Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 4310562
WIDMER, CHRISTOPHER, médecin, chirurgien, officier, professeur de médecine, administrateur d’hôpitaux et d’université, juge de paix, fonctionnaire et homme politique, né le 15 mai 1780 à High Wycombe, Angleterre, ou non loin de là ; le 27 novembre 1802, il épousa Emily Sarah Bignell, et on ne leur connaît pas d’enfants, puis, vers 1834, une prénommée Hannah, et ils eurent deux fils, dont un mourut en bas âge, et deux filles ; décédé le 3 mai 1858 à Toronto.
Les ancêtres de Christopher Widmer appartenaient probablement à la petite gentry, puisqu’une famille de propriétaires fonciers qui porta le même nom et dont les origines remontent à la fin du xve siècle a vécu près de High Wycombe. Encore enfant, il serait allé habiter dans l’Oxfordshire, bien qu’un chirurgien et un épicier du même nom aient habité High Wycombe dans les années 1790. Widmer semble avoir suivi la voie habituelle pour acquérir sa formation de chirurgien, soit un apprentissage de plusieurs années chez un médecin généraliste suivi d’un cours de brève durée dans un hôpital dispensant l’enseignement : dans son cas, l’école de médecine affiliée aux hôpitaux Guy et St Thomas de Londres où il s’inscrivit en octobre 1802. Au mois de mars suivant, il passa avec succès l’examen d’entrée au Royal College of Surgeons of London. En juin 1804, il s’engagea dans l’armée britannique en tant qu’aide-chirurgien attaché au service médical. En août 1805, il fut affecté au 14th Dragoons, toujours comme aide-chirurgien, et il servit avec ce régiment dans la péninsule Ibérique de 1808 à 1814. Il avait été promu chirurgien en octobre 1811 et chirurgien d’état-major en novembre 1812. Deux ans plus tard, il vint au Canada où, à diverses reprises, il fut en garnison près de Montréal, de même qu’à York (Toronto) et à Niagara (Niagara-on-the-Lake).
En février 1817, Widmer prit sa retraite et fut mis à la demi-solde. Il quitta aussitôt Niagara pour aller s’installer à York où il ouvrit un cabinet de médecine générale. Il se constitua une clientèle nombreuse et lucrative, et joua un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de santé et dans l’avancement de sa profession. En 1819, il devint membre fondateur du Medical Board of Upper Canada, qui examinait les candidats et les autorisait à exercer la profession médicale dans la province. À partir de 1822, il en fut le doyen et le président, titres qu’il conserva au sein des organismes qui succédèrent à ce conseil, le College of Physicians and Surgeons of Upper Canada (de 1839 à 1841) et le Medical Board (de 1841 jusqu’à sa mort). En 1829, il mit sur pied l’hôpital général d’York où il exerça les fonctions de médecin sanitaire principal (qui comportaient une grande part d’enseignement) jusqu’en 1853. Il devint alors premier médecin et chirurgien consultant de cet hôpital. Il fut aussi membre de son conseil d’administration de 1833 à 1857, et président de 1844 à 1847, puis de 1848 à 1855. Durant la rébellion de 1837–1838, il se vit confier la direction générale du service de santé de l’armée dans le Haut-Canada, avec le grade d’inspecteur adjoint des hôpitaux. En 1839, on le nomma membre d’une commission chargée de surveiller le projet de construction d’un asile d’aliénés provincial, et, deux ans plus tard, il fut responsable, dans une large mesure, de la création d’un asile temporaire à Toronto [V. Walter Telfer ; William Rees*]. Lorsque l’asile permanent fut terminé en 1850, il devint président de son conseil d’administration, fonction qu’il exerça jusqu’en 1853.
