HUNTLEY, sir HENRY VERE (baptisé Henry Veel), officier de marine et administrateur colonial, né en 1795 et baptisé le 29 novembre 1796, troisième fils du révérend Richard Huntley et d’Ann Webster de Boxwell Court, Gloucestershire, Angleterre, décédé le 7 mai 1864 à Santos, Brésil.

On connaît peu de chose de l’enfance de Henry Vere Huntley, si ce n’est qu’il entra dans la marine royale à l’âge de 14 ans. Il est probable qu’il reçut un enseignement traditionnel limité, bien que plus tard il ait montré des dispositions pour la littérature. Après les guerres napoléoniennes, il resta dans la marine, servit à l’étranger et obtint le grade de commandant en 1838. Après avoir acquis durant 30 ans une expérience nautique remarquable, il devint, en 1839, lieutenant-gouverneur des colonies britanniques situées sur le fleuve Gambie en Afrique occidentale.

Apparemment, la santé de Huntley eut à souffrir du climat africain et, en 1841, il rentra en Angleterre où il accepta le poste de lieutenant-gouverneur de Terre-Neuve, mais le ministère des Colonies retira son offre en faveur de sir John Harvey* et envoya Huntley à l’Île-du-Prince-Édouard. Le 9 octobre, avant son départ d’Angleterre, il fut fait chevalier. Cinq semaines plus tard, il débarqua dans la colonie, alors aux prises avec le problème des terres. Les sympathies de Huntley allaient aux partisans du droit de propriété ; il fut satisfait de la défaite électorale, au milieu de l’année 1842, des partisans radicaux de l’escheat (confiscation des terres), dirigés par William Cooper, qui dominaient l’Assemblée depuis quatre ans. Au début de 1843, lors d’une réunion publique à New London, on déclara que le gouvernement servait « les intérêts d’une vingtaine de spéculateurs fonciers, de leur parenté, de leurs familles et de leurs parasites » et on décida d’en faire une proposition que le député Duncan MacLean publierait. Huntley ordonna que MacLean, qu’il avait dans l’intimité qualifié de « révolutionnaire acharné », fût poursuivi pour diffamation contre le gouvernement. L’accusé fut jugé coupable mais, à la demande de Huntley, le jugement ne fut pas prononcé ; l’affaire ne devait servir que d’avertissement. Néanmoins, les partisans de l’escheat, bloqués par la procédure parlementaire, se lancèrent, avec un certain succès, dans l’action directe au niveau des campagnes ; ainsi, ils empêchèrent des expulsions et s’opposèrent à la collecte des loyers. L’incendie de la demeure d’un agent de Cunard en mars 1843 poussa Huntley à envoyer des soldats dans l’est du comté de Kings. De tels actes et les rapports amicaux qu’entretenait Huntley avec des propriétaires terriens et des agents fort impopulaires, comme l’abbé John McDonald* et James Horsfield Peters*, firent que l’opinion publique pensait que le gouverneur Huntley servait le « Family Compact » de l’île.

L’alliance entre Huntley et l’oligarchie de Charlottetown ne dura pas. Tout d’abord, d’après ses lettres officielles, on voit que Huntley était déçu que l’Assemblée, composée en majorité de tories, n’ait pas réussi à faire réparer sa résidence officielle ni à augmenter ses émoluments. Sa pension annuelle de £ 1000 ne couvrait que les deux tiers de ses dépenses et, au début de 1844, il jugea nécessaire, à ce qu’il semble, de retirer son appui à plusieurs organismes publics, mais non à tous. Par ailleurs, un autre différend beaucoup plus important régnait, pour lequel Huntley recevait tout l’appui du ministère des Colonies : sous l’autorité de Joseph Pope*, son président, l’Assemblée dépensait régulièrement plus que ses revenus. De l’avis de Huntley, il s’agissait d’une pratique fiscale peu orthodoxe et à caractère démagogique, destinée à obtenir l’approbation des paysans de l’île, qu’il jugeait incapables d’apprécier des mesures plus éclairées. Pour l’un et l’autre problème, à savoir la sauvegarde de la dignité officielle et la situation financière, le gouverneur pensait que la majorité réunie autour de Pope n’avait pas assez de vigueur morale pour être plus que le reflet des préjugés campagnards.

Impétueux, enclin aux manœuvres directes et théâtrales, Huntley décida de faire part publiquement de son opinion sur la nécessité d’équilibrer les revenus et les dépenses. À l’encontre des désirs de Pope, il fit, lors de ses allocutions à l’Assemblée en 1845 et 1846, des observations acérées sur la dette publique (inexplicablement, les historiens W. Ross Livingston, W. S. MacNutt* et Wayne E. MacKinnon ont vu dans ces remarques des allusions aux prétendues dettes de Pope). La tension ne fit que croître sur les questions financières, et, en mars 1846, Pope proclama à l’Assemblée que les « manœuvres sournoises » de Huntley le « dépréciaient » comme membre du Conseil exécutif et député. C’est alors que Huntley suspendit Pope du Conseil exécutif, en raison de ces remarques et d’autres du même ordre. Pope, soutenu par l’Assemblée, demanda au ministère des Colonies d’être réintégré. Lord Grey, ministre des Colonies, admit la validité de la requête et mit fin à toutes les poursuites, entre autres parce qu’elles étaient nées de paroles prononcées à l’Assemblée. Fort de son bon droit, Pope démissionna du conseil.

Cette controverse avec le président, qui fit l’objet d’une volumineuse correspondance entre Charlottetown et Londres, avait aussi creusé un fossé infranchissable entre Huntley et l’élite locale, qui soutenait Pope. Le gouverneur chercha une nouvelle alliance et, en avril 1847, nomma au conseil, pour remplacer Pope, un membre réformiste éminent de l’Assemblée, George Coles*. Sur l’avis erroné de la majorité à l’Assemblée, Huntley demanda à Coles de se soumettre à une nouvelle élection, procédure inaccoutumée, qu’il gagna ; toutefois, le conflit né de la nomination apparut au grand jour lorsqu’un membre influent du Conseil exécutif, le secrétaire colonial Thomas Heath Haviland, vota publiquement contre Coles. Satisfaits d’avoir obtenu cet avantage, nouveau encore que limité, d’un siège au conseil, les réformistes recueillirent des signatures demandant que le mandat de Huntley durât plus de six ans. Alarmés, les tories firent circuler une pétition en sens contraire, qu’ils envoyèrent à Londres avec une délégation de trois hommes, qui comprenait Pope et Edward Palmer*, un membre du Conseil exécutif qui avait expressément démissionné dans ce but. Les pétitions opposées ne firent que renforcer Grey dans sa conviction qu’il fallait relever immédiatement Huntley de ses fonctions. Il partit pour l’Angleterre le 30 novembre 1847, au grand regret des réformistes.

Après son départ de l’île, Huntley semble avoir mené une vie assez mouvementée. Moins d’un an après son arrivée en Angleterre, il fut déclaré en faillite après une brève incarcération. Même si, apparemment, il avait des dettes avant d’arriver à l’Île-du-Prince-Édouard, il attribua, devant les tribunaux, sa déconfiture à l’insuffisance de son salaire de gouverneur. En 1850, il avait conduit une compagnie de mineurs en Californie. Vers la fin des années 1840, et durant la décennie suivante, il publia plusieurs recueils sans grande valeur sur divers sujets, entre autres une description de la Californie. Lorsqu’il mourut en 1864 à Santos, au Brésil, il avait réintégré, à titre de consul, le service britannique outre-mer. Il s’était marié deux fois : la première, le 20 septembre 1832 avec Anne Skinner (décédée en 1855), la deuxième avec Mlle Drury de Harrow, Middlesex, Angleterre, en 1859. Deux fils et une fille au moins lui survécurent.

Lorsque sir Henry Vere Huntley était parti pour l’Île-du-Prince-Édouard, c’était comme officier de carrière dans la marine, et ses antécédents ne laissaient pas deviner ses tendances libérales. Ses premiers messages le montrèrent tout disposé à adopter les opinions de l’élite locale. Pourtant, à la fin de son mandat, il avait rallié l’un des mouvements réformistes les plus militants et progressistes de l’Amérique du Nord britannique. Il préconisait même ce qu’il appelait le gouvernement responsable, bien que, pour lui, ce régime se limitait surtout au fait que les membres du Conseil exécutif devaient démissionner s’ils n’étaient pas d’accord avec le gouverneur. Il ne semble pas que sa conversion à la cause réformiste soit née d’une lente progression de ses convictions. Son geste relevait plus de sa personnalité volontaire qui, alliée à un strict sens du devoir, l’amena à s’écarter du « Family Compact » de l’île. Lorsque sa désaffection fut totale, l’oligarchie engagea, avec un fort esprit de vengeance, selon les termes d’Edward Whelan, « une guerre d’extermination ». Les nouveaux partisans de Huntley, comme Whelan (qui l’appela un jour le « crocodile de Gambie » en raison de son pleurnichement à propos de son salaire), tâchaient d’exploiter la scission à leur avantage.

Huntley s’était trouvé dans une position presque insoutenable, entre un mouvement populaire féroce et une oligarchie très fermée dotée d’un sentiment de permanence plus fort que celui de n’importe quel gouverneur. Il est difficile d’imaginer comment il aurait pu atténuer les tensions sociales qui, ajoutées aux personnalités querelleuses, rendirent le climat politique de l’île particulièrement âpre et agité. Par ailleurs, face à cette situation, Huntley ne fit preuve d’aucun talent ou tact remarquables. En fait, son extrême susceptibilité, son caractère impulsif et, dans une certaine mesure, ses maladresses, en firent un des hommes les plus contestés parmi les administrateurs qui occupèrent la résidence du gouverneur de l’Île-du-Prince-Édouard.

Ian Ross Robertson

Les ouvrages de H. V. Huntley comprennent : California : its gold and its inhabitants (2 tomes en 1 vol., Londres, 1856), publié aussi sous le titre de Adventures in California (Londres, s.d.) ; Observations upon the free trade policy of England, in connexion with the Sugar Act of 1846 [...] (Londres, 1849; Peregrine Scramble ; or, thirty years’ adventures of a blue jacket (2 vol., Londres, 1849) ; Seven years’ service on the slave coast of western Africa (2 vol., Londres, 1850).

PAPEI, Central Academy, minute book, 83–84, 93, 95, 104 ; H. V. Huntley to Webster Huntley, 10 mai 1842 (copie).— PRO, CO 226/62–65, 226/67–72, 226/76, plus particulièrement 226/62, 113–116, 184 ; 226/63, 337 ; 226/64, 3–15, 30s. ; 226/65, 86–93, 131–136, 139–150, 155, 190–235, 250–256, 260s. ; 226/67, 36–43, 192–207, 273–275, 298–305 ; 226/68, 25–29, 140–147, 161s., 296, 496–498 ; 226/69, 90, 100–102, 129–133, 152–194, 287–290, 317–335, 453s., 479–489, 501–505 ; 226/70, 104–313 ; 226/71, 44s., 61–64, 67–73, 105s., 148–159, 246–267, 287–376, 420–431, 472–493 ; 226/72, 56–59, 111–148 ; 226/76, 234–236.— Coll. Elgin-Grey (Doughty), I : 68s., 72s. ; IV : I 375–1378.— I.-P.-É., House of Assembly, Journal, 1845, 6, 95 ; 1846, 6, 96–99, 114–117, 123 ; 1847, 7s., 145.— Colonial Herald (Charlottetown), 4 sept., 13 nov. 1841.— Constitutionalist (Charlottetown), 2, 9, 16 mai 1846.— Examiner (Charlottetown), 7, 14, 21 août, 2, 16 oct., 27 nov., 4, 11 déc. 1847, 11 sept. 1848, 12 févr. 1850, 4 juill. 1864.— Islander, 30 juin, 7 juill. 1843, 12 janv., 29 mars, 5 avril 1844, 8 sept. 1848, 1er, juill. 1864.— Palladium (Charlottetown), 7, 11 sept., 16 nov., 14, 28 déc. 1843, 4, 18 janv., 7 mars, 11, 18 avril, 9 mai, 28 déc. 1844.— Ross’s Weekly (Charlottetown), 14 juill. 1864.— Royal Gazette (Charlottetown), 16 nov., 7 déc. 1841, 14, 28 mars 1843, 19 mars 1844, 23, 30 nov., 14 déc. 1847, 8 oct. 1850.— DNB.— W. R. Livingston, Responsible government in Prince Edward Island : a triumph of self-government under the crown (Iowa City, 1931), 20–36.— Peter McCourt, Biographical sketch of the Honorable Edward Whelan, together with a compilation of his principal speeches ; also interesting and instructive addresses to the electors of the second district of King’s County, and a brilliant lecture entitled Eloquence as an art (Charlottetown, 1888), 5–8.— MacKinnon, Government of P.E.I., 30s., 40, 49, 73, 78–81, 170.— W. E. MacKinnon, The life of the party : a history of the Liberal party in Prince Edward Island (Summerside, Î.-P.-É., 1973), 14, 19.— J. C. MacMillan, The history of the Catholic Church in Prince Edward Island from 1835 till 1891 (Québec, 1913), 45s.— MacNutt, Atlantic provinces, 231–234 ; Political advance and social reform, 1842–1861, Canada’s smallest province (Bolger), 114–121.— Robertson, Religion, politics, and education in P.E.I., 33–37.

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Ian Ross Robertson, « HUNTLEY, sir HENRY VERE (baptisé Henry Veel) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/huntley_henry_vere_9F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1977
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