GIROUARD, ANTOINE, prêtre catholique et administrateur scolaire, né le 7 octobre 1762 à Boucherville (Québec), fils d’Antoine Girouard et de Marguerite Chaperon ; décédé le 3 août 1832 à Varennes, Bas-Canada.

Orphelin de père dès sa naissance, Antoine Girouard fait avec succès des études au collège Saint-Raphaël à Montréal, de 1773 à 1780, puis au grand séminaire de Québec où il est étudiant en théologie. Il est ordonné prêtre par l’évêque de Québec, Mgr Louis-Philippe Mariauchau* d’Esgly, à l’automne de 1785. Presque immédiatement, l’évêque l’envoie comme missionnaire dans la région de la baie des Chaleurs. Ce premier ministère au sud de la baie le met en contact avec des pêcheurs acadiens et des Amérindiens. À l’automne de 1790, il est nommé curé de la paroisse du Saint-Enfant-Jésus (à Montréal) et dessert Saint-François-d’Assise (à Montréal).

En septembre 1805, Girouard devient curé à Saint-Hyacinthe où il remplace Pierre Picard. Il a 42 ans et quelques économies. Colonisée depuis moins longtemps que les rives du Saint-Laurent et de la rivière Richelieu, la région de Saint-Hyacinthe où coule la rivière Yamaska est alors au début d’une période de développement rapide. La paroisse de Girouard, établie en 1777, a un curé résidant depuis 1783 seulement ; elle est immense et ses limites en amont de la rivière Yamaska empiètent sur le territoire des Cantons-de-l’Est. Une église en pierre avait été construite quelques années plus tôt. Le nouveau curé fera bâtir un grand presbytère.

Mais, à cette époque, Girouard a d’autres idées en tête, en particulier celle de fonder un collège. Il y a alors au Bas-Canada le séminaire de Québec, le collège Saint-Raphaël et, depuis 1803, le séminaire de Nicolet. François Cherrier*, curé de Saint-Denis, sur le Richelieu, établit une école avec pensionnat pour garçons en 1805, mais elle allait disparaître quelques années plus tard. Dès 1809, Girouard demande à Mgr Joseph-Octave Plessis de bien vouloir lui envoyer un professeur de latin. Il y a des classes dans la sacristie, puis dans la salle des habitants, au presbytère. Très vite, Girouard essaie de convaincre l’évêque de la nécessité de construire un collège. Il estime que le besoin existe et, pour l’essentiel, il a lui-même les ressources nécessaires. Il a également l’appui des seigneurs de la région et il pourrait compter sur une main-d’œuvre bénévole pour le transport des matériaux. Mgr Plessis pense d’abord que c’est trop tôt, car ce serait faire concurrence au séminaire de Nicolet auquel il faut assurer des professeurs, des élèves et des conditions qui lui permettent de boucler son budget. Mais Girouard insiste, écrit lettre sur lettre, particulièrement en 1810, et, à la fin de l’année, Mgr Plessis cède à ses pressions. Il pourra construire, même s’il lui faudra procéder graduellement et ne pas ignorer l’établissement de Nicolet.

L’emplacement du futur collège, dans le village de Saint-Hyacinthe, est donné à Girouard en 1810 par les seigneurs Hyacinthe-Marie Simon, dit Delorme, Pierre-Dominique Debartzch* et Claude Dénéchaud*. Par ailleurs, Girouard achète des terrains où il pourra trouver du bois et du foin, et qu’il pourra éventuellement mettre en valeur au profit du collège. Pendant quelques années, le curé devient un entrepreneur qui achète des matériaux et dirige même des travaux. Il réussit parfois à se faire exempter des droits seigneuriaux. Il obtient quelques dons d’amis curés. Il acquiert à bon compte la maison construite par le curé Picard, il songe à y placer temporairement les collégiens, mais il doit la louer aux troupes lors de la guerre de 1812. Pendant ce temps, le collège, construit d’après les plans de l’abbé Pierre Conefroy*, prend forme. Terminé en 1816, il compte un corps central de deux étages sur rez-de-chaussée, mesurant 88 pieds sur 50, et deux ailes de 24 pieds carrés, de la même hauteur que la partie principale. Toujours en 1816, Girouard, qui entendait aussi depuis quelques années favoriser l’établissement d’un pensionnat pour jeunes filles, accueille dans la maison du curé Picard les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame qui y ouvrent une école en août.

En 1818, Girouard demande qu’on nomme un directeur pour le collège ; Joseph-Philippe Lefrançois est nommé l’année suivante. Libéré de la direction en titre, Girouard demeure propriétaire du collège et, jusqu’en 1826, en l’absence d’un procureur, il remplit la majorité des tâches de l’administration temporelle de la maison d’enseignement. C’est à son nom que vont les quelques subventions gouvernementales. Pour la nomination des professeurs, par exemple, mais aussi pour les règlements de discipline des élèves, directeur et fondateur dépendent assez étroitement de l’autorité ecclésiastique. L’orientation générale du collège est ainsi définie, dans un équilibre instable, par l’évêque, le directeur nommé par ce dernier et Girouard, qui a sur l’évêque l’avantage de connaître le milieu et sur le directeur l’avantage de la stabilité. Six directeurs se succéderont de 1819 à 1831.

Avec ses hauts et ses bas, le collège prend tout de même de l’expansion. En 1822, il compte une cinquantaine de pensionnaires, autant d’externes, et un personnel enseignant de neuf professeurs ou régents. Mais en 1824, lorsque l’autorité sur la paroisse et le collège de Saint-Hyacinthe passe de Québec à Montréal au moment où se dessine la formation du futur diocèse de Montréal, Mgr Jean-Jacques Lartigue* demande de restreindre aux premières classes l’enseignement du collège. Girouard, qui voit là une menace pour son œuvre en pleine expansion, refuse respectueusement. En 1826, pour la première fois, le collège reçoit des élèves pour chaque année du cours classique.

Dans son œuvre d’éducateur, Girouard estime avoir « beaucoup d’ennemis même dans le clergé », et en même temps « beaucoup d’amis même parmi les laïques » et « parmi les plus éclairés ». Il est particulièrement fier de pouvoir compter sur l’appui financier et moral de l’Association pour faciliter les moyens d’éducation dans la Rivière-Chambly. Formée en 1821 à l’instigation de Charles de Saint-Ours et composée de 21 membres, dont Mgr Plessis, cette association verse au collège de Saint-Hyacinthe, sur une période de huit ans, les sommes nécessaires à l’éducation d’une trentaine d’élèves. Le but de ce groupe est d’aider des « enfants de bons habitants choisis et recommandés par les Curés » à devenir « soit des prêtres, soit des citoyens bien instruits [...] deux buts avantageux pour le pays ».

Girouard est aussi curé d’une paroisse considérable. Malgré les amputations territoriales entraînées par la formation des paroisses Saint-Damase en 1817, Saint-Césaire en 1822 et Saint-Pie en 1828, sa paroisse compte 3 792 habitants en 1831, dont 1 100 dans le village même. Il semble que Girouard se résigne à l’organisation de ces nouvelles paroisses. Dans le cas de Saint-Pie, par exemple, il veut bien mettre à contribution les terres dont il est propriétaire, mais il tient à conserver une terre à bois dont le produit peut être utilisé par le collège.

Les relations de Girouard avec la famille des seigneurs de Saint-Hyacinthe semblent avoir été cordiales. Avant de devenir seigneur en 1814, Jean Dessaulles avait été agent seigneurial et à ce titre il s’était occupé, en 1810, du don de terrain pour le collège. En 1820, s’adressant à Joseph Papineau*, de Montréal, pour commander du vin, Girouard indique qu’on pourra le lui faire parvenir par l’intermédiaire de Dessaulles. En 1829 et 1830, seigneur et curé font partie des syndics élus à Saint-Hyacinthe en vertu de la loi visant à promouvoir l’instruction primaire au Bas-Canada.

Mais il en va autrement des rapports de Girouard avec les notables au sujet de la nomination des marguilliers. Selon le témoignage de son successeur, à compter de 1820 Girouard subit des pressions pour que soient admis, à la réunion tenue annuellement pour choisir un remplaçant au marguillier sortant, les « habits à poches » (juges de paix, notaires, médecins, marchands et rentiers). On lui intente même un procès en décembre 1830 pour avoir convoqué une assemblée des marguilliers, anciens et nouveaux, plutôt qu’une assemblée des notables. On en est arrivé à l’heure des affrontements à ce chapitre [V. Louis Bourdages].

En 1823, Girouard avait demandé au gouverneur Dalhousie [Ramsay*] la constitution juridique du collège et, à cet effet, il avait préparé un acte de donation conditionnelle de ses biens à la future corporation. Mgr Plessis figurait en tête des membres tandis que le nom de Mgr Lartigue brillait par son absence. Mais l’année suivante, à la demande de Mgr Plessis, Girouard doit malgré sa réticence remplacer dans ce projet d’acte le nom du directeur, Jean-Baptiste Bélanger, par celui de Mgr Lartigue, supérieur du collège. Celui-ci recommande à Edouard-Joseph Crevier, qu’il nomme directeur en 1825, d’agir avec déférence envers Girouard et de le consulter au besoin. Avec le directeur suivant, Thomas Maguire*, les relations sont assez mauvaises. Pendant tout ce temps, la question de la constitution juridique du collège traîne en longueur.

À l’invitation de Mgr Lartigue, Girouard rédige son testament en 1830 et lègue à l’église paroissiale l’équivalent de 11 000# en argent et ornements. Il nomme Mgr Lartigue, « non en sa qualité d’évêque, mais comme particulier », légataire universel de tous ses biens meubles et immeubles. En mai 1832, Girouard demande à l’évêque d’être libéré de sa cure, « pleinement assuré que [ce dernier] considérera dans la nomination de son successeur l’avantage de son Collège, et même qu’il ira peut-être sur ce point jusqu’à condescendre aux goûts d’un vieillard qui ne pense plus désirer que ce que Dieu désire ». De fait, Girouard et son procureur expriment leur avis en faveur de Crevier, alors curé de la paroisse Saint-Luc, sur la rivière Richelieu, et qui, après avoir enseigné la philosophie au séminaire de Nicolet, avait été, de 1825 à 1827, directeur du collège de Saint-Hyacinthe puis quelque temps procureur de l’établissement et vicaire de Girouard.

Au retour d’un voyage à Saint-Luc, Girouard va visiter son ami le curé François-Joseph Déguise, à Varennes, et il y meurt le 3 août 1832. À ce moment on parlait déjà de projets d’agrandissement au collège. Conformément à la volonté de Girouard, Mgr Lartigue remet à la corporation du collège – la reconnaissance juridique sera obtenue en 1833 – tous les biens de la succession du fondateur. Bien établi et bien doté, le collège est promis à un beau développement. Pour ce qui est de la paroisse, Crevier aura à affronter les notables et, en particulier, bien des problèmes à propos de la reconstruction de l’église. Dans une notice nécrologique publiée dans la Minerve du 9 août 1832, Joseph-Sabin Raymond*, ancien élève du collège de Saint-Hyacinthe, a sans doute raison d’écrire que la mort venait d’enlever à « la religion un digne ministre, au pays un généreux citoyen, à l’éducation un zélé promoteur ». Le jour des funérailles, « les magasins furent fermés, les chantiers arrêtés » à Saint-Hyacinthe.

D’une certaine façon, Antoine Girouard fut représentatif des curés de campagne qui œuvrèrent durant les années 1800 à 1830. À cette époque, les initiatives du clergé catholique du Bas-Canada suscitaient moins de contestations ouvertes que dans les années qui suivirent. Mais il y a plus, la fondation du collège de Saint-Hyacinthe est pour une part à l’origine du développement des établissements religieux et éducatifs de l’endroit. Ce développement contribuera à la croissance de la ville en même temps qu’il marquera sa physionomie particulière et qu’il explique l’importance de ses fonctions intellectuelles au xixe siècle. Sur le plan personnel, Girouard laisse le souvenir d’un homme solide, actif, déterminé et simple.

Jean-Paul Bernard

ANQ-M, CE1-22, 7 oct. 1762.— ASSH, Sect. A, sér. A.— J.-S. Raymond, Discours prononcé à la translation du corps de messire Girouard, au séminaire de St-Hyacinthe, le 17 juillet 1861 (Saint-Hyacinthe, 1861).— La Minerve, 9 août 1832.— Allaire, Dictionnaire, 1.— Richard Chabot, le Curé de campagne et la Contestation locale au Québec (de 1791 aux troubles de 1837–38: la querelle des écoles, l’affaire des fabriques et le problème des insurrections de 1837–38 (Montréal, 1975).— C.-P. Choquette, Histoire du séminaire de Saint-Hyacinthe depuis sa fondation jusqu’à nos jours (2 vol., Montréal, 1911–1912).— Jean Francœur, « Saint-Hyacinthe, esquisse de géographie urbaine » (thèse de m.a., univ. de Montréal, 1954).— P.-A. Saint-Pierre, Messire Antoine Girouard (Saint-Hyacinthe, 1938).— É.-P. Chouinard, « l’Abbé Joseph-Mathurin Bourg », BRH, 6 (1900) : 8–20.— Lionel Groulx, « les Fondateurs de nos collèges » Rev. nationale (Montréal), 11 (1929), nº 12 : 5–8 ; 12 (1930), nº 1 : 7–11.

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Jean-Paul Bernard, « GIROUARD, ANTOINE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/girouard_antoine_6F.html.

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Auteur de l'article:    Jean-Paul Bernard
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    1 décembre 2024