membres du cabinet, Pope et Palmer, afin de conférer avec le ministère des Colonies et avec les propriétaires. Les deux délégués se rendirent à Londres et, le 13 octobre, ils soumirent à Newcastle de nouvelles propositions. Ce dernier les transmit aussitôt à sir Samuel Cunard* qui, à l’époque, possédait un sixième des terres de la colonie et agissait comme porte-parole d’un groupe de propriétaires. Les pourparlers paraissaient vouloir traîner en longueur ; aussi, Palmer s’embarqua-t-il pour l’île au début de novembre, laissant à Pope le soin de traiter avec le gouvernement britannique et avec Cunard. Le ministère des Colonies pensait avoir facilement raison de Pope, dont la réputation avait souffert de son inconvenante querelle avec MacDonald. Le 14 septembre, le directeur général du ministère avait écrit : « Le fait que c’est M. Pope qui a été nommé délégué semble indiquer que tout cela [les pourparlers] n’ira pas très loin. »

Toutefois, lorsque Cunard et ses associés refusèrent d’accepter les propositions faites en octobre, Pope réagit avec vigueur. Il écrivit, en réponse à la déclaration de Cunard, des lettres détaillées et bien documentées, faisant remarquer que « quelque respect que l’on entretienne à l’égard des droits juridiques des propriétaires terriens, il est des circonstances où ces droits doivent céder devant « l’intérêt général » ». Par exemple, il était impossible de recueillir tous les arrérages des rentes ; le but même de la délégation était de convaincre les propriétaires de consentir à un compromis. Une intransigeance trop poussée, prévoyait Pope le 13 janvier 1864, aurait « de funestes et redoutables conséquences, comme il arrive toujours quand l’agitation se répand au sein de la population rurale ». Les événements devaient lui donner raison : les locataires de l’île étaient déjà en train de former une nouvelle organisation militante, la ligue des locataires (Tenant League), dont les membres devaient jurer de ne pas payer les loyers. La commission et la délégation échouèrent toutes les deux et, en août 1865, il fallut avoir recours à l’armée pour protéger le droit de propriété dans l’Île-du-Prince-Édouard [V. Hodgson].

Lorsque se posa la question d’une union des colonies de l’Amérique du Nord britannique, en 1863 et en 1864, Pope fut un des rares habitants de l’île à montrer de l’enthousiasme. Il assista à la conférence de Charlottetown et à celle de Québec, où il fit fonction de secrétaire honoraire. Peu après la conférence de Québec, il se trouva en conflit avec Palmer, qui s’opposait à la Confédération et qui tenta de reprendre les rênes du gouvernement au colonel Gray. À la mi-décembre 1864, Gray céda aux pressions qui s’exerçaient sur lui et donna sa démission. Mais Palmer ne put accéder à la présidence du Conseil exécutif car Pope se rangea du côté du colonel. C’était le fondement même de la position de Palmer sur la Confédération qui était en cause, et Pope attaqua ce dernier avec la même colère froide et la même logique impitoyable qu’il avait manifestées à l’égard de MacDonald en septembre et octobre 1862. Pope sortit vainqueur du conflit, mais, à longue échéance, Palmer pouvait revendiquer une victoire importante : ce n’était pas le parti conservateur qui ferait entrer l’île dans la Confédération. Conscient de ce fait et se rendant compte que l’opinion publique était favorable à Palmer et non à Pope ou à lui-même, Gray refusa de reprendre la tête du gouvernement ou de siéger à l’exécutif.

