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PHIPS, sir WILLIAM, marin, aventurier et gouverneur colonial, né (d’après Cotton Mather) le 2 février 1650/1651 près de l’embouchure de la Kennebec, dans l’État actuel du Maine, d’humbles parents, James et Mary Phips, mort le 18 février 1694/1695 à Londres.
Après avoir travaillé comme berger pour sa mère devenue veuve, il fut mis en apprentissage chez un charpentier de navires et exerça par la suite ce métier à Boston, où il épousa une riche veuve, Mary (Spencer) Hull. On prétend qu’il fut aussi capitaine dans la marine marchande. Ayant pris de l’intérêt à la découverte des gallions espagnols naufragés, il fit apparemment un premier voyage aux Bahamas, sans grand succès. Par la suite, toutefois, il se rendit en Angleterre où il obtint qu’on lui prêtât un bâtiment de guerre en vue d’une nouvelle tentative. Ce nouveau voyage (1683–1684) ne donna pas grand chose non plus. Néanmoins, en 1686, Phips s’assurait la protection du deuxième duc d’Albemarle, qui organisa une société par actions pour financer la recherche d’un gallion qu’on croyait naufragé au large d’Haïti. Cette entreprise remporta un succès triomphal : en juin 1687, Phips rentrait en Angleterre avec un trésor évalué officiellement à plus de £207 600. Sa part dépassait £11 000 (R. H. George, The Treasure trove of William Phips, N. Eng. Q., VI (1933) : 294–318). Il y gagna également d’être anobli et nommé par Jacques II maréchal-prévôt général du dominion de la Nouvelle-Angleterre qui n’eut qu’une brève durée. De retour à Londres pour se plaindre de la façon dont l’avaient reçu les autorités du dominion, il entra en relations avec Increase Mather et, à partir de ce moment-là, ces deux hommes devinrent étroitement associés.
En 1690, Phips subit ce qui semble avoir été une conversion religieuse dictée par des motifs politiques ; il fut reçu dans la « Seconde Eglise » par Cotton Mather. Presque en même temps, il fut assermenté en qualité de major général pour commander une expédition organisée par le Massachusetts contre l’Acadie française. Il mit à la voile avec sept bâtiments portant un régiment d’infanterie de milice fort de 450 hommes. Puis, après des opérations préliminaires contre les établissements de Pentagouet et de Passamaquoddy, il pénétra en rade de Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.) le 19 mai (nouveau style). Le lendemain, il envoyait au fort des parlementaires et, le 21 mai, le gouverneur Louis-Alexandre Des Friches* de Meneval se rendait. Il n’avait qu’environ 70 hommes, aucun canon de monté, et la résistance eût été vaine. Le 22 mai, le « journal » des actes de Phips relatait : « Nous avons abattu la croix, pillé l’église, descendu le maître-autel, brisé leurs images » ; et, le 23 mai : « Continué à piller sur terre et sur mer, et aussi sous la surface du sol dans leurs jardins » (RAC, 1912, 54ss.). Après avoir forcé les habitants à jurer fidélité au roi Guillaume et à la reine Marie, Phips rentra à Boston avec son butin. Il laissa La Tourasse comme président par intérim du conseil local et il emmena prisonniers Meneval, les soldats et les pères Trouvé* et Petit*. Par la suite, Meneval accusa Phips de s’être emparé de certains de ses biens personnels, qu’il eut apparemment quelque difficulté à recouvrer même après que le conseil du Massachusetts eût ordonné à Phips de les restituer.
Le succès sans coup férir que Phips avait remporté à Port-Royal motiva probablement sa nomination au commandement d’une expédition plus importante qui s’organisait à son retour. Les colonies de la Nouvelle-Angleterre et de New York dépêchèrent des troupes par voie de terre contre Montréal, lesquelles n’accomplirent pour ainsi dire rien du tout ; tandis que Phips, commandant 32 navires (dont 4 seulement d’une certaine importance) et un peu plus de 2 000 miliciens du Massachusetts, se dirigea vers Québec en passant par le Saint-Laurent. L’expédition de Phips n’emporta pas assez de munitions et elle partit beaucoup trop tard au cours de l’été, parce qu’elle attendait des approvisionnements qu’elle devait recevoir d’Angleterre, mais qui ne vinrent jamais. Elle mit à la voile à Hull, près de Boston, seulement le 19 ou le 20 août 1690. Le gros temps, des vents contraires et l’absence de pilote sur le Saint-Laurent retardèrent la marche des navires et Phips ne jeta l’ancre dans le bassin de Québec que le 16 octobre.
