LESTAGE, PIERRE DE (au début du xviiie siècle, il se faisait appeler Pierre de Lestage Desperoux ou Despeiroux), marchand, seigneur, officier de milice, né le 8 février 1682 à Notre-Dame de Bayonne en France, fils de Jean de Lestage, marchand, et de Saubade de Noliboise ; il épousa Esther Sayward (Sayer) à Montréal le 5 janvier 1712 ; aucun de leurs enfants ne parvint à l’âge adulte ; inhumé à Montréal le 22 décembre 1743.

Lorsque Pierre de Lestage et son frère Jean émigrèrent au Canada, Jean s’établit à Québec comme marchand, tandis que Pierre s’installa à Montréal, où il s’occupa principalement d’équiper les trafiquants de fourrures. Les deux frères signèrent l’accord d’octobre 1700 lequel donnait naissance à la Compagnie de la Colonie, qui allait contrôler le commerce de la fourrure au Canada pendant six ans. C’est un certain Monsieur de Lestage qui fut secrétaire de la compagnie : on peut presque assurer que ce fut Jean, qui y avait investi 1 200ª, plutôt que Pierre qui n’avait fourni que la modeste somme de 560# et qu’un rapport secret daté de 1708 signale comme ayant « abandonné le pays ».

Quel que fût l’endroit où il vécut cette année là, l’examen des engagements et congés de traite témoigne de sa participation au commerce des fourrures à Montréal de 1709 à 1743. Ces documents toutefois ne mentionnent son nom que pour 25 des quelque 40 années où il se livra à cette activité. Quoiqu’on ne puisse l’affirmer, ces lacunes sont probablement attribuables à la perte de documents notariaux ou à l’usage de billets à ordre sous signature privée plus qu’à un mode discontinu d’investissements.

Un nombre substantiel de documents classés sous le titre d’« Engagements » ne représentent pas les contrats des voyageurs, mais bien les reconnaissances de dettes au moyen desquelles les trafiquants à qui Lestage avait procuré des capitaux lui garantissaient le produit annuel de leur commerce. Celles-ci démontrent l’importance des investissements de Lestage au cours de certaines années ; ils sont souvent considérables, par exemple, 25 066# en 1718 et 33 247# en 1726.

Après la faillite de la Compagnie de la Colonie, deux des connaissances de Lestage dans la communauté des marchands de Montréal, Antoine* et Marguerite Pascaud, transférèrent le siège de leur entreprise en France à La Rochelle ; en tant qu’exportateurs de la métropole, ils occupaient la position la plus avantageuse dans l’organisation du commerce colonial. En vue de s’assurer de bons contacts commerciaux avec le Canada, les Pascaud s’associèrent avec Lestage et Jean-François Martin* de Lino. De tels arrangements entre métropolitains et coloniaux assuraient de façon très efficace l’écoulement des fourrures et des articles de traite, commerces complémentaires. En 1713, Martin de Lino quittait la compagnie mais ce n’est qu’en 1739, longtemps après la mort d’Antoine Pascaud, que Lestage et Marguerite Pascaud liquidèrent leur compagnie ; Lestage acceptait de verser 15 000ª pour leur actif canadien.

Lestage ne se limita pas aux débouchés légitimes du commerce. Ses fourrures remontèrent le Richelieu de même qu’elles descendirent le Saint-Laurent ; il subsiste encore un de ses reçus pour 443 livres de peaux de castor, daté du 22 septembre 1717 et signé par Stephen DeLancey de New York.

D’autre part, les affaires de Lestage ne se restreignaient pas à la traite des fourrures. Il était également fournisseur de marchandises générales. Il existe des documents concernant l’achat par Lestage de grandes quantités de farine de production locale qu’il revendait probablement dans la colonie ; il prêta une fois de l’argent pour la construction et l’équipement d’un navire. Pendant un nombre indéterminé d’années après 1710, Lestage occupa également le poste de commis de l’agent des trésoriers généraux de la Marine : il avait la responsabilité des finances à Montréal et devait payer les troupes qui y étaient stationnées. Cet arrangement était d’une certaine façon relié à son association avec les Pascaud, qui se portèrent garants de lui, et il semble qu’il était profitable à leur compagnie. Il se peut qu’ils aient utilisé les fonds de la Marine sans payer d’intérêt.