Un gouvernement de fortune commença à siéger sous la direction de James Pope. Même si son frère était maintenant premier ministre, William Pope se trouva de plus en plus isolé au sein du cabinet. Au cours de la session de 1865, au moment où James se proposait de constituer un comité parlementaire pour étudier les Résolutions de Québec, William soumit huit propositions en faveur de la Confédération, sans laisser à son cadet le temps de parler. James accusa son frère d’avoir « fait preuve de fort peu de courtoisie, pour ne pas dire plus ». Le rejet des propositions de William et l’acceptation des contre-propositions de James étaient inévitables, mais l’incident ne fit qu’élargir le fossé entre le secrétaire colonial et ses collègues. Le coup de grâce fut donné pendant la session de 1866, en l’absence de William qui faisait partie d’une délégation commerciale au Brésil. James Pope soumit la « No terms Resolution » sur la Confédération et exprima l’opinion qu’il était, pour l’instant, impossible d’envisager même l’éventualité d’une union avec le Canada. Peu après son retour, pour protester contre cette prise de position, William donna sa démission et comme membre du Conseil exécutif et comme secrétaire colonial.

Le reste de la carrière de William Pope paraît terne si l’on pense à l’immense pouvoir et à l’influence dont il avait joui de 1860 à 1865. Il demeura rédacteur en chef de l’Islander jusqu’à ce que Ings vendît le journal en octobre 1872, mais il ne se présenta même pas aux élections de 1867, où les tories se firent battre à plate couture. La question de la Confédération divisait les membres du parti. Gray et James Pope refusèrent également de se présenter. Jusqu’à sa nomination au poste de juge en 1873, William Pope se consacra à deux objectifs : l’entrée de l’île dans la Confédération et – comme moyen d’y parvenir – la rénovation du parti conservateur à partir d’éléments fortement en faveur de la Confédération.

Les tories se trouvaient dans une situation peu brillante, mais le gouvernement libéral était vulnérable, vu la divergence d’opinion de ses membres sur les questions des terres et des écoles. La session de 1868 révéla une fissure sérieuse dans leurs rangs lorsqu’il fut proposé d’accorder une aide gouvernementale aux écoles catholiques, y compris St Dunstan, sous le contrôle de l’évêque, Mgr MacIntyre. William Pope avait déjà manifesté un regain d’intérêt à l’endroit des problèmes financiers du collège. En février, il se prononça en faveur d’une subvention, sans poser aucune condition. Il signala le danger que constituait la tendance de l’époque à l’irréligion et recommanda aux catholiques de « forcer » le gouvernement à prendre position au sujet des écoles.

Avec son calme habituel et de propos délibéré, Pope avait changé de stratégie mais ses convictions religieuses restaient les mêmes. Il ne cessa de faire pression sur le gouvernement au début de l’année 1868, et finit par publier un projet de loi incorporant les amendements qu’il voulait apporter à la loi sur l’éducation. En novembre 1868, James Pope se porta candidat lors d’une élection partielle dans le cinquième district du comté de Prince, en promettant aux électeurs d’accorder des subventions à toute école « produisant de bons résultats ». Malgré l’appui de Mgr MacIntyre, du journal l’Islander, du chef de l’opposition (Thomas Heath Haviland* fils), et de l’approbation de Gray, James subit une écrasante défaite. Les Pope en conclurent qu’il valait mieux abandonner temporairement la question des écoles. Leurs efforts en vue d’un réalignement politique par la coalition des conservateurs favorables à la Confédération et des libéraux catholiques étaient prématurés.

William Pope n’en continua pas moins de se faire l’avocat de la Confédération, écrivant des éditoriaux sur la question, donnant des conférences, entretenant des relations suivies avec John A. Macdonald, et expédiant des mémoires et des tracts à Londres. Les élections de 1870 lui donnèrent l’occasion de réaliser la nouvelle alliance dont il rêvait : Palmer et David Laird, qui étaient à la tête de la faction conservatrice opposée à la Confédération, furent défaits et James Pope, dont l’attitude à l’égard de la Confédération était devenue ambivalente, revint à l’Assemblée comme chef du parti. Les libéraux avaient gagné par 17 voix contre 13, mais ils se divisèrent immédiatement sur la question des écoles ; leur échec s’expliquait surtout par la façon inepte dont Robert Poore Haythorne* dirigeait son parti.

