LITTLE, JAMES, marchand de bois et partisan de la conservation des forêts, né en 1803 près de Londonderry (Irlande du Nord) ; en 1832, il épousa Anne Youell, et ils eurent au moins trois fils ; décédé le 2 octobre 1883 à Montréal.

James Little arriva en Amérique du Nord britannique en 1823 et s’établit près de St Catharines, dans le Haut-Canada. Ayant fait la connaissance de William Hamilton Merritt*, il travailla au canal Welland et, à la demande pressante de celui-ci, il devint l’un des entrepreneurs de cet ouvrage. Lorsque Little connut des difficultés financières et fut emprisonné pour dettes en 1832, Merritt obtint son élargissement et, l’année suivante, lui donna du travail à la Grand River Navigation Company. Little fit les levés des sites de barrages et d’écluses sur la rivière Grand ; il participa à la construction d’ouvrages et dirigea la compagnie de 1835 à 1840. En 1834, il avait acheté des terrains à Seneca, dans le comté de Haldimand, où il s’était installé et avait construit un « magasin général ». En 1840, il avait acquis, semble-t-il, indépendance et considération en qualité de commerçant et de spéculateur foncier ; deux ans plus tard il fit une demande en vue d’obtenir, dans la région, une large partie des terres appartenant aux Indiens, y compris des lots situés dans le riche village avoisinant de Caledonia. Il offrit de payer un montant fixe pour chaque lot, sans égard à sa valeur, et tenta de faire établir le prix de vente par le département des Terres de la couronne. Le surintendant en chef des Affaires indiennes, Samuel Peters Jarvis*, s’opposa à la vente des terres, car il soupçonnait Little de vouloir se les procurer dans un but de spéculation. En 1846, on parvint à un compromis suivant lequel Little acquérait les terres pour une somme de £1 300 qui fut versée au fonds de fiducie des Six-Nations. En 1854, il acheta d’autres lots à Caledonia.

En 1844, Little avait construit un moulin à farine sur la rive sud de la rivière Grand, à Caledonia, et en 1848 il faisait le commerce du bois. Sur ses terres et sur des concessions forestières louées dans les comtés de Brant, d’Elgin, de Norfolk et de Wentworth, il produisait du bois équarri et du matériel naval – entre autres, des mâts – pour le marché britannique, et il fabriquait du bois de sciage destiné au marché américain dans un moulin à Caledonia. Après la signature du traité de réciprocité avec les États-Unis en 1854, il fit la plus grande partie de ses affaires avec Buffalo, dans l’état de New York, et avec Toledo et Cleveland, dans l’Ohio. Élargissant son activité dans le commerce du bois à la fin des années 1850, Little en arriva finalement à posséder plusieurs scieries dans les comtés où il avait des concessions de terres à bois et, dans les années 1860, il effectua même des travaux d’exploitation forestière dans le secteur sud de la baie Georgienne. Il installa aussi à Caledonia des moulins à carder ou à foulon.

En plus de ses entreprises commerciales, Little joua un rôle actif dans les affaires de la communauté. Il fut l’un des membres bâtisseurs de la chapelle méthodiste wesleyenne de Seneca en 1843, et il occupa les fonctions de maître de poste de la région, de 1839 à 1860. Afin de doter Caledonia des services d’un chemin de fer, il persuada les dirigeants du Hamilton and Port Dover Railway, en 1853, de faire passer cette ligne par le village. Mais les résultats de son initiative ne furent pas heureux. Le village de Caledonia dut s’engager à acheter des obligations du chemin de fer pour une somme de £10 000, en dépit du fait que la construction ne débuta qu’en 1873, et les habitants eurent de lourds impôts à payer.

À la fin des années 1860, Little s’aperçut que les ressources forestières s’épuisaient dans le sud-ouest de l’Ontario. Selon lui, cette situation était une conséquence du traité de réciprocité, qui avait stimulé la production et fait baisser les prix. Il accusa les Américains d’avoir exploité les ressources forestières du Canada à un coût très bas et d’avoir conservé leurs forêts pour l’avenir. Les pinèdes de sa région étant épuisées, Little alla exercer son activité commerciale au Québec, dans la région de la rivière Saint-Maurice, et, en 1873, il déménagea à Montréal où il devint courtier en bois et spécula sur les concessions forestières. Le fait d’avoir constaté la dévastation des pinèdes du sud-ouest de l’Ontario et d’avoir été contraint de s’établir ailleurs modifia profondément ses vues. Il se mit à réfléchir sur le gaspillage auquel se livraient les marchands de bois canadiens et sur la possibilité de l’épuisement précoce des forêts de l’Amérique du Nord.

Ses réflexions amenèrent Little à faire paraître deux brochures dans les années 1870 : The lumber trade of the Ottawa valley [...] et The timber supply question, of the dominion of Canada and the United States of America. Les deux opuscules apportaient fondamentalement le même message : les ressources forestières de l’Amérique du Nord étaient en train d’être dévastées par le feu et par une exploitation irréfléchie, et l’industrie forestière ne pouvait se perpétuer que si le gouvernement établissait des règles strictes s’appliquant aux forêts qui subsistaient. Little craignait par-dessus tout que les Américains, après avoir épuisé leurs réserves de bois, ne se tournent vers celles du Canada et ne ravagent toutes les forêts de l’Ontario et du Québec en l’espace de cinq ans. Il préconisait la classification des terres destinées à l’agriculture ou à l’exploitation forestière, l’établissement de réserves forestières, le reboisement et l’étroite protection des jeunes arbres. La plupart des Canadiens accueillirent les propositions de Little avec scepticisme et le considérèrent comme un excentrique. Ses idées ne reçurent un certain appui que dans le milieu des marchands de bois. Un grand nombre de ceux-ci, sans aller jusqu’à croire que les États-Unis pouvaient devenir tributaires du Canada pour les produits du bois, voyaient d’un œil sympathique ces appels au gouvernement pour que celui-ci intervienne davantage afin de relever la qualité des ressources forestières qui diminuait constamment.

Little ne fut pas découragé par la froideur de cet accueil. Il étudia les idées des « conservationnistes » américains et, en 1874, il se mit à correspondre avec Franklin Benjamin Hough, pionnier des protecteurs de la forêt aux États-Unis. Hough l’invita à faire une communication sur « les forêts de pins blancs du Canada » à l’assemblée de fondation de l’American Forestry Congress qui allait être tenue à Cincinnati, dans l’Ohio, en avril 1882. Acceptant l’invitation, Little forma une délégation québécoise – Henri-Gustave Joly* fut l’un des délégués – qui se rendit à la réunion à titre non officiel. À Cincinnati, le groupe québécois vit se joindre à lui les membres de l’Ontario Fruit Growers’ Association qui faisaient partie de la délégation officielle de l’Ontario. Les Canadiens furent parmi les plus actifs des participants qui affirmaient que les incendies, le gaspillage découlant des techniques de coupe, la mauvaise utilisation du bois et le défrichement incorrect des terrains ruinaient les forêts de l’Amérique du Nord. De fait, l’ardeur manifestée par les délégués canadiens fut telle que les Américains décidèrent de tenir à brève échéance une autre réunion, à Montréal cette fois.

Little se lança dans l’organisation de cette rencontre. Il pressa la Quebec Limitholders’ Association d’obtenir une forte participation de ses membres à la réunion. Il réussit à gagner l’appui de l’organisme, et les trois jours que dura la rencontre, tenue en août 1882, donnèrent lieu à des discussions entre les partisans de la conservation et les entrepreneurs forestiers. Le comité sur les feux de forêt, qui était présidé par Peter White*, marchand de bois à Pembroke, et dont faisaient partie les marchands de bois très connus James Kewley Ward, John Bryson et le fils de Little, William, se montra particulièrement efficace. Il recommanda de réserver à l’exploitation forestière tous les terrains plantés de pins et d’épinettes qui ne pouvaient convenir à la colonisation, d’interdire le brûlage des terres par les colons durant le printemps et l’automne, et d’établir des zones protégées contre les incendies, surveillées par des inspecteurs munis de pouvoirs judiciaires. Le comité proposa également qu’une taxe raisonnable imposée aux entrepreneurs forestiers paie les frais d’entretien de ce système de prévention des incendies. Little se réjouit des bonnes dispositions que manifestaient les producteurs de bois à l’égard de la question de la protection des forêts.

Malheureusement, Little mourut avant d’avoir connu les premiers résultats de la réunion tenue à Montréal, dont les principaux furent la promulgation en Ontario de règlements concernant les feux de forêt, qui s’inspiraient largement des recommandations du comité précité, et la nomination en 1883 d’un commissaire fédéral des forêts, J. H. Morgan, chargé d’étudier les problèmes relatifs à la conservation de cette ressource.

Robert Peter Gillis

James Little est l’auteur de Information for the public : the case of the Indian Department, in reference to the Grand River settlers [...] (Hamilton, Ontario, 1852) ; The lumber trade of the Ottawa valley, with a description of some of the principal manufacturing establishments (Ottawa, 1871 ; 3e éd., 1872) ; The timber supply question, of the dominion of Canada and the United States of America (Montréal, 1876) ; et de « The timber question », Montreal Horticultural Soc. and Fruit Growers’ Assoc. of the Prov. of Que., Report (Montréal), 6 (1880) : 14–19.

APC, MG 24, E1, 7 : 800s. ; 8 : 922–925 ; 10 : 1 210–1 213 ; 13 : 1 964 ; MG 28, III26, 102 ; RG 1, E1, 68 : 102 ; L3, 297, L 2/4 ; RG 10, A1, 7 : 3 592–3 612 ; RG 15, DII, 1, 298, file 62 441 ; RG 68, Index to Indian and Ordnance land, 1845–1867.— Canada, prov. du, Assemblée législative, App. to the journals, 1846, I : app.F.— Ontario, Commissioner of Agriculture and Arts, Annual report (Toronto), 1882, app.C.— Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 1883.— Canada directory, 1851.— Canada, prov. du, Dép. du maître général des Postes, List of post offices in Canada, and the names of the postmasters (Québec et Toronto), 18541860.— Canadian men and women of the time (Morgan, 1912).— J. E. Defebaugh, History of the lumber industry of America (2 vol., Chicago, 1906–1907), II : 148.— R. S. Lambert et Paul Pross, Renewing nature’s wealth ; a centennial history of the public management of lands, forests & wildlife in Ontario, 1763–1967 ([Toronto], 1967), 178s.— A. R. M. Lower, The North American assault on the Canadian forest : a history of the lumber trade between Canada and the United States [...] (Toronto et New Haven, Conn., 1938 ; réimpr., New York, 1968), 146.— R. B. Nelles, County of Haldimand in the days of auld lang syne (Port Hope, Ontario, 1905).— A. D. Rodgers, Bernhard Eduard Fernow : a story of North American forestry (Princeton, N.J., 1951).— A short history of Caledonia, A. H. Arrell, édit. (Caledonia, Ontario, s.d.).— R. P. Gillis, « The Ottawa lumber barons and the conservation movement, 1880–1914 », Rev. d’études canadiennes, 9 (1974), no 1 : 14–30.— B. E. Hill, « The Grand River Navigation Company and the Six Nations Indians », OH, 63 (1971) : 31–40.

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Robert Peter Gillis, « LITTLE, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/little_james_11F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
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