HAYTHORNE, ROBERT POORE, fermier, propriétaire terrien et homme politique, né le 2 décembre 1815 à Mardyke House, Clifton (Bristol, Angleterre), fils de John Haythorne et de Mary Curtis ; décédé le 7 mai 1891 à Ottawa.
Quand Robert Poore Haythorne arriva à l’Île-du-Prince-Édouard à bord du Glenburnie en octobre 1841, son avenir s’annonçait bien. Âgé de 25 ans, il venait rejoindre son frère aîné Edward Curtis qui avait immigré quelques années auparavant et avait acquis 10 000 acres sur la rivière Hillsborough, à Marshfield. Cette terre, où vivaient à la fois des squatters et des cultivateurs à bail qui en avaient loué des parcelles pour 999 ans, était encore en grande partie couverte de forêts mais elle était très propice à l’agriculture.
Le jeune Haythorne n’était pas un colon dépourvu de ressources. Son père, John Haythorne, était un prospère marchand de laine et un ancien maire de Bristol, et son grand-père, Joseph Haythorne, un banquier et fabricant de verre dans la même ville. Robert avait fréquenté des écoles privées de Bristol avant de parcourir l’Europe durant plusieurs années pour parfaire son éducation. En venant rejoindre son frère à l’Île-du-Prince-Édouard, il allait grossir encore la fortune familiale. Il arrivait dans une colonie en pleine croissance, qui jouissait d’une prospérité agricole générale. Pour des hommes fortunés, instruits et ambitieux, c’était une époque particulièrement prometteuse. Les frères Haythorne se taillèrent rapidement une réputation de fermiers progressistes, respectés tant de leurs locataires que des autres propriétaires terriens. Edward, par exemple, fut nommé au Conseil législatif en 1849. Sa mort en 1859 allait toutefois laisser à Robert seul la tâche de régler les problèmes domestiques et agricoles.
Après un voyage en Angleterre en 1860, Haythorne revint à l’Île-du-Prince-Édouard et, le 28 mai 1861, épousa Elizabeth Radcliffe Scott, la fille aînée de Thomas Scott, immigrant irlandais établi dans l’île depuis 1812. Leur premier fils, Edward Curtis, naquit en 1862, et leur second, Thomas Joseph, en 1863. Le bonheur du jeune ménage fut toutefois brusquement interrompu : en route vers Belfast pour visiter sa famille, Elizabeth mourut en septembre 1864 près de Liverpool, en Angleterre. Haythorne devait dès lors élever seul ses deux jeunes enfants tout en s’occupant d’administrer ses terres de l’île.
Bien qu’il, ait été l’un des principaux agriculteurs et propriétaires terriens de l’Île-du-Prince-Édouard, Haythorne adopta une position réformiste sur la question des terres qui causa tant d’agitation politique dans les années 1860. En 1866, il avait aboli la tenure à bail sur son domaine et vendu des terres à ses locataires et aux squatters pour 2 $ l’acre. Ses initiatives lui valurent l’appui de ses anciens cultivateurs à bail et d’autres personnes de la région de Marshfield et, en 1867, la population du 2e district du comté de Queens l’élut au Conseil législatif. Haythorne arrivait sur la scène politique à une période critique de l’histoire de l’île, une période où les élus devaient débattre des difficiles questions de la Confédération, de la réforme foncière, de la construction du chemin de fer et de la controverse religieuse. Il allait jouer un rôle important dans chacun de ces dossiers. Fermement convaincu de la nécessité de résoudre le problème des terres, doutant par ailleurs des avantages que procurerait la Confédération, il fit toujours entendre la voix de la raison et de la modération dans le débat sectaire souvent pénible.
Le gouvernement conservateur de James Colledge Pope* remit sa démission quelques semaines seulement après l’élection de Haythorne. Les libéraux de George Coles* le remplacèrent et Haythorne entra au cabinet. En 1869, comme Coles avait démissionné pour des raisons de santé et que son successeur, Joseph Hensley, avait été nommé à la magistrature, Haythorne devint premier ministre de la colonie. Il arrivait à ce poste déterminé à régler la question des terres, profondément sceptique à l’égard de la Confédération et plutôt enclin à voir la réciprocité avec les États-Unis comme une possibilité intéressante pour l’île. L’année précédente, le Congrès américain avait envoyé à Charlottetown un comité dirigé par le major général Benjamin Franklin Butler et chargé d’étudier la question du libre-échange avec la colonie. Haythorne avait estimé que cette mission pouvait ouvrir les perspectives économiques de l’île, car celle-ci avait connu une prospérité sans précédent durant la période de réciprocité, de 1854 à 1866.
L’intérêt que ses hommes politiques portaient à un accord distinct de réciprocité avec les États-Unis aida l’île à décrocher de « meilleures conditions » de la part du gouvernement canadien qui, avec les autorités impériales, cherchait depuis un certain temps déjà à inciter la colonie à entrer dans la Confédération. En janvier 1870, le gouvernement de Haythorne rejeta néanmoins la nouvelle proposition, considérant qu’elle ne forçait pas le gouvernement britannique à régler la question des terres. De l’avis de Haythorne, les habitants de l’île et leur futurs représentants au Parlement fédéral compromettraient tout simplement leur indépendance s’ils acceptaient les 800 000 $ que les Canadiens offraient pour désintéresser les propriétaires absentéistes de l’île. Fait peut-être plus important encore, le dominion n’avait pas affecté d’argent pour la construction du chemin de fer dans la colonie. Or, Haythorne estimait que le chemin de fer était capital pour le développement de l’île, mais que ses contribuables n’étaient probablement pas en mesure de le payer. L’avenir devait lui donner raison.
Aux élections générales de juillet 1870, la population reportait les libéraux de Haythorne au pouvoir avec une majorité de quatre voix. Il semblait donc qu’elle appuyait la position du gouvernement sur la Confédération. Mais la controverse religieuse allait bientôt sonner le glas du cabinet. Haythorne, un anglican, était favorable aux subventions aux écoles catholiques demandées par Mgr Peter McIntyre, tout comme deux autres membres du Conseil exécutif, Andrew Archibald Macdonald* et George William Howlan*. Malheureusement, quatre de leurs collègues, dont William Warren Lord*, s’y opposaient, et le gouvernement fut forcé de démissionner. Pope, le chef conservateur, réussit à former une coalition, mais seulement après avoir promis d’éviter la question scolaire durant quatre ans.
Tout comme celui de Haythorne, le gouvernement de Pope était convaincu de la nécessité du chemin de fer. Après l’adoption d’un projet de loi en 1871, on commença à construire, sous la direction de l’ingénieur Collingwood Schreiber*, une ligne entre Charlottetown et Alberton à l’ouest et Georgetown à l’est. L’enthousiasme débordant des gens de l’île pour la séduisante technologie du chemin de fer se transforma bientôt en ressentiment et en colère. Des accusations de dépassement de crédit, de corruption et de trafic d’influence forcèrent Pope à inviter la population aux urnes en avril 1872. Haythorne redevint premier ministre et s’engagea peu après à prolonger immédiatement le chemin de fer jusqu’aux confins de l’île, soit jusqu’à Souris à l’est et Tignish à l’ouest. Aucun gouvernement, il le voyait bien, ne pourrait conserver le pouvoir s’il ne tenait pas compte de cette exigence [V. Edward Palmer*]. Toutefois, comme lui et le lieutenant-gouverneur William Cleaver Francis Robinson l’avaient prévu, les insulaires s’endettèrent au delà de leurs moyens en voulant faire en sorte que le chemin de fer relie toutes les villes importantes de la colonie. Plutôt à contrecœur, Haythorne rouvrit les négociations avec le gouvernement de sir John Alexander Macdonald au sujet de la Confédération.
Haythorne et son collègue au cabinet, David Laird*, commencèrent les discussions en février 1873 à Ottawa. Au début de mars, ils en étaient arrivés à une entente, en grande partie grâce aux bons offices de Samuel Leonard Tilley. L’offre du gouvernement canadien était généreuse et comprenait la prise en charge du chemin de fer, le règlement de la dette coloniale et le versement de 800 000 $ pour acheter les terres des propriétaires fonciers et la promesse de maintenir en tout temps la communication, par bateau à vapeur, avec le continent. Après l’adoption d’une entente provisoire à Ottawa, le Parlement de l’île fut dissout et, aux élections d’avril, les conservateurs de Pope reprirent le pouvoir. Ils arrachèrent quelques concessions mineures au dominion puis, une fois les conditions de l’union approuvées, le gouvernement de Pope fit entrer l’Île-du-Prince-Édouard, quelque peu réticente, au sein de la Confédération le 1er juillet 1873. Haythorne pouvait au moins prétendre à une copaternité comme Père de la Confédération.
En reconnaissance de ses services, on nomma Haythorne au Sénat, où il entra au milieu du tumulte déclenché par le scandale du Pacifique [V. sir John Alexander Macdonald ; sir Hugh Allan*]. Sénateur jusqu’à sa mort en 1891, Haythorne ne cessa jamais de préconiser le libre-échange avec les Etats-Unis et de veiller à ce qu’on améliore les communications et les transports dans l’île. Il avait continué à s’intéresser à sa ferme de Marshfield, mais ses deux fils choisirent une autre voie que l’agriculture. Thomas émigra en Angleterre et y pratiqua la médecine ; il mourut en 1920 et fut inhumé à côté de sa mère à Liverpool. Edward émigra en Nouvelle-Zélande et ne revint jamais. À la fin des années 1880, incapable de s’occuper à la fois de sa ferme et de sa carrière politique, Haythorne vendit sa terre de Marshfield et acheta une maison à Charlottetown. Il mourut seul au Grand Union Hotel d’Ottawa en mai 1891.
Les auteurs de ses notices nécrologiques décrivirent Robert Poore Haythorne comme un « voisin digne d’estime » et un modèle d’« homme raisonnable », qui avait aidé dans la « lutte pour la libération de l’asservissement aux propriétaires ». Haythorne aurait apprécié qu’on résume ainsi sa vie.
PAPEI, Acc. 2576.— PRO, CO 226.— Î.-P.-É., House of Assembly, Debates and proc., 1867–1873.— Examiner (Charlottetown), 1867–1873.— Patriot (Charlottetown), 1867–1873.— Bolger, P.E.I. and confederation.— Canada’s smallest prov. (Bolger).— W. E. MacKinnon, The life of the party : a history of the Liberal party in Prince Edward Island (Summerside, Î.-P.-É., 1973).— I. R. Robertson, « Religion, politics, and education in P.E.I. ».
Andrew Robb, « HAYTHORNE, ROBERT POORE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/haythorne_robert_poore_12F.html.
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Auteur de l'article: | Andrew Robb |
Titre de l'article: | HAYTHORNE, ROBERT POORE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
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