La sécurité et le prestige qu’apportait une imposante propriété foncière n’exerça pas moins d’attraction sur Pierre de Lestage que sur n’importe quel autre bourgeois ambitieux des pays du littoral de l’Atlantique au xviiie siècle. Le 26 avril 1718, il achetait de Nicolas Blaise* Des Bergères de Rigauville la seigneurie de Berthier-en-Haut au coût de 6 000#, calculant que c’était un investissement avantageux. En 1721, il expliqua, qu’« ayant déjà dépensé de fortes sommes pour fournir à ses habitants les scieries et les meuneries dont ils avaient besoin », l’addition d’une église suffirait à attirer sur ses terres les colons dont il avait besoin. Quelle que fût la raison de ce détournement typique d’un fonds de commerce vers un fonds de terre, il ne signifiait ni la diminution de son appétit de gain ni l’abandon de ses activités commerciales. À cet égard, il est significatif que Lestage soit demeuré dans le commerce des fourrures et ait continué de vivre à Montréal jusqu’à sa mort en 1743. Il y possédait deux maisons de pierre, deux lots en ville et deux petites fermes. Mme de Lestage était originaire de la Nouvelle-Angleterre ; à l’âge de sept ans, elle avait été capturée avec sa mère et sa sœur, Mary Sayward*, par des Abénakis et rachetée au Canada. Trois ans après la mort de son mari, elle s’associait avec son neveu, Pierre-Noël Courthiau, mais leur compagnie fut dissoute en 1750. Plus tard, elle devint pensionnaire chez les Dames de la Congrégation de Notre-Dame, où elle avait été élevée. Elle y mourut à l’âge de 86 ans, en 1770. Quant à Courthiau, il quitta Montréal après la Conquête pour aller s’établir à Bayonne en France, lieu de résidence de la sœur et seule héritière de Pierre de Lestage, Marie. C’est sans doute de cette ville que Pierre et Jean étaient partis, en quête de la fortune, dans les dernières années du xviie siècle.

Dale Miquelon

AN, Col., C11A, 125, pp. 365370 (copies aux APC).— ANQ, Greffe de Nicolas Boisseau, 22 oct. 1741 ; Greffe de Louis Chambalon, 9 nov. 1708, 24 oct. 1710, 14 et 18 nov. 1713 ; Greffe de J.-É. Dubreuil, 24 oct. 1729 ; Greffe de C.-H. Du Laurent, 13 nov. 1742 ; 10 juill. 1747 ; Greffe de Jean de Latour, 28 oct. 1739 ; AP, Pierre de Lestage, 1717.— APC, MG 24, L3, pp. 19 74019 762.— Bibliothèque municipale de Bayonne, France, État civil, Notre-Dame de Bayonne, 8 févr. 1682.— Correspondance de Mme Bégon (Bonnault), RAPQ, 19341935, 37, 42.— Documents relatifs à la monnaie sous le régime français (Shortt), I : 452 (Shortt identifie à tort Lestage comme étant notaire, s’appuyant sur le fait qu’il allait souvent représenter des individus devant les tribunaux. Il confond ainsi Pierre avec son frère Jean de Lestage, qui, à titre d’homme d’affaires de Québec, et non comme notaire, représentait souvent les hommes d’affaires de Montréal dans des poursuites. L’ordonnance signée par « Lestage » et publiée par Shortt fut probablement signée par Jean qui agissait comme écrivain du roi. V. : Philéas Gagnon, Noms propres au Canada-Français, BRH, XV (1909) : 47, et Charland, Notre-Dame de Québec : le nécrologe de la crypte, BRH, XX (1914) : 180  [d. m.]).

Édits ord., I : 280284 ; II : 581583.— Lîle de Montréal en 1731 (A. Roy).— Jug. et délib.— Bonnault, Le Canada militaire, RAPQ, 1949–1951.— Marguilliers de la paroisse de Notre-Dame de Ville-Marie de 1657 à 1913, BRH, XIX (1913) : 278.— É.-Z. Massicotte, Congés et permis déposés ou enregistrés à Montréal sous le régime français, RAPQ, 1921–1922, 189–225 ; Inventaire des documents concernant les frères Charon, RAPQ, 1923–1924, 164–192 ; Répertoire des engagements pour l’ouest, RAPQ, 1929–1930, 191–466.— P.-G. Roy, Congés de traite conservés aux Archives de la Province de Québec, RAPQ, 1922–1923, 192–265 ; Inv. Concessions ; Inv. jug. et délib., 1717–1760 ; Inv. ord. int. ; Les ordonnances et lettres de change du gouvernement de Montréal en 1759, RAPQ, 1924–1925, 229–359.— Tanguay, Dictionnaire, I : 174 ; III : 314 ; V : 373 (Tanguay attribue aux Lestage un fils qui parvint à la maturité, l’assimile à un nommé Pierre de Lestage de La Prairie, qui épousa Marie-Madeleine Rivet en 1737, et donne à ce dernier le titre de seigneur de Berthier. Ses trois énoncés sont fautifs. Lestage de La Prairie était probablement un simple cultivateur dont le nom apparaît souvent comme engagé sur les listes d’engagements et de congés dressées par Massicotte et P.-G. Roy.  [d. m.]).— Frégault, Le XVIIIe siècle canadien.— Lemire-Marsolais et Lambert, Histoire de la Congrégation de Notre-Dame, III : 274–277 ; V : 73–75.

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Dale Miquelon, « LESTAGE (Lestage Desperoux, Lestage Despeiroux), PIERRE DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lestage_pierre_de_3F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
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