Grâce, sans doute, à sa parenté par alliance avec une riche famille d’hommes de loi et de banquiers, les Bignell de l’Oxfordshire, Widmer édifia une grosse fortune, fit l’acquisition de biens et prêta des sommes d’argent considérables dans le but de faire des bénéfices ou par amitié. À sa mort, sa succession comprenait de nombreux biens immobiliers et plus de £50 000 en hypothèques, en titres et en débentures. Une telle richesse, combinée à ses antécédents sociaux et à ceux de sa femme, lui ouvrit les portes de la haute société de la province, et ses talents l’amenèrent à occuper de nombreux postes prestigieux en dehors du domaine médical. Nommé juge de paix en juin 1822, il fut l’un des membres les plus assidus de la magistrature du district de Home pendant plus de 20 ans. Nul doute que la connaissance qu’il avait des affaires du gouvernement local n’était pas sans avoir de rapport avec l’offre qui lui fut faite, en 1841, de devenir préfet du district, offre qu’il déclina. Il siégea au conseil d’administration de la Bank of Upper Canada de 1822 à 1825, puis de 1827 à 1857, occupant le poste de vice-président de 1843 à 1849. En 1829, on lui confia un poste au conseil du King’s College en même temps qu’un autre au Bureau de surveillance générale de l’éducation de la province, juste au moment où ces organismes commençaient à se préoccuper de la construction et de l’organisation de l’Upper Canada College, une école préparatoire à des études supérieures à laquelle s’intéressait particulièrement le lieutenant-gouverneur sir John Colborne*, vétéran de la guerre d’Espagne, comme Widmer. Il est possible que ces nominations aient reflété la volonté de Colborne de confier des responsabilités officielles à des personnes qui ne faisaient pas déjà partie du petit groupe qui avait jusque-là monopolisé les postes, mais le choix de Widmer doit aussi avoir été motivé par son désir de faire participer un homme d’affaires compétent à un projet qui lui tenait à cœur. En 1834, Widmer fut nommé commissaire d’écoles de district.
Widmer ne fut jamais essentiellement un homme politique, mais il était impossible pour quelqu’un d’aussi actif dans les affaires publiques d’une communauté si fortement politisée de rester complètement en dehors de la politique. Ses activités professionnelles, ses occupations publiques, sa vie privée, dont le fait qu’il fût membre d’une loge maçonnique, tout cela le mettait fréquemment en contact avec des gens qui appartenaient à l’establishment du Haut-Canada. Il fit donc ses débuts dans la politique comme candidat à l’échevinage, sur la liste des conservateurs, dans le quartier St David de Toronto, en 1834, où il se fit battre par William Lyon Mackenzie* et James Lesslie*. Les préférences politiques de Widmer allèrent immanquablement aux conservateurs jusqu’aux élections générales de 1836 où il vota, dans la circonscription de Toronto, pour le conservateur William Henry Draper*, qui remporta une victoire éclatante sur le réformiste modéré James Edward Small*. En janvier 1837, cependant, Widmer se porta candidat à un poste d’échevin sur une liste de prestigieux réformistes tels que Small, William Warren Baldwin*, George Ridout* et Jesse Ketchum* ; cela avait probablement pour but d’amener les sympathisants réformistes de Toronto à montrer leur couleur. Widmer perdit de nouveau.
La conversion publique de Widmer au réformisme à une époque d’extrême polarisation politique, qui allait mener à la rébellion de 1837, constitua fort probablement un cas unique parmi les personnalités publiques du Haut-Canada, et on ne peut que conjecturer sur la cause de ce revirement. Qu’il ait voté pour un conservateur en 1836 laisse supposer que sa conversion ne fut peut-être pas tant motivée par le principe constitutionnel enjeu aux élections générales que par la décision prise plus tard cette année-là par le lieutenant-gouverneur sir Francis Bond Head* de démettre de leur charge publique Small, Baldwin et Ridout, en raison de leur engagement dans la politique réformiste. Il est aussi possible que des liens d’amitié aient contribué au revirement de Widmer : il était intime avec Baldwin, collègue de longue date au Medical Board of Upper Canada, et avec son fils Robert ; il était également un ami de John Rolph*, autre membre du Medical Board of Upper Canada, alors principal critique parlementaire du gouvernement provincial. Widmer et Rolph furent chacun parrain du fils de l’autre et ils restèrent en très bons termes, même après la trahison de Rolph et sa fuite aux États-Unis en 1837.
À partir de 1838, Widmer appuya invariablement Baldwin et, en 1840, le lieutenant-gouverneur sir George Arthur l’identifia, en même temps que les deux Baldwin, Small et Francis Hincks*, comme l’un des membres « respectables » du « parti » réformiste. Cette année-là, Widmer présida le comité responsable de la campagne électorale de Robert Baldwin ; en effet, ce dernier mena une campagne très longue, mais finalement infructueuse, dans le but de se faire élire député de Toronto à la chambre d’Assemblée, lors des élections générales attendues. Widmer fit aussi partie des comités s’occupant des campagnes de John Henry Dunn et d’Isaac Buchanan*, qui se présentèrent, et triomphèrent, comme candidats antitories aux élections qui eurent finalement lieu en mars 1841. En août 1843, pendant le gouvernement de Baldwin et de Louis-Hippolyte La Fontaine*, Widmer fut nommé membre du Conseil législatif, honneur qu’il avait décliné un an auparavant en alléguant qu’il ne pouvait participer aux séances qui se tenaient à Kingston. Il ne siégea régulièrement que lorsque le Parlement se réunit à Toronto, mais il assistait volontiers aux séances du conseil qui se tenaient à Montréal ou à Québec quand ses amis jugeaient sa présence nécessaire. Deux faits aident à cerner les opinions politiques de Widmer à cette époque : en 1844, il fit partie du comité général de la Reform Association of Canada, puis, en 1846, il proposa à Robert Baldwin que le « parti réformiste » mette tous ses fonds destinés à la propagande dans un journal « whig-radical » unique, qui défendrait « le grand principe d’une opposition ferme à l’influence [exercée par le] gouvernement par l’entremise d’un establishment épiscopal ». Un tel journal serait « financé par une souscription annuelle généreuse de la part de ceux qui pourraient se le permettre et une contribution relativement [plus] modeste venant du peuple ». Son opposition à la création d’un conseil législatif électif en 1856, une revendication de longue date des réformistes, laisse supposer que son libéralisme avait des limites.
En tant que principal représentant du corps médical dans le Haut-Canada, Widmer fut au centre des discussions soulevées par trois sujets particulièrement importants pour sa profession : la fondation d’une école de médecine universitaire, la réglementation par les médecins eux-mêmes de leur profession et les réformes administratives de 1852–1853. Il n’est pas toujours facile de connaître précisément ses opinions sur ces questions : il était au centre des débats, mais sa voix était souvent couverte par les déclarations collectives des différents groupes auxquels il appartenait.
En 1830, sir John Colborne, conscient du mécontentement général que suscitait la confessionnalité exclusive du King’s College, décida d’ouvrir seulement sa faculté de médecine. Les étudiants du Haut-Canada désirant une formation médicale seraient alors moins tentés d’aller la chercher aux États-Unis où ils pourraient être contaminés par d’autres idées politiques. Le conseil du collège objecta que la demande pour l’enseignement de la médecine dans le Haut-Canada était limitée et que la ville d’York était trop petite pour offrir aux étudiants l’expérience pratique nécessaire à leur formation. On ne peut faire la preuve que Widmer n’était pas de cet avis mais, à partir de 1834, après que deux épidémies de choléra eurent mis en évidence le manque de compétence médicale dans la province, lui et d’autres membres du Medical Board of Upper Canada firent pression pour obtenir l’ouverture immédiate d’une faculté de médecine. À diverses reprises, Widmer, Rolph et l’ensemble du Medical Board of Upper Canada furent consultés par Colborne sur ce sujet, mais ces consultations n’aboutirent à aucun résultat concret.
