SEWELL (Sewall), STEPHEN, avocat, propriétaire foncier, officier de milice, fonctionnaire et homme politique, né vers le 25 mai 1770 à Cambridge, Massachusetts, fils de Jonathan Sewell (Sewall) et d’Esther Quincy ; le 18 juin 1801, il épousa à Montréal Jane Caldwell, et ils eurent au moins six enfants ; décédé le 21 juin 1832 à Montréal.

Fils cadet d’un loyaliste influent qui fut le dernier procureur général du Massachusetts avant la Révolution américaine, Stephen Sewall n’avait que cinq ans lorsque, au début de la guerre d’Indépendance américaine, sa famille émigra en Angleterre. En 1778, les Sewall, dont le nom devint plus tard Sewell, s’installèrent à Bristol, où Stephen fréquenta une grammar school. Ses parents lui transmirent leur peur de la démocratie et leur fervent désir que lui et son frère aîné, Jonathan*, reconquièrent ce que la famille avait perdu en Amérique.

En 1787, Stephen Sewell traversa de nouveau l’océan avec ses parents pour rejoindre son frère aîné Jonathan, qui était alors installé à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. À l’instar de ce dernier, Stephen entra au cabinet de l’avocat Ward Chipman. Il fut reçu au barreau du Nouveau-Brunswick en 1791. Toujours à l’exemple de son frère, il décida plus tard dans l’année d’aller tenter sa chance au Bas-Canada, colonie plus vaste où le gouverneur, lord Dorchester [Carleton*], était le protecteur des loyalistes. Cette décision témoignait d’une tendance dont il ne se départirait jamais : le désir de modeler sa carrière sur celle de son frère aîné. En 1790, il lui avait confié : « Mon ambition a toujours été de suivre tes traces aussi fidèlement que j’en étais capable et, crois-moi, il en sera toujours ainsi. »

Sewell obtint sa commission d’avocat le 16 décembre 1791. Il s’installa ensuite à Montréal et s’employa à se constituer une clientèle qui devait bientôt comprendre nombre des plus gros marchands et des plus riches seigneurs de la colonie. En 1805, son cabinet était déjà l’un des plus florissants de la ville et lui rapportait, dit-on, un revenu annuel de £600 à £800. Par contre, il eut la main moins heureuse dans ses nombreux investissements commerciaux : il engagea des capitaux dans la Compagnie des propriétaires des eaux de Montréal [V. John Gray] et tenta au moins une entreprise très risquée dans les Antilles en 1816–1817 ; de plus, il se lança dans de vastes opérations de spéculation immobilière au Bas-Canada. Il acheta en outre 1 000 acres de terre dans le canton de Grenville en 1797 et reçut une concession de 3 200 acres dans le canton de Hemmingford en 1811 ; il possédait aussi des terrains à Montréal.

Membre fervent du parti des bureaucrates du Bas-Canada, Sewell manifestait un enthousiasme particulier pour le dépistage des espions et des révolutionnaires. Comme bien des membres de son parti durant les guerres contre la France révolutionnaire, il était convaincu qu’à la moindre apparition d’une troupe française, les Canadiens prendraient les armes et massacreraient la minorité britannique. Au lendemain des émeutes que souleva en 1794 la loi sur le service dans la milice, il prit une part active à la fabrication de cartouches et à d’autres préparatifs visant à défendre Montréal contre ce qui se révéla par la suite une horde fantôme d’habitants armés. Pendant les désordres qui entourèrent l’adoption du projet de loi sur la voirie en 1796, Sewell ajouta foi aux propos du tavernier montréalais Elmer Cushing, selon qui le citoyen Pierre-Auguste Adet, ministre de France aux États-Unis, était venu en personne à Montréal pour ourdir un « plan d’extermination des Anglais ». À plus juste titre, il crut aussi, comme le prétendait son informateur, qu’un des agents d’Adet avait tenté de former une cinquième colonne. Sewell dépêcha Cushing à Québec pour qu’il y rencontre son frère, qui était alors procureur général. Après s’être vu promettre un canton entier en échange de son témoignage, Cushing fit sous serment une déposition dans laquelle il décrivit les activités de l’agent David McLane*. Celui-ci fut arrêté dans la capitale en mai 1797, jugé coupable de trahison en juillet et, le 21 du même mois, pendu, décapité et éventré, pour l’exemple.

Sewell demeura sur le qui-vive pendant toute la période napoléonienne. En 1801, il se convainquit que les curés du nord de Montréal conspiraient afin d’aider l’un des leaders du parti canadien à la chambre d’Assemblée, Joseph Papineau*, à réaliser son rêve, qui était de devenir le « Bonaparte de la province ». Au cours de l’été de 1803, la ville fut frappée par une série d’incendies que Sewell attribua au « grand dessein que les Émissaires de France [avaient] sur le pays », car il avait déjà conclu que Napoléon « ferait] tout ce qui [était] en son pouvoir pour faire débarquer des troupes dans la province », et que « les Canadiens se joindr[aient] à elles en masse ». Il disait en terminant : « Dieu seul sait si nous ne nous trouvons pas au bord de la destruction. » En 1801, puis de nouveau lors d’une crise politique en 1810 [V. sir James Henry Craig*], il eut recours à un informateur canadien pour identifier les capitaines de milice déloyaux. Vers 1803, il entra comme enseigne dans le 1er bataillon de milice de la ville de Montréal, qui était une unité britannique, et devint capitaine en 1812. Lorsque, en 1814, des avocats canadiens tentèrent de créer une association – projet que Sewell contribua à faire avorter –,l’entreprise fut évidemment attribuée à des « Jacobins ». Sewell veillait soigneusement à ce que son frère Jonathan et, par son entremise, le gouverneur, soient tenus au courant de ses activités, car les postes gouvernementaux qu’il convoitait revenaient souvent à ceux qui affichaient leur loyauté.

Jonathan Sewell devint juge en chef en 1808 et les efforts inlassables des deux frères furent récompensés : l’année suivante, le gouverneur Craig nomma Stephen Sewell solliciteur général du Bas-Canada, le faisant ainsi succéder à James Stuart*, récemment démis de ses fonctions pour inconstance politique. Ce poste rapportait environ £1 700 par an sous forme de salaire et d’honoraires. En novembre 1809, Sewell fut élu député de la circonscription de Huntingdon avec un leader du parti canadien, Jean-Antoine Panet*. La lutte avait été serrée : après 15 jours de scrutin, Panet obtint 897 voix et Sewell 895 ; le perdant, Augustin Cuvillier*, contesta l’élection de Sewell en février 1810. Toutefois, Craig dissolut la chambre et le conseil le 1er mars et, aux élections suivantes, Sewell remporta la victoire dans Montréal-Est avec Joseph Papineau ; James Stuart, qui s’était présenté, fut battu. Comme bien des membres de son cercle, Sewell estimait que Craig avait fait montre d’héroïsme et de grande sagesse politique en emprisonnant, en mars 1810, certains chefs politiques canadiens (ce geste s’inscrivait dans le soi-disant « règne de la terreur »), mais il fut bientôt déçu d’apprendre que les autorités impériales avaient discrètement répudié toute autre offensive, en refusant notamment que s’affirme la suprématie de la couronne sur l’Église catholique ou que la constitution soit suspendue, comme cela avait été proposé. Obéissant à un réflexe courant chez eux, Sewell et ses amis se montraient plus impérialistes que le gouvernement impérial.

En 1811, Craig fut remplacé par sir George Prevost* qui, ayant besoin de l’appui du peuple pour faire face à la menace grandissante d’une guerre contre les États-Unis, adopta une attitude conciliante envers les chefs canadiens. Sewell et ses collègues du parti des bureaucrates réagirent vivement à la perte d’influence et de protection qu’ils subissaient ainsi. Ils publièrent par exemple en 1814 et 1815, dans le Montreal Herald, une série de lettres vitrioliques contre la politique civile et militaire du gouvernement de Prevost. Si les Britanniques avaient dû renoncer à Sackets Harbour, dans l’état de New York, en 1813, puis à Plattsburgh, en 1814, disaient les plus accablantes de ces lettres signées Veritas, c’était à cause de la lâcheté et de la stupidité de Prevost. Même si Sewell avait nié plusieurs fois être l’auteur de ces lettres, le gouverneur se méfiait de lui et il eut l’idée astucieuse de lui ordonner de poursuivre l’imprimeur et le rédacteur en chef du Montreal Herald au criminel pour diffamation. Le rédacteur en chef, Mungo Kay, révéla alors que Sewell avait écrit et lui avait remis dans le plus grand secret un article anonyme intitulé « Particulars of the late disastrous affair on Lake Champlain », qui avait été publié peu après la débâcle de Plattsburgh. Sewell admit en être l’auteur, mais affirma que l’article ne faisait que rapporter les faits. Bien que le texte ait été moins explicitement critique que les polémiques de Veritas, la conclusion laissait peu de doute sur ce que l’auteur pensait de la stratégie de Prevost. « Encore quelques minutes et nous aurions pris les fortifications [...] tandis que tous les Américains seraient tombés ou auraient été faits prisonniers », écrivait-il. Au contraire, « on crut nécessaire de freiner l’ardeur des troupes » et les Britanniques perdirent leur position de force sur le lac Champlain. Sewell fut suspendu sans délai et, en juillet 1816, par suite d’un rapport du Conseil exécutif sur cette affaire, le gouverneur sir John Coape Sherbrooke le démit de ses fonctions.

Par la suite, Sewell consacra beaucoup d’énergie à sa réhabilitation. Il pressait sans relâche son frère de défendre sa candidature chaque fois qu’un poste d’un intérêt quelconque se libérait, et l’enjoignait d’agir vite car, comme il le disait en 1825, « il ne faut jamais perdre de temps lorsqu’on cherche à se faire nommer ». Jonathan Sewell supplia le gouverneur, lord Dalhousie [Ramsay*], de réintégrer son frère au poste de solliciteur général, mais en vain. Malgré des efforts répétés, il ne réussit guère plus à satisfaire la plus chère ambition de Stephen, qui était de devenir juge comme lui. Cependant, le juge en chef parvint apparemment à favoriser l’octroi des quelques distinctions et postes mineurs qui échurent à son frère. Quoi qu’il en soit, Sewell fut nommé secrétaire de John Ogilvy*, membre de la commission de délimitation des frontières (1817), syndic de la Maison d’industrie de Montréal (1818), commissaire chargé de la réfection de la prison de Montréal (1819) et commissaire à la construction du canal de Lachine (1821).

À titre de secrétaire d’Ogilvy, Sewell tint un journal des travaux que la commission des frontières fit de mai à septembre 1817 le long du Saint-Laurent, de Saint-Régis à Cornwall, au Haut-Canada. Il y consigna des observations météorologiques et des détails sur la structure des couches géologiques, les conditions du sol, la flore et la faune. Sewell était aussi un observateur perspicace de la vie sociale. Ainsi, il nota que les colons des Highlands faisaient de piètres fermiers mais de bons miliciens, que c’étaient leurs femmes qui dirigeaient les fermes – « en fait, elles font vivre leur mari et leur famille » –, et que leurs filles étaient une bonne source de main-d’œuvre domestique pour Montréal. Il constatait que « les Indiens de Saint-Régis [adoptaient] rapidement les manières européennes [et que] leurs vêtements ressembl[ai]ent à ceux des Canadiens ». Même si les immigrants qui remontaient le Saint-Laurent par bateaux entiers n’étaient pas vêtus de loques, ils semblaient « bien démunis » et, ajoutait-il, « se plaign[aient] souvent d’avoir quitté leur pays ». Leur malheur le touchait et il regrettait vivement « que le gouvernement, en ces temps de difficulté extrême, ait jugé à propos de priver les nouveaux colons de leurs rations ». En outre, il était très attentif aux changements économiques qu’engendreraient l’expansion du commerce avec le Haut-Canada et l’arrivée des machines dans les colonies. Ainsi, remarquait-il, des villages du Bas-Canada comme Vaudreuil, Les Cèdres et Coteau-du-Lac pourraient se développer si l’on y installait des moulins et des manufactures dotés de machinerie hydraulique, et le transport pourrait devenir plus efficace sur le tronçon très fréquenté du fleuve qui allait de Cornwall à Montréal.

Sewell participait beaucoup à la vie montréalaise. Au début du siècle, il avait été membre du comité de construction de la Christ Church [V. Jehosaphat Mountain*]. En 1820, à titre d’avocat principal de l’Institution royale pour l’avancement des sciences, il négocia le transfert du domaine de Burnside, propriété de James McGill* où fut construit le McGill College [V. François Desrivières]. Sept ans plus tard, il fut l’un des principaux fondateurs de la Société d’histoire naturelle de Montréal, dont il devint d’ailleurs président. En 1828, il participa à la fondation d’une bibliothèque juridique qui devint en 1830 l’Advocate’s Library and Law Institute of Montreal et, finalement, la bibliothèque du barreau de Montréal ; il en fut aussi le premier président.

Comme avocat, Sewell ne valait pas son frère pour aller rapidement au cœur d’un problème juridique complexe ou pour appuyer une conclusion sur des principes généraux aussi bien que sur la jurisprudence. Cependant, il était capable d’évaluer avec intelligence les deux aspects d’un cas ; il se préparait avec soin et connaissait aussi bien la common law que le droit civil. Il ne faut probablement pas tenir compte de l’opinion défavorable que Sherbrooke émit sur les aptitudes de Sewell au moment de sa destitution. La clientèle de l’avocat laisse supposer qu’il était d’une grande compétence et la Minerve, plutôt mal disposée envers lui politiquement, notait après sa mort que « sa connaissance du droit le plaçait au nombre des plus grands juristes [de la colonie] ». En 1827, Dalhousie l’avait fait conseiller du roi. Au printemps de 1832, les troupes régulières ayant fait feu sur la foule et tué trois Canadiens lors d’une émeute électorale dans Montréal-Ouest [V. Daniel Tracey], la compétence et la loyauté de Sewell furent très appréciées. Il agit comme conseiller juridique des commandants des troupes, le lieutenant-colonel Alexander Fisher MacIntosh et le capitaine Henry Temple et, en qualité de conseiller du roi et de doyen du barreau de Montréal, il participa ensuite aux délibérations de la Cour du banc du roi qui aboutirent à la mise en liberté des deux officiers, conclusion ardemment désirée par le gouverneur, lord Aylmer [Whitworth-Aylmer*].

Ensuite, Stephen Sewell eut moins de trois semaines pour se féliciter de son succès et rêver aux faveurs dont le gouvernement le couvrirait bientôt. À l’aube du 21 juin, il fut frappé du choléra et mourut quelques heures plus tard. Il laissait une maison confortable ainsi que des biens meubles évalués à près de £600. À elle seule, sa bibliothèque de plus de 800 ouvrages valait £215. Ses propriétés comprenaient une ferme et un lot situés dans la seigneurie de Prairie-de-la-Madeleine, ainsi que 3 400 acres de lots de canton. Toutefois, de malheureux investissements avaient continué d’aggraver sa situation financière et, après 1817, seule la générosité de son frère l’avait préservé de la faillite. En octobre 1832, ses dettes s’élevaient à £7 256, dont près de £3 000 avaient été contractées envers Jonathan. La succession était déficitaire ; sa veuve, Jane, et leurs six enfants, dont deux étaient mineurs, durent y renoncer.

F. Murray Greenwood

Stephen Sewell est l’auteur de : « Particulars of the late disastrous affair on Lake Champlain », publié dans le Montreal Herald, 17 sept. 1814. Aussi, il est possiblement l’auteur de : The letters of Veritas, re-published from the Montreal Herald ; containing a succinct narrative of the military administration of Sir George Prevost, during his command in the Canadas [...] (Montréal, 1815). Toutefois, il est aussi possible que l’auteur de ce pamphlet soit John Richardson, tel que l’a affirmé Henry Scadding* dans « Some Canadian noms-de-plume identified : with samples of the writings to which they are appended », Canadian Journal (Toronto), nouv. sér., 15 (1876–1878) : 332–341.

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F. Murray Greenwood, « SEWELL (Sewall), STEPHEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sewell_stephen_6F.html.

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Auteur de l'article:    F. Murray Greenwood
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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