HAMILTON, ROBERT, homme d’affaires, homme politique, juge et fonctionnaire, né le 14 septembre 1753 à Bolton, Écosse, fils de John Hamilton et de Jean Wight ; en 1785, il épousa Catherine Askin, veuve de Samuel Robertson, et ils eurent cinq fils, puis vers 1797, Mary Herkimer, veuve de Neil McLean*, et ils eurent trois fils et une fille ; décédé le 8 mars 1809 à Queenston (maintenant partie de Niagara-on-the-Lake, Ontario).
Le pouvoir et l’influence de Robert Hamilton lui vinrent en grande partie de son activité dans les domaines de la traite des fourrures et du ravitaillement de l’armée britannique. À l’instar de beaucoup d’Écossais de la classe moyenne de la fin du xviiie siècle, il passa en Amérique du Nord britannique grâce à ses rapports avec des trafiquants de fourrures. En mars 1778, il signait un contrat de trois ans avec les frères Ellice, de Londres, Écossais des Lowlands, depuis longtemps en vue dans la traite des fourrures du Sud-Ouest (soit dans la région située au sud-ouest des lacs Huron et Supérieur), et de surcroît de grands fournisseurs des forces britanniques pendant la guerre d’Indépendance américaine. En juillet 1779, Hamilton était dans la province de Québec ; il faisait son apprentissage de commis à Montréal et à l’île Carleton (New York), tout en mettant sur pied, pour son propre compte, un petit commerce dans les postes des pays d’en haut. En mai 1780, il laissa les Ellice pour s’associer avec le loyaliste new-yorkais Richard Cartwright, au fort Niagara (près de Youngstown, New York). Ils y établirent un solide commerce avec l’armée britannique et son complément quasi militaire, le département des Affaires indiennes. Les officiers britanniques furent impressionnés par la respectabilité et le patriotisme de la firme, de même que par la confiance qu’elle leur inspirait.
La firme montréalaise Todd and McGill, l’une des plus anciennes et des plus prospères entreprises engagées dans la traite des fourrures du Sud-Ouest, ravitaillait et probablement finançait en partie Hamilton et Cartwright. Isaac Todd et James McGill s’organisèrent pour regrouper dans une même société leurs associés de Niagara et John Askin, leur client qui réussissait le mieux à Detroit. Les contacts de Hamilton avec l’armée et avec de nouvelles sociétés tournées vers la traite du Sud-Ouest servirent de bases aux remarquables entreprises qu’il monta dans la jeune province du Haut-Canada. En effet, les réseaux commerciaux laurentiens qui approvisionnaient et ravitaillaient l’armée et les trafiquants de fourrures se révélaient les organismes les plus développés dans cette province géographiquement fragmentée et institutionnellement faible avant la guerre de 1812. Une association avec les membres de ces réseaux valait à quelques marchands privilégiés l’unique richesse et le seul pouvoir réel que pouvait offrir la jeune colonie.
En 1782, Hamilton et Cartwright ouvrirent une succursale à Oswego, dans la colonie de New York ; puis, en 1783, après la guerre, ils la transportèrent à l’île Carleton. La décennie qui suivit ne fut pas propice aux marchands de Niagara : des 18 firmes qui y recevaient des marchandises en 1783, seulement 4 existaient encore en 1789. Les autres avaient été balayées par la dépression d’après-guerre, la disparition des commandes militaires et le marché peu prometteur que constituait la communauté des pionniers loyalistes. Mais, en société avec Cartwright jusqu’en 1790, Hamilton non seulement survécut à cette période difficile, mais il connut la prospérité en concentrant ses efforts du côté de la traite des fourrures, expédiant des marchandises et recevant des pelleteries, plutôt que du côté du commerce local. Il y avait de solides avantages à cette orientation : la traite des fourrures, qui n’exigeait pas de grandes mises de fonds, était aussi d’un rapport régulier, sur lequel le prix des marchandises ou la situation du marché local n’avaient pas d’influence directe.