Peu après cette scission dans les rangs des libéraux, James Pope s’allia avec George Howlan et ses partisans afin de former un gouvernement de coalition. Mais, entre-temps, William Pope avait préparé un exposé détaillé fournissant à son frère les arguments qui lui permettraient de refuser les demandes des catholiques : le fait d’accéder à ces demandes aurait pu diviser la nouvelle coalition de Pope puisque, lors des dernières élections, aucun conservateur protestant n’avait soumis à ses électeurs la question des subventions aux écoles confessionnelles, et rien, d’après William, ne pouvait se faire sans le mandat du peuple. Mais les Pope ne prirent pas, comme les libéraux l’avaient fait, une décision irrévocable ; le projet des subventions n’était pas rejeté en principe. La nouvelle alliance était basée sur des concessions mutuelles : on ne prendrait aucune mesure en faveur de la Confédération ou des écoles sans avoir soumis ces questions aux électeurs. Les tories avaient gagné à leur cause les législateurs catholiques et se trouvaient de nouveau au pouvoir ; William Pope avait atteint un de ses objectifs.

Moins de trois ans après sa création, l’alliance Pope-Howlan faisait entrer l’île dans la Confédération. Au début de 1871, les habitants de l’île voulurent soudainement un chemin de fer, et la coalition passa les lois nécessaires à sa construction. Cette nouvelle réalisation, que William Pope préconisait depuis plusieurs années, amena l’île au bord de la faillite. Au début de l’année 1872, le sentiment d’inquiétude qui régnait chez les habitants était si fort que James fut obligé d’avoir recours à des élections, et son gouvernement fut balayé. Toutefois, la situation financière de l’île était irrémédiablement compromise. Haythorne et Palmer, les chefs du nouveau gouvernement, adversaires farouches de la Confédération, reconnurent en février 1873 qu’ils avaient perdu la bataille. On envoya Haythorne et David Laird à Ottawa pour négocier. À leur retour, de nouvelles élections eurent lieu et James Pope et son parti, qui promettaient d’obtenir d’Ottawa des conditions d’union plus favorables, revinrent au pouvoir.

Lors de l’entrée de l’Île-du-Prince-Édouard dans la Confédération en juillet 1873, le gouvernement Macdonald nomma William Pope juge à la cour du comté de Prince. Pope remplit ces nouvelles fonctions de façon remarquable. Sur plusieurs milliers de jugements qu’il rendit, on n’interjeta appel que deux fois et, les deux fois, la Cour suprême de la province confirma le jugement de Pope. À deux reprises, en 1861 et en 1878, on fit appel à ses connaissances d’avocat et de juriste, en vue d’une révision et d’une codification des lois de l’île.

William Henry Pope mourut le 7 octobre 1879 des suites d’une attaque qu’il avait eue quelques jours plus tôt. Il fut vraiment un des hommes les plus remarquables de l’Île-du-Prince-Édouard. En plus d’exceller dans la profession de son choix, il s’intéressa à de multiples sujets, et entretint des relations avec les gens les plus divers. Au moment où il mourut, il s’apprêtait à écrire une histoire de l’île. Lors de ses voyages en Angleterre, il avait fait des recherches dans les archives du ministère des Colonies et dans d’autres sources de documentation. Il fut élu à trois reprises, en 1863, 1866 et 1870, au nombre des 15 membres honoraires étrangers de l’Athenaeum Club de Londres. Il fut également l’ami et le correspondant de quelques-uns des Anglais les plus distingués du temps. Ses goûts étaient fort extravagants pour l’époque et, malgré toute son habileté, il ne sut guère gérer sa propre fortune. Sa mort subite laissa sa famille dans une situation difficile.