Jusque-là, Québec n’avait été que très peu fortifiée ; mais, au cours des derniers mois, le gouverneur de Buade de Frontenac avait considérablement renforcé la défense de la ville en construisant une enceinte improvisée pour couvrir le côté qui donnait sur la pleine campagne (mais sans enclore les hauteurs où s’élève la citadelle actuelle). Avant l’arrivée de Phips, on avait amélioré les batteries faisant face au fleuve. Frontenac, alors à Montréal, vint à Québec le 14 octobre. Quand arrivèrent tous les miliciens qu’il avait réquisitionnés, il disposait de 3 000 hommes pour défendre la place. Frontenac avait des raisons de se montrer confiant, d’autant plus qu’il possédait un corps de réguliers coloniaux organisés en trois bataillons et dont la valeur militaire dépassait sûrement celle des soldats amateurs de Phips. (Toutefois, il advint que le combat, du côté français, retomba presque entièrement sur la milice canadienne.) Lorsque, le 16 octobre, Phips envoya le major Thomas Savage* intimer à Frontenac l’ordre de se rendre, le gouverneur prononça la parole devenue célèbre : « Je n’ay point de Reponse a faire a vostre general que par la bouche de mes cannons et a coups de fuzil. »
Le plan des gens de la Nouvelle-Angleterre, élaboré par un conseil de guerre, consistait à débarquer le gros de leurs forces sur la côte de Beauport à l’est de la rivière Saint-Charles, puis à traverser ce cours d’eau à l’aide des canots de la flotte, qui débarqueraient aussi l’artillerie de campagne sur la rive sud de la rivière Saint-Charles. Une fois les troupes de débarquement sur les hauteurs qui dominent Québec à l’ouest, la flotte attaquerait la ville de front et y débarquerait d’autres troupes. De son côté, Frontenac adopta une tactique de prudence. Il se proposait de ne livrer que des escarmouches à l’est de la rivière Saint-Charles, gardant ses troupes régulières en réserve pour une bataille à la mode européenne sur le terrain libre à l’ouest de Québec. Cette bataille n’eut jamais lieu, parce que les troupes anglaises de débarquement, commandées par le major John Walley*, commandant en second de Phips, ne traversèrent jamais la rivière. Débarquées le 18 octobre, elles furent immédiatement harcelées par la milice canadienne que commandait Jacques Le Moyne de Sainte-Hélène. Les canots des navires ne purent donner l’appui qu’on en attendait ; de plus, ils débarquèrent bien les canons, mais du mauvais côté de la rivière. Le même soir, les quatre grands navires de Phips, tout à fait à l’opposé du plan, jetaient l’ancre en face de Québec pour commencer à bombarder la ville. (L’affirmation de Charlevoix* et d’autres, d’après laquelle ces incidents se produisirent le 16, dès que Frontenac eut rejeté l’ultimatum de Phips, est sûrement inexacte.) Le bombardement se poursuivit le 19. Il ne cessa que lorsque les Anglais eurent épuisé à peu près toutes leurs munitions et que leurs navires, en particulier le navire amiral de Phips, dit le Six Friends, eurent subi des avaries considérables par suite du feu des batteries de la ville.
Les troupes de Walley restèrent inactives durant le bombardement. Ses hommes souffraient du froid et se plaignaient de la pénurie de rhum. En outre, la petite vérole sévissait parmi eux. Une escarmouche eut lieu le 20 octobre, au cours de laquelle Sainte-Hélène fut mortellement blessé. Le même jour, Phips se rendit, apparemment avec répugnance, au vœu du conseil de guerre tenu par les officiers à terre, et d’après lequel les troupes de débarquement devaient se rembarquer. Cette évacuation, projetée d’abord pour le 21 au matin, fut remise jusqu’à la nuit suivante. Elle eut lieu avec succès, parce que les Français ne se rendirent apparemment pas compte de ce qui se passait ; mais les gens de la Nouvelle-Angleterre laissèrent cinq de leurs six canons derrière eux. Un commandant plus entreprenant que Frontenac ne se révéla alors aurait fort bien pu anéantir les troupes découragées de Walley avant qu’elles pussent s’échapper ; mais le gouverneur se contenta de rester sur la défensive jusqu’à la fin. Bien que les Anglais eussent parlé d’un débarquement ailleurs, ils ne tentèrent plus rien. Les 23 et 24 octobre, on négocia et on effectua l’échange des prisonniers, puis les navires de Phips mirent à la voile pour Boston. Même si, dans son récit de l’expédition, il avoue n’avoir perdu que 30 hommes, les pertes dues à la maladie et aux accidents de la mer se chiffraient par centaines. James Lloyd, de Boston, écrivait au Mois de janvier suivant : « Sept navires manquent encore à l’appel, trois autres ont fait naufrage et ont brûlé. » Cotton Mather raconte le naufrage d’un brigantin à Anticosti : l’équipage réussit à passer l’hiver dans l’île puis, apparemment, fut secouru l’été suivant par un navire de Boston. Phips avait subi une défaite complète et désastreuse, mais les Français se seraient vus dans de graves difficultés si le siège se fût prolongé, car les vivres manquaient pour les troupes nombreuses rassemblées en vue de la défense de Québec. Phips lui-même n’avait fait preuve d’aucun talent de tacticien pour contrebalancer son manque d’expérience. On peut prétendre, toutefois, que l’absence de soldats bien formés et d’approvisionnements suffisants vouait l’entreprise à l’échec dès le départ.
Ce revers fut loin de mettre fin à la carrière de Phips. Lorsque Guillaume III accorda une nouvelle charte au Massachusetts en 1691, la désignation du gouverneur fut réservée à la couronne. À la recommandation d’Increase Mather, Phips devint le premier gouverneur royal, poste qu’il occupait en mai 1692. La chasse aux sorcières sévissait alors au Massachusetts. À la suite d’une période d’incertitude, Phips mit fin aux exécutions, accordant un sursis à tous les condamnés en attendant les instructions de Londres. En 1693, une lettre de la reine Marie lui donna raison et, affirma Phips, évita la ruine de la colonie (PRO, CSP, Col., 1693–1696, documents 112, 545). Phips accomplit un travail efficace pour défendre la frontière orientale contre les Français et les Indiens, mais il entra en violent conflit avec les autorités des colonies voisines et avec les officiers de la Marine royale. On l’a aussi accusé de faire servir de diverses façons son poste à son avantage personnel. En 1693, il reçut l’ordre de collaborer avec Sir Francis Wheler pour une expédition par mer contre Québec dont les plans avaient été élaborés en Angleterre ; mais les instructions lui arrivèrent avec beaucoup de retard et, quand Wheler le consulta en juillet, Phips (à qui son aventure devant Québec en 1690 avait laissé une profonde impression) lui dit qu’il lui faudrait au moins quatre mois pour réunir des troupes des autres colonies, qu’il faudrait au moins 4 000 hommes (Wheler n’avait que 650 combattants) et que l’expédition aurait dû mettre à la voile au plus tard le 1er juillet. En conséquence, Wheler se borna à une entreprise contre Plaisance (Placentia, T.-N.), que le mauvais temps fit échouer, et à une incursion contre Saint-Pierre. En 1694, Phips était convoqué en Angleterre pour répondre à des accusations portées contre lui. On lui reprochait notamment d’avoir brimé le capitaine de vaisseau Richard Short, et de s’être livré sur lui à des voies de fait. Phips mourut des fièvres avant la fin de l’enquête. Il fut inhumé dans l’église de St. Mary Woolnoth à Londres.
Phips avait en abondance le courage et l’énergie et il était aussi très doué ; mais il possédait également des qualités moins admirables. Sir John Fortescue, éditeur des State Papers coloniaux de son époque, en vint à la conclusion qu’il était « ignorant, brutal, rapace et violent » et les preuves ne manquent pas à l’appui de cette opinion. Il possédait peu d’aptitude pour les commandements militaires qu’il exerça contre Port-Royal et Québec. Le rôle qu’il joua pour mettre fin à la « chasse aux sorcières » représente l’acte le plus louable de sa vie publique.
[La première biographie de Phips est celle de Cotton Mather, Pietas in Patriam : the life of His Excellency Sir William Phips, knt. (London, 1697 ; reproduite dans Mather, Magnallia Christi Americana (London, 1702, et 2 vol., Hartford, Conn., 1820) ; écrite pour justifier la caution que les Mather avaient accordée à Phips, elle est de ce fait peu digne de foi.— L’étude récente la plus considérable, Alice Lounsberry, Sir William Phips, treasure fisherman and governor of the Massachusetts Bay Colony (New York, 1941), est un curieux mélange d’érudition et d’imagination, en grande partie dénué de sens critique.— L’article de Viola F. Barnes dans DAB renferme une excellente bibliographie critique. V. aussi deux articles du même auteur dans N. Eng. Q., I (1928) : The Rise of William Phips (271–294) et « Phippius Maximus » (532–553).— L’ouvrage du rév. Henry O. Thayer, Sir William Phips, adventurer and statesman [...] (Portland, Me., 1927) est en général digne de foi.
Aucune des récentes études américaines consacrées aux aventures canadiennes de Phips ne sont vraiment satisfaisantes. C’est encore Francis Parkman qui en présente le meilleur tableau d’ensemble, dans Count Frontenac and New France (1st ed., Boston,. 1877).— On trouve un récit circonstancié de l’entreprise de Québec dans « Sir William Phips’ Attack on Quebec, 1690 », dans Introduction to the study of military history for Canadian students, ed, C. P. Stacey (5th ed., 2nd rev., Ottawa, 1960).— Les relations françaises officielles de cet épisode se trouvent dans AN, Col., C11A 11.— Ces récits et d’autres documents français, ainsi que quelques comptes rendus anglais, sont reproduits dans 1690 : sir William Phips devant Québec : histoire d’un siège, éd. Ernest Myrand (Québec, 1893) les documents ont plus d’utilité que le commentaire.— Les principales relations de la Nouvelle-Angleterre, notamment celle de Phips lui-même, se trouvent dans W. K. Watkins, Soldiers in the expedition to Canada in 1690 [...] (Boston, 1898).— Beaucoup de documents importants relatifs, à Phips sont résumés dans PRO, CSP, Col., 1689–92 et 1693–96.— Plusieurs documents contemporains relatifs aux entreprises de Port-Royal et de Québec, notamment la lettre de James Lloyd, se trouvent dans le RAC, 1912, 54ss. [c. p. s.]
C. P. Stacey, « PHIPS, sir WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/phips_william_1F.html.
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Auteur de l'article: | C. P. Stacey |
Titre de l'article: | PHIPS, sir WILLIAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |