CONROY, NICHOLAS, fermier et homme politique, né en 1816 à Rathdowney, en Irlande, le plus jeune des fils de Thomas Conroy et de Christine Le Herron, mort le 13 octobre 1879 chez lui, à Tignish, Î.-P.-É.
Nicholas Conroy fit ses études en Irlande, avant d’émigrer avec son père, en 1835, dans le nord-ouest de l’Île-du-Prince-Édouard. Il devint fermier et, comme il avait une certaine culture, il servit souvent d’intermédiaire entre ses voisins acadiens de langue française et les agents des terres au service des propriétaires du district, les Cunard. En 1842, il se lança dans la politique, mais ne réussit pas à se faire élire à la chambre d’Assemblée ; quatre ans plus tard, il fut élu dans le premier district du comté de Prince et devint membre du « caucus » tory. À cette époque, il exerça peu d’influence à la chambre et ne prit que rarement part aux débats.
Conroy ne se présenta pas aux élections de 1850, bien qu’on continuât de le considérer comme un tory. Il se mêla de nouveau à la politique lorsque surgit le problème de la Bible, vers la fin des années 50 [V. Coles]. Les tories, qui formaient alors le parti de l’opposition, demandaient que l’on autorise la lecture de la Bible dans les écoles de district où l’on admettait différentes dénominations religieuses. Le gouvernement libéral, appuyé par l’évêque catholique, Mgr Bernard Donald MacDonald*, refusa d’adopter des mesures susceptibles d’imposer la lecture, jusqu’alors facultative de la Bible, craignant qu’il n’en résulte une trop grande rigidité. Conroy, catholique influent, soutint l’évêque et le gouvernement. Il abandonna son parti et, en 1859, se présenta comme candidat libéral du premier district de Prince et fut élu. Le journal de William Henry Pope, The Islander, rapporta des propos que Conroy aurait tenus au mois de juin de l’année précédente à savoir « qu’en tant qu’Irlandais et catholique, il se devait de donner son appui au gouvernement [libéral] ».
Les tories furent vainqueurs aux élections, et Conroy se trouva dans les rangs de l’opposition. Il est possible qu’il se soit senti mal à l’aise parmi les libéraux, car il tenta vite de réconcilier les conservateurs et la hiérarchie catholique. Il était bien préparé pour une telle mission car en plus d’être un ancien collègue du premier ministre, Edward Palmer*, et d’un certain nombre d’autres tories influents il avait épousé en 1851 Catherine McDonald, la nièce de son curé, l’abbé Peter MacIntyre*, qui venait d’être nommé évêque de Charlottetown. Les négociations n’aboutirent à rien ; bien au contraire, l’animosité et le sectarisme s’accrurent. Lors des élections de 1863, les électeurs votèrent selon leurs opinions religieuses tous les districts protestants élirent des conservateurs, tous les districts catholiques, des libéraux. Dans le premier district de Prince, Mgr MacIntyre et Conroy unirent leurs efforts contre le candidat qui s’était présenté en même temps que Conroy aux élections précédentes, et réussirent à faire élire George Howlan* à sa place. Conroy perdit son siège en 1867 et se tint à l’écart de la politique pendant sept ans ; il fut alors élu au cours d’une élection partielle, à la suite de la nomination de George Howlan au Sénat canadien.
Lorsque Conroy reprit sa place à l’Assemblée, en 1874, il était devenu en quelque sorte le porte-parole de Mgr MacIntyre. Dans une lettre pastorale donnée quelques mois auparavant, l’évêque avait adopté une position « centriste » et avait déclaré qu’il était du devoir des électeurs catholiques de refuser leur appui aux partis qui n’accorderaient pas à l’Église ce qu’elle réclamait dans le domaine de l’éducation. Conroy était d’accord avec Mgr MacIntyre : « Les membres [de l’Assemblée] catholiques ne doivent pas s’associer à un parti qui a le pouvoir de bien agir et qui pourtant fait le mal. » La voie à suivre, selon lui, était la suivante : établir un système d’écoles séparées dans lequel la religion et l’enseignement « iraient la main dans la main ». C’est pourquoi il fit souvent appel aux députés catholiques en les adjurant de quitter le gouvernement conservateur, qui avait grand besoin de leur appui, et de devenir « centristes ». Il n’eut guère de succès toutefois, car seuls un député et un conseiller législatif le suivirent.
Les élections de 1876 permirent de régler le problème scolaire. La campagne tourna autour de ce seul problème, et le résultat fut la victoire du parti de Louis Davies*, partisan de l’école non confessionnelle, et la défaite des promoteurs de l’école confessionnelle dirigés par James Colledge Pope* et William Wilfred Sullivan*. Après l’adoption de la loi sur les écoles publiques, l’année suivante, Conroy abandonna sa lutte en faveur des écoles séparées, et devint même administrateur de l’école publique à Tignish. Le problème des écoles avait constitué la raison d’être de la coalition de Davies, et quand il fut réglé, le gouvernement se désagrégea. En septembre 1878, le premier ministre s’efforça, mais en vain, de ramener Conroy et quelques autres députés catholiques au sein du parti libéral. Lorsque Sullivan forma un nouveau gouvernement conservateur au mois de mars de l’année suivante, Conroy fit partie du Conseil exécutif. Mais son état de santé le força à donner sa démission le 11 juin ; deux jours plus tard il fut nommé receveur de l’enregistrement. Il mourut d’une affection cérébrale, laissant sa femme et plusieurs enfants.
Nicholas Conroy n’était pas d’une intelligence supérieure et n’avait pas l’étoffe d’un chef. Il avait sur la plupart des problèmes les opinions traditionnelles de l’homme politique de son île et de son temps. Par exemple, il s’opposa à la Confédération durant les années 1860 et prôna l’abolition du système de la tenure à bail. Il incarna toutefois de façon très nette une tendance fondamentale de l’histoire politique et sociale de l’Île-du-Prince-Édouard au xixe siècle : à mesure que s’écoulaient les années, il se laissa de plus en plus guider par le clergé en ce qui concernait les rapports de l’Église et de l’État. On peut trouver une explication partielle de cette attitude dans l’esprit réactionnaire qui se manifestait alors au sein de l’Église catholique dans le monde entier, et qui animait son ami Mgr MacIntyre. Mais il est certain que la fin de son frère, le docteur James Herron Conroy, mort apostat, l’influença profondément. Conroy était donc avant tout un homme conservateur, dont les prises de positions furent déterminées plutôt par les intérêts de son Église que par des considérations d’ordre pratique. Le fait qu’il changea trois fois de parti politique reflète bien l’instabilité politique de l’île à cette époque.
L’auteur désire exprimer sa reconnaissance à Mlle Margaret Conroy, petite-fille de Nicholas Conroy, qui a bien voulu lui accorder une entrevue le 30 juillet 1969. PAPEI, Prince Edward Island, Executive Council, Minutes, 1879.— Prince Edward Island, Supreme Court, Estates Division, testament de Nicholas Conroy, 23 sept. 1879.— Abstract of the proceedings before the Land Commissioners’ Court, held during the summer of 1860, to inquire into the difficulties relative to the rights of landowners and tenants in Prince Edward Island, J. D. Gordon et David Laird, rédact. (Charlottetown, 1862), 49–53.— Debates and proceedings of the House of Assembly of Prince Edward Island, 1859–1866, 1874–1879.— Journal of the House of Assembly of Prince Edward Island, 1847–1849, 1859–1866, 1874–1879. On trouvera une notice nécrologique de Nicholas Conroy dans trois journaux : l’Examiner (Charlottetown), 14 oct. 1879, le Patriot (Charlottetown), 16 oct. 1879, et le Pioneer (Montagne, Î.-P.-É.), 17 oct. 1879. Can. parl. comp., 1875, 639.— Peter Conroy, Past and present of Prince Edward Island [...], D. A. MacKinnon et A. B. Warburton, édit. (Charlottetown, [1906]), 670s.— MacMillan, Catholic Church in PEI, 372–377.— Robertson, Religion, politics, and education in PEI. [i. r. r.]
Ian Ross Robertson, « CONROY, NICHOLAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/conroy_nicholas_10F.html.
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Auteur de l'article: | Ian Ross Robertson |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1972 |
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