William Pope fut avant tout un homme politique et un journaliste. Pendant des années, sa compétence indéniable lui valut d’être considéré comme l’un des membres les plus influents de son parti. Durant la période où son frère fut premier ministre, on avait coutume de dire que « William faisait les boules de neige et [que] James les lançait ». William se trouva au cœur même des disputes violentes que suscitèrent les questions religieuses et scolaires au début des années 60. Il fut également, dans l’île, le plus énergique et le plus tenace partisan de la Confédération et c’est lui qui eut l’idée, en 1870, d’un nouveau parti tory qui devait devenir l’instrument de l’entrée de l’Île-du-Prince-Édouard dans la Confédération. Si on le connaît ailleurs surtout comme un père de la Confédération, dans l’île ce sont d’abord les tripotages du politicien qui ont fait la réputation de Pope. De la fin des années 50 jusqu’au début des années 70, il fut l’éminence grise du parti conservateur dans l’Île-du-Prince-Édouard.

Ian Ross Robertson

Il existe deux collections des papiers de W. H. Pope. La plus importante se trouve aux APC, FM 27, F2, et l’autre appartient au général Maurice Pope d’Ottawa, qui a bien voulu donner à l’auteur plusieurs renseignements précieux lors d’une entrevue, le 20 mai 1968, et lui permettre de consulter sa collection privée. Les APC, FM 26, A (Papiers Macdonald), renferment un bon nombre de lettres échangées entre Pope et Macdonald de 1870 à 1876. Pope semble avoir été le plus fidèle allié de Macdonald dans l’Île-du-Prince-Édouard. Le lecteur pourra consulter quelques lettres concernant les problèmes financiers de Pope, aux PAPEI, Henry Jones Cundall, recueils de lettres, 1874–1878. Les documents au sujet de la succession de Pope sont conservés dans l’Île-du-Prince-Édouard, Supreme Court, Estates Division. Pour connaître le rôle que Pope joua alors qu’il était membre du Conseil exécutif, on consultera : PAPEI, Prince Edward Island, Executive Council, Minutes, 1863–1866. De plus, la Grand Orange Lodge de l’Île-du-Prince-Édouard a autorisé l’auteur à consulter ses archives. Dans l’Annual report, 1865, de cette association, on mentionne le « frère, l’honorable W. H. Pope » : cela montre bien que Pope fut, pendant un certain temps du moins, orangiste. Aux PRO, CO 226, dans les volumes des années 1857 à 1873, on trouvera, ici et là, des mentions de Pope : si l’on veut des détails sur la vente des terres de Worrell, on consultera surtout les volumes 222/88, 248–269, 446–465 ; dans le volume 226/102, 294–297, le lecteur trouvera les éléments nécessaires pour connaître l’opinion de Pope sur la défense de l’Île-du-Prince-Édouard. On consultera également les Debates and proceedings of the House of Assembly of Prince Edward Island, 1856, 61 ; 1857, 105 ; 1863–1865, en particulier l’année 1864, 16 ; et le Journal of the House of Assembly of Prince Edward Island, 1863–1865, en particulier l’année 1864, app. W.— Abstract of the proceedings before the Land Commissioners’ Court, held during the summer of 1860 to inquire into the differences relative to the rights of landowners and tenants in Prince Edward Island, J. D. Gordon et David Laird, rédact. (Charlottetown, 1862), 13, 30, 237 (copies aux APC, aux PAPEI, et à la Redpath Library, à McGill University).

      The Islander (Charlottetown), 1859–1871, offre la meilleure image des idées et des prises de position de Pope, l’homme politique. C’est la meilleure source, si l’on veut suivre le progrès des démarches de la délégation dirigée par Pope et Palmer en 1863–1864, puisque ce journal, dans son numéro du 26 févr. 1864, publie une série de 19 lettres écrites de septembre 1863 à février 1864 sur ce sujet ; Pope, dans le numéro du 21 août 1863, donne l’exposé des buts de la délégation. De plus, pour quelques exemples des efforts faits par Pope en faveur de la Confédération, on devra lire dans le numéro du 10 févr. 1865, une des conférences qu’il avait données sur le sujet. Dans le numéro du 21 juin 1867, un article renseignera le lecteur sur l’opposition de Pope aux efforts faits par le gouvernement Coles en vue d’obtenir un emprunt destiné à régler la question des terres. Enfin, dans ses livraisons du 24 nov. et du 1er déc. 1865, l’Islander nous instruit du but de la participation de Pope à la délégation commerciale envoyée au Brésil en 1865–1866. V. également les livraisons du 18 mai 1866 et du 19 févr. 1869.

L’Examiner (Charlottetown) et le Vindicator (Charlottetown) publièrent en 1862 et en 1863 un nombre considérable d’articles qui sont écrits par des adversaires de Pope et qui sont intéressants par les détails qu’ils nous révèlent de la vie de Pope, surtout le Vindicator dans ses numéros du 27 mars et du 26 juin 1863. De plus, dans son numéro du 7 nov. 1862, le Vindicator nous donne un compte rendu du procès en diffamation intenté par Pope contre Edward Whelan. Enfin, plusieurs journaux ont publié une notice nécrologique de William Henry Pope : Examiner, 7 oct. 1879 ; Patriot (Charlottetown), 9 oct. 1879 ; Pioneer (Montague, Î.-P.-É.), 10 oct. 1879 ; Gazette (Montréal), 20 oct. 1879 (réimpression de la notice parue dans l’Island Argus (Charlottetown), 14 oct. 1879, dont il ne reste aucun exemplaire).

Au nombre des études les plus intéressantes, nous citons : Bolger, PEI and confederation, qui traite abondamment du rôle qu’a joué Pope en tant que père de la Confédération, en particulier aux pp. 90–99, 113s., 155–160 ; Duncan Campbell, History of Prince Edward Island (Charlottetown, 1875), 163–166 ; Careless, Brown, II : 155, qui rapporte l’opinion de George Brown sur la famille de W. H. Pope ; W. L. Cotton, Chapters in our Island story (Charlottetown, 1927), 80, qui mentionne brièvement une des premières affaires financières de Pope au début de sa carrière ; Creighton, Road to confederation, 13 ; MacKinnon, Government of PEI ; MacMillan, Catholic Church in PEI, chapitres 13–17, 20, 23, 24, qui donne un compte rendu assez partisan et parfois inexact de la part que Pope prit dans la querelle entre l’Église et l’État ; Past and present of Prince Edward Island [...], D. A. MacKinnon et A. B. Warburton, édit. (Charlottetown, [1906]), qui contient trois articles intéressants : « The Pope family » (qui n’est pas une étude sur Pope, mais un ensemble de renseignements utiles sur son milieu familial), « W. H. Pope » et, par W. L. Cotton, « The press in Prince Edward Island » ; Pioneers on Prince Edward Island, Mary Brehaut, édit. (Charlottetown, 1959), 13 ; J. B. Pollard, Historical sketch of the eastern regions of New France, from the various dates of their discoveries to the surrender of Louisburg, 1758 : also Prince Edward Island, military and civil (Charlottetown, 1898), 200 ; [Joseph Pope], Public servant : the memoirs of Sir Joseph Pope, Maurice Pope, édit. (Toronto, 1960), qui donne quelques aperçus intéressants sur la personnalité de W. H. Pope ; Waite, Life and times of confederation, 8, 51s., 180 ; W. M. Whitelaw, The Maritimes and Canada before confederation, introd. par P. B. Waite (Toronto, 1966), 198 ; D. C. Harvey, Dishing the Reformers, MSRC, 3e sér., XXV (1931), sect. ii : 37–44, qui explique en détail la genèse, la mise en application et la disparition du système appelé « non-departmentalism », système qui valut à Pope d’avoir un poste au gouvernement pendant quatre ans ; Robertson, Religion, politics, and education in PEI, 153s., 166, 167, 174, 289, et plus particulièrement les chapitres 4 à 8, dans lesquels l’auteur évalue le rôle joué par Pope dans le débat des questions de religion et d’éducation.  [i. r. r.]

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Ian Ross Robertson, « POPE, WILLIAM HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pope_william_henry_10F.html.

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Auteur de l'article:    Ian Ross Robertson
Titre de l'article:    POPE, WILLIAM HENRY
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
Date de consultation:    28 novembre 2024