À un moment donné, en 1784 ou en 1785, Hamilton s’établit à Niagara et, peu après, entreprit la construction d’une maison et d’un magasin dans un lieu qui allait devenir Queenston, pendant que Cartwright se fixait à Cataraqui (Kingston). À la fin des années 1780, d’après un commentateur, ils devinrent les commerçants attitrés pour l’expédition de toute marchandise privée sur le lac Ontario. Ce florissant commerce requérait de grandes installations portuaires hors de proportion avec les moyens des petits marchands des pays d’en haut comme Hamilton. Heureusement, les principaux commerçants de Montréal et l’armée britannique fournirent les capitaux et en entreprirent aussi la construction. Ce fut la chance de Hamilton que son fournisseur, la Todd and McGill, eût été le premier à construire un gros navire privé sur le lac, après la guerre. Il devint alors le gestionnaire à Niagara du Lady Dorchester de 120 tonneaux, construit en 1788, de même que du deuxième navire de la Todd and McGill, le Governor Simcoe de 137 tonneaux, construit en 1794. Le monopole de la navigation privée prit fin en 1794, mais l’entreprise n’en continua pas moins d’être profitable. L’infrastructure nécessaire au transport maritime (entrepôts, quais, portages) fut construite par l’armée, et, au départ, Hamilton put se servir des installations militaires aux fins de son entreprise. Les profits qu’il réalisa dans le transport des marchandises, alors que l’économie locale restait primitive et affectée par la dépression, lui fournirent une base solide pour l’expansion de ses entreprises et accrurent par la suite son influence dans la société.
La région de Niagara était le principal lieu de transbordement sur la route de l’Ouest. Le principal portage était situé sur la rive est – du côté américain – de la rivière Niagara, et il en fut ainsi jusqu’à la fin de la Révolution américaine. Alors les trafiquants de fourrures montréalais intriguèrent afin d’obtenir le droit de faire le portage de leurs marchandises sur la rive ouest et, l’ayant obtenu, confièrent leurs affaires à Hamilton et à un autre marchand local, George Forsyth (frère de Joseph), étroitement lié lui aussi à la traite des fourrures. En 1791, avec l’appui et certaines garanties financières des grandes compagnies de traite de Montréal, Hamilton, Forsyth, John Burch* et Archibald Cunningham obtinrent le contrat lucratif du portage de toutes les marchandises militaires. Comme l’armée avait déjà construit des installations servant au transport, les frais généraux de Hamilton furent peu élevés, et, plus important encore, ses profits furent grands.
En plus d’être associé à Cartwright et d’avoir des contacts avec l’armée et plusieurs trafiquants de fourrures, Hamilton créa un réseau d’alliances familiales pour assurer ses intérêts. En 1785, il épousa la fille de son associé John Askin, renforçant ainsi un lien qui allait servir les deux familles pendant plus d’une génération. Ce mariage lui valut d’autres contacts à Detroit, en particulier le puissant William Robertson. La même année, Hamilton commença à établir des parents écossais dans la presqu’île du Niagara. Au cours des sept années qui suivirent, il envoya chercher, en Écosse, quatre de ses cousins : Thomas Clark* et les Dickson, Robert*, Thomas* et William*. Chacun fit son apprentissage chez lui avant d’être placé dans des entreprises qui étaient, en fait, des compléments de celles de Hamilton, liées étroitement, elles aussi, à la traite des fourrures et au ravitaillement de l’armée. Pendant toute sa vie, Hamilton resta fortement uni à ses cousins. Le cercle s’agrandit par l’inclusion de relations de l’ancien monde, comme Robert Nichol*, et de la deuxième génération des familles Dickson-Clark dans un tissu complexe d’accords commerciaux, d’associations d’affaires, de spéculations foncières et de lobbying mutuel pour l’obtention de postes et d’autres faveurs politiques.
Le ravitaillement de l’armée et de la traite des fourrures fut le principal soutien des entreprises de Hamilton. L’aspect du ravitaillement en vivres concernait presque exclusivement l’armée, car les trafiquants de fourrures avaient tendance à s’approvisionner plus près de leurs centres d’activité, dans l’Ouest. Avec l’aide de la firme Todd and McGill, et avec le consentement de l’armée, Hamilton devint en 1786 le commerçant attitré pour la fourniture de farine à la garnison de Niagara, laquelle constituait le seul débouché de quelque importance pour l’agriculture locale, jusqu’à ce que l’on commençât à expédier des produits du lac Ontario vers le Bas-Canada, en 1800. La distance et l’irrégularité des approvisionnements maintenaient localement les prix élevés, et les besoins du marché se révélaient de taille : jusqu’en 1798, l’armée acheta tous les produits agricoles que pouvait offrir la presqu’île du Niagara. À cause de sa garnison relativement importante, à cause aussi de la situation stratégique de Niagara comme principal centre de ravitaillement pour les postes de l’Ouest, en 1800, l’armée achetait à Niagara 61 p. cent de tous ses besoins en victuailles pour toute la colonie. Hamilton revendiquait la part du lion du marché de Niagara, fournissant annuellement entre 35 et 100 p. cent, en valeur, des achats que l’armée faisait sur place. Ce monopole tenait au désir des militaires d’acheter en grosses quantités, à l’impulsion conférée à l’entreprise de Hamilton en raison de son ancienneté, et, pour une bonne part, à la préférence et aux privilèges particuliers que lui accordait l’armée à cause de sa bonne réputation.
Le portage des marchandises conserva aussi son importance dans l’économie de la région. À la fin des années 1780 – seule période pour laquelle des statistiques soient disponibles –, une moyenne de 30 p. cent de toutes les marchandises de traite (en valeur) étaient expédiées dans l’Ouest par la route des lacs et empruntaient le portage du Niagara ; 40 p. cent de toutes les fourrures envoyées dans l’Est suivaient la même route. Le Sud-Ouest restait la destination principale de ces marchandises : 80 p. cent des ravitaillements privés qui passèrent par le portage en 1790 étaient destinés à Detroit et à Michillimackinac (Mackinac Island, Michigan) plutôt qu’aux postes situés plus à l’ouest. Le volume de ce trafic était substantiellement augmenté par les expéditions militaires, surtout constituées de provisions pour les postes des pays d’en haut. Hamilton eut de la chance : il continua jusqu’à sa mort d’obtenir une série ininterrompue de contrats lucratifs de portage pour l’armée. Le total des profits relatifs au portage en 1798, par exemple, était de l’ordre de £2 500 – une forte somme pour les trois marchands des pays d’en haut qui s’adonnaient à cette activité.
L’approvisionnement et le transport jouèrent un rôle notable dans les entreprises de Hamilton en lui fournissant une importante somme d’argent liquide ; à cette époque, tous les clients le payaient en espèces, ce qui représentait tout un avantage pour un marchand dans une société où le numéraire était toujours rare. Tout indique qu’il investit vraisemblablement cet argent dans des entreprises locales, en particulier dans le commerce de détail et la spéculation foncière. Vu que les boutiques de la plupart des marchands étaient petites et repliées sur la localité, le magasin de Hamilton à Queenston, où il vendait de grandes quantités de marchandises courantes et un vaste éventail d’objets de luxe, était l’équivalent d’un centre régional moderne de vente au détail. Il attirait des clients des quatre coins de la presqu’île, et, dès 1803, Hamilton engagea pendant quelque temps un représentant, à l’année, pour percevoir 500 ou 600 comptes dans pas moins de 22 cantons. Hamilton exploitait aussi un moulin (le mécanisme en était actionné par un cheval), une tannerie et une distillerie, dont il était propriétaire. À sa mort, en 1809, 1 200 personnes lui devaient la somme étonnante de £68 721.
Hamilton fut sans aucun doute le principal spéculateur foncier dans les débuts du Haut-Canada. Le total connu des terres dans lesquelles il eut un intérêt, qu’il les eût achetées ou acquises par concession, ou qu’il en détînt l’hypothèque, représentait 130 170 acres. Contiguës, elles eussent quasiment couvert, sur la largeur d’un canton, presque la distance de la rivière Niagara à la baie de Burlington (port de Hamilton). Près de 50 p. cent d’entre elles étaient situées dans son propre comté de Lincoln ; le bloc le plus important, après celui-là, se trouvait dans les comtés d’Oxford et de Norfolk. Il avait acquis ses propriétés foncières en peu de temps, achetant près de 43 p. cent de ses terres dans la presqu’île (sans compter celles qu’il obtint par concession ou par hypothèque) entre 1791 et 1799. S’il investissait beaucoup dans la propriété foncière, nul doute qu’une grande partie de ces terres lui furent transférées en paiement de créances à recouvrer. Onze pour cent seulement représentaient des concessions obtenues directement de la couronne.
Pour Hamilton, la terre servait à la spéculation. Il ne croyait pas qu’il fût désirable, socialement, ou qu’il pût devenir intéressant, économiquement, de constituer pour lui-même ou pour ses héritiers de grands domaines. Il concevait plutôt le progrès économique comme dépendant des fermiers yeomen, de préférence originaires des États-Unis, qui défricheraient et exploiteraient un ou deux lots ; c’est à de tels gens qu’il projetait de vendre ses terres. Généralement, Hamilton ne se préoccupait guère de la qualité ou des possibilités de revente des terres qu’il acquérait. Une grande partie d’entre elles, situées à l’intérieur, étaient isolées, et leurs sols mal drainés ; ces terres ne seraient pas mises en culture rapidement. Grâce à ses ressources financières, il avait confiance que sa famille pourrait conserver de grandes pièces de terre, même de piètre qualité, assez longtemps pour qu’elles devinssent vendables. Il s’agissait de spéculation à long terme ; de son vivant, il ne se départit, en effet, que de 13 p. cent des terres qu’il possédait.
Dès ses débuts, Hamilton obtint des charges publiques, grâce aux pouvoirs politiques de ceux qui le favorisaient dans le domaine économique. Quand le gouvernement, établi dans la lointaine ville de Québec, voulut procéder aux premières nominations dans les pays d’en haut, il sollicita les recommandations de ceux qui connaissaient le mieux la région officiers de l’armée britannique, fonctionnaires du département des Affaires indiennes et membres en vue de la communauté montréalaise des trafiquants de fourrures. Les protecteurs de Hamilton dans ces milieux, en particulier sir John Johnson*, lui obtinrent sa nomination à l’un des premiers postes de juge de paix de Niagara en 1786. Ils le firent nommer au conseil des terres du district de Nassau et juge de la Cour des plaids communs du district en 1788, puis, enfin, membre du Conseil législatif du Haut-Canada en 1792. Hamilton se montra assidu dans l’exercice de ses tâches officielles. S’il usa rarement de ses charges pour en tirer directement des avantages financiers, il fut en mesure, grâce à elles, d’influencer les conditions relatives à sa propre activité commerciale.
Les objectifs politiques et sociaux de Hamilton étaient à la fois pragmatiques et limités. Il montra peu d’intérêt pour les progrès institutionnels ou sociaux. Au sein du conseil, il se préoccupait rarement de questions qui n’étaient pas directement liées à ses intérêts personnels ou à ses relations commerciales. Mais, malgré la nature restreinte de ses conceptions, il n’en fut pas moins mêlé aux controverses politiques pendant une bonne partie de sa carrière. Il était au centre d’une élite commerçante dont l’activité s’étendait de Kingston à Detroit et qui avait la haute main sur les affaires le long des Grands Lacs. Sa puissance économique lui conférait une influence sans égale sur la société régionale ; et, naturellement, cette puissance et cette influence n’allaient pas sans causer du ressentiment à son endroit ; de fait elles devinrent très tôt un sujet de débat majeur dans la vie politique de la presqu’île.
Ce fut sous le lieutenant-gouverneur Simcoe que l’ascendant de Hamilton fut le plus vivement contesté. La préoccupation immédiate des gens de l’époque était d’ordre économique : transfert de propriété des terres, suite à donner aux réclamations pour dettes et maîtrise du marché le plus rémunérateur de la province, soit l’approvisionnement de l’armée. On peut mesurer l’importance de Hamilton par le fait qu’il fut avec Cartwright le centre des débats sur ces questions, et que, de surcroît, le gouvernement de Simcoe fut marqué, pendant un certain temps, par un conflit entre les gros marchands qui avaient leur centre d’activité dans la région, et qui tentaient de défendre leurs privilèges, d’une part, et l’autorité exécutive récemment mise en place dans la province, qui s’efforçait de concentrer le pouvoir entre ses mains, d’autre part. Le dédain dont Simcoe fit montre, tout d’abord envers les commerçants – et que partageaient beaucoup de ses collègues militaires du xviiie siècle – alimenta l’animosité entre les deux groupes. L’élite politique, souvent mal renseignée sur les conditions locales, ou ayant des vues peu réalistes à leur sujet, fut incitée à passer à l’action par le mécontentement que suscitait dans la région la domination des marchands.
La première dispute importante entre les deux groupes fut une conséquence de l’agitation qui secoua toute la province au sujet de la maîtrise des approvisionnements militaires. De concert avec Robertson, Todd avait fait du lobbying pour obtenir un contrat, favorisant au premier chef leurs plus importants clients du Haut-Canada, Cartwright, Hamilton, Askin et David Robertson, frère de William. Le monopole qui en résulta donna lieu à de grands débats, et Simcoe manœuvra pour finalement obtenir l’annulation du contrat en 1794. Mais son geste eut peu d’influence sur le mode de ravitaillement, parce que le gouvernement ne prit aucune mesure supplémentaire pour faire relâcher l’emprise économique des principaux marchands. Second motif de discorde : l’influence supposée des marchands tel Hamilton au sein des tribunaux locaux et sur les conseils des terres ; Simcoe tenta de répondre aux plaintes à cet effet en modifiant la structure des tribunaux et en abolissant les conseils des terres. Mais le pouvoir social des marchands était si bien établi que ces mesures ne connurent qu’un succès partiel.
Troisième question en jeu, le transfert de la propriété des terres était, en puissance, la plus litigieuse. Avant 1796, la tenure foncière était fondée sur des certificats qui assuraient la possession, mais non pas nécessairement la propriété des terres, non plus que le droit de les aliéner. Les spéculateurs fonciers – dont Hamilton était le tout premier – qui avaient acquis de grandes quantités de terres en achetant des certificats, craignaient que le gouvernement pût ne pas confirmer leur légalité. Sur cette question, Simcoe se révéla sympathique ; mais ce n’est qu’en 1797 qu’on en arriva à une solution définitive, quand fut créée la première commission des héritiers et légataires, dont les membres – y compris Hamilton – jouirent d’une grande latitude pour reconnaître la légalité des transferts de propriété des terres.
Vers la fin de son mandat, Simcoe reconnut de plus en plus la légitime et nécessaire influence des marchands sur l’économie et même sur la vie politique de la colonie. Un indice de ce changement fut la nomination de Hamilton, en 1796, comme lieutenant du comté de Lincoln – le poste le plus important dans la région [V. Hazelton Spencer]. Après le gouvernement de Simcoe, l’intérêt de Hamilton pour les mesures législatives connut une baisse marquée. Le conflit le plus significatif avait mis aux prises des fonctionnaires et des entrepreneurs, sur la question des pouvoirs et des prérogatives de chacun. Les batailles étant dès lors chose du passé, et les relations entre les élites économiques et les élites politiques ayant été définies à sa satisfaction, Hamilton, qui naguère s’était fréquemment opposé au gouvernement, en devint un ferme partisan, mais resta généralement passif.
Hamilton s’occupa personnellement et immédiatement d’attribuer des faveurs politiques dans sa propre région, dès la création du district de Nassau en 1788 et jusqu’à sa mort. Devenu lieutenant du comté de Lincoln, il avait le droit de nommer ou de recommander les juges de paix et de désigner les officiers de milice. Il avait en outre un grand pouvoir sur le choix des candidats aux postes publics dans toute la région située à l’ouest d’York (Toronto). Fort de son influence politique et de son influence économique, il put placer ses fils, ses cousins et la deuxième génération de la famille Askin dans des postes officiels ou de commerce. Hamilton ne faisait partie d’aucune clique locale de fonctionnaires, et on ne le retrouvait point, non plus, dans une relation client-protecteur à l’égard d’un quelconque family compact provincial. Son puissant favoritisme reposait largement sur sa propre influence locale. Dans la mesure où il dépendit des institutions politiques provinciales, il était carrément une conséquence de ses relations personnelles avec les lieutenants-gouverneurs successifs. Il noua ses liens les plus profitables, à cet égard, avec Peter Hunter. Des 13 nominations faites à l’extérieur de son district et sur lesquelles Hamilton eut une influence, 8 le furent sous le gouvernement de Hunter. Au vrai, le réformateur Robert Thorpe* se plaignit des « trafiquants indépendants écossais », lesquels « s’étaient insinués dans les bonnes grâces du général Hunter [...] ils form[aient] un réseau s’étendant de Halifax à Québec, Montréal, Kingston, York, Niagra, etc., jusqu’à Detroit ». Thorpe qualifiait ces Ecossais d’« aristocratie de boutiquiers ». Comme il le prétendait, Hunter était lié à nombre de ces marchands par ses origines écossaises. Il avait servi à titre d’officier en Amérique du Nord britannique immédiatement après la Révolution américaine, à un moment où les liens entre l’armée et les trafiquants laurentiens étaient particulièrement forts. Il avait commandé au fort Niagara en 1788, et, de 1789 à 1791, il avait été affecté à Montréal. À cette époque, il était devenu familier avec un certain nombre de marchands, et il maintint ces relations jusqu’à son retour dans la province du Haut-Canada, en 1799, à titre de lieutenant-gouverneur.
Pendant ses dernières années, l’objectif immédiat de Hamilton fut de protéger et d’entretenir le favoritisme et l’influence qu’il avait acquis du gouvernement de la province, tant pour lui-même que pour ceux avec qui il était en rapport, et de défendre ses intérêts dans la vie politique régionale de la presqu’île. Mais il réussit moins bien dans le domaine de la politique régionale que dans ceux de la politique provinciale et du favoritisme. Car les privilèges que Hamilton et les marchands qui lui étaient associés tiraient de leurs contacts avec l’extérieur de la région alimentaient le ressentiment populaire. L’hostilité envers le monopole qu’ils détenaient, qui avait éclaté pour la première fois en 1791, atteignit son point culminant en 1799 et 1800. Une proposition de Hamilton, de Clark et de George Forsyth en vue d’améliorer notablement le portage du Niagara et d’en financer les travaux par une augmentation des tarifs, déclencha une sorte de fureur dans la région qui s’exprima par une série de pétitions aux autorités. Cette hostilité envers les marchands se maintint pendant la campagne électorale de 1800 : des officiers loyalistes comme Ralfe Clench* et des fonctionnaires, tel Isaac Swayze*, ayant contesté avec succès les candidats des marchands, leur firent perdre leurs sièges dans la presqu’île. Hamilton, de concert avec ses cousins et d’autres personnes avec lesquelles il était lié, tels John Warren et Thomas Welch, put néanmoins assurer l’élection de l’arpenteur général David William Smith* dans la circonscription de Norfolk, Oxford and Middlesex. Les différends entre les grands commerçants et la coalition des officiers, des fonctionnaires et des petits marchands diminuèrent après 1806, par suite de la montée de l’opposition parlementaire, généralement associée à Thorpe, William Weekes et Joseph Willcocks. Le radicalisme que l’on percevait dans ce groupe rapprocha les marchands et leurs anciens adversaires qui unirent leurs forces dans la défense commune de leurs intérêts contre leurs ennemis radicaux.
Dans ses affaires privées, Hamilton adopta en tout la vie d’un gentleman. Quand, en 1791, d’autres habitants de la presqu’île en étaient peut-être à rêver de leur première maison permanente, Hamilton commença à construire une impressionnante demeure empruntant le style anglais d’inspiration classique. Perchée sur l’escarpement dominant la rivière Niagara, à Queenston, la maison, avec ses deux étages et sa façade de pierre grise, flanquée de deux ailes latérales et entourée de galeries couvertes, s’élevait de façon incongrue au-dessus des maisons de bois voisines et des défrichements des pionniers. Hamilton recevait avec prodigalité, et, parmi ses hôtes, il y eut le prince Edward Augustus, qui, en route pour les chutes du Niagara en 1792, s’arrêta chez lui pour s’y délasser. Elizabeth Posthuma Simcoe [Gwillim*], femme du lieutenant-gouverneur, était une compagne assidue de Mme Hamilton. Dans le voisinage de sa maison, Hamilton exploitait une ferme d’une belle étendue, ce qui contribuait à imposer encore davantage son image publique de membre de la gentry terrienne. Ses enfants et lui avaient un respect marqué pour les livres et l’étude. Pour bien montrer le niveau qu’il avait lui-même atteint, et pour préparer ses enfants à leur rôle social, Hamilton s’occupa assidûment de leur éducation. Tous firent leurs études supérieures en Écosse.
La respectabilité de Hamilton ne reposait pas uniquement sur les signes extérieurs de la petite noblesse. Il s’associa étroitement avec les organismes qui fournissaient des occasions concrètes de travailler au bénéfice de la communauté, comme la Niagara Agricultural Society, dont il fut l’un des membres fondateurs et le deuxième président, successeur de Simcoe. La société possédait une petite bibliothèque qu’elle donna par la suite à la Niagara Library, autre organisme dont Hamilton était membre fondateur. Il fut aussi grand maître provincial adjoint de la Masonic Lodge of Upper Canada.
Hamilton mourut le 8 mars 1809, à la suite d’une longue maladie. Sa mort lui valut les marques de respect dues par la communauté à son concitoyen le plus éminent. « Ses funérailles, comme vous pouvez l’imaginer, attirèrent un vaste concours de gens, écrivait un ancien précepteur des enfants Hamilton, et, depuis le premier établissement de la région, rien de tel n’est survenu qui occasionnât autant de véritable tristesse. » Les entreprises de Hamilton ne lui survécurent que pendant trois ans. Ce qui faisait la structure même de son commerce – l’approvisionnement et le portage des marchandises – avait commencé à donner des signes de faiblesse pendant la dernière décennie de sa vie. Après 1800, la fourniture à l’armée était devenue de moins en moins importante dans l’économie locale, à la suite de l’ouverture d’un marché d’exportation dans le Bas-Canada. Ce changement fit subir à la firme de Hamilton une forte concurrence de la part d’hommes comme James Crooks* et Richard Hatt, si bien que son efficacité en fut lentement réduite. Après 1800, encore, le portage devint moins profitable, par suite du déclin de la traite des fourrures, plus particulièrement dans le Sud-Ouest. Le transport à des fins militaires tomba aussi, au fur et à mesure que la production agricole dans les environs des postes en arrivait à répondre aux besoins des garnisons. Enfin, l’établissement d’une firme de portage concurrente, puissante et disposant de capitaux, sur la rive américaine de la rivière Niagara, vint empirer encore la situation de Hamilton.
Les grands investissements de Robert Hamilton dans la propriété foncière et le crédit auquel il recourait sur une grande échelle dans ses ventes au détail lui rendaient difficile la tâche de contrebalancer la baisse de ses profits dans le portage et l’approvisionnement. Cette situation s’aggrava, après sa mort, à cause de l’inertie de ses héritiers, de la guerre de 1812 et d’un testament complexe qui gela, à toutes fins utiles, ses biens jusqu’en 1823. Si certains de ses fils, tels Alexander*, George* et John*, réussirent comme entrepreneurs, fonctionnaires et personnages publics à des échelons relativement élevés de la société du Haut-Canada, aucun n’accéda à la prédominance sociale et politique qui avait été, grâce à ses entreprises, le privilège de Robert Hamilton.
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Bruce Gordon Wilson, « HAMILTON, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hamilton_robert_5F.html.
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Permalien: | http://www.biographi.ca/fr/bio/hamilton_robert_5F.html |
Auteur de l'article: | Bruce Gordon Wilson |
Titre de l'article: | HAMILTON, ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |