TRACEY, DANIEL, médecin, propriétaire de journal, rédacteur en chef et homme politique, né probablement en 1794 dans le comté de King (comté d’Offaly, république d’Irlande), fils de Denis Tracey, marchand, et d’une dénommée Mainfold ; décédé célibataire le 18 juillet 1832 à Montréal.

On sait peu de chose de l’enfance de Daniel Tracey, si ce n’est qu’il naquit dans une famille catholique et qu’il devint orphelin très jeune. Recueilli avec son frère John et sa sœur Ann par un oncle paternel, il fit des études à l’école d’un dénommé Morris. Le 5 décembre 1814, à l’âge de 20 ans, il entra au Trinity College de l’University of Dublin. On ignore cependant s’il y reçut un diplôme. Par la suite, on croit qu’il s’inscrivit au Royal College of Surgeons in Ireland, à Dublin. Admis à la pratique de la médecine et de la chirurgie, il entreprit sa carrière dans cette ville où son talent fut vite reconnu. Fermement hostile au gouvernement anglais qui usait d’un pouvoir despotique envers la population catholique, il en vint toutefois à souhaiter quitter son pays.

En 1825, accompagné de son frère et de sa sœur, Tracey débarqua à Montréal. Dans cette ville, sa haine du gouvernement anglais ne se dissipa pas. Elle l’amena plutôt à approuver les revendications du parti patriote et, par le fait même, l’éveilla à la politique. En fondant, le 12 décembre 1828, un bihebdomadaire, l’Irish Vindicator and Canada General Advertiser (qui deviendrait par la suite le Vindicator and Canadian Advertiser), Tracey trouva où exprimer ses idées. Il s’y révéla un grand admirateur de Louis-Joseph Papineau*, qu’il plaçait sur le même pied que Daniel O’Connell. Défenseur à la fois de la cause irlandaise et des Canadiens français, Tracey continuait en fait le travail d’éditorialiste qu’avait entrepris Jocelyn Waller dans le Canadian Spectator de Montréal.

Comme les articles du Vindicator étaient fougueux, autant sinon plus que ceux de la Minerve, et que les conseillers législatifs manifestaient une grande susceptibilité lorsqu’on les mettait en cause, Tracey fut accusé de diffamation et emprisonné en 1832. L’article incriminé, daté du 3 janvier, contenait un appel à l’« anéantissement total » du Conseil législatif en raison du rejet par ce dernier de certains projets de loi que la chambre d’Assemblée avait adoptés. Ludger Duvernay* connut le même sort que Tracey pour un éditorial paru le 9 janvier, dans lequel il réclamait lui aussi « l’abolition » de ce conseil. Les deux journalistes furent détenus à la prison de Québec du 17 janvier jusqu’à la fin de la session, le 25 février. Leur emprisonnement en fit des héros aux yeux de la population patriote, et le choix de Tracey comme candidat à une élection partielle tenue peu après en découla directement.

L’élection visait au remplacement du député démissionnaire de Montréal-Ouest, John Fisher. Fixée au 25 avril 1832, elle allait se poursuivre, selon les dispositions de la loi, six jours par semaine, jusqu’à ce qu’une heure se soit écoulée sans qu’aucun vote ait été enregistré. Elle prit fin le 22 mai, après 23 jours de scrutin marqués de nombreux actes de violence, au cours desquels Tracey avait recueilli 691 voix et Stanley Bagg, son adversaire bureaucrate, 687. Au nombre des partisans de Tracey figuraient Louis-Hippolyte La Fontaine*, Côme-Séraphin Cherrier*, Jacob De Witt* et la plupart des artisans, agriculteurs, charretiers et journaliers que comptait cette circonscription. Presque tous étaient canadiens-français ou irlandais. Bagg, de son côté, rassemblait les hommes d’affaires et les fonctionnaires, dont un nombre infime étaient irlandais ou canadiens-français, tel Pierre-Édouard Leclère*.

Tracey remporta la victoire, mais elle fut chèrement payée, car des événements sanglants se déroulèrent le vingt-deuxième jour de l’élection. Selon les bureaucrates, ils auraient résulté d’une « émeute » provoquée par les partisans de Tracey. Pour les patriotes, au contraire, il était clair qu’on avait voulu faire un « massacre » dans leurs rangs. Tout avait pourtant été tranquille cette journée-là jusqu’à ce que, vers deux heures de l’après-midi, deux personnes commencent à échanger des coups de poing. La mêlée devint bientôt générale sur la place d’Armes et un émissaire du parti de Bagg alla chercher des militaires du 15th Foot. À leur arrivée, tout était rentré dans l’ordre. Tracey menait alors par trois voix sur son adversaire. Peu après, tandis que Tracey se dirigeait vers sa maison avec des amis, le groupe fut assailli par des partisans de Bagg, jaloux de l’avance dont Tracey jouissait. Les soldats, qui étaient demeurés sur la place, se mirent également à la poursuite de Tracey. Après un échange de pierres, des magistrats qui souhaitaient la victoire de Bagg demandèrent au commandant de donner l’ordre de faire feu sur la foule pour faire cesser l’émeute. Le lieutenant-colonel Alexander Fisher MacIntosh s’en chargea, et trois Canadiens français furent tués. Le lendemain, Tracey reçut une nouvelle voix et fut déclaré élu.

L’intervention de la force armée contre des Canadiens français, sanctionnée par les autorités britanniques de la province et de Londres, témoignait de l’acuité des problèmes ethniques, sociaux et politiques que connaissait le Bas-Canada. Elle laissait présager également de nouveaux troubles. Le fossé entre patriotes et bureaucrates se creuserait davantage à partir de cette date, et cette situation conflictuelle allait s’envenimer pour conduire aux événements de 1837.

Moins de deux mois après l’élection partielle, une épidémie de choléra frappa la province, et Montréal en particulier. Daniel Tracey contracta alors la maladie en soignant des patients. Il mourut le 18 juillet 1832 sans avoir pu prendre son siège à l’Assemblée. Il laissait dans le deuil sa sœur Ann, qui devait épouser Charles Wilson* en 1835, et son frère John, qui allait s’établir à Albany, dans l’état de New York, en 1837. Son journal fut racheté par Édouard-Raymond Fabre* qui en confia la direction à Edmund Bailey O’Callaghan*.

France Galarneau

L’auteur tient à remercier Raymond Refaussé, archiviste au Trinity College de l’University of Dublin, pour les renseignements qu’il a fournis concernant Daniel Tracey.  [f. g.]

ANQ-M, CE1-51, 18 juill. 1832.— La Minerve, 9 janv., 26 mars–24 mai 1832.— Vindicator and Canadian Advertiser (Montréal), 3 janv. 1832, 26 févr. 1833.— F.-J. Audet, les Députés de Montréal.— Beaulieu et Hamelin, la Presse québécoise, 1.— France Galarneau, « l’Élection pour le Quartier-Ouest de Montréal en 1832 : analyse politico-sociale » (thèse de m.a., univ. de Montréal, 1977).— P.-G. Roy, Toutes Petites Choses du Régime anglais, 1 : 270–272.— Robert Rumilly, Papineau et son temps (2 vol., Montréal, 1977), 1.— Taft Manning, Revolt of French Canada.— Léon Trépanier, On veut savoir (4 vol., Montréal, 1960–1962), 4 : 69–71.— [Hervé Biron], « Ceux qui firent notre pays : Daniel Tracey (1795–1832) », le Nouvelliste (Trois-Rivières, Québec), 2 mai 1946 : 2.— « Le Docteur Daniel Tracey », Ovide Lapalice, édit., BRH, 33 (1927) : 492493.— « MM. Duvernay et Tracey à la prison de Québec », BRH, 43 (1937) : 86.— E. J. Mullally, « Dr. Daniel Tracey, a pioneer worker for responsible government in Canada », SCHEC Report, 2 (1934–1935) : 33–45.

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France Galarneau, « TRACEY, DANIEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/tracey_daniel_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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