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MARKLE (Marakle, Marcle), ABRAHAM, homme d’affaires, homme politique et officier, né le 26 octobre 1770 dans le comté d’Ulster, New York ; il épousa une veuve, Mme Vrooman, et ils eurent au moins un fils, puis en secondes noces une prénommée Catharine, et de ce mariage naquirent sept fils et deux filles ; décédé le 26 mars 1826 à sa résidence, près de Terre Haute, Indiana.
Abraham Markle était d’ascendance hollandaise. Selon son propre témoignage, ses quatre frères aînés avaient servi avec les rangers de John Butler* et s’étaient installés dans la presqu’île du Niagara après la Révolution américaine. La présence de ses frères à cet endroit peut expliquer le bref séjour de Markle à Newark (Niagara-on-the-Lake, Ontario) en 1794, mais elle ne suffit pas à l’y retenir puisque, pendant le reste de cette décennie et au tout début de la suivante, il vécut à différents endroits dans l’état de New York. En 1801, associé à un des fils de Robert Hamilton*, il tint hôtel à Niagara (Niagara-on-the-Lake). Pendant quelque temps, ils offrirent en outre un service local de diligence. Leur association prit fin le 25 janvier 1802 et, pendant plusieurs mois, Markle resta seul à la tête de l’entreprise qu’il vendit finalement à son ex-associé. En 1806, il exploitait une distillerie à Ancaster. Au cours du premier trimestre de cette année-là, sa production fut la plus importante de tout le district de Niagara, déclassant même celle de l’imposante entreprise de Richard Hatt*, la Dundas Mills.
Markle faisait preuve d’un flair extraordinaire pour les affaires, tout particulièrement lorsqu’il s’agissait de conclure des marchés. Il était à la tête des 15 actionnaires de l’Union Mill Company qui acheta en 1809 les moulins de John Baptist Rousseaux* St John. Il se peut. même que le groupe en ait fait l’exploitation dès 1806. Markle s’adonna à la spéculation foncière comme la plupart des hommes d’affaires de cette époque. Ses transactions ne sont pas comparables à celles d’investisseurs comme Robert Addison, mais il choisissait toujours ses lots en fonction de leur valeur marchande. En 1808, il obtint les titres de 200 acres situées dans le canton de Nelson, qui jouxtait celui d’Ancaster, puis il les vendit. L’année suivante, il acheta 200 acres dans le canton d’Aldborough. En 1810, il possédait 700 acres dans le canton d’Ancaster ainsi que 200 dans le canton de Markham, et il en louait 400 de la couronne dans le canton de Nelson. L’obtention d’un permis de taverne compléta ses acquisitions en janvier 1813. Si on se fie aux archives des tribunaux civils, il fut un homme d’affaires assez habile pour éviter les pièges qui provoquèrent la ruine de Benajah Mallory*, lequel, comme Markle, allait s’enfuir aux États-Unis durant la guerre de 1812. Les archives judiciaires n’ont consigné qu’un seul jugement d’une certaine importance contre lui, en novembre 1806, pour un montant de £200. Son nom n’y apparaît plus jusqu’en février 1812 et il s’agit alors d’une somme beaucoup plus modeste.
Élu député de la circonscription de Saltfleet, Ancaster and West Riding of York aux élections législatives de juin 1812, Markle fut plongé au cœur des problèmes provinciaux. Le président Isaac Brock* espérait bien que le nouveau Parlement neutraliserait l’opposition menée par Joseph Willcocks* et ferait adopter des lois d’urgence qu’il jugeait indispensables à la survie en temps de guerre. Jusque-là, le seul indice des tendances de Markle en politique, et il est plutôt faible, avait été son refus, rapporté en juin 1811, de s’acquitter de ses devoirs de citoyen en demeurant dans le 5th Lincoln Militia. Il ne subsiste pas de comptes rendus de la session qui se déroula à l’été de 1812, mais le commerçant William Hamilton Merritt*, de Niagara, dit de Markle qu’il était un des « partisans » de Willcocks. Trois jours après le début de la session, Brock se plaignit de la « situation des plus critiques qui ne t[enait] pas à ce que l’ennemi pourrait faire, mais à l’inclination des habitants ». Apparemment dirigée par Willcocks et Markle, l’Assemblée mit huit jours, selon les dires de Brock, à « faire adopter une simple proposition d’abrogation du School Bill, qui n’intéressait qu’une faction », et à faire voter une loi qui rendait obligatoire la divulgation des actes de trahison avant que les magistrats n’envoient les suspects en prison en leur refusant toute caution. Sur la recommandation du conseil, Brock prorogea l’Assemblée. Faute de témoignages sûrs, on se perd en conjectures sur la motivation de Markle. Il n’y avait rien de bien nouveau dans la présence d’une opposition ni dans ses préoccupations. Exception faite de quelques intermèdes, c’est à l’Assemblée que, depuis une décennie, se concentrait de façon constante la résistance au pouvoir exécutif. De plus, les citoyens de la région de Head of the Lake (dans le voisinage du port actuel de Hamilton) étaient déjà réputés pour leur radicalisme en 1809, du fait de l’élection de John Willson*. Il est évident que Markle partageait les convictions traditionnelles des whigs, spécialement en ce qui concernait l’opposition à la loi martiale et à la violation de l’habeas corpus.
L’attitude de l’opposition au cours de la deuxième session (du 25 février au 13 mars 1813) fut assez déconcertante. Merritt fit observer que Willcocks et « son parti » étaient devenus loyaux. Pour sa part, le successeur de Brock, sir Roger Hale Sheaffe*, se montra si satisfait de la session que le 19 mars il déclara que la « cabale » était morte à l’intérieur de la chambre. L’opposition se fit peut-être moins sentir parce que les lois votées ne prêtaient pas particulièrement à la controverse. D’ailleurs, après les victoires de Detroit et de Queenston Heights, la situation militaire était moins désespérée que celle qui avait prévalu sous Brock. Pourtant, en 1814, le président Gordon Drummond* attira l’attention sur l’« influence pernicieuse » de Willcocks et de Markle qui s’opposaient à une « modification pertinente de la loi de l’habeas corpus » demandée par Sheaffe. Étant donné que les comptes rendus de cette session manquent également, ces événements demeurent nécessairement obscurs.
Au cours de l’année 1813, l’opinion publique sur le maintien des lois civiles en temps de guerre avait commencé à changer. Rien ne parut plus choquant que l’attitude de mécontents comme Elijah Bentley* durant l’occupation d’York (Toronto) en avril 1813 et durant l’invasion subséquente de la presqu’île par les Américains. Il en résulta un affaiblissement, puis une perte totale de confiance dans la procédure habituelle et, le 8 mai, « des hommes influents dans la société, [qui étaient de] grands propriétaires fonciers », comme Thomas Dickson et Robert Nichol, intervinrent auprès du brigadier général John Vincent* soutenant que la pratique de la « légitime défense » s’imposait dorénavant. « Le seul recours aux lois civiles [...] serait inefficace et [...] mettrait en danger [l’]existence [du] peuple et [du] gouvernement », faisaient-ils remarquer. Après la victoire du 6 juin à Stoney Creek qui renforça la présence militaire britannique, des loyaux sujets n’hésitèrent pas, pour calmer leurs craintes, à dénoncer ceux qu’ils soupçonnaient de trahison. Cinq jours suffirent pour que Markle reçoive l’ordre de comparaître devant Vincent. Informé du fait qu’« il y avait beaucoup de plaintes logées contre [lui] », Markle fut envoyé en détention à Kingston le 17 juin.
« Innocent et malheureux », Markle fit immédiatement une demande de libération, déclarant que « la fidélité au gouvernement britannique [était] héréditaire depuis [ses] ancêtres jusqu’aux temps présents » et que les plaintes portées contre lui étaient « sans fondement » et avaient été fabriquées par ses « ennemis personnels ». « Si je n’avais pas pris la peine de me faire élire, prétendit-il, je n’aurais jamais été accusé de déloyauté ou de trahison. » Par crainte pour la sécurité de sa famille « laissée sans protection contre les Indiens qui chaque jour détruis[aient] la propriété de [ses] voisins », il fut relâché. Selon certaines sources, Markle serait retourné à Ancaster. Toutefois, un rapport officiel de la milice en date du 22 juin le cite parmi ceux qui s’en allèrent alors aux États-Unis. Par contre, à la fin de novembre, Merritt prétendit l’avoir vu « passer dès le matin précédent pour rejoindre l’ennemi ». Chose certaine, le 12 décembre 1813, il était déjà capitaine dans la Company of Canadian Volunteers, troupe formée par Willcocks après son départ pour les États-Unis. L’enrôlement de Markle fut un coup de chance pour Willcocks, qui le décrivit comme un député « possédant une grande propriété et beaucoup d’influence ».
Les volontaires, qui se vouaient à l’établissement d’une république en Amérique du Nord britannique, combattirent surtout comme francs-tireurs ou éclaireurs. Leur connaissance de la région et les contacts qu’ils y avaient leur donnaient l’avantage dans ce genre de guerre. Ils étaient par surcroît impatients de régler de vieux comptes et recherchaient des cibles civiles sans protection. L’unité passa à l’action pendant l’incendie de Niagara en décembre 1813 et plus tard, lors de l’attaque du fort Schlosser (Niagara Falls, New York) et de Lewiston par l’armée britannique. Markle fut sérieusement blessé au cours d’une des dernières batailles, mais il se remit suffisamment pour accompagner l’important détachement de l’armée américaine qui débarqua à Dover (Port Dover, Ontario) le 14 mai 1814 et brûla tous les bâtiments situés entre ce village et Turkey Point, y compris les moulins de Robert Nichol. Nommé major le 19 avril 1814, Markle maintint les contacts avec les Indiens de l’état de New York, fut ensuite en poste au fort Erie (Fort Erie, Ontario) jusqu’au 31 août, puis revint dans l’état de New York pour se rendre à Albany. Le 15 novembre, Markle et un autre officier accusèrent Benajah Mallory, successeur de Willcocks à titre de commandant des volontaires, de détournement de fonds et de conduite criminelle. Mallory fut suspendu et Markle prit le commandement de l’unité. Le jour suivant, il reçut l’autorisation d’amener sa famille « vers l’est [...] afin de pouvoir [l’y] établir ». Quand son unité fut démobilisée en mars 1815, il vivait vraisemblablement à Batavia.
La trahison de Markle est comparable à celle de Willcocks et de Mallory. Faute de documents, il est malheureusement difficile de se prononcer sur les motifs de sa conduite. Les historiens américains ont tendance à adopter les conclusions de l’historien de la famille selon lesquelles Markle, aidé de ses amis francs-maçons, aurait fui les poursuites judiciaires et les persécutions de la part des autorités que sa prise de position en faveur de l’annexion du Canada aux États-Unis avait entraînées. Cependant, les archives judiciaires ne confirment pas la moindre poursuite officielle contre lui. Sa brève incarcération en juin 1813 constitue le seul cas de harcèlement attesté et encore, ce ne sont pas les autorités en place qui en prirent l’initiative. Mallory accusa Markle d’opportunisme, donnant à entendre que « jamais il n’[avait] quitt[é] le Canada par principe », mais qu’il avait plutôt cherché « à échapper de justesse à ses créanciers ». C’est possible, mais aucun document judiciaire ni rapport de confiscation de biens ne vient confirmer cette allégation.
Contrairement à Ebenezer Allan*, Markle était demeuré loyal jusqu’au déclenchement de la guerre. Comme il avait beaucoup à perdre, il est possible qu’il ait voulu attendre l’issue la plus favorable à ses intérêts. Toutefois, si tel était le cas, la neutralité aurait été plus prudente que l’opposition en 1813. Le choix du moment demeure donc un élément essentiel à la compréhension de la trahison de Markle. Selon James Durand, successeur de Markle à l’Assemblée, le despotisme militaire sévissait pendant l’été de 1813. Une notice nécrologique publiée dans un journal américain à l’occasion du décès de Markle relève ce point. On peut y lire que Markle, s’opposant à « la corruption et à l’oppression du peuple, démontra clairement que ses principes étaient semblables à ceux qui animaient les défenseurs de la liberté aux États-Unis ». En ce qui concerne sa trahison, on y disait que lorsque la « loi civile avait été supplantée par le pouvoir absolu de l’armée, l’injustice et la violence des fonctionnaires à son égard avaient prouvé que les lois ne lui offraient plus aucune protection et que par conséquent il était dispensé de tout devoir de fidélité envers un tel gouvernement ».
Contrairement à ses frères, Markle était trop jeune au moment de la Révolution américaine pour s’engager activement avec les loyalistes. De plus, avant 1801, il avait presque toujours vécu aux États-Unis. Partant de là, son penchant pour la démocratie peut s’expliquer. Chose certaine, dans le Haut-Canada, il opta pour l’opposition la plus radicale, celle de Willcocks. Les conflits de l’été de 1813 amenèrent Willcocks à se rendre jusqu’au bout de ses opinions et à se prononcer en faveur du républicanisme. Ces conflits eurent le même effet sur Markle et Mallory. Convaincus que rien ne garantissait plus les droits des Canadiens, les trois hommes n’eurent pas d’autre choix que de franchir la frontière ; aux grands maux les grands remèdes. Ce n’est sans doute pas par hasard que l’auberge de Markle à Terre Haute, en Indiana, The Eagle and The Lion, portait une enseigne représentant un « lion britannique fort abattu, les yeux crevés sous les coups d’un aigle victorieux ».
Après la-guerre, Markle était à l’affût des occasions qui lui permettraient de compenser ses lourdes pertes. Poursuivi en justice pour trahison le 24 mai 1814 et reconnu coupable par défaut, il fut déclaré hors-la-loi en 1817 et ses terres retournèrent à la couronne. En décembre 1815, une de ses connaissances avaient évalué ses propriétés du Haut-Canada à 26 900 $. Il ne serait pas étonnant qu’il ait fait partie du groupe de pression qui amena le gouvernement américain à adopter, au début de 1816, des lois pour dédommager les volontaires. Les lois de 1816 et de 1817 lui donnèrent droit à un total de 800 acres. En juin 1816, Markle demanda une autre terre, dont une partie pour son bénéfice personnel et 2 080 acres pour céder à des mandataires ; le mois suivant, il fit des démarches en vue d’obtenir 320 acres de plus. Toutes ces pétitions furent accueillies favorablement. Il choisit des terres situées dans la vallée de la Wabash, dans l’Indiana, et le 19 septembre 1816 il comptait parmi les cinq actionnaires de la Terre Haute Land Company. La ville de Terre Haute ne tarda pas à servir de capitale de district pour le nouveau comté de Vigo. Markle sauta sur l’occasion pour faire des investissements. Il possédait déjà plusieurs moulins, une distillerie, une taverne et des terres. Il hypothéqua ses terres afin de pouvoir se lancer dans des développements plus importants, mais il outrepassa ses capacités et, en 1823, il se retrouva face à une saisie. À sa mort, malgré ses investissements fonciers considérables, ses moulins et les intérêts qu’il possédait dans des entreprises de fabrication et de transport, il laissait d’énormes dettes.
Abraham Markle ne fut pas un personnage populaire en Indiana. Il dut souvent faire appel aux tribunaux civils afin de recouvrer des dettes. Lui-même fut traduit devant des tribunaux criminels, d’abord pour avoir joué à l’argent et ensuite pour menaces et voies de fait. Lorsqu’il se présenta au poste de lieutenant-gouverneur le 5 août 1822, il n’obtint que deux voix. Les historiens du comté le représentent sous les traits d’un homme grand, énergique, emporté, mais souvent généreux et chaleureux. Il aimait la bouteille et les courses. Il semble avoir été terrassé par une attaque alors qu’il arrachait des piquets de clôture sur sa ferme. Membre de la loge maçonnique locale, il fut enterré avec tous les honneurs qui lui étaient dus. À cause de sa trahison, Markle a été dénigré dans l’histoire du Haut-Canada, quand il n’a pas tout simplement été ignoré, mais il n’en est pas moins considéré par les Américains comme un défenseur de la cause de la liberté et un valeureux héritier de la tradition révolutionnaire.
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Robert Lochiel Fraser, « MARKLE (Marakle, Marcle), ABRAHAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/markle_abraham_6F.html.
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Auteur de l'article: | Robert Lochiel Fraser |
Titre de l'article: | MARKLE (Marakle, Marcle), ABRAHAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |