LANCASTER, JOSEPH, éducateur, né le 25 novembre 1778 à Southwark (Londres), fils de Richard Lancaster, fabricant de tamis, et de Sarah Foulkes ; le 5 juin 1804, il épousa Elizabeth Bonner, et ils eurent une fille, puis en 1825 Mary Robinson ; décédé le 23 octobre 1838 à New York.

Joseph Lancaster reçut une éducation plutôt modeste. Il apprit à lire dans deux écoles tenues par des dames âgées et on l’initia à la discipline militaire dans un autre établissement que dirigeait un ancien officier de l’armée. À la suite d’une expérience d’ordre religieux, il s’enfuit de chez lui à l’âge de 14 ans afin d’aller à la Jamaïque « apprendre aux pauvres Noirs à lire la Bible ». Mais le manque d’argent l’obligea à s’engager dans la marine à Bristol et il ne réussit à revenir à la vie civile que grâce à des amis. En 1798, après avoir travaillé à deux reprises à titre d’instituteur assistant, il utilisa le domicile de son père pour enseigner à lire à quelques enfants pauvres du voisinage. Trois ans plus tard, il s’installa dans un local plus grand, sur le chemin Borough ; on pouvait y lire l’inscription suivante : « Tous ceux qui le veulent peuvent amener leurs enfants et les faire instruire gratuitement ; ceux qui ne désirent pas [qu’ils] reçoivent l’enseignement pour rien peuvent payer, s’ils le veulent. » Comme il n’avait pas l’argent nécessaire pour avoir des assistants rémunérés, Lancaster choisissait des élèves parmi les grands et les chargeait de remplir la tâche de moniteurs et d’assurer l’instruction des plus jeunes réunis dans de petites classes ; un moniteur en chef supervisait le travail de ces aides. Ce n’était pas la première fois que l’on utilisait des moniteurs dans une école ; chez Lancaster, toutefois, le système élaboré qu’il décrivit dans Improvements in education, as it respects the industrious classes of the community, paru à Londres en 1803, était complexe et prévoyait que les moniteurs devaient participer au maintien de la discipline en imposant des sanctions (cage, pilori) et en donnant des récompenses (insigne de grade, ordre du mérite, prix). Le programme d’études ne comprenait que trois matières : la lecture, l’écriture et l’arithmétique. Si Lancaster s’opposait à l’idée d’en offrir plus, c’est qu’il jugeait qu’il en aurait coûté trop cher. Il encourageait les élèves les plus prometteurs en les sélectionnant et en les formant pour qu’ils deviennent à leur tour des enseignants qui propageraient son système.

L’enseignement de Lancaster et les efforts qu’il déploya pour faire connaître sa méthode de monitorat attirèrent l’attention des ducs de Bedford et de Sussex et de lord Somerville ; ils lui valurent aussi l’appui de George III. Mais en 1808 son imprévoyance sur le plan financier obligea ses amis, le baptiste Joseph Fox et le quaker William Allen, à fonder la Royal Lancasterian Society pour administrer les dons et pour assurer l’entretien de l’école-témoin. Appelé en 1805 le « Goliath des schismatiques » par l’une de ses adversaires, Mme Sarah Trimmer, Lancaster, qui était quaker, encourut la colère de l’Église établie parce qu’il affirmait que les écoles publiques ne devaient pas être soumises à l’autorité d’une Église ou être à son service. C’est pour défendre les intérêts des tories anglicans et pour faire concurrence à la Royal Lancasterian Society, soutenue par des non-conformistes et des réformateurs libéraux, que l’on créa en 1811 la National Society for Promoting the Education of the Poor in the Principles of the Established Church, qui appliquait un autre système où des moniteurs participaient à la formation des élèves, celui d’Andrew Bell. La controverse s’étendit jusqu’au Canada où, en 1809, un enseignant et ministre anglican, John Strachan*, attribua à Bell la « découverte » des écoles qui utilisaient la méthode du monitorat et rejeta le système de Lancaster.

Comme Lancaster le mentionna en 1811 dans Report of J. Lancaster’s progress from the year 1798, les fréquents voyages qu’il avait faits partout dans les îles Britanniques et les nombreuses conférences qu’il y avait prononcées servirent à diffuser sur une grande échelle sa méthode d’enseignement économique et pratique, destinée aux pauvres. Celle-ci gagna d’ailleurs des adeptes aussi loin qu’aux États-Unis et au Venezuela, d’où l’on vint visiter l’école du chemin Borough. Mais son promoteur n’avait pas le sens des affaires, était arrogant et se querellait avec ses amis ; c’est pourquoi le comité de gestion de la Royal Lancasterian Society commença à exercer une plus grande mainmise sur l’administration financière et l’organisation de la société. En 1814, Lancaster perdit son rôle d’organisateur et on le rétrograda au poste salarié de surintendant. On remplaça même le nom de la société par celui de British and Foreign School Society. Plus tard, la même année, il démissionna après qu’un scandale eut éclaté : des moniteurs auraient été fouettés par plaisir. La Société des Amis le désavoua pour cause de manquement aux obligations financières ; de plus, l’insuccès de l’école privée qu’il avait ouverte à Tooting (Londres) entraîna sa faillite. Lancaster décrivit ces caprices du sort dans un ouvrage publié à Bristol en 1816, Oppression and persecution ; or a narrative of a variety of singular facts that have occurred in the rise, progress and promulgation of the Royal Laneasterian system of education.

Même si Lancaster rencontrait des difficultés professionnelles en Angleterre, sa méthode du monitorat, non confessionnelle, était bien accueillie aux États-Unis et en Amérique du Nord britannique. Le comité londonien de la British and Foreign School Society encourageait l’implantation de son système d’enseignement au Canada. Le révérend Thaddeus Osgood* voulut établir à Québec, en 1814, et à Kingston, trois ans plus tard, une école inspirée du modèle lancastérien. C’est peut-être le fait que la méthode du monitorat était utilisée à Québec par Osgood qui amena le comité de l’éducation de la chambre d’Assemblée à se montrer favorable, dans un rapport daté de 1815, au système de Lancaster, jugé économique et efficace. Un extrait de Improvements était annexé au rapport et on publia à Montréal cette année-là une édition bilingue de l’ouvrage. En 1816, on rejeta par quatre voix seulement une motion qui voulait qu’on accorde une subvention pour la création d’autres écoles basées sur le système de Lancaster. Plus tard, l’opposition des clergés anglican et catholique finit par entraîner la fermeture de l’école québécoise d’Osgood. Toutefois d’autres écoles qui utilisaient la méthode du monitorat la remplacèrent rapidement : celles de la British and Canadian School Society, qui se servaient du modèle des écoles de la British and Foreign School Society, celles que Joseph-François Perrault mit sur pied et enfin, à Québec et à Montréal, les écoles nationales. Dans chacun de ces établissements, la population variait entre 300 et 400 élèves, ce qui finit par leur valoir des subventions de l’Assemblée : £200 en 1823, £l 650 en 1825, encore plus les années suivantes. D’autres écoles purent aussi profiter de subventions de £100 pour les inciter à employer la méthode du monitorat ; c’est ainsi que l’on accorda une subvention à l’école de Trois-Rivières « à la condition qu’on y adopte la méthode du monitorat et qu’on y admette gratuitement les enfants qui détenaient un certificat de pauvreté délivré par les commissaires ». À Halifax, Walter Bromley avait créé pendant l’année scolaire 1813–1814 la Royal Acadian School, une école fidèle aux principes de la British and Foreign School Society. Des branches de cette dernière proliférèrent dans les colonies pendant la deuxième décennie du siècle : Nouvelle-Écosse (1810), Bas-Canada (1812), Haut-Canada (1816), Île-du-Prince-Édouard (1817), Nouveau-Brunswick (1819), colonie de la Rivière-Rouge (1820) ; pour aider les élèves à apprendre à lire, elles fournissaient des éditions bon marché des Saintes Écritures aux écoles régulières et aux écoles du dimanche qui utilisaient la méthode du monitorat.

Au début des années 1820, la maladie obligea Lancaster à quitter les États-Unis, où il vivait depuis 1818, et à s’établir sous des cieux plus chauds, au Venezuela. Il n’y accumula que des dettes et n’y connut que l’amertume parce que le président du pays, Simón Bolivar, ne l’aida pas comme promis. Pendant ce temps, au Canada, Louis-Joseph Papineau*, président de la chambre d’Assemblée, ainsi que Perrault et d’autres continuaient de louanger le système de l’éducateur anglais. En 1828, un an après s’être établi à New York, il se rendit à Québec où il donna des conférences, visita des écoles et examina les perspectives d’avenir qui lui étaient offertes. Sir James Kempt* lui accorda son patronage en souscrivant £100 pour un journal sur l’éducation que Lancaster se proposait de publier. Il s’installa à Montréal en septembre 1829 et, le mois suivant, il commença à enseigner à des enfants « possédant une connaissance inadéquate de l’alphabet ou incapables d’épeler correctement des mots de deux ou trois lettres ». Moins d’un mois plus tard, certains de ces élèves pouvaient lire « avec aisance « diverses parties » et de « longs passages » du Nouveau Testament ». Par la suite, Lancaster ouvrit une école dans sa demeure, rue Saint-Jacques ; une partie des fonds nécessaires provint de la vente d’un certain nombre de gravures de valeur ; c’est la fille et les beaux-enfants de Lancaster qui assurèrent l’enseignement dans cette école. Le nombre des élèves passa de 30 à 58 après le déménagement dans un local plus spacieux, rue du Canal. Les frais de scolarité étaient de £10 par trimestre, mais moins de la moitié des inscrits les payaient ; s’ajoutaient à ces revenus des subventions de l’Assemblée : £100 d’abord, qui furent doublées en 1830 grâce à l’adoption d’une motion de Papineau, £200 en 1831, puis, en 1832, £100 plus £5 pour chaque élève, jusqu’à concurrence de 10, à qui il apprendrait à enseigner et à administrer une école. En 1832, les inspecteurs d’écoles Jacob De Witt* et Louis-Michel Viger* informèrent l’Assemblée qu’ils jugeaient favorablement les « progrès importants » réalisés dans l’école de Lancaster ainsi que l’ordre qui y régnait. L’opinion d’un autre inspecteur d’écoles, Austin Cuvillier, était différente : « des personnes respectables dont les enfants fréquentent l’école de M. Lancaster [...], écrivit-il, se plaignent que leurs enfants ne font pas plus de progrès dans cet établissement qu’ils n’en feraient dans une école ordinaire et que les frais de scolarité y sont plus élevés qu’ailleurs ».

Au départ, Joseph Lancaster avait l’intention de rester à Montréal ou aux environs. Il avait installé une presse typographique et, en octobre 1830, avait lancé la Gazette of Education and Friend of Man. Dans le seul numéro qui parut, il fit beaucoup plus de publicité pour son compte personnel qu’il ne fit paraître d’articles originaux sur l’éducation. En 1831, il présenta une requête au roi Guillaume IV en vue d’obtenir une concession de 100 acres de terrain à Laprairie (La Prairie), une localité proche de Montréal, où il comptait « fonder un séminaire, s’établir et finir ses jours » ; on n’acquiesça pas à sa demande. L’année suivante, il se lança dans une diatribe contre le gouverneur en chef, lord Aylmer [Whitworth-Aylmer], parce que le bureau de santé avait saisi, pour y installer des personnes qui souffraient du choléra, un refuge qu’il avait contribué à faire construire à l’intention des immigrants pauvres qui arrivaient d’Irlande. La même année, malgré les conseils de deux membres de l’Assemblée qui le soutenaient, De Witt et Papineau, il vota pour Stanley Bagg, le père de l’un de ses élèves, plutôt que pour Daniel Tracey*, à une élection complémentaire extrêmement serrée. Quand on cessa de lui donner des subventions, Lancaster dut fermer son école : les seuls frais de scolarité ne lui permettaient plus de poursuivre son action. Il avait l’intention de la rouvrir après avoir recueilli des fonds, mais il retourna bientôt aux États-Unis. Grâce à l’aide de quelques gentlemen en Angleterre, il put recevoir une rente. Pendant les derniers mois de sa vie, son intérêt pour la formation de moniteurs en Angleterre se raviva, mais il mourut à New York après qu’un cheval emballé l’eut piétiné.

Heather Lysons-Balcon

Joseph Lancaster est l’auteur de nombreux ouvrages, dont la plupart sont mentionnés dans National union catalog.

B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 22 mars 1815, 16 févr. 1816, 17 mars 1830, 1831–1832, app. II, 1er rapport.— Canadian Courant and Montreal Advertiser, 16 déc. 1829.— La Gazette de Québec, 30 mars 1815.— Beaulieu et Hamelin, la Presse québécoise, 1.— DNB.— William Corston, A brief sketch of the life of Joseph Lancaster ; including the introduction of his system of education (Londres, [1840]).— Mora Dickson, Teacher extraordinary, Joseph Lancaster, 1778–1838 (Sussex, Angl., 1986).— David Salmon, Joseph Lancaster (Londres, 1904).— G. W. Spragge, « Monitorial schools in the Canadas, 1810–1845 » (thèse de d.paed., Univ. of Toronto, 1935).— Judith Fingard, « Grapes in the wilderness » : the Bible Society in British North America in the early nineteenth century », HS, 5 (1972) : 5–31.— G. W. Spragge, «Joseph Lancaster in Montreal », CHR, 22 (1941) : 35–41.

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Heather Lysons-Balcon, « LANCASTER, JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lancaster_joseph_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
Date de consultation:    1 décembre 2024