En mai 1837, Widmer se retira du conseil du collège, en même temps que l’autre membre qui appartenait au corps médical, Grant Powell*, probablement pour protester contre le projet de John Strachan* concernant l’ouverture du collège. Ce plan, qui venait d’être adopté par le conseil, faisait de l’école de médecine une faculté mineure comptant seulement trois professeurs à temps partiel. Entre août et novembre 1837, le Medical Board of Upper Canada s’engagea dans une discussion de plus en plus aigre sur ce sujet avec sir Francis Bond Head, chancelier d’office du collège, mais le début de la rébellion, en décembre, empêcha la réalisation du projet de Strachan. En 1839, le College of Physicians and Surgeons, dirigé par Widmer, tenta de persuader le conseil du collège de s’associer à lui pour mettre sur pied une importante faculté de médecine, mais rien ne se concrétisa avant l’adoption des plans prévoyant la création du collège dans son entier. En mai 1842, Widmer fut de nouveau nommé membre du conseil du collège par le gouverneur général sir Charles Bagot*, afin qu’il puisse apporter sa contribution à l’élaboration du programme de médecine. À une époque où les médecins allopathes (partisans de la médecine classique) et les différents groupes rivaux se menaient une vive lutte, les premiers traitant les seconds de charlatans, les conseils de Widmer reflétaient son désir de rehausser la position sociale des allopathes en tentant de donner à l’école et à son enseignement autant de prestige que possible. Il aurait préféré faire venir de Grande-Bretagne tous les membres devant constituer la faculté, mais, reconnaissant que « les intérêts du pays devaient primer », il recommanda plutôt des médecins torontois, dont John King, William Charles Gwynne* et William Rawlins Beaumont*. Widmer quitta le conseil à la fin de 1842, une fois qu’on eut pourvu aux postes de médecin ; toutefois, après son départ, le conseil modifia son plan afin de tenir compte des objections de Strachan qui préférait que les professeurs de la faculté soient plus nombreux mais moins bien rémunérés. En 1850, le King’s College devint l’University of Toronto, dont releva désormais l’école de médecine.
Dans le Haut-Canada, l’idée de constituer juridiquement le corps médical fut conçue, en partie, comme un autre moyen de supprimer l’exercice de la médecine non classique. Même si les défenseurs de cette idée, qui avaient tendance à être conservateurs en politique, soutenaient que la réglementation de la profession par les médecins eux-mêmes constituait le meilleur moyen de supprimer le charlatanisme, leurs opposants politiques radicaux, même parmi les allopathes, les accusaient d’être une clique tentant de monopoliser les services de santé. Widmer semble avoir hésité sur cette question. La première fois que fut proposée la constitution juridique du corps médical, en 1832, il s’y opposa, ainsi que le Medical Board of Upper Canada, prétendant que la procédure existante pour délivrer les permis, associée aux lois provinciales contre l’exercice illégal de la médecine, assurait une réglementation suffisante. Six ans plus tard, après que le Medical Board of Upper Canada eut perdu trois membres impliqués dans la rébellion (Rolph, Charles Duncombe* et Thomas David Morrison), la proposition fut reprise parce que l’on prétendait que le système des permis ne constituait plus une réglementation appropriée. En dépit de l’opposition radicale de la chambre d’Assemblée à l’initiative du Medical Board of Upper Canada, une charte fut accordée au College of Physicians and Surgeons en 1839, mais le gouvernement de Londres refusa de sanctionner cette loi en 1840, après que le Royal College of Surgeons of London se fut plaint que la charte en question empiétait sur ses privilèges. Widmer s’opposa à la tentative suivante, dirigée par les tories en 1846, d’établir la réglementation de la profession par les médecins eux-mêmes mais, en mai 1852, il prit la tête du mouvement en faveur de la constitution juridique en convoquant une assemblée de médecins à Toronto. Cette tentative, pas plus que les précédentes, ne réussit à triompher de l’opposition radicale ni à unifier le corps médical.
Le docteur Joseph Workman* interpréta l’initiative de Widmer de 1852 comme un indice que ce dernier avait servi « d’instrument aux tories », qui souhaitaient annuler les effets d’une récente réforme du Medical Board en s’arrangeant pour que l’organisme soit remplacé comme autorité médicale chargée de la réglementation dans le Haut-Canada. La réforme en question était parmi les quelques-unes arrachées au gouvernement de Francis Hincks et d’Augustin-Norbert Morin* en 1852–1853 par John Rolph, dont l’appui politique était essentiel à la survie de ce gouvernement. Rolph voulait par-dessus tout contrecarrer l’influence de la faculté de médecine de l’University of Toronto qui, en attirant des étudiants, faisait concurrence à sa propre école, la Toronto School of Medicine. La faculté, qui recevait une aide financière de la fondation de l’université, exerçait une influence dominante à la fois sur le Medical Board et sur le personnel du Toronto General Hospital, tandis que l’école de Rolph, qui dépendait entièrement des frais de scolarité de ses étudiants, n’était représentée dans aucune de ces institutions. Étant donné en outre que le Medical Board était l’organisme qui permettait d’obtenir le permis provincial et que l’hôpital dispensait la formation pratique essentielle, l’université bénéficiait d’un triple avantage sur la Toronto School of Medicine. Peu de temps après l’entrée de Rolph au cabinet en décembre 1851, ses partisans s’assurèrent la majorité au Medical Board, qui modifia ses règlements de manière à rendre ses séances publiques et à prévoir qu’aucun membre n’ait le droit de faire subir à ses propres étudiants les examens pour l’obtention d’un diplôme. En 1853, la charte de l’hôpital fut modifiée de façon que toutes les écoles de médecine de Toronto, incluant la faculté de médecine du Trinity College, puissent être représentées également au sein de son personnel. En même temps, Rolph sut tirer profit de l’hostilité générale que manifestait le public envers l’University of Toronto en obtenant, cette année-là, la fermeture de la faculté de médecine dans le cadre de la réorganisation complète de l’université entreprise par le gouvernement.
L’attitude de Widmer envers ces réformes varia de l’approbation sincère à l’opposition catégorique. Le projet de loi de l’hôpital était autant son affaire que celle de Rolph : c’était Widmer qui l’avait présenté devant le Conseil législatif. Il reconnaissait aussi l’équité des changements apportés au Médical Board, mais il était très contrarié du fait de la prise de direction de ce dernier par les radicaux et de la puissante influence de leur chef, Joseph Workman. Il s’opposa catégoriquement à la réorganisation de l’université. Après que Robert Baldwin eut publiquement refusé d’être nommé chancelier pour protester contre cette réorganisation, Widmer accepta le poste en janvier 1853 et critiqua vivement la mesure législative proposée par le gouvernement, dès son installation dans la fonction. Son mandat de chancelier prit fin avec l’adoption du projet de loi sur la réforme de l’université en avril ; la responsabilité de pourvoir à ce poste revint alors au gouvernement. Cependant, il faisait partie du conseil de l’université depuis 1850 et y resta jusqu’à sa mort.
Les différences d’opinion entre Widmer et Rolph sur ces question ne semblent pas avoir nui à leur amitié. Une autre question controversée ne détériora pas leurs relations non plus. Rolph voulait remplacer le directeur médical du Provincial Lunatic Asylum, l’impopulaire John Scott*, par son propre candidat, Joseph Workman. En février 1853, Widmer et cinq autres membres du conseil d’administration de l’asile offrirent leur démission pour protester contre la conduite des partisans de Rolph siégeant au conseil, William McMaster* et Terence Joseph O’Neill*. Cependant, après que la présentation du projet de loi visant à réorganiser l’administration de l’asile eut incité Scott à démissionner, Widmer décida de ne pas quitter son poste de président ; cependant, on ne renouvela pas son mandat de membre du conseil d’administration après l’adoption de la nouvelle loi, en septembre. De plus, même s’il désapprouva la tentative de Rolph pour remplacer Scott par Workman à l’insu de tout le monde, il se montra disposé à appuyer la nomination de Workman, même après que ses liens officiels avec l’asile eurent été coupés. Il conseilla à Rolph de faire beaucoup de publicité pour ce poste, puis, après que le gouvernement lui eut soumis les candidatures suscitées par l’offre d’emploi pour qu’il les évalue, il recommanda Workman, bien qu’il y ait eu des candidats mieux qualifiés que lui. En mars 1854, il donna également à Rolph des conseils sur la manière d’amoindrir les protestations que cette nomination soulèverait.
Bien que l’amitié ait survécu à ces épreuves, elle n’empêcha pas Widmer de voter, en 1855, à titre de membre du conseil d’administration de l’hôpital, pour le renvoi des représentants de l’école de médecine de Rolph qui faisaient partie du personnel de l’hôpital général, William Thomas Aikins* et Henry Hover Wright, à la suite de leur témoignage préjudiciable lors d’une enquête publique sur l’administration de l’hôpital. Même si les accusations de mauvaise gestion furent loin d’être totalement réfutées, le conseil d’administration fit suivre ce congédiement d’autres actions qui profitèrent à la faculté de médecine du Trinity College au détriment de la Toronto School of Medicine, ce qui eut probablement pour effet de tendre les rapports entre Widmer et Rolph. En 1855, ce dernier tenta d’empêcher Widmer d’être nommé de nouveau membre du conseil d’administration et, en octobre 1857, ils se querellèrent publiquement au Médical Board à propos de l’examen d’un candidat.
Widmer était reconnu dans l’esprit du public pour ses qualités professionnelles, son discours fleuri de jurons (que les âmes charitables imputaient à son passé de militaire) et son grand cœur. Sa notice nécrologique parue dans le Daily Leader soulignait le « fait curieux » que, pendant la plus grande partie de sa vie, il refusa d’exiger plus de 6 p. cent d’intérêt sur les prêts. Sa bonté pour les pauvres malades fut remarquée par ses contemporains, même si, comme la majorité des gens de sa classe, il ne manifestait pas une grande sympathie pour les « pauvres peu méritants ». Henry Scadding* se rappela que, sur ses vieux jours, « le visage [de Widmer] au repos était un peu préoccupé et triste, mais il s’illuminait rapidement d’un sourire à la vue d’un ami ». En effet, son amitié pour Rolph laisse supposer qu’il plaçait peut-être la fidélité personnelle au-dessus même du patriotisme, et il semble que l’amitié l’ait empêché de voir les faiblesses professionnelles de confrères tels que William Rawlins Beaumont, John Scott et Edward Clarke, surintendant médical de l’hôpital général. Il est possible que la mélancolie à laquelle faisait allusion Scadding ait découlé en partie de la vision du monde d’un homme que l’on soupçonnait généralement, du moins jusqu’aux dernières années de sa vie, d’être athée, bien qu’il ait été officiellement anglican. Sa vie privée peut aussi y avoir été pour quelque chose. Selon William Canniff*, Widmer s’habillait avec beaucoup d’élégance et plaisait énormément aux dames ; sa première femme, décrite en 1826 par Samuel Peter Jarvis comme « une créature de petite taille, raide, solidement charpentée et diablement laide », était furieuse que son mari coure le jupon. Sa seconde femme, bien qu’elle l’ait rendu très heureux, était d’un rang social beaucoup plus bas que le sien, et il est possible qu’elle ait été plutôt un embarras pour lui. Leur fils, Christopher Rolph, qui semble avoir été conçu plusieurs mois avant la mort de sa première femme, survenue en 1833, ne répondit pas à l’attente de son père dévoué, car il était fainéant et menait une vie désordonnée ; il mourut un an avant Widmer, lequel fut pris d’une crise qui l’emporta pendant qu’il rendait visite à la tombe de son fils, au cimetière. Sa fille aînée, Annie, présentait un caractère difficile, qui tenait, semble-t-il, à un sentiment de honte vis-à-vis de ses origines.
La diversité des postes occupés par Widmer pendant quatre décennies semble indiquer que sa contribution à la vie du Canada fut plus importante que celle de beaucoup d’autres dont les carrières sont mieux connues. Même si sa réputation fit de lui un homme de paille idéal pour la cause du réformisme dans les années 1840, il n’y a pas lieu de croire qu’il ne joua jamais de rôle important en tant qu’homme public. Décrit par James Henry Richardson comme un homme « petit et nerveux », avec « une démarche alerte et souple », il travaillait avec une énergie indomptable. Ainsi, quand on lui demanda, en 1841, d’aller soigner le gouverneur général lord Sydenham [Thomson*] qui agonisait, sa réponse fut caractéristique de son énergie : alors âgé de 61 ans et « cavalier accompli », il parcourut la distance de Toronto à Kingston à cheval, sans s’arrêter.
Aux yeux de ses contemporains, la prééminence de Widmer dans le domaine médical, autant comme praticien que comme administrateur, ne faisait pas de doute. En tant que médecin, il avait la réputation d’être très compétent pour établir les diagnostics et faire les ordonnances, et il conserva même au delà de 70 ans, en dépit de ses infirmités croissantes, une habileté pour les opérations délicates qui faisait honte aux hommes plus jeunes. Il garda son cabinet privé au moins jusqu’en 1854, et ses lectures, comme en témoigne partiellement un catalogue de ses livres de médecine vendus aux enchères en 1866, montrent qu’il se tenait au courant des progrès de la médecine. Il aurait « fortement encouragé les premiers médecins de la province à se diriger vers une chirurgie scientifique ». En tant qu’administrateur, il s’efforça d’empêcher l’esprit de discorde tellement répandu à l’époque de nuire aux meilleurs intérêts de sa profession, qu’il considérait être la suppression du charlatanisme et l’imposition de niveaux de formation générale et de compétence aussi élevés que possible chez les médecins diplômés de la province. Toute tentative d’expliquer ses changements de position sur la question de la réglementation par les médecins eux-mêmes de leur profession relève de la conjecture. Comme principal conseiller du gouvernement pour les affaires d’ordre médical, il avait peu d’avantages à tirer de la fin de la réglementation gouvernementale, et ses prises de position pour la constitution juridique du corps médical en 1839 et en 1852 constituèrent probablement des exceptions. Le premier cas peut s’expliquer par l’espoir qu’un corps médical plus solidement organisé saurait faire pression sur une direction d’université inflexible pour obtenir une faculté de médecine qui répondrait à ses besoins. Le deuxième cas était très probablement relié à la perte d’autorité de Widmer au profit de John Rolph.
Les confrères de Christopher Widmer lui témoignèrent leur estime de différentes manières. Ainsi, il fut élu premier président des deux associations médicales formées à Toronto de son vivant : la Medico-Chirurgical Society of Upper Canada (1833) et la Toronto Medico-Chirurgical Society (1844). Sa réputation s’étendit, puisqu’en 1844 il fut élu fellow du Royal College of Surgeons of England, et, trois ans plus tard, le McGill College lui conféra un doctorat honorifique en médecine. En 1853, John Rolph écrivit bien sincèrement à propos de Widmer qu’il était « encore [...] tel qu’il a[vait] toujours été et tel qu’on l’a[vait] nommé à juste titre, le premier de tous ». Le jugement que Rolph a porté sur Widmer peut être considéré comme définitif.
Christopher Widmer est l’auteur d’au moins un article médical : « On purulent ophthalmia », publié dans Laws of the Toronto Medico-Chirurgical Society, together with a catalogue of books in its library ; instituted 17th June, 1844 (Toronto, 1845). Un exemplaire de Elements of the practice of physic, for the use of those students who attended the lectures read on this subject at Guy’s Hospital ([Londres], 1798), qui a appartenu à Widmer et qui contient ses notes de lecture, est conservé à la bibliothèque de l’Academy of Medicine (Toronto),
Academy of Medicine, W. T. Aikins papers ;
Paul Romney, « WIDMER, CHRISTOPHER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/widmer_christopher_8F.html.
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Auteur de l'article: | Paul Romney |
Titre de l'article: | WIDMER, CHRISTOPHER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
Année de la révision: | 1985 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |