POPE, JOSEPH, homme d’affaires, fonctionnaire, officier de milice et homme politique, né le 20 juin 1803 à Turnchapel, Angleterre, fils de Thomas Pope et d’Ann Hase ; le 19 août 1824, il épousa, probablement à Charlottetown, Lucy Colledge (décédée en 1828), et ils eurent deux fils, William Henry* et James Colledge*, puis le 18 février 1830, probablement à Bedeque, comté de Prince, Eliza Campbell, et enfin le 21 novembre 1848, à Liverpool, Angleterre, Eliza M. Cooke ; décédé le 3 septembre 1895 à Charlottetown.
Le père de Joseph Pope était marchand et constructeur de navires à Plymouth. Son frère et ses demi-frères devinrent marchands ou ministres méthodistes. Lui-même fit ses études à West Hore, Plymstock, et en 1819 il rejoignit son frère William et son demi-frère John Pope à l’Île-du-Prince-Édouard, où ils exploitaient une entreprise dès 1817. Les Pope faisaient partie des marchands du sud-ouest de l’Angleterre qui faisaient le commerce du bois de l’île afin de profiter des débouchés qu’avait créés le blocus des ports de la Baltique par Napoléon. Le centre de la plupart de leurs activités se trouvait à Bedeque, sur la côte sud, et les Pope devinrent des notables de ce petit village à prédominance méthodiste en combinant l’abattage et l’expédition du bois à l’approvisionnement de la population agricole de plus en plus nombreuse qui vivait sur les rives de la baie Bedeque. John rentra en Angleterre en 1823, puis William fit de même en 1828 ; Joseph avait alors pris en main les affaires familiales dans la colonie et était même en passe d’être le plus gros marchand à l’ouest de Charlottetown. Devenu en 1828 agent de Horatio Mann, qui possédait des terres près de Bedeque, il le resterait jusqu’à son départ de l’île, en 1853. Son fils James prendrait sa succession et achèterait la propriété de Mann trois ans plus tard. De plus, Joseph construisait des navires ; les registres le désignent comme propriétaire et constructeur de quatre bâtiments lancés entre 1838 et 1850.
Même avant d’entrer en politique, Joseph Pope accumula des commissions et des charges qui reflètent l’influence qu’il avait dans son milieu. Une liste dressée en 1838 énumère 18 postes qu’il avait occupés au fil des ans, dont celui de major de la milice du comté de Prince, receveur des taxes foncières et percepteur de l’impôt et de l’accise. Les honoraires que rapportaient bon nombre de ces fonctions s’ajoutaient à sa fortune, qui neçessait de croître.
Pope avait amorcé sa carrière politique à l’automne de 1830 en remportant l’un des sièges de la circonscription de Prince à la chambre d’Assemblée. Il succédait à son beau-père, Alexander Campbell, et fut constamment réélu jusqu’à son départ de l’île en 1853. À la chambre, il se passionnait pour les questions d’intérêt local, telle la nécessité de nommer des sous-receveurs des douanes dans les petits ports de pêche (on créa un poste de ce genre à Bedeque en 1832 qu’il fut d’ailleurs le premier à occuper). C’est en s’opposant au groupe de l’escheat, porté au pouvoir en 1834, qu’il commença à se distinguer comme l’un des porte-parole des propriétaires. L’un de ses premiers grands discours suivit, en 1836, la présentation à la chambre d’une requête dans laquelle des cultivateurs à bail de la circonscription de Prince réclamaient la confiscation des terres dont les propriétaires n’avaient pas rempli leurs engagements. Présent à la réunion au cours de laquelle on avait rédigé la pétition, il prétendait, dans ce discours, que les participants s’étaient laissés berner par quelques orateurs habiles venus de l’extérieur du comté. Il rejeta la requête car, disait-il, elle ne reflétait pas du tout la volonté des résidents de Prince. L’année suivante, il dirigea un groupe de députés dans leur tentative de se dissocier des propositions incendiaires adoptées le 20 décembre 1836 à la réunion de Hay River, où William Cooper* avait joué un rôle important. Les partisans de l’escheat, déclara-t-il, n’étaient qu’« une poignée d’individus mécontents, intrigants et ignorants ». On ne saurait douter que ses commentaires envenimèrent un débat déjà passionné (à un moment donné, Cooper, John Windsor LeLacheur et John MacKintosh* furent expulsés de la chambre).
Pope fit partie de la délégation choisie par l’Île-du-Prince-Édouard pour aller rencontrer lord Durham [Lambton*] à Québec en 1838. Dans une note d’introduction, le lieutenant-gouverneur, sir Charles Augustus FitzRoy*, le qualifiait d’« homme réaliste très astucieux ». Comme Pope et les autres délégués, dont George R. Dalrymple*, Robert Hodgson* et George Wright*, présentèrent à Durham des opinions conformes à celles qu’avait déjà exprimées FitzRoy, ils eurent peu d’influence sur les conclusions auxquelles Durham en arriva au sujet de la colonie.
FitzRoy éleva Pope au Conseil exécutif en 1839. Tout en étant un honneur, cette nomination l’exposait davantage à des critiques de la part de l’Assemblée, qui était populiste. La constante opposition du conseil aux propositions du parti de l’escheat en vue d’une réforme du régime foncier accrut les conflits entre les deux groupes. En 1841, l’Assemblée adopta une proposition où l’on énumérait les liens de parenté qui existaient entre les conseillers législatifs et exécutifs. Certains avaient des liens serrés, mais Pope n’était, par alliance, que le parent éloigné d’un conseiller, Wright. Pourtant, la proposition le qualifiait de « partisan du gouvernement » et d’« agent des propriétaires ». Comme il était l’un des principaux porte-parole des propriétaires fonciers, la seconde épithète lui fit peut-être plaisir. En 1836, il avait défendu sa position sur la question foncière en sommant les députés de dire si l’un d’entre eux « refuserait un poste d’agent foncier » si on le lui offrait. En sa qualité d’agent foncier, Pope appartenait effectivement à un groupe d’intérêts bien déterminé dans la vie politique de l’île. Rarement propriétaires eux-mêmes de biens-fonds de quelque valeur, les agents avaient beaucoup à perdre d’un bouleversement du régime foncier. Après la débâcle du parti de l’escheat au scrutin de 1842, Pope vit son leadership du groupe conservateur de l’Assemblée confirmé par son élection à la présidence de la chambre en 1843.
L’arrivée de sir Henry Vere Huntley* en 1841 avait inauguré une période au cours de laquelle Pope, jouant le double rôle de conseiller exécutif et, de 1843 à 1849, de président de l’Assemblée, entra directement en conflit avec le lieutenant-gouverneur. De son fauteuil de président, il appuya l’Assemblée lorsqu’elle tenta d’obtenir la haute main sur les revenus de la couronne et bloqua une proposition qui visait à augmenter le salaire de Huntley, geste pour le moins inattendu de la part d’un conseiller du lieutenant-gouverneur. Selon l’historien Walter Ross Livingston, le conflit entre Pope et Huntley s’inscrivait dans la lutte pour obtenir un gouvernement responsable dans la colonie, et l’on a communément accepté de voir en Pope un homme qui tentait d’arracher la direction des affaires publiques au lieutenant-gouverneur. Pourtant, la correspondance qu’ils adressèrent au ministère des Colonies révèle aussi bien une animosité personnelle qu’un désaccord constitutionnel. En 1845, étant donné que la précarité des finances de la colonie et que sa dépendance à l’égard des bons du Trésor soulevaient des inquiétudes, l’Assemblée et le Conseil législatif adoptèrent un projet de loi en vue d’augmenter le nombre de ces bons. Pope crut que Huntley avait consenti à en recommander l’acceptation à Londres. Or, l’année suivante, on apprit que Huntley avait plutôt déconseillé la sanction royale et commenté favorablement une requête contre le projet de loi qu’il avait transmise au ministère des Colonies. Pope condamna sévèrement ces gestes au cours d’un débat à l’Assemblée, et après avoir lu, dans l’Islander, le compte rendu de ces violents commentaires, Huntley le suspendit du Conseil exécutif. En agissant sans consulter les autres conseillers comme il était tenu de le faire, Huntley allait s’aliéner totalement Pope et le ministère des Colonies. L’Assemblée appuya Pope et déclara qu’en le suspendant, Huntley brimait la liberté des débats à la chambre. Le mécontentement que suscitait le lieutenant-gouverneur, et qui avait amené conservateurs et réformistes à s’entendre pour demander son rappel, se cristallisa autour du conflit de Pope et Huntley.
Le secrétaire d’État aux Colonies, William Ewart Gladstone, refusa de sanctionner un changement dans la composition du conseil sans que les membres en aient discuté. Après avoir lu la volumineuse correspondance sur le sujet, son successeur, lord Grey, accepta l’opinion du ministère des Colonies, à savoir que toute cette affaire était « futile et insensée », et en septembre 1846 il ordonna à Huntley de réintégrer Pope dans ses fonctions. À peine Huntley l’avait-il fait que Pope démissionna. Sa lettre de démission, qui s’étalait sur 19 pages, était si haineuse (il accusait Huntley d’avoir « l’esprit dérangé ou [d’être dans] une disposition des plus méchantes ou injustes ») que le ministère des Colonies accepta son départ sans hésiter. À l’été de 1847, Pope, Andrew Duncan et Edward Palmer*, tous des conservateurs en vue, traversèrent l’Atlantique pour réclamer le rappel à Londres de Huntley. En décembre, ils revenaient en compagnie du nouveau lieutenant-gouverneur, sir Donald Campbell* ; ils s’attribuèrent le mérite de sa nomination mais, en fait, elle était décidée avant leur arrivée en Angleterre. Puis, pendant la session de 1849, à mesure que le mouvement en faveur du gouvernement responsable prenait de l’ampleur, Pope, par instinct de survie politique, abandonna les conservateurs et appuya les réformistes sur plusieurs questions. Aux élections de février 1850, ce n’était plus lui mais Palmer qui dirigeait les tories. Même s’il ne figurait pas au Conseil exécutif – ou cabinet (le premier à être formé sous le gouvernement responsable) – dont George Coles* annonça la formation en avril 1851, il fut invité à s’y joindre ce mois-là à titre de trésorier de la colonie.
De toute évidence, Pope avait envisagé dès 1850 de procéder à un grand changement dans sa vie, car il avait alors mis toutes ses propriétés en vente. À ce moment-là, il possédait, à Bedeque, une vaste ferme où étaient situés le chantier naval et le commerce qui lui avaient assuré la plus grande partie de ses revenus. Bien qu’il n’ait pas été un grand propriétaire terrien, il avait d’autres propriétés, dont un millier d’acres de terre en friche et au moins six autres fermes. Cependant, il ne s’illusionnait guère sur le sort d’un fermier sans ressources et, en 1842, il avait conseillé à son fils William d’éviter une « vie de pénible labeur » en choisissant l’étude du droit. À la fin de juillet 1853, il quitta le Conseil exécutif, refusa de se présenter aux élections générales qui devaient se tenir cet été-là et abandonna les nombreuses petites fonctions qu’il exerçait. À la mi-août, il quitta l’île avec sa femme à bord d’un schooner qu’il avait aménagé « dans un style élégant » afin d’aller s’installer en Australie. Le mal de mer dont souffrit Mme Pope imposa toutefois une fin prématurée au voyage à Liverpool, où Pope allait demeurer 15 ans. Son frère William y exerçait alors la fonction d’inspecteur pour la Lloyd’s de Londres, et peut-être avait-il d’autres parents dans la ville. Dans les bottins municipaux, il figure comme constructeur de navires et marchand. Il dirigea la section anglaise d’une entreprise transatlantique de courtage et de commerce maritime dont son fils James était le principal représentant à l’Île-du-Prince-Édouard. Il vendit d’ailleurs sur le marché de Liverpool des navires construits dans l’île, dont un bon nombre provenaient des chantiers de James.
Quand Pope retourna à l’Île-du-Prince-Édouard, en 1868, la question de l’heure était la Confédération. Ses deux fils appuyaient ce projet et jouaient un rôle important dans le débat, et apparemment il ne tarda pas à leur apporter son soutien. Au début de 1870 eut lieu la fondation de la Union Association of Prince Edward Island, dont il devint l’un des vice-présidents. En septembre, James devint premier ministre de l’île et nomma son père trésorier de la colonie et directeur de la Savings Bank de Charlottetown. Dès lors, Joseph Pope fut rarement loin des cercles d’administration financière. Après l’entrée de l’île dans la Confédération, en juillet 1873, son poste à la banque passa sous la compétence du dominion, et il devint vérificateur et directeur. Sa nomination devint officielle au début de novembre, mais le nouveau gouvernement d’Alexander Mackenzie l’annula seulement une semaine plus tard. Après ce revers, il devint trésorier de la province puis, deux ans plus tard, commissaire des terres de la couronne et des terres publiques. Les conservateurs, qui avaient repris le pouvoir à Ottawa en 1878, le réintégrèrent dans ses fonctions fédérales en 1880. En 1879, son fils James, alors ministre du cabinet fédéral, avait tenté de le faire nommer lieutenant-gouverneur de l’île, mais le poste était allé à Thomas Heath Haviland. En 1883, à l’âge de 80 ans, Joseph Pope prit enfin sa retraite ; il coula des jours paisibles jusqu’à sa mort, 12 ans plus tard. Ses deux enfants étaient décédés avant lui.
Contrairement à son fils William Henry, qui anima les rubriques des journaux à la fois à titre de rédacteur en chef et de collaborateur, Pope figura rarement dans la presse, sinon lorsque l’on rapportait les débats de l’Assemblée. En fait, il avait protesté en 1836 qu’« il n’avait pas de don pour scribouiller ». Par contre, il était redoutable dans les débats. Lorsqu’il démissionna de l’Assemblée, la Royal Gazette déclara qu’on avait rarement vu, à la chambre, un meilleur président et un homme d’État plus chevronné. Pourtant, ses interventions n’avaient pas toujours été élégantes, surtout dans les premiers temps de sa carrière. Par exemple, en 1836, on l’avait sommé de s’excuser de sa conduite envers le président et, comme il refusait les termes de l’excuse dictée par la chambre, il passa plus d’une semaine sous la garde du sergent d’armes avant de se soumettre. Bien que les élans de passion et les insultes n’aient pas été rares à l’Assemblée coloniale, il apparaît que Pope avait un tempérament particulièrement vif et qu’il était enclin aux fortes aversions. Dans ses dernières années, la notoriété politique de ses fils éclipsa la sienne. Il survécut à presque tous ses collègues politiques et, à la fin de sa vie, il semble qu’il se soit isolé des querelles de l’Assemblée provinciale. Ses notices nécrologiques furent assez brèves et signalèrent qu’il avait été lié à d’importants événements politiques survenus près d’un demi-siècle auparavant.
La renommée de Joseph Pope tient en partie à sa longévité et à ses acrobaties politiques. La facilité avec laquelle il abandonna les conservateurs et entra au premier cabinet réformiste formé sous le gouvernement responsable laisse penser qu’il pourrait bien mériter le qualificatif que James Murray Beck a donné au Néo-Écossais Joseph Howe*, celui de « réformiste conservateur ». Toutefois, elle pourrait aussi être un indice du pragmatisme avec lequel l’homme d’affaires qu’était Pope envisageait la politique. Après avoir vécu près de 15 ans loin de la mesquinerie de la politique coloniale, il put revenir sous les traits d’un grand homme d’État et bénéficier du parrainage de son fils.
AN, MG 24, A27, 19 : 624 ; MG 26, A : 15600.— Devon Record Office (Exeter, Angl.), 694/5 (Turnchapel, reg. of births, marriages, and burials, 1789–1812).— PAPEI, Acc. 2574 ; RG 9, 2 ; RG 16, land registry records.— P.E.I. Museum, File information concerning Joseph Pope and his family.— PRO, CO 226/70 : 171, 208, 296.— Î-P.-É., House of Assembly, Journal, 17–23 févr. 1836, 3 févr. 1837, 23 avril 1841 ; app., 1840–1841.— Charlottetown Herald, 4 sept. 1895.— Daily Examiner (Charlottetown), 3 sept. 1895.— Daily Patriot (Charlottetown), 3 sept. 1895.— Examiner (Charlottetown), 18 déc. 1848.— Haszard’s Gazette (Charlottetown), 2 sept. 1851, 27 janv. 1852.— Islander, 28 janv. 1870.— P.E. Island Agriculturist (Summerside), 7 sept. 1895.— Prince Edward Island Register (Charlottetown), 23 févr. 1830.— Royal Gazette (Charlottetown), 29 mars 1836.— Canadian biog. dict.— Gore’s directory of Liverpool and its environs [...] (Liverpool, Angl.), 1855 ; 1857 ; 1862.— Bolger, P.E.I. and confederation, 205.— G. A. Leard, Historic Bedeque ; the loyalists at work and worship in Prince Edward Island : a history of Bedeque United Church (Bedeque, 1948).— W. R. Livingston, Responsible government in Prince Edward Island : a triumph of self-government under the crown (Iowa City, 1931).
H. T. Holman, « POPE, JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pope_joseph_12F.html.
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Auteur de l'article: | H. T. Holman |
Titre de l'article: | POPE, JOSEPH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |