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THORPE, ROBERT, juge et homme politique, né vers 1764 à Dublin, second fils de Robert T. Thorp, barrister, et de Bonna Debrisay ; il se maria et eut sept enfants ; décédé le 11 mai 1836 à Londres.
Robert Thorpe obtint une licence ès arts en 1788 et une licence en droit en 1789 du Trinity College de Dublin. Il semble aussi qu’on lui ait décerné un doctorat en droit avant 1815. Inscrit au barreau irlandais en 1790, il entra au service du ministère des Colonies en 1801 à titre de juge en chef de l’Île-du-Prince-Édouard.
Cette colonie était gouvernée par Edmund Fanning*, un homme de talent mais quelque peu vénal qui, par sa cordialité, son habile duplicité et sa judicieuse non-intervention, avait réussi depuis 1786 à louvoyer entre les exigences des factions locales et la politique impopulaire du ministère des Colonies. Fanning était de complicité avec les propriétaires terriens de l’île, ce qui n’était pas le cas de Thorpe ; en outre, le lieutenant-gouverneur pratiquait une politique du laisser-faire à laquelle ne pouvait souscrire un homme de l’intransigeance du juge en chef et qui représentait probablement un obstacle à l’ambition de celui-ci de se faire un nom à Londres. La colonie offrait certaines possibilités, admit Thorpe un jour, mais il ajoutait : « avant que des progrès ne puissent être réalisés, le gouvernement doit acquérir de la vigueur et de la respectabilité, les classes moyennes, plus d’intelligence et moins de suffisance, et les classes inférieures doivent être moins ivrognes et moins paresseuses ». Thorpe poussa bientôt le procureur général Peter Magowan* à engager une série de poursuites judiciaires d’importance secondaire, semble-t-il, mais irritantes et peut-être injustifiées. Obligé de vivre avec un salaire qu’on lui versait en retard, Thorpe habitait une petite maison dont le toit laissait entrer la pluie ; il devait y subir les récriminations de sa femme et désespérait de pouvoir éduquer ses sept enfants maladifs. Par ailleurs, il était obligé de « se quereller à différents moments avec les diverses classes sociales, parce qu’il n’y trouvait aucune vertu ». Il en vint à détester la colonie. Dans l’espoir de récupérer son salaire, il partit pour l’Angleterre en 1804, muni d’un plan d’union de l’Île-du-Prince-Édouard, du Cap-Breton et de Terre-Neuve qu’il avait élaboré de sa propre initiative dans le but d’impressionner le secrétaire d’État aux Colonies. Au large des côtes de l’Irlande, les Français le capturèrent et l’emmenèrent en Espagne, d’où il parvint à s’échapper.
En 1805, Thorpe fut nommé juge puîné à la Cour du banc du roi du Haut-Canada. À son arrivée à York (Toronto), le 1er octobre, il trouva à la tête du gouvernement Alexander Grant*, désigné par intérim à la suite du décès du lieutenant-gouverneur Peter Hunter* au mois d’août précédent. Thorpe se mit presque immédiatement à fréquenter un compatriote irlandais, le conseiller exécutif Peter Russell*, qui avait cru obtenir le poste de lieutenant-gouverneur mais n’avait jamais recouvré le pouvoir ni même l’influence dont il jouissait avant l’arrivée de Hunter. L’opinion que Thorpe avait de Hunter, qu’il n’avait jamais connu, venait très probablement de l’entourage de Russell, tout comme son hostilité envers Grant. Dans un rapport au ministère des Colonies, Thorpe affirma : « Je m’attendais à ce que la cupidité et l’imbécillité du gouvernement [du Haut-Canada] aient un effet très préjudiciable, mais c’est encore bien pire que je ne le craignais. » Il se mit donc à manœuvrer en vue de s’emparer de la direction intérimaire du gouvernement. Il préconisa une mesure assez raisonnable, soit la création d’une Cour de la chancellerie, et prit l’initiative plutôt inoffensive de fonder des sociétés agricoles et de promouvoir la construction de routes au moyen d’une loterie. Mais, chose plus importante, il essaya de diriger une opposition politique, en suivant la conception limitée et erronée qu’il en avait. Grant resta en fonction jusqu’en août 1806, puis un nouveau lieutenant-gouverneur, Francis Gore*, le remplaça.
Dans le Haut-Canada, les divisions politiques avaient une dimension essentiellement locale ; elles s’étaient créées, à l’intérieur des districts, entre les juges de paix qui représentaient les intérêts opposés de divers groupes ou, plus souvent, entre ces fonctionnaires en place et leurs rivaux évincés qui les attaquaient du haut de la tribune électorale. L’antagonisme qui existait entre les loyalistes installés depuis longtemps et les nouveaux arrivants, venus de la république américaine, aggravait souvent ces divisions : les premiers se sentaient envahis par les seconds. Sur le plan idéologique, la politique était donc marquée par la bruyante opposition entre partisans du républicanisme et fidèles du gouvernement légalement constitué, conflit exacerbé par la menace d’une guerre contre les États-Unis. En 1806, on élut à la chambre d’Assemblée quelques porte-parole des mécontents. Mais, dans la capitale, se trouvaient également un certain nombre de personnes alarmées par la menace du républicanisme et en même temps mécontentes du gouvernement de Hunter à cause de sa « mauvaise gestion » et de ses pratiques « inconstitutionnelles » qu’elles considéraient plus ou moins à l’origine de l’agitation sociale. Parmi ces gens figuraient des Anglo-Irlandais – notamment les amis de Russell et le copain de Thorpe, l’avocat démagogue William Weekes* – qui, portés à assimiler les politiques locales à celles d’Irlande, devinrent des amis et des conseillers du juge.
Les idées de Thorpe reflétaient donc celles de son entourage. Elles découlaient aussi de la dialectique et de la théorie constitutionnelle liées au concept d’indépendance de l’Irlande avant l’union de 1800 et, surtout, de l’ancien droit anglais sur lequel se fondait théoriquement cette indépendance et dont on considérait le juge comme une autorité. Il soutenait que le Haut-Canada ne resterait fidèle à la couronne que si les sujets britanniques pouvaient jouir de certains droits que la loi leur reconnaissait mais que le régime Hunter leur avait déniés. Il incluait dans ces droits, semble-t-il, l’obligation du pouvoir exécutif à rendre des comptes aux représentants élus du peuple. D’ailleurs, Thorpe est probablement l’auteur d’un tract qui affirmait que le lien avec la Grande-Bretagne serait davantage assuré si, comme au Parlement de Westminster, le pouvoir exécutif était détenu par un cabinet responsable, non pas devant le gouverneur, mais devant le corps législatif. Il exposa ses idées politiques à la barre de la chambre d’Assemblée et depuis son siège de juge et, durant la campagne électorale de 1807 qui lui valut la succession de Weekes à la chambre d’Assemblée, il les résuma dans un slogan : « Le roi, le peuple, la loi, Thorpe et la constitution. »
Dans son rôle d’homme politique, Thorpe ne manifesta guère d’intelligence pratique ; toutefois, parce qu’il a fait le lien entre les concepts constitutionnels anglais et irlandais des xviie et xviiie siècles et certaines idées associées par la suite aux principes de gouvernement responsable et d’autonomie politique, il occupe une place assez importante dans l’histoire des idées. Sa pensée et ses actions étaient toutefois incompatibles avec ce qui était alors admis comme la doctrine impériale, et c’est pourquoi Gore le suspendit de ses fonctions en juillet 1807.
Malgré sa réputation de fauteur de troubles, Thorpe fut nommé, en 1808, juge en chef et juge à la Cour de la vice-amirauté de la Sierra Leone. Il ne partit toutefois d’Angleterre qu’en 1811 et y revint en congé en 1813. Il s’engagea alors dans une querelle avec le ministère des Colonies à propos d’une somme de £630 qu’il était censé devoir à celui qui l’avait remplacé en Sierra Leone en son absence. En mars 1814, on ordonna de prélever ce montant sur son salaire. En janvier 1815, Thorpe transmit au secrétaire d’État aux Colonies un certain nombre de plaintes contre Charles William Maxwell, ancien gouverneur de la Sierra Leone, en mettant aussi en cause la probité de l’African Institution, organisation mise sur pied par des philanthropes évangéliques dans le but de venir en aide aux esclaves affranchis. On demandait à lord Bathurst, secrétaire d’État aux Colonies, de donner suite à ces plaintes ou bien de les transmettre au prince régent en conseil. Thorpe présenta en même temps, en son nom, une requête par laquelle il réclamait les £630. Bathurst, qui flaira apparemment un chantage, décida de révoquer Thorpe en alléguant que, même si ses plaintes étaient fondées, il avait fait preuve de négligence en les adressant aussi tardivement.
Jusqu’en 1828, Robert Thorpe rédigea un grand nombre de brochures dans l’espoir de porter sa cause et celle de la Sierra Leone devant le Parlement. En 1827, Joseph Hume demanda à lord Goderich d’intervenir en faveur de Thorpe, « sinon sur le plan juridique, du moins à titre humanitaire, afin de lui éviter, à lui et à sa famille, l’indigence absolue ». À sa mort en 1836, toutefois, l’ancien arpenteur général Charles Burton Wyatt fit savoir à William Warren Baldwin que Thorpe avait laissé « une aimable famille à l’abri des soucis financiers ».
Des nombreux pamphlets de Robert Thorpe, un seul traite en détail de son expérience à l’Île-du-Prince-Édouard et dans le Haut-Canada. Le seul exemplaire qui semble exister d’Appendix to the case of Robert Thorpe, esq., L.L.D., elicited by a letter from Viscount Goderich, to Joseph Hume, esq., M.P. (Londres, 1828) se trouve au PRO, CO 267/88. Un grand nombre d’articles sur le pamphlétaire Thorpe ont été publiés dans la presse contemporaine. Il existe aussi un bon nombre de références à Thorpe dans G.-B., Parl., The parliamentary debates (Londres), parce que, de temps en temps, son activité souleva des questions et des débats à la chambre des Communes. La source la plus importante concernant sa carrière au Haut-Canada est « Political state of U.C. », APC Report, 1892 : 32–135. On trouve d’autres documents sur Thorpe dans les W. W. Baldwin papers, à la MTRL, et les Baldwin papers, aux AO, MS 88. Ses séjours à l’Île-du-Prince-Édouard et en Sierra Leone sont commentés dans les séries PRO, CO 226 et CO 267.
Les études suivantes s’avèrent pertinentes : S. D. Clark, Movements of political protest in Canada, 1640–1840 (Toronto, 1959) ; Craig, Upper Canada ; Creighton, Empire of St. Lawrence ; R. B. McDowell, Irish public opinion, 1750–1800 (Londres, 1944) ; la partie consacrée à Thorpe par William Renwick Riddell* dans son ouvrage Upper Canada sketches : incidents in the early times of the province (Toronto, 1922) et son article « Scandalum Magnatum in Upper Canada », American Institute of Criminal Law and Criminology, Journal (Chicago), 4 (1913–1914) : 12–19. Enfin l’article de l’auteur, « Whiggery, nationality, and the Upper Canadian reform tradition », CHR, 56 (1975) : 25–44, contient les arguments qui appuient l’interprétation qu’il fait de Thorpe et établit le fait que « An Upper Canada letter of 1829 on responsible government », K. D. McRae, édit., CHR, 31 (1950) : 288–296, renferme probablement une partie d’un important manuscrit de Thorpe. Il est bon de noter que l’auteur a changé radicalement d’opinion sur le juge depuis qu’il a écrit sa thèse « Studies in elections in U.C. ». [g. h. p.]
G. H. Patterson, « THORPE, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/thorpe_robert_7F.html.
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Auteur de l'article: | G. H. Patterson |
Titre de l'article: | THORPE, ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
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