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GAULTIER DE VARENNES ET DE LA VÉRENDRYE, PIERRE (il porta également le nom de Boumois), officier, trafiquant de fourrures, explorateur, né le 17 novembre 1685 à Trois-Rivières, fils de René Gaultier* de Varennes et de Marie Boucher, décédé le 5 décembre 1749 à Montréal.
Les Gaultier étaient originaires de la région d’Angers, en France, où leur nom figure pour la première fois vers le milieu du xvie siècle. Ils avaient un rang important parmi les notables de la région. C’était une famille de riches propriétaires terriens ; Varennes et La Vérendrye étaient les noms de deux de leurs domaines. Ses membres occupèrent des postes dans l’armée, la magistrature et l’administration. Dès 1600 ils avaient des armoiries, bien qu’appartenant au tiers état.
René Gaultier de Varennes, père de Pierre, vint au Canada en septembre 1665 en qualité de lieutenant dans le régiment de Carignan-Salières. Sa compagnie fut cantonnée dans le gouvernement de Trois-Rivières, au cours de l’hiver qui suivit son arrivée. C’est sans doute à cette époque qu’il se lia avec Pierre Boucher*, gouverneur de l’endroit, dont il épousa la fille, Marie, âgée de 12 ans, en septembre 1667. René s’alliait ainsi avec une des familles les plus distinguées de la Nouvelle-France et, comme il l’avait sans doute escompté, ses perspectives d’avenir s’en accrurent grandement. Il devint gouverneur de Trois-Rivières lorsque Boucher abandonna son poste en 1668, et Talon*, puis Frontenac [Buade*], lui concédèrent des seigneuries. Il en acquit du prestige mais peu de fortune bien qu’il se soit occupé de traite de fourrures. Il laissa sa famille sans ressources lorsqu’il mourut en 1689.
Treize enfants étaient nés de son mariage dont huit, quatre garçons et quatre filles, atteignirent l’âge adulte. Pierre était le benjamin et il fut le seul à atteindre la notoriété. D’autres méritent qu’on les mentionne : Louis, l’aîné, lequel hérita du nom de La Vérendrye (Pierre, qui portait le nom de Boumois, s’appellera La Vérendrye après la mort de Louis), quitta le Canada pour la France, entra dans l’armée et fut tué au cours de la guerre de la Succession d’Espagne, en 1706 ou 1707 ; Jacques-René, qui fut officier dans les troupes de la Marine, et Marie-Renée, née en 1682, qui épousa en premières noces François-Christophe Dufrost de La Gemerais. Un de leurs fils, Christophe*, fut le « second » de Pierre dans l’Ouest, de 1731 à 1736.
Pierre commença des études secondaires au séminaire de Québec qu’il fréquenta de 1696 à 1699. Mais déjà il avait opté pour la carrière militaire. Il reçut une commission de cadet dans les troupes de la Marine en 1696 et prit une part active aux opérations qui marquèrent la Guerre de la Succession d’Espagne. Il faisait partie de l’expédition composée de Français et d’Indiens que commandait Jean-Baptiste Hertel* de Rouville et qui attaqua Deerfield, Massachusetts, en 1704 ; l’année suivante, il prit part aux campagnes de Terre-Neuve, sous les ordres de Daniel d’Auger* de Subercase. Peu après, il fut promu au grade d’enseigne. Ce grade n’étant pas très élevé, Pierre décida de poursuivre sa carrière en France où il escomptait de meilleures chances d’avancement. Il y débarqua en 1708 et entra dans le régiment de Bretagne, régiment dans lequel Louis avait servi jusqu’à sa mort, avec le grade de sous-lieutenant. Il fut grièvement blessé par une décharge d’arme à feu et par huit coups de sabre à la bataille de Malplaquet, le 11 septembre 1709, et fait prisonnier. Lorsqu’il fut libéré, en 1710, il reçut le grade de lieutenant.
Ce grade entraînait des obligations sociales coûteuses qui engouffraient plus que sa solde. La Vérendrye se rendit compte qu’il ne pouvait subvenir à ses besoins et sollicita de la cour la permission de retourner au Canada. On accéda à sa demande le 24 mai 1712. Il s’embarqua en juillet, guère plus avancé qu’à son arrivée, quatre ans plus tôt. Son grade de lieutenant dans l’armée française fut annulé et, en quittant la colonie, il avait perdu sa commission d’enseigne dans les troupes canadiennes. Heureusement pour lui, on le réintégra dans ce grade, grâce à l’influence de madame de Vaudreuil [Joybert*], qui à cette époque, vivait à la cour et intercéda en sa faveur.
Le 24 octobre 1712, à peine de retour au Canada, La Vérendrye épousa Marie-Anne, fille de Louis Dandonneau Du Sablé, à qui il s’était fiancé peu avant de s’embarquer pour la France. Dandonneau, qui était un des riches propriétaires terriens de Trois-Rivières, donna en dot à sa fille 2 000#, en plus de terres sur l’Île Dupas et sur l’île aux Vaches, dans le lac Saint-Pierre. Le couple s’établit à l’île aux Vaches et vécut dans la retraite pendant les 15 années qui suivirent. Ils eurent six enfants : quatre fils et deux filles ; ils défrichèrent 38 arpents qu’ils mirent en culture. Pour arrondir le modeste revenu de ses terres, La Vérendrye jouissait des rentes du fief du Tremblay hérité de sa famille, de sa solde d’enseigne et des bénéfices du poste de traite des fourrures de La Gabelle, que son père avait fondé sur la rivière Saint-Maurice. En 1715, Claude de Ramezay*, gouverneur intérimaire de la Nouvelle-France, accorda à La Vérendrye la permission de s’y rendre faire la traite avec les Indiens quelques semaines chaque année. Malgré ces revenus d’appoint, il était loin d’être riche. Seuls les emprunts et le morcellement de ses terres lui permirent de joindre les deux bouts.
En 1725, La Vérendrye, abordant la quarantaine, pouvait difficilement qualifier sa vie de réussite. Sa carrière militaire s’était éteinte en 1712 et, depuis ce temps, il avait tout au plus arraché sa subsistance à la terre et à la traite des fourrures. Mais la troisième et la plus riche étape de sa vie était sur le point de commencer. En 1726, on confia à son frère Jacques-René le commandement du poste du Nord, qui englobait une vaste région au nord du lac Supérieur. Le poste principal était situé à Kaministiquia (Thunder Bay, Ont.), avec dépendances à Nipigon (près de l’embouchure de la rivière Nipigon) et à Michipicoton, au nord de Sault-Sainte-Marie. Au cours de l’année qui suivit, Jacques-René forma une société dans le but de faire la traite des fourrures dans cette région ; il prit des engagés, emprunta de divers marchands l’argent nécessaire à l’achat d’articles de traite. La Vérendrye fit partie de la société à titre de commandant en second puis devint commandant en chef en 1728, lorsque son frère quitta le poste pour prendre part à la guerre contre les Renards. Autant qu’on en puisse juger, c’est à cette époque que germa dans son esprit l’idée de découvrir la mer de l’Ouest. Jusqu’en 1726, il n’avait cessé de garder les yeux tournés vers la France, car il envisageait toujours d’entreprendre un voyage dans la mère patrie pour tenter de recouvrer son grade de lieutenant perdu 14 ans plus tôt.
Cette recherche de la mer de l’Ouest, qui commençait à retenir l’attention de La Vérendrye, remonte aux premiers jours de la présence française en Amérique du Nord. Depuis l’époque de Verrazzano* et de Cartier*, tous les explorateurs, les uns après les autres, avaient tenté de découvrir ce prétendu raccourci pour atteindre le lointain orient. Nébuleuse au départ, cette idée de la mer de l’Ouest avait pris vers la fin du xviiie siècle des traits de mieux en mieux définis grâce à l’image plus claire que les Français se formaient de la géographie de l’Amérique du Nord. Ils avaient acquis la certitude que la masse continentale était entamée au nord et au sud par des golfes profonds, le golfe du Mexique au sud-est, le golfe de Californie (mer Vermeille) au sud-ouest, la baie d’Hudson (mer Glaciale) au nord. On savait que le golfe de Californie était relié à l’océan Pacifique et on était porté à croire qu’il en était de même pour la baie d’Hudson. Se fondant en partie sur ce schéma géographique et en partie sur les informations des Indiens, les Français conclurent à l’existence, dans les latitudes médianes du continent américain, d’une mer de l’Ouest (mer du couchant), semblable à un golfe et qui s’ouvrait sur le Pacifique. Pour tout dire, La Vérendrye se lançait à la poursuite d’un mirage.
Après la mort de Louis XIV, en 1715, la découverte de ces eaux qui n’existaient encore que dans l’imagination devint une question pressante. Le régent, Philippe, duc d’Orléans, qui gouvernait le pays au nom du jeune roi Louis XV, s’intéressait vivement aux aspects géographiques et scientifiques du problème, à l’instar de certains hauts personnages influents de son entourage, les cartographes Claude et Guillaume Delisle, l’abbé Jean Bobé. Les Canadiens portaient également un certain intérêt à la question mais pour des motifs d’ordre plus pratique. La mise en œuvre de ce projet entraînerait, prévoyaient-ils, la construction d’une chaîne de postes dans le Nord-Ouest, et ces postes contribueraient à rétablir le réseau de traite des fourrures qui avait sérieusement souffert de la cession de la baie d’Hudson aux Anglais, en 1713.
Dans les années 20, les Français savaient encore peu de chose de l’intérieur du continent ; le point le plus profond de pénétration au cœur du pays dont les documents du temps fassent mention est le lac La Pluie ou Tekamamiouen (Rainy Lake, Ont.), atteint par Jacques de Noyon, en 1688 ; néanmoins l’idée de l’Ouest était fermement ancrée chez ceux qu’intéressaient les découvertes et les explorations. Ils croyaient à l’existence, quelque part au cœur du continent, de terres hautes, ou ligne de partage des eaux, qu’ils pourraient atteindre par un cours d’eau coulant vers l’est. Au sommet de ces terres hautes, ils trouveraient, pensaient-ils, la source d’un autre fleuve se jetant dans la mer de l’Ouest. Cette conception de l’intérieur du pays était assez juste si on substitue à la mer de l’Ouest le nom d’océan Pacifique, et c’était celle de La Vérendrye ; néanmoins, les Français n’avaient pas la moindre idée de l’immensité des distances en jeu. Les renseignements que Noyon avait obtenus des Indiens précisaient que la mer de l’Ouest se trouvait sur la même latitude que le lac Ouinipigon (Winnipeg), que le bassin hydrographique se trouvait dans le voisinage du lac des Bois (Lake of the Woods, Ont.) et que le cours d’eau qui coulait vers l’ouest était la rivière Ouinipigon (Winnipeg).
Il semblait donc que la mer de l’Ouest se trouvât à une distance praticable des lacs situés aux confins des régions connues (le réseau des lacs La Pluie et des Bois). En 1717, une expédition que commandait Zacharie Robutel* de La Noue se mit en route pour cette région avec instruction du gouverneur Vaudreuil [Rigaud*] de fonder une chaîne de trois postes dont le plus éloigné serait au lac des Bois. De cet avant-poste, quelques-uns de ses hommes pourraient se diriger vers la mer de l’Ouest. La Noue fonda un poste à Kaministiquia mais n’alla pas plus loin. L’hostilité qu’il rencontra chez les Indiens l’en empêcha. Déçue de cet échec, la cour, sur la recommandation du père de Charlevoix, qu’on avait envoyé en Amérique pour étudier personnellement la situation, renonça à la tentative d’atteindre la mer de l’Ouest par la route des lacs situés en bordure des prairies et décida qu’on partirait plutôt d’une base sur le Mississipi supérieur. Comme mesure préliminaire, on ouvrit en 1727 une mission sur le lac Pépin (Wisc.), au pays des Sioux, dans le but, entre autres, de recueillir des renseignements de la bouche même des Indiens touchant les routes possibles vers l’ouest [V. René Boucher de La Perrière ; Michel Guignas].
La Vérendrye modifia cette orientation. Pendant qu’il était commandant du poste du Nord, il interrogea les Indiens qui venaient y traiter sur le territoire qui s’étendait vers l’ouest et les réponses qu’il reçut le convainquirent que la route vers la mer passait en effet par les lacs en bordure des prairies et non par la vallée du Mississipi. Un chef cri du nom de Pako, qui s’était aventuré profondément dans ce territoire inconnu, lui donna quelques indications relativement au lac Ouinipigon et au réseau de cours d’eau qui l’entourait. L’esclave d’un vieux chef connu sous le nom de Vieux Crapaud décrivit de façon imagée le pays des Mandanes. Un autre Indien nommé Auchagah* dessina à son intention sur un morceau d’écorce, une carte de la région de l’Ouest. À partir de ces renseignements, La Vérendrye se fit sa propre représentation de l’intérieur du Canada. Elle offrait une amélioration par rapport aux conceptions antérieures en ce qui avait trait à la situation de la mer de l’Ouest, qu’il ne plaçait plus dans la région des lacs du Manitoba mais à une distance indéterminée vers l’ouest. La faille la plus importante consistait à se représenter le lac Ouinipigon non comme la pièce maîtresse d’un réseau de cours d’eau mais simplement comme un élargissement du fleuve de l’Ouest (comme on en vint à désigner le cours d’eau que l’explorateur recherchait). L’énigme majeure était l’identité (était-ce la Saskatchewan ou la Nelson ?) du fleuve qui prenait sa source dans le lac Ouinipigon et dont les marées montantes et descendantes devenaient perceptibles, disait-on, après dix jours de voyage. De toute façon, La Vérendrye en arriva à la conclusion, et il n’avait pas tort, que la solution du problème de la découverte se trouvait dans la région du lac Ouinipigon. Avec un poste sur ces eaux, les Français seraient en position stratégique pour entreprendre la poussée vers la mer de l’Ouest.
Pour La Vérendrye, la prochaine étape consistait à convaincre les autorités françaises du bien fondé de son plan. En 1728, à Michillimakinac, il fit la rencontre du jésuite Nicolas Degonnor, qui arrivait de la mission des Sioux et était en route pour Québec. Le missionnaire manifesta beaucoup d’intérêt pour les renseignements que La Vérendrye s’employait à réunir et consentit à transmettre au gouverneur les rapports et les cartes que le commandant avait dressés. La Vérendrye se rendit lui-même à Québec en 1730 et, à la suite des entrevues qu’il eut avec le gouverneur Charles de Beauharnois, son projet prit définitivement forme. La nature en est définie dans la dépêche rédigée conjointement par Beauharnois et Hocquart* et adressée à Maurepas, ministre de la Marine, au mois d’octobre 1730. Les deux hauts fonctionnaires y annonçaient leur projet d’envoyer La Vérendrye dans l’Ouest dès le printemps suivant afin de fonder un poste sur le lac Ouinipigon. Cet établissement aurait pour but, non seulement de faciliter la recherche de la mer de l’Ouest mais aussi d’aider au commerce français, vu la richesse de la région en pelleteries, ces pelleteries dont bénéficiaient jusqu’à présent les Anglais de la baie d’Hudson, par l’entremise des Cris. De plus, La Vérendrye pourrait entreprendre cette expédition sans qu’il n’en coûte rien à la couronne, sauf une modeste somme de 2 000# qui servirait à l’achat de présents pour les Indiens. Le ministre donna son consentement au projet, bien que Charlevoix, qu’il avait consulté, eût exprimé son désaccord touchant l’établissement de postes permanents ; il craignait que ces postes ne favorisent le commerce au détriment de l’exploration.
La façon dont l’expédition était organisée conférait, en effet, une grande importance au côté commercial. La Vérendrye, ne recevant de la cour qu’un appui pour ainsi dire symbolique, dut se tourner vers les marchands canadiens pour obtenir les fonds dont il avait besoin pour financer son entreprise. Entre mars et juin 1731, on mit sur pied une société de neuf membres, composée de quatre sous-sociétés distinctes. Elle comprenait La Vérendrye, son fils aîné, Jean-Baptiste*, son neveu, Christophe Dufrost de La Jemerais, et les marchands Louis Hamelin, Laurent-Eustache Gamelin Châteauvieux et Ignace Gamelin*, fils. Un règlement de Beauharnois nommait La Vérendrye commandant du poste qu’on construirait sur les bords du lac Ouinipigon et stipulait que l’explorateur, de même que ses associés, détiendraient pendant trois ans le monopole du commerce de la fourrure qui se ferait dans cette région. Il n’était pas fait mention dans le document en neuf articles de la recherche de la mer de l’Ouest.
Le 8 juin 1731, La Vérendrye partit de Montréal en compagnie de ses fils Jean-Baptiste, Pierre, François et d’environ 50 engagés. Le missionnaire jésuite Charles-Michel Mésaiger le rejoignit à Michillimakinac et ils continuèrent leur route jusqu’au Grand Portage, à l’extrémité occidentale du lac Supérieur, où ils arrivèrent le 26 août 1731. Rendus là, épuisés par les rigueurs du voyage et découragés à l’avance par les difficultés qui s’annonçaient, les engagés refusèrent d’aller plus loin. Toutefois, La Vérendrye et Mésaiger réussirent à convaincre les plus hardis de pénétrer plus avant, au cœur du pays, avec Jean-Baptiste et La Jemerais. Au cours de l’automne, cette avant-garde, suivant un réseau compliqué et parfois discontinu de lacs et de cours d’eau, parvint au lac La Pluie et y construisit le fort Saint-Pierre, le premier des huit postes que le groupe expéditionnaire de La Vérendrye établira au cours de son exploration du Nord-Ouest. Pendant ce temps, le commandant et la plus grande partie de ses gens étaient revenus sur leurs pas vers Kaministiquia où ils s’étaient installés pour l’hiver. Au printemps de 1732, les deux groupes se rejoignirent et, en compagnie de Cris et d’Assiniboines montés dans 50 canots, ils se mirent en route pour le lac des Bois, où le fleuve de l’Ouest prenait apparemment sa source. Ils y construisirent le fort Saint-Charles qui servira de quartier général à La Vérendrye pendant plusieurs années.
Avec ces deux forts, La Vérendrye contrôlait maintenant la région des lacs en bordure des prairies. Au printemps de 1733, La Vérendrye envoya La Jemerais et Jean-Baptiste jusqu’au lac Ouinipigon afin de trouver un emplacement favorable pour le poste qu’il comptait y construire. Malheureusement ses deux lieutenants quittèrent le fort Saint-Charles trop tôt. Les glaces entravèrent leur avance sur la rivière Ouinipigon lorsqu’ils ne furent qu’à 15 ou 20 lieues du lac. Le jeune La Vérendrye demeura sur place et La Jemerais retourna au fort Saint-Charles. Presqu’aussitôt, le commandant le dépêcha à Québec afin de faire rapport à Beauharnois sur ce qui avait déjà été réalisé.
La Jemerais atteignit Montréal le 20 septembre et de là continua jusqu’à Québec. Il discuta avec le gouverneur des conditions financières de l’entreprise de son oncle ; on avait jusqu’à présent dépensé 43 000# et les rentrées ne couvraient pas les déboursés. La couronne voudrait-elle contribuer à financer l’expédition en accordant aux associés 10 000# par année pendant trois ans ? La requête fut transmise à Maurepas pour étude. Lorsqu’il abandonna les questions financières pour passer aux autres points, La Jemerais déborda littéralement d’optimisme. Les vents qui dominaient sur le lac des Bois venaient de l’ouest et comme ils apportaient avec eux des pluies abondantes, la mer ne pouvait être loin. Encouragé par ce phénomène, il se proposait de partir à la recherche de cette mer dès le printemps suivant. En quittant Québec dès la rupture des glaces en 1734, il comptait bien atteindre la contrée des « Sioux qui vont sous terre », ou Mandanes, au cours de 1735. Ce que les Cris lui avaient dit des Mandanes lui permettait de croire qu’ils avaient des affinités marquées avec les Européens. Ils avaient les cheveux clairs, leur langue et leurs habitations ressemblaient à celles des Français. D’après les dires, cette peuplade habitait les bords du fleuve de l’Ouest (c’était en fait le Missouri), qui se trouvait à 300 lieues du lac des Bois.
Deux points fondamentaux de ce rapport sont à retenir. En premier lieu, l’hypothèse de la proximité de la mer de l’Ouest contribua à renforcer la conviction de Maurepas que parvenir à ces eaux était chose relativement simple et ne le prépara pas à accueillir avec compréhension les retards que La Vérendrye devait connaître. Deuxième point, uniquement en se fondant sur les rapports des Indiens, et sans explorer plus avant le lac Ouinipigon, la recherche du fleuve de l’Ouest fut détournée des plaines canadiennes vers le bassin du Mississipi. Cette modification fut une erreur fondamentale. Il fallut huit ans et deux expéditions pour que La Vérendrye se rende compte que le Missouri coulait vers le sud en direction du Mississipi et du golfe du Mexique et non vers la mer de l’Ouest. Un peu tardivement on orienta alors les recherches du côté des plaines canadiennes.
Tandis que ses lieutenants exploraient le territoire, rencontraient des groupes d’Indiens, faisaient des relevés de terrain à la recherche des endroits les plus favorables à l’établissement de postes, La Vérendrye passait une grande partie de son temps au fort Saint-Charles, à diriger les affaires indiennes et à organiser la traite des fourrures. Les modèles de relations tribales qu’il découvrit à l’ouest des Grands Lacs, offraient une certaine ressemblance avec les relations qui avaient existé dans la vallée du Saint-Laurent au cours du xvie siècle. Au moment de la fondation de Québec, en 1608, les Algonquins et les Montagnais étaient en guerre contre les Iroquois. Québec étant en territoire algonquin et montagnais, Champlain* fut dans l’obligation d’accorder son appui militaire à ces Indiens afin de s’assurer leur amitié et leur commerce. À l’ouest des Grands Lacs au xviiie siècle, un état chronique de guerre dressait les Assiniboines, les Cris et les Monsonis contre les Sioux et les Sauteux. La chaîne de postes de La Vérendrye se trouvant sur le territoire des Assiniboines et des Cris, il dut prendre fait et cause pour eux dans leurs querelles ; mais il ne pouvait se permettre la témérité de Champlain car les Sioux et les Sauteux, à l’encontre des Iroquois, étaient alliés des Français. En épousant ouvertement les querelles des Cris et des Assiniboines, il pouvait ébranler un large secteur de l’alliance indienne de la Nouvelle-France et rendre intenable les positions françaises sur le lac Supérieur, pays des Sauteux, et sur le haut Mississipi, pays des Sioux.
La Vérendrye devait donc traiter les affaires indiennes avec une extrême prudence. Au début, sa diplomatie connut quelques succès et il fut en mesure d’empêcher l’éclatement de conflits dans les plaines canadiennes. Mais, dès mai 1734, il lui était devenu impossible de contenir les Cris et les Assiniboines. Devant l’évidence, La Vérendrye donna son assentiment à une expédition armée, à la condition que cette expédition ne soit pas menée contre les Sioux du fleuve qui pouvaient menacer le fort Beauharnois sur le lac Pépin, mais contre les Sioux des prairies. Lors d’une assemblée au fort Saint-Charles, il exhorta les alliés à bien combattre, leur fournit des munitions et permit à Jean-Baptiste de les accompagner en qualité de conseiller ayant voix aux délibérations mais ne participant pas activement au combat. Par la suite, le commandant devait payer chèrement ce geste inconsidéré, même si Jean-Baptiste avait déjà abandonné les guerriers lorsqu’ils décidèrent d’aller attaquer les Sioux du fleuve.
Le 27 mai 1734, quelques jours après sa rencontre avec les Indiens, La Vérendrye partit pour Montréal où des affaires pressantes le réclamaient. Les rouages du système commercial qu’il était en train d’organiser n’étaient pas encore bien huilés et quelques-uns des membres de l’association formée en 1731 pour financer l’expédition commençaient à déchanter. La Vérendrye lui-même, pour des raisons imprécises, s’entendait mal avec Louis Hamelin à qui il devait 7 768# et désirait mettre un terme à leur entente laquelle ne prendrait fin que dans deux ans. De plus, le commandant était impatient de connaître la réaction de Maurepas à sa demande d’aide financière et il désirait informer Beauharnois que le fort sur le lac Ouinipigon qu’il avait eu instruction de construire était sur le point de devenir une réalité. Le 11 mai, deux de ses hommes étaient revenus au fort Saint-Charles, après avoir exploré le lac et choisi un emplacement sur la rivière Rouge, à quelques milles de son embouchure. En, route pour Montréal, La Vérendrye fit la rencontre de Joseph Cartier, un de ses associés, à qui il donna l’ordre de se rendre sur-le-champ à la rivière Rouge entreprendre la construction du fort. Toutefois, Jean-Baptiste y arriva le premier et termina le travail en juin 1734. On nomma le fort Maurepas, en l’honneur du ministre.
La Vérendrye fut accueilli dans la colonie par des nouvelles peu encourageantes. Il apprit à Montréal que ses associés refusaient de lui consentir d’autres avances. À Québec, le gouverneur l’informa que le roi ne voulait en rien contribuer à son entreprise ; le produit du commerce des fourrures devait suffire. Malgré l’aspect peu encourageant de la situation, Beauharnois n’avait pas l’intention d’abandonner La Vérendrye à son sort. Au contraire, il était bien décidé à trouver un moyen qui lui permettrait de poursuivre son exploration, pour, du même coup, satisfaire Maurepas mécontent des résultats obtenus jusqu’alors, et permettre à la colonie d’étendre dans les plaines de l’ouest le réseau de postes dont elle avait grand besoin pour la traite des fourrures. La solution à laquelle il parvint exigeait que La Vérendrye afferme ses postes à ses associés commerciaux pour une période de trois ans, en retour d’un traitement annuel de 3 000#. Ses associés s’occuperaient de l’aspect commercial de l’entreprise tandis que La Vérendrye se consacrerait entièrement à l’exploration. Le 18 mai 1735, on forma une nouvelle association dont Jean-Baptiste Legras et Jean-Marie Nolan étaient les membres les plus importants. Ce dernier était un frère cadet de Charles Nolan Lamarque, un des gros marchands de Montréal, dont on disait qu’il était celui qui avait envoyé le plus grand nombre de voyageurs dans l’Ouest et le plus loin.
Le 21 juin 1735, La Vérendrye se mit de nouveau en route pour l’Ouest en compagnie de Louis-Joseph, le plus jeune et peut-être le plus doué de ses fils, et du jésuite Jean-Pierre Aulneau*, qui remplaçait Mésaiger. Ils arrivèrent au fort Saint-Charles le 23 octobre et presque aussitôt les pires déboires que connut le commandant commencèrent à s’abattre sur lui. Ce fut d’abord la mort de La Jemerais qui, tombé malade pendant qu’il commandait le fort Maurepas, mourut le 10 mai 1736, au cours de son transport au fort Saint-Charles. Il devint ensuite évident que les dispositions prises en 1735 n’avaient en rien amélioré l’efficacité de l’entreprise. Bien au contraire, les marchands faisaient le commerce là où il leur plaisait et négligeaient de ravitailler les forts. Par suite de cette négligence La Vérendrye dut, au printemps de 1736, dépêcher en toute hâte 19 hommes sous la direction de son fils Jean-Baptiste à Kaministiquia et à Michillimakinac pour obtenir des provisions. C’est alors qu’il paya le prix de l’erreur qu’il avait commise en 1734 en armant ses alliés indiens contre les Sioux. Une bande de Sioux attaqua le groupe le 6 juin 1736, sur une île du lac des Bois, et les massacra jusqu’au dernier. Affligé, La Vérendrye déplora : «j’y ai perdu mon fils, le R[évérend] P[ère] [Aulneau] et tous mes François que je regretterai toute ma vie ». Toutefois, bien au fait des conséquences possibles, il n’usa pas de représailles.
Malgré ce terrible drame, il était bien déterminé à parvenir au lac Ouinipigon. Louis-Joseph s’y était rendu à l’automne de 1736 avec l’intention de pousser jusque chez les Mandanes, mais il avait été dans l’obligation de renoncer à son projet lorsqu’il avait constaté que les provisions qu’il avait demandées n’arrivaient pas. Ayant refroidi l’ardeur guerrière des Cris, des Assiniboines et des Monsonis qui voulaient venger le sang français, La Vérendrye partit lui aussi pour le fort Maurepas qu’il atteignit en février 1737, cinq ans et huit mois après son premier départ pour l’Ouest. Le moment était propice à une poussée vers la région des Mandanes. La saison était peu avancée et les Indiens s’offraient à le guider. Malheureusement, ses propres hommes refusèrent de le suivre. La Vérendrye n’avait plus d’autre choix. Il lui fallait aller dans l’est recruter des troupes fraîches et se plaindre au gouverneur du manque d’appui de la part des marchands.
Le voyage au lac Ouinipigon n’avait toutefois pas été entièrement vain. Il avait permis à La Vérendrye de se faire une nouvelle idée du réseau compliqué des lacs du Manitoba et de leur rapport avec la mer de l’Ouest. Une carte tracée en 1737, probablement par Louis-Joseph, indique deux grandes routes possibles permettant l’accès à l’océan. L’une d’elles, celle qu’on devait explorer en premier, passait au sud-ouest du pays des Mandanes ; l’autre empruntait la rivière Saskatchewan, désignée sur la carte sous le nom de rivière Blanche. Selon les comptes rendus des Indiens, un lac situé sur un haut plateau reliait la rivière Blanche à un cours d’eau qui coulait vers l’ouest. C’était la première fois qu’on mentionnait l’idée que la Saskatchewan pouvait éventuellement être une route vers l’Ouest. Pour le moment, La Vérendrye classa dans sa mémoire les renseignements touchant la rivière, se réservant d’y recourir au cas où la route par le pays des Mandanes se révélerait une voie sans issue.
La Vérendrye fut accueilli froidement lorsqu’il arriva à Québec à l’automne de 1737. Maurepas, à bout de patience, avait dit carrément à Beauharnois, en avril, « que la traitte du Castor avait plus de part que toute autre chose à l’entreprise de la decouverte de la Mer de L’ouest de la part du Sr de la Veranderye ». Le gouverneur était sans doute d’accord en substance avec ce jugement mais, à l’encontre de son supérieur à Versailles, il attachait une grande importance à l’aspect commercial de l’entreprise de La Vérendrye. Les postes établis à l’ouest du lac Supérieur avaient démontré éloquemment leur importance en 1735 en fournissant, conjointement avec le fort Beauharnois, pour 100 000 livres pesant de peaux de castor, soit plus que la moitié de la production totale de cette année-là. Néanmoins, il fallait faire quelque chose pour amadouer Maurepas. Le gouverneur arracha donc à La Vérendrye la promesse qu’il atteindrait le pays des Mandanes en 1738, lui signifiant qu’il serait rappelé s’il ne tenait pas parole. Il a sans doute également servi de sérieux avertissements aux marchands car, au cours de l’année qui suivit, ceux-ci collaborèrent étroitement avec La Vérendrye. De plus, les frères Nolan l’accompagnèrent au cours de son voyage chez les Mandanes.
La Vérendrye ne se contenta pas de rapporter des fourrures de l’Ouest, il y fit aussi ample cueillette d’esclaves indiens. Dans une dépêche à Beauharnois, en date du 26 mai 1742, le père Claude-Godefroy Coquart signala qu’un parti de guerriers cris et assiniboines avaient dernièrement mis en déroute les Sioux des prairies au cours d’un combat qui avait duré quatre jours, qu’ils avaient tué 70 hommes, sans compter les femmes et les enfants, et qu’ils avaient capturé un si grand nombre d’esclaves qu’on pouvait les aligner sur un front de quatre arpents. Dans son mémoire à Maurepas, en 1744, La Vérendrye lui-même affirma que la colonie avait profité de son expédition dans l’Ouest de trois principales façons. « Au surplus, écrivait-il, ne compte-t-on pour rien le grand nombre de gens à qui cette entreprise fait gagner la vie, les esclaves que cela procure au pays et toutes les pelleteries dont les Anglois proffitoient cy devant. » Cette déclaration fournit un indice de l’ampleur de la traite d’esclaves qui se faisait. La plupart des historiens, pour des motifs faciles à comprendre, ont préféré passer sous silence cet aspect de la carrière de l’explorateur.
À la suite de son entrevue avec Beauharnois en 1737, La Vérendrye prit conscience du fait que son avenir était en jeu. Dès lors, il se conduisit enfin comme un véritable explorateur. Allant rapidement d’un poste à l’autre, il atteignit le fort Maurepas le 22 septembre 1738. Le 3 octobre, il était parvenu à l’emplacement de l’actuel Portage-la-Prairie, au Manitoba, et y construisit le fort La Reine sur le chemin que prennent les « assiliboilles pour allér aux Englois ». Le 16 octobre, en compagnie de 20 hommes triés sur le volet, de ses fils, Louis-Joseph et François, des frères Nolan et de 25 Assiniboines, il repartit pour la dernière étape de son voyage. Ce voyage prit fin triomphalement le 3 décembre lorsque, tambour battant et enseignes déployées, il pénétra dans le principal village mandane avec son escorte indienne qui s’était multipliée pour atteindre le chiffre de 600 Assiniboines et 30 Mandanes. Le village était situé dans la région qui est aujourd’hui le Dakota Nord, près de l’embouchure de la rivière Little Knife ou celle du ruisseau Shell, à environ 20 milles de la ville actuelle de Sanish. Enfin, La Vérendrye se trouvait, du moins le croyait-il, à seulement quelques milles du fameux fleuve de l’Ouest. Le commentaire le plus révélateur qu’on puisse faire sur La Vérendrye explorateur, c’est que bien qu’après avoir parcouru une distance de quelque 1500 milles, il ne se soit pas préoccupé d’aller un peu plus loin pour voir le fleuve de ses yeux, mais y envoya Louis-Joseph à sa place. Ce dernier s’orienta à Old Crossings où le tortueux Missouri fait un brusque coude vers le sud-ouest. De hautes falaises l’empêchaient d’apercevoir le cours d’eau plus en aval, autrement il aurait pu voir le Missouri qui reprenait son cours normal vers le sud-est et aurait vraisemblablement perdu l’illusion qu’il avait de se trouver au bord du fleuve de l’Ouest.
Le voyage chez les Mandanes avait épuisé physiquement La Vérendrye et le laissait criblé de dettes. Il retourna de peine et de misère au fort La Reine en janvier 1739 et par la suite ne manifesta plus la détermination et la force de caractère qui avaient caractérisé ses premières années dans l’Ouest. En juin 1740, il fit un troisième voyage dans la colonie, espérant bien mettre ordre à ses affaires en vue d’une nouvelle pénétration dans la région du Missouri. À Montréal, il apprit que sa femme, Marie-Anne, qui avait agi avec compétence comme son avocat et sa procuratrice pendant ses longues absences, était morte au mois de septembre précédent et était maintenant inhumée dans la chapelle Sainte-Anne de l’église Notre-Dame. À Québec, toutefois, Beauharnois le reçut aimablement, lui donna l’hospitalité dans sa résidence au cours de l’hiver et tenta de rétablir ses finances sur une meilleure base en lui accordant, à partir de juin 1741, à l’expiration des ententes de 1735, le monopole du commerce des fourrures dans les postes qu’il avait fondés. L’explorateur se remit en route en juin 1741, en compagnie du père Coquart, pour son quatrième et dernier voyage dans l’Ouest.
À son quartier général du fort La Reine, il semble qu’il ait eu deux grandes préoccupations. D’abord, il fallait déterminer une fois pour toutes si la mer de l’Ouest pouvait être atteinte par la route du sud-ouest. C’est pourquoi il envoya Louis-Joseph dans cette mémorable expédition qui le conduisit en 1742–1743 jusqu’aux montagnes Big Horn, dans le Wyoming. La seconde préoccupation de La Vérendrye était de consolider son emprise sur les lacs du Manitoba comme il l’avait fait auparavant pour les lacs en bordure des prairies. Il délégua cette tâche à son fils Pierre. Entre 1741 et 1743, ce dernier érigea le fort Dauphin (Winnipegosis, Man.) ; d’autres, probablement des membres de son équipe, construisirent le fort Bourbon, au nord-ouest du lac Ouinipigon, et le fort Paskoya, au nord-ouest du lac des Cèdres. Ces forts étaient situés dans le pays des Cris ; depuis longtemps ceux-ci en réclamaient la construction afin de ne pas avoir à se rendre aux lointains postes de la Hudson’s Bay Company. Sauf le fort Paskoya, ces forts furent érigés nettement en vue du commerce et non à des fins d’exploration et ils contribuèrent probablement à discréditer davantage La Vérendrye auprès de Maurepas qui en était rendu à considérer d’un oeil soupçonneux tous les gestes posés par l’explorateur. En 1742, le ministre informa Beauharnois que l’entreprise de La Vérendrye donnerait peut-être de meilleurs résultats si celui-ci s’adjoignait un officier compétent – à qui le commandant, personnellement, verserait un traitement annuel de 3 000# – et si un de ses fils était remplacé par un autre officier. Beauharnois s’éleva contre un tel arrangement, mais il était facile de lire entre les lignes : Maurepas n’avait qu’un désir, évincer le clan La Vérendrye de l’Ouest. Le commandant le comprit bien. Invoquant son mauvais état de santé, mais en réalité désirant éviter l’humiliation qui l’attendait, il remit en 1743 sa démission qui prendrait effet l’année suivante.
Il résigna ses fonctions mais, grâce à l’inébranlable fidélité de Beauharnois, ses liens avec l’Ouest ne furent pas tranchés pour autant. Nicolas-Joseph de Noyelles de Fleurimont, qui lui succéda à titre de commandant, avait épousé une de ses nièces ; ses fils conservèrent leurs postes et lui-même continua de se livrer au commerce sur une grande échelle, grâce aux congés que lui avait délivrés Beauharnois et que maintint son successeur, La Galissonière [Barrin]. En 1744, toujours sur l’intervention de Beauharnois, Maurepas lui accorda à contrecœur une commission de capitaine et, peu après, Beauharnois le nomma capitaine de sa garde. La Vérendrye s’installa alors dans une agréable vie mondaine, recevant et étant reçu à son tour dans les meilleures maisons de la société coloniale, faisant la cour à Esther Sayward (Sayer), veuve de Pierre de Lestage, un des grands marchands de la Nouvelle-France. Noyelles quitta son poste de commandant en 1746. La Vérendrye fut nommé pour lui succéder et il commença à élaborer les plans d’une autre expédition vers l’Ouest, cette fois, en remontant la rivière Saskatchewan ; il devait se rendre compte, mais trop tard, que cette route était celle qui se prêtait le mieux à la découverte de la mer de l’Ouest. La Vérendrye se proposait de se rendre lui-même dans l’Ouest en 1750, mais il mourut le 5 décembre 1749, après avoir reçu auparavant le plus grand honneur de sa carrière, la croix de Saint-Louis, que lui décerna Antoine-Louis Rouillé, successeur de Maurepas. Il laissa une petite succession atteignant peut-être 4 000#, constituée en grande partie de vêtements et de parures, bref, la succession d’un gentilhomme impécunieux.
C’est en somme ce que La Vérendrye avait été. Après un essai infructueux dans la carrière militaire en France et, de retour au Canada, une tentative de vie d’agriculteur et de trafiquant de fourrures dans la région de Trois-Rivières, cette période qu’il qualifiera par la suite d’années oubliées, il se tourna vers l’Ouest. Pourquoi ? Pour accomplir des actions qui, tout en contribuant à la gloire du roi, serviraient à sa propre célébrité. Mais à ses yeux, la gloire ne tenait pas seulement ni même essentiellement à la découverte de la mer de l’Ouest. Il écrivait à Maurepas en 1731 : « je ne cherche qu’à porter le nom de Sa Majesté et ses armes, dans une grande étendue de pais inconnus, d’égrandir la colonie et d’y augmenter le commerce ». Treize ans plus tard, écrivant cette fois au passé, il refaisait exactement la même déclaration.
Jusqu’à quel point y réussit-il ? Comme découvreur, aspect le plus important de sa mission aux yeux de Maurepas sinon aux siens, il échoua, et ce pour de multiples raisons. L’océan était très éloigné et il n’existait aucun relevé cartographique de la région intermédiaire. La couronne refusant de subventionner son entreprise, il dut se rabattre sur les marchands locaux. Malheureusement, ces marchands étaient groupés en petites sociétés incapables de fournir les capitaux nécessaires pour soutenir une expédition si loin de la vallée du Saint-Laurent. Le fait qu’ils aient failli à leurs contrats d’approvisionnement des postes le prouve clairement. En outre, La Vérendrye n’avait ni le goût, ni les dispositions d’un explorateur. Il lui fallut cinq ans et huit mois pour parvenir au lac Winnipeg. Sans avoir exploré auparavant ces eaux, il laissa son expédition obliquer vers l’impasse des plaines américaines. Et, au bout de sept ans et demi, lorsqu’il fut à moins d’une demi-journée de trajet du Missouri, il ne prit pas la peine de couvrir cette faible distance pour voir de ses yeux le prétendu fleuve de l’Ouest. Cette absence de curiosité est des plus significatives. Tous ces incidents contribuent à expliquer la faiblesse de sa poussée vers l’Ouest.
Ceci est la partie portée au débit de son entreprise. Mais tout compte fait, il faut reconnaître que La Vérendrye a fait reculer les frontières de la Nouvelle-France jusqu’au Manitoba ; au cours de ses innombrables rencontres avec les Indiens, il a inscrit la fidélité à la monarchie française au cœur d’importantes nouvelles tribus ; les postes qu’il a bâtis à l’ouest des Grands Lacs ont transformé le lac La Pluie, le lac des Bois et le lac Winnipeg en mers intérieures françaises et ont détourné vers le Saint-Laurent, au profit des Français, une bonne part du commerce des fourrures des régions de la Saskatchewan et de l’Assiniboine qui se faisait à la baie d’Hudson. Il a accompli tout cela doucement, sans bruit ni tapage, malgré ses drames personnels et plus que son lot d’infortunes. S’il avait su être plus articulé et plus direct dans ses dépêches, Maurepas aurait peut-être, à l’exemple de Beauharnois, reconnu le mérite considérable de ce vaillant fils de la Nouvelle-France.
La correspondance, les mémoires, les cartes et les journaux de La Vérendrye sont conservés aux AN, Col., B ; Col., C11A ; Col., C11E ; Col., E ; Col., F3 ; Section Outre-Mer, Dépôt des fortifications des colonies. On trouvera d’autres documents importants aux Archives du ministère des Affaires étrangères (Paris), Mém. et doc., Amérique, 8 ; à la BN, NAF 9 286 (Margry). Un bon point de départ pour une étude sur La Vérendrye se trouve aux AN, Col., C11E, 16, où on a réuni une documentation considérable à son sujet, et aux AN, Col., E, 263, où est conservé son dossier personnel. Plusieurs de ces documents ont été publiés dans Découvertes et établissements des Français (Margry), VI ; Journals and letters of La Vérendrye (Burpee). Ce dernier est le plus utilisé des deux. Le journal de l’expédition de 1738–1739 chez les Mandanes a été publié dans RAC, 1889, A, 1–14 ; son inventaire après décès a paru dans Documents sur Pierre Gaultier de La Vérendrye, J.-J. Lefebvre, édit, RAPQ, 1949–1951, 33–67. Une consultation des archives notariales est absolument nécessaire à la compréhension de l’organisation et du financement des expéditions de La Vérendrye. On consultera en particulier : ANQ-M, Greffe de J.-B. Adhémar ; Greffe de F.-M. Lepailleur ; Greffe de Michel Lepailleur de Laferté ; Greffe de J.— C. Porlier ; Greffe de Pierre Raimbault.
Les premiers historiens qui ont parlé de La Vérendrye, tels que William Smith* et François-Xavier Garneau*, font à peine mention de lui et ce qu’ils en ont écrit est loin d’être favorable. Cela n’a rien de surprenant. La principale source de renseignements à son sujet jusqu’au milieu du xixe siècle était Mémoires sur le Canada, depuis 1749 jusqu’à 1760. La Vérendrye y est dépeint comme un homme mû par des intérêts égoïstes et inapte à une carrière de découvreur, à cause de son manque d’instruction et d’aptitudes naturelles.
Les fondements d’une réévaluation ont été posés par Pierre Margry, archiviste français, qui découvrit dans des papiers qui lui avaient été confiés une quantité importante de documents concernant La Vérendrye. En 1852, il publia un court article, rétablissant les faits : Les Varennes de La Vérendrye, Le Moniteur universel (Paris). Cet article et plus particulièrement les documents qu’il publia ultérieurement permirent à La Vérendrye de prendre sa place parmi les figures proéminentes du régime français.
Depuis cette époque, les historiens lui ont fait assez bonne réputation. On le représente généralement comme un explorateur qui a d’abord et avant tout été victime de l’incompréhension du gouvernement français. C’est le point de vue mis de l’avant par ses deux plus importants biographes, Champagne, Les La Vérendrye et N.M. Crouse, La Vérendrye, fur trader and explorer (Ithaca, N.Y., et Toronto 1956). Le principal historien à s’opposer à cette thèse a été A.S. Morton, History of the Canadian west, et La Verendrye : commandant, fur trader, and explorer, CHR, IX (1928) : 284–298. Il ne met pas en doute l’importance et le mérite de La Vérendrye mais est d’avis que sa préoccupation fondamentale a été d’établir des postes dans les plaines canadiennes et d’y organiser la traite des fourrures.
Les La Vérendrye de Champagne, quoique d’un point de vue assez traditionnel, constitue l’ouvrage de base sur le sujet. L’auteur réévalue, entre autres choses, la personnalité de La Vérendrye et la nature de ses problèmes financiers. L’ouvrage de Rich, History of the HBC, I, est important pour son analyse de l’influence des activités de La Vérendrye sur la Hudson’s Bay Company. La thèse de R.I. Ruggles, The historical geography and cartography of the Canadian west, 1670–1795 (thèse de ph.d., Université de Londres, 1958), est indispensable pour les aspects géographiques des expéditions de La Vérendrye. Jean Delanglez, A mirage : the sea of the west, RHAF, I (1947–1948) : 346–381, 541–568 étudie l’évolution du concept de la mer de l’Ouest, entre 1500 et 1720.
Les problèmes soulevés par les itinéraires suivis par La Vérendrye de même que l’emplacement de certains de ses forts sont traités dans une foule d’articles parus dans des revues. On peut consulter, par exemple, N. M. Crouse, The location of fort Maurepas, CHR, IX (1928) : 206–222 ; O.G. Libby, La Vérendrye’s visit to the Mandans in 1738–39, Coll. of the State Hist. Soc. of North Dakota (Bismarck), II (1908) ; 502–508, et Some Verendrye enigmas, Mississippi Valley Hist. Review, III (1916–1917) : 143–160 ; C.P. Wilson, La Vérendrye reaches the Saskatchewan, CHR, XXXIII (1952) : 39–50. [y. f. z.]
Yves F. Zoltvany, « GAULTIER DE VARENNES ET DE LA VÉRENDRYE, PIERRE (Boumois) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 30 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gaultier_de_varennes_et_de_la_verendrye_pierre_3F.html.
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Auteur de l'article: | Yves F. Zoltvany |
Titre de l'article: | GAULTIER DE VARENNES ET DE LA VÉRENDRYE, PIERRE (Boumois) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 30 novembre 2024 |