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CHÉNIER, JEAN-OLIVIER, médecin et patriote, né le 9 décembre 1806, probablement à Lachine, Bas-Canada, ou peut-être à Montréal, et baptisé le lendemain dans cette ville, fils de Victor Chénier et de Cécile Motel ; décédé le 14 décembre 1837 à Saint-Eustache, Bas-Canada.
Jean-Olivier Chénier appartient à une famille de cultivateurs qui n’est pas étrangère au commerce. Son grand-père, François Chénier, avait épousé Suzanne-Amable Blondeau, issue d’une famille de riches marchands montréalais de la fin du xviiie siècle, et au baptême de Jean-Olivier c’est Jean-Baptiste Trudeau (Truteau), trafiquant de fourrures et explorateur, qui agit comme parrain. Il semble que Chénier ait pu s’instruire grâce à la protection de René-Joseph Kimber, médecin de Montréal. Chénier voudra suivre les traces de son protecteur et, en 1820, il entreprend sous sa direction son apprentissage en médecine. Il est admis à l’exercice de la profession le 20 février 1828, à l’âge de 21 ans.
Jeune médecin, Chénier va s’établir la même année à Saint-Benoît (Mirabel), village qui fait alors partie de la circonscription d’York, où il ne tarde pas à se mêler de politique. En 1827, dans un contexte d’affrontement entre la chambre d’Assemblée et le gouverneur sur la question des subsides, lord Dalhousie [Ramsay] avait d’abord prorogé la session en mars, puis annoncé la tenue d’élections générales pour juillet. Ripostant au choix de Louis-Joseph Papineau* comme président de la chambre par une nouvelle prorogation en novembre, lord Dalhousie veut ainsi affirmer les droits de la couronne et de l’exécutif colonial. À quoi les partisans de la chambre d’Assemblée répondent par des réunions populaires, par la célèbre pétition au Parlement impérial qui porte 80 000 signatures et par l’envoi de représentants à Londres [V. Denis-Benjamin Viger*]. La circonscription d’York prend une part active à ce conflit. Aux élections de juillet, ses habitants préfèrent les candidats du parti patriote, Jacques Labrie*, médecin de Saint-Eustache, et Jean-Baptiste Lefebvre, marchand de Vaudreuil, à ceux du parti des bureaucrates, Nicolas-Eustache Lambert* Dumont, coseigneur des Mille-Îles, et John Simpson*, receveur des douanes de Coteau-du-Lac. À Saint-Benoît, dans un geste symbolique de résistance aux autorités, Jean-Joseph Girouard*, notaire de ce village et capitaine dans le bataillon de milice de Rivière-du-Chêne, et ses amis politiques omettent de procéder aux rassemblements des miliciens généralement effectués à l’été de chaque année. En 1828, Chénier fait partie d’un groupe de sept personnes, dont Labrie et Girouard, que l’officier commandant de la milice, le lieutenant-colonel Lambert Dumont, accuse d’obstruction.
En 1829, à la suite de la mort accidentelle de Lefebvre, Chénier est de ceux qui aident William Henry Scott*, marchand de Saint-Eustache, à se faire élire député de la circonscription d’York. Puis, aux élections générales de 1830, les premières à se dérouler selon une nouvelle division de la carte électorale qui scindait York en trois circonscriptions distinctes – Deux-Montagnes, Vaudreuil et Ottawa –, Chénier compte parmi ceux qui réussissent à faire élire Labrie et Scott députés de la nouvelle circonscription de Deux-Montagnes. Le 26 septembre 1831, il épouse à Saint-Eustache la fille de Labrie, Zéphirine. Celui-ci meurt un mois plus tard et, en décembre 1831, Chénier contribue dans une large mesure à l’élection de Girouard en remplacement de Labrie comme député de Deux-Montagnes. En juin 1832, peu après l’élection complémentaire dans la circonscription de Montréal-Ouest au cours de laquelle la troupe avait ouvert le feu et tué trois personnes [V. Daniel Tracey*], il fait partie du groupe de notables qui invitent les francs-tenanciers du comté de Deux-Montagnes à se réunir à Saint-Benoît « aux fins de convenir des moyens les plus efficaces pour prévenir le monopole, l’agiotage et tout système exclusif au sujet de l’établissement des terres incultes ». À l’assemblée qui suit, il est nommé membre d’un comité de 30 personnes, dont 6 de Saint-Benoît, chargées de veiller aux intérêts des Canadiens. Ce n’est qu’en 1834, d’après la plupart des historiens, que Chénier quitte Saint-Benoît et vient s’installer à Saint-Eustache.
Les élections de 1834, qui ont lieu après l’adoption des Quatre-vingt-douze Résolutions, démontrent, généralement de façon éclatante, la popularité du parti patriote. Dans la circonscription de Deux-Montagnes, en dépit de la violence et de l’intimidation, Scott et Girouard remportent la victoire. Ces élections confirment des clivages entre ce qu’on appelait le bas et le haut de la circonscription, c’est-à-dire entre la partie comprenant les villages de Saint-Eustache, de Saint-Benoît et de Sainte-Scholastique (Mirabel), plus anciennement peuplée et largement francophone, et celle qui comprend la seigneurie d’Argenteuil et les cantons de Chatham et de Grenville, habitée depuis moins longtemps et pour une bonne part anglophone. L’auteur de Relation historique des événements de l’élection du comté du lac des Deux Montagnes en 1834 ; épisode propre à faire connaître l’esprit public dans le Bas-Canada, peut-être Girouard lui-même, dans sa description de la fête organisée à la suite des élections, mentionne Chénier parmi les principaux artisans de la victoire de la cause patriote. Il ajoute : « Mais c’est surtout au Dr. Chénier que les électeurs témoignèrent combien ils étaient satisfaits de sa conduite active infatigable, et de sa bravoure dans le combat ; tandis que sa Dame, digne fille de feu le Dr. Labrie, n’avait cessé nuit et jour d’acceuillir dans sa maison les habitans éloignés qui venaient par centaines lui demander gîte, n’y ayant aucune auberge d’ouverte aux Canadiens dans le Village. Ils exprimèrent publiquement leur reconnaissance à cette Dame. »
Au cours des années suivantes, Chénier est engagé dans les assemblées populaires du comté de Deux-Montagnes. Ainsi, le 11 avril 1836, conjointement avec Luc-Hyacinthe Masson*, médecin de Saint-Benoît, il agit comme secrétaire de l’assemblée de Saint-Benoît, où, entre autres, une résolution invite à s’abstenir d’acheter « les marchandises et les produits des manufactures britanniques » et où on suggère plutôt la fondation de manufactures nationales. Au cours de la grande assemblée de Sainte-Scholastique, tenue le 1er juin 1837, dans le mouvement de protestation contre les résolutions de lord John Russell, Chénier est choisi comme membre du comité permanent chargé de donner suite aux travaux de cette assemblée. Il aurait déclaré là sa détermination en affirmant : « Ce que je dis, je le pense et je le ferai ; suivez-moi et je vous permets de me tuer si jamais vous me voyez fuir. » Entre juin et novembre 1837, le comité organise une dizaine de réunions. Chénier compte parmi ses principaux membres, avec Girouard, Masson et Joseph-Amable Berthelot, notaire de Saint-Eustache.
À l’été de 1837, le comté de Deux-Montagnes est le théâtre de tiraillements incessants. Les adversaires des patriotes se disent victimes de tactiques de harcèlement, voire d’actes de violence, et ont recours à des dénonciations auprès des autorités. Le gouvernement veut faire enquête et procéder à des arrestations. Il décide plutôt de brandir des menaces de destitution et réussit surtout à provoquer la démission de juges de paix et d’officiers de milice. L’assemblée de Saint-Benoît qui a lieu le 1er octobre, et dont le journal le Populaire de Montréal rendra compte dans un article intitulé « la Révolution commence », décide de procéder à l’élection des juges de paix et de laisser aux miliciens dans chaque paroisse la tâche d’élire leurs officiers. Chénier exerce les fonctions de secrétaire de l’assemblée subséquente qui se tient le 15 octobre dans le rang Saint-Joachim, à Sainte-Scholastique, et il est du nombre des 22 magistrats qui y sont élus. Le 23 octobre, il participe avec Girouard et Scott à la grande assemblée des six comtés, à Saint-Charles-sur-Richelieu. Scott apparaît alors comme le principal chef patriote à Saint-Eustache et Chénier comme le second. Scott, Chénier et Joseph Robillard, maçon et marchand, sont les seuls à faire partie à la fois du comité permanent et des organisations de justice et de milice improvisées. Parmi les autres leaders se trouvent le notaire Berthelot, l’arpenteur Émery Féré et le cultivateur Jean-Baptiste Bélanger.
Dès les premières arrestations, le 16 novembre 1837, Chénier figure sur la liste des personnes contre lesquelles le gouvernement a lancé un mandat. Le lendemain, Amury Girod arrive dans le comté de Deux-Montagnes et, se réclamant de Louis-Joseph Papineau et d’un petit conseil de guerre tenu à Varennes, près de Montréal, avec Papineau, Edmund Bailey O’Callaghan* et Jean-Philippe Boucher-Belleville*, il s’impose comme général des forces mobilisées pour la résistance et pour l’établissement d’un gouvernement provisoire. Mais le « Général », qui a grande allure et s’entoure d’aides de camp recrutés parmi de jeunes hommes de loi de Montréal, ne peut que laisser beaucoup d’autonomie à Chénier, commandant du camp de Saint-Eustache, car il doit faire la navette entre ce village et Saint-Benoît. Chénier a ses hommes et Girod les siens quand les deux groupes tentent, à Lac-des-Deux-Montagnes (Oka), de s’emparer des armes des Indiens et de la Hudson’s Bay Company.
Achat et réquisitions forcées d’armes et de nourriture, activités d’information, de surveillance et de contrôle forment le quotidien du commandant, plus que l’entraînement militaire proprement dit. Après la défaite de Saint-Charles-sur-Richelieu, les chefs patriotes ont du mal à maintenir le moral des troupes. Au début de décembre, Scott et Féré, qui n’approuvent pas le recours aux armes, se retirent du mouvement car ils l’estiment dès lors sans espoir. Le curé Jacques Paquin, de Saint-Eustache, le vicaire François-Xavier Desève et leur ami, le curé François-Magloire Turcotte, de Sainte-Rose (à Laval), essaient de démontrer que c’est folie de penser triompher des forces gouvernementales qui préparent l’attaque contre les insurgés.
Le 14 décembre 1837, l’armée de sir John Colborne*, venue de Montréal par l’île Jésus, et les volontaires locaux, commandés par Maximilien Globensky*, donnent l’assaut contre les hommes de Chénier retranchés dans l’église, le presbytère, le couvent et les maisons environnantes de Saint-Eustache. Ils sont originaires principalement de Saint-Eustache, de Sainte-Scholastique et de Saint-Jérôme. Girod a filé vers Saint-Benoît et les quelques jeunes gens de Montréal qui se réclamaient de l’organisation centrale ont aussi quitté les lieux. L’affrontement est inégal : dans le camp de Chénier, moins nombreux et relativement mal armé, une quarantaine de morts dont les noms sont connus et sans doute autant de victimes anonymes. Chénier lui-même est tué au moment où il tente de sortir de l’église en flammes. Il venait d’avoir 31 ans.
En possession du corps de Chénier, l’armée britannique victorieuse l’a-t-elle traité avec ou sans respect [V. Daniel Arnoldi] ? La question a fait couler beaucoup d’encre, particulièrement dans les années 1883 et 1884, à l’époque de la publication par Charles-Auguste-Maximilien Globensky de la Rébellion de 1837 à Saint-Eustache [...] et par Laurent-Olivier David* de Patriotes. Mais encore en 1952–1953, dans la Revue de l’université Laval, Émile Castonguay défendait sous le pseudonyme de Bernard Dufebvre la thèse de Globensky et Robert-Lionel Séguin celle de David ; et même dans les années 1970, la question refaisait surface dans le journal la Victoire de Saint-Eustache. Le fait a moins d’importance que de signification symbolique. De toute manière, il concerne moins Chénier lui-même que le comportement des militaires britanniques.
De même, l’histoire assez extraordinaire des projets de monuments à la gloire de Chénier renseigne surtout sur l’importance que peut avoir un enjeu symbolique. En 1885, dans le contexte du débat David-Globensky et de l’affaire Riel [V. Louis Riel*], à l’initiative du docteur David Marsil – ancien maire de Saint-Eustache de 1871 à 1875 et candidat libéral défait en 1878 – et de ses amis politiques, on veut élever à Saint-Eustache un monument à Chénier, mais les adversaires du projet usent de leur influence pour lui faire échec et même pour tourner l’affaire en dévoilement d’une plaque souvenir en l’honneur du curé Jacques Paquin. En 1891, Marsil pense pouvoir faire transporter les restes de Chénier dans le cimetière catholique Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal, au monument érigé en 1858 au souvenir des victimes de 1837–1838. Il fait procéder à l’exhumation dans la section du cimetière de Saint-Eustache réservée aux morts sans baptême. On fait même graver sur le monument du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, sous le nom de Chénier, les mots « ses restes reposent ici ». Mais l’archevêque de Montréal, Mgr Édouard-Charles Fabre*, refuse d’autoriser le transfert et la cérémonie. Un comité formé en 1893, dont Marsil fait partie et qui peut compter sur l’influence d’Honoré Mercier*, donnera à Chénier son monument au square Viger, à Montréal, le 24 avril 1895. En 1937, à l’occasion du centenaire de sa mort, on lui élève un monument à Saint-Eustache. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal conservera ses restes jusqu’en juillet 1987, au moment où ils seront cette fois déposés dans la partie bénite du cimetière de Saint-Eustache.
Chénier laissait une femme et une petite fille, qui ne vivra que quelque temps après sa mort. Quant à sa femme, elle se fait institutrice et se remarie bientôt avec Louis-Auguste Desrochers, fonctionnaire et professeur de musique. Après avoir examiné les réclamations de la veuve de Chénier, la commission chargée d’enquêter sur les pertes subies pendant la rébellion lui verse en 1852 une petite indemnité pour la part des biens possédés en communauté avec Chénier et perdus au moment de l’incendie de leur maison en 1837. Elle obtient gain de cause grâce, pour une part, à Jean-Joseph Girouard et à sa seconde femme, Émélie Berthelot, dont elle était l’amie. D’autres membres de sa famille survivaient à Chénier : un frère, Victor, qui habitait Longueuil, près de Montréal, deux sœurs, qui résideront à Montebello, et un cousin, Félix, jeune notaire aussi établi à Saint-Eustache et mêlé aux événements de 1837–1838.
D’après un témoignage oral rapporté par Joseph-Arthur-Calixte Éthier dans une conférence donnée et publiée en 1905, Jean-Olivier Chénier était « un petit homme, carré, bien fait, pas gênant, poli, mais qui n’avait pas froid aux yeux ». Qu’il soit mort en brave ne fait aucun doute. Bien sûr, ceux qui estiment généralement la cause légitime et l’action opportune parleront de courage et de générosité sincère, alors que ceux qui pensent le contraire y verront plutôt entêtement et influence néfaste. L’historien de la rébellion de 1837 dans la région du lac des Deux Montagnes, Émile Dubois, brosse un portrait moral nuancé et au total sympathique de Chénier. Quant à Fernand Ouellet, historien de l’ensemble du mouvement insurrectionnel, s’il reproche aux chefs patriotes leur ambivalence à propos du recours aux armes et leur tendance à ne pas assumer jusqu’au bout les conséquences d’une mobilisation à laquelle leurs propos et leurs gestes avaient conduit, il fait exception pour Wolfred Nelson*, à Saint-Denis, sur le Richelieu, et pour Chénier, à Saint-Eustache, qui se seraient distingués par la cohérence ou par la consistance de leur action.
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Jean-Paul Bernard, « CHÉNIER, JEAN-OLIVIER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chenier_jean_olivier_7F.html.
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Auteur de l'article: | Jean-Paul Bernard |
Titre de l'article: | CHÉNIER, JEAN-OLIVIER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |