JARVIS, SAMUEL PETERS, officier de milice, fonctionnaire et avocat, né le 15 novembre 1792 à Newark (Niagara-on-the-Lake, Ontario), aîné des fils survivants de William Jarvis* et de Hannah Peters* ; le 1er octobre 1818, il épousa à York (Toronto) Mary Boyles Powell, fille du juge en chef William Dummer Powell*, et ils eurent cinq fils et quatre filles ; décédé le 6 septembre 1857 à Toronto.

Samuel Peters Jarvis bénéficia d’un avantage à ses débuts dans la société coloniale naissante du Haut-Canada. Son père, qui avait réussi à gagner la protection du lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe*, fut le premier secrétaire et registraire de la province, et, bien que la famille Jarvis n’ait pas été fortunée, elle jouissait du luxe relatif de trois domestiques pour pourvoir aux besoins de la maison. À l’instar de plusieurs fils de bonne famille, le jeune Jarvis fit ses études à Cornwall, à la grammar school du révérend John Strachan*. En 1810, il fut placé à York chez le procureur général William Firth* pour y faire un stage de clerc, mais la guerre de 1812 interrompit ses études. Il se joignit à la compagnie de flancs-gardes du capitaine Stephen Heward, qui faisait partie du 3e bataillon de milice d’York. Cette unité aida le major général Isaac Brock* lors de la prise de Detroit en août 1812 et à Queenston Heights en octobre. Après cette bataille, il tint l’un des cordons du poêle à l’occasion de l’inhumation du lieutenant-colonel John Macdonell* (Greenfield), enterré en même temps que Brock au fort George (Niagara-on-the-Lake). Jarvis prit ensuite part aux engagements de Stoney Creek et de Lundy’s Lane. Il occupa aussi quelques postes administratifs mineurs durant la guerre : en janvier 1814, il reçut une commission d’adjoint au secrétaire et registraire de la province, qui était nul autre que son père, et, en décembre de la même année, pendant l’absence de John Powell, il fut nommé greffier du Conseil législatif.

Jarvis fut admis au barreau en 1815. Deux ans plus tard, il était nommé greffier de la couronne en chancellerie, fonction administrative de la chambre d’Assemblée qu’il détint pendant les 20 années suivantes. Mais sa véritable ambition était de succéder à son père comme secrétaire et registraire de la province ; il lui semblait que ce poste devait lui revenir par droit de succession à titre d’aîné de la famille Jarvis. Les circonstances ainsi que sa personnalité allaient contrecarrer son ambition. Jarvis avait un tempérament emporté et une nature impétueuse, alliés à un sens aigu de la famille et de l’honneur personnel. À cause de ces traits de caractère, il se trouva mêlé à plusieurs incidents, dont la plupart n’eurent pas de conséquences. Mais, en 1817, l’inimitié qui avait couvé pendant une décennie entre les familles Ridout et Jarvis aboutit à une querelle entre Samuel Peters et un des fils de l’arpenteur général Thomas Ridout*, John, âgé de 18 ans. Le 12 juillet, accompagnés de leurs témoins Henry John Boulton* et James Edward Small*, ils s’affrontèrent juste au nord d’York, et Ridout fut tué. Le duel divisa profondément l’élite de la ville ; pour leur part, les Ridout ne pardonnèrent sûrement jamais à Jarvis. Le duel eut aussi un effet malencontreux sur l’évolution de sa carrière, car son père mourut en août de la même année, tandis que lui-même était en prison, attendant son procès. Même si les tribunaux l’innocentèrent au cours de l’automne, le fait qu’il ait été au centre de la controverse que le duel souleva au sein de l’élite d’York anéantit provisoirement ses chances d’avancement. Duncan Cameron* obtint la charge convoitée de secrétaire, mais Jarvis allait le remplacer quelque temps pendant son absence. Il succéda à Cameron comme secrétaire civil et secrétaire particulier du lieutenant-gouverneur intérimaire Samuel Smith* et exerça cette fonction jusqu’en août 1818.

Au cours de l’été de cette année-là, Jarvis alla s’installer à Queenston ; il poursuivit activement sa carrière en droit dans cette ville et ensuite à Niagara (Niagara-on-the-Lake). En 1824, il revint à York où il devait, une dizaine d’années après le duel fatal, s’empêtrer à nouveau dans une cause célèbre. Le 8 juin 1826, en réponse aux attaques mordantes et parfois personnelles du Colonial Advocate, un groupe de jeunes tories envahirent l’atelier de William Lyon Mackenzie*, causant des dommages à l’intérieur et éparpillant les caractères d’imprimerie. Mackenzie, qui depuis quelque temps était menacé de faillite, obtint £625 de dommages-intérêts au cours du procès qui suivit. Cette somme fut recueillie par souscription auprès de certains membres importants du family compact, mécontents d’avoir à verser de l’argent, et de l’avocat d’York Samuel Peters Jarvis. C’était lui qui, ayant près de 34 ans, avait mené, le soir du 8 juin, le groupe de jeunes gens âgés d’une vingtaine d’années. Son tempérament violent et son sens de l’honneur déplacé l’avaient encore amené à s’impliquer dans une affaire douteuse, qui allait avoir des conséquences négatives sur la cause qu’il avait embrassée. Pourtant, cette deuxième tache à sa réputation ne l’empêcha pas d’obtenir la charge de sous-secrétaire et de sous-registraire de la province, à l’occasion d’un réarrangement compliqué des postes gouvernementaux en 1827. L’année suivante, le lieutenant-gouverneur sir Peregrine Maitland signala dans une note à son successeur, sir John Colborne*, que même si « le geste très imprudent » de Jarvis avait eu « un effet préjudiciable au gouvernement », il ne pensait pas que ses actions passées devaient compromettre ses chances d’avancement.

Jarvis occupa le poste de sous-secrétaire jusqu’en 1839, mais il ne devait jamais détenir la fonction de secrétaire qu’il convoitait. Il dut plutôt se contenter du poste de surintendant en chef des Affaires indiennes du Haut-Canada, où le lieutenant-gouverneur sir Francis Bond Head* l’avait affecté en juin 1837, sitôt qu’il était apparu évident que le titulaire de ce département, James Givins*, devenait sénile. La rébellion de 1837–1838 ayant éclaté quelques mois plus tard, Jarvis travailla activement à la défense de l’ordre établi et poursuivit ceux que l’on soupçonnait d’être des rebelles. En décembre 1837, il mit sur pied et commanda une unité de milice appelée Queen’s Rangers ; à la fin du mois, il était présent, à l’île Navy, lorsque Andrew Drew* et ses hommes mirent le feu au navire à vapeur des rebelles, le Caroline. À son retour de Niagara, au début de l’année suivante, il assuma le commandement de la garnison de Toronto et, en mars, il présida le conseil de guerre qui jugea le patriote américain Thomas Jefferson Sutherland. En septembre de la même année, le secrétaire de la province, Duncan Cameron, mourut. Le sentiment de frustration de Jarvis dut être grand quand le lieutenant-gouverneur, sir George Arthur, refusa de reconnaître ses services ou de tenir compte de ses plaintes concernant le caractère temporaire de sa position au département des Affaires indiennes. On accorda le poste de secrétaire de la province à Richard Alexander Tucker*, ancien juge en chef de Terre-Neuve, arrivé depuis peu dans le Haut-Canada ; Jarvis resta surintendant en chef des Affaires indiennes.

Durant le mandat de Jarvis, soit de 1837 à 1845, aucun département du gouvernement n’allait faire l’objet d’enquêtes aussi serrées et aussi fréquentes que celui des Affaires indiennes. La première d’entre elles eut lieu en 1839. Sir George Arthur donna mission au juge James Buchanan Macaulay de continuer l’enquête commencée par Tucker et de former à lui seul la commission d’enquête. Macaulay fut d’avis que le principal problème du département consistait à trouver des « personnes suffisamment diligentes, actives et empressées » pour diriger ses programmes. Son rapport d’avril 1839 fut suivi d’un second, en janvier 1840 ; celui-ci résultait d’une enquête générale portant sur tous les départements, qui avait été menée par plusieurs comités. Le comité no 4 avait enquêté sur le département des Affaires indiennes ; il comptait trois membres, Macaulay, le vice-chancelier Robert Sympson Jameson et William Hepburn, ancien greffier du département sous Givins, qui félicitèrent Jarvis pour la vigueur avec laquelle il s’acquittait de ses devoirs de fonctionnaire. Le surintendant en chef semblait avoir passé ses deux premières épreuves haut la main. Les apparences étaient toutefois trompeuses Jarvis était un ami intime de Macaulay, et les deux rapports reflétaient les opinions de ce dernier. Une troisième enquête apporterait des résultats très différents.

En 1842, le gouverneur en chef, sir Charles Bagot*, créa une commission royale formée de trois membres et chargée d’enquêter sur la structure du département des Affaires indiennes de la nouvelle province du Canada. C’est à cause du premier rapport de cette commission, remis en janvier 1844, que Jarvis perdit, au mois de mai suivant, son rang officiel dans la fonction publique, n’en gardant que le titre, et qu’il fut forcé de prendre sa retraite l’année suivante. Présidée par Rawson William Rawson, secrétaire civil du gouverneur en chef, la commission trouva l’administration du département chaotique et le surintendant en chef incompétent et peut-être malhonnête. Rien dans les livres de comptes du département ne permettait d’expliquer où étaient passées plus de £4 000, somme qui passa ensuite à plus de £9 000, puis fut ramenée de nouveau à un montant moins important. Jarvis tenta bien de se défendre, mais cela ne fit qu’apporter de nouvelles preuves contre lui. Contrairement aux deux enquêtes précédentes, la commission le trouva évasif et peu coopératif, opinion que partagerait le successeur de Rawson au poste de secrétaire civil du gouverneur en chef, James Macaulay Higginson*, qui assuma la responsabilité du département des Affaires indiennes le 15 mai 1844.

Qu’était-il arrivé à celui qui semblait encore être un administrateur modèle en 1840 ? Il serait trop facile de ne voir en Jarvis qu’un fonctionnaire démasqué après avoir volé. Une explication plus adéquate serait que Jarvis connaissait mal les méthodes de comptabilité du milieu du xixe siècle. À la Bank of Upper Canada, où il était membre du conseil d’administration et où il gardait son compte personnel et le compte officiel du département, il jonglait avec l’argent, passant d’un compte à l’autre sans cérémonie, à la manière confuse des gentlemen d’une époque révolue. La comptabilité de ce département avait toujours été une source de problèmes : Jarvis eut tout simplement la malchance d’être le premier surintendant en chef obligé de fournir une comptabilité aussi détaillée. Sous ce rapport, il dépendait complètement du commis en chef, George Vardon, qui avait peut-être des raisons personnelles de souhaiter le discrédit de Jarvis.

Comme surintendant en chef, Jarvis était soumis à des tensions qui auraient été intolérables même pour quelqu’un d’une compétence indiscutable. À cause de ses fonctions, il se trouva mêlé aux affaires de la Grand River Navigation Company, dont les intérêts allaient souvent à l’encontre de ceux des Indiens des Six-Nations qui vivaient dans la réserve de la rivière Grand. Il était d’ailleurs président de la compagnie en 1843–1844, au moment où il se trouva contraint de se défendre contre les conclusions de la commission créée par Bagot. Jarvis, pour qui le département des Affaires indiennes était déjà suffisamment déroutant, n’avait pas les qualités nécessaires pour s’occuper simultanément de toutes ces questions.

Le poste de surintendant en chef fut aboli le 1er juillet 1845, et Jarvis prit sa retraite du département dans la disgrâce. Il essaya encore de se disculper des accusations de détournement de fonds, mais ce fut, semble-t-il, peine perdue. D’autre part, le gouvernement paraît ne jamais l’avoir forcé à remettre les fonds manquants dont il le prétendait responsable, ce qui porte à croire que la question de son comportement malhonnête n’était pas aussi évidente qu’il avait semblé à première vue. Jusqu’à sa mort, Jarvis essaya de démêler ses affaires financières, qui étaient complexes. Pour acquitter quelques-unes de ses dettes, il engagea John George Howard* durant l’été de 1845, afin de subdiviser, pour une vente publique, un lot de 100 acres qu’il avait reçu de son père en 1816 et qui était situé aux limites de la ville, à l’est de la rue Yonge. Deux ans plus tard, Hazelburn, la maison qu’il y avait construite pour sa famille 23 ans auparavant, fut démolie pour faire place à la rue qui porte toujours le nom de Jarvis. En dépit de sa situation financière précaire, il poursuivit durant ses dernières années ses activités d’homme du monde, à demi-retraité et ayant une fortune personnelle : il fit des voyages de pêche en Gaspésie, dans le Bas-Canada, des voyages de chasse dans la péninsule de Bruce, dans le Haut-Canada, et de grandes tournées en Grande-Bretagne et ailleurs en Europe. Au milieu des années 1850, sa santé déclina ; il mourut en 1857, laissant sa femme et sept enfants. L’aîné des fils, Samuel Peters Jarvis, fit une carrière remarquable dans l’armée britannique, et d’autres descendants se taillèrent des places dans la vie professionnelle et commerciale de Toronto.

Samuel Peters Jarvis n’était pas un homme de son temps : il avait la mentalité d’un squire tory du xviiie siècle. Le milieu du siècle suivant, où l’on mettait de plus en plus l’accent sur le commerce et l’industrie, ainsi que sur une comptabilité et des méthodes adéquates, fut une époque qu’il ne comprit jamais tout à fait. En plus de ses attitudes dépassées, son intelligence médiocre ne pouvait que le conduire à l’échec en tant qu’administrateur. Ces facteurs furent assez puissants pour neutraliser les avantages dont il avait profité au début de sa carrière, de telle sorte qu’il resta en marge du pouvoir dans la petite communauté du Haut-Canada. La vie de Jarvis est un exemple qui illustre en partie ce qu’il advint du family compact.

Douglas Leighton et Robert J. Burns

Samuel Peters Jarvis écrivit deux ouvrages concernant ses premières aventures : Statement of facts, relating to the trespass on the printing press, in the possession of Mr. William Lyon Mackenzie, in June, 1826 ; addressed to the public generally, and particularly to the subscribers and supporters of the « Colonial Advocate », publié anonymement à Ancaster, Ontario, en 1828 (une autre édition fut publiée à York [Toronto], probablement la même année) ; et To the public ; a contradiction of The libel, under the signature of « A relative », published in the Canadian Freeman, of the 28th February, 1828 ; together with a few remarks, tracing the origin of the unfriendly feeling which ultimately led to the unhappy affair, to which that libel refers ([York], 1828). La « malheureuse affaire » est le duel Jarvis-Ridout qui eut lieu en 1817 ; la question refit surface dans une lettre publiée dans le Canadian Freeman (York), 28 févr. 1828, sous la signature et le titre cités par Jarvis. La lettre originale est publiée dans la brochure, pages 3–8, en guise de préface à la réfutation de Jarvis.

AO, MS 35 ; MU 1127, McCormick–Dunsford–Jarvis–Read family tree ; MU 1532–1537 ; RG 22, sér. 155, testament de S. P. Jarvis.— APC, MG 19, F24 ; RG 10, A1, 6–7 ; A4, 47–77, 124–139, 498–509, 739, 748–749, 751 ; A5, 142–150, 510–512, 752–760 ; A6, 718–721 ; C2 : 10017 : 80–81.— Law Soc. of U.C. (Toronto), « Journal of proceedings of the Convocation of Benchers of the Law Society of Upper Canada » (8 vol.), 1810.— MTL, S. P. Jarvis papers.— Canada, prov. du, Assemblée législative, App. des journaux, 1844–1845, app. EEE ; 1847, app. T, VV.— Town of York, 1815–34 (Firth).— Montreal Gazette, nov. 1846–févr. 1847.— Montreal Herald, nov. 1846–févr. 1847.— Pilot (Montréal), nov. 1846–févr. 1847.— Armstrong, Handbook of Upper Canadian chronology.— Chadwick, Ontarian families.The Jarvis family : or, the descendants of the first settlers of that name in Massachusetts and Long Island, and those who have more recently settled in other parts of the United States and British America, G. A. Jarvis et al., compil. (Hartford, Conn., 1879).— R. J. Bums, « The first elite of Toronto : an examination of the genesis, consolidation and duration of power in an emerging colonial society » (thèse de ph.d., Univ. of Western Ontario, London, 1974).— J. D. Leighton, « The development of federal Indian policy in Canada, 1840–1890 » (thèse de ph.d., Univ. of Western Ontario, 1975).— Middleton, Municipality of Toronto, 1 : 96–99.— Scadding, Toronto of old (1873).— A. S. Thompson, Jarvis Street : a story of triumph and tragedy (Toronto, 1980).— R. J. Burns, « God’s chosen people : the origins of Toronto society, 1793–1818 », SHC Communications hist., 1973 : 213–228.— [J.] D. Leighton, « The compact tory as bureaucrat : Samuel Peters Jarvis and the Indian Department, 1837–1845 », OH, 73 (1981) ; 40–53.

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Douglas Leighton et Robert J. Burns, « JARVIS, SAMUEL PETERS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/jarvis_samuel_peters_8F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
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