STREET, SAMUEL, homme d’affaires, homme politique, fonctionnaire, juge et officier de milice, né en 1753 à Wilton, Connecticut, fils de Samuel Street et d’Elizabeth Smith ; il épousa Phoebe Van Camp, et ils eurent une fille ; décédé le 3 février 1815 à Thorold, Haut-Canada.

Pendant les premières années de la Révolution américaine, Samuel Street commerça avec les Indiens sur la rivière Susquehanna. En 1778, mû (selon sa fille) par son « attachement à la cause britannique », il laissa sa famille à New York pour s’établir au fort Niagara (près de Youngstown, New York). Marchand pendant toute la guerre, il approvisionna l’armée britannique et ses alliés indiens. Le 10 juillet 1780, il s’associa à Francis Goring et à James Burnet, qui quitta plus tard la compagnie. À la fin de l’été suivant, Goring l’ayant quittée aussi, Street se retrouva seul avec un actif de £7 315 et des dettes de £5 256. Contrairement à Robert Hamilton et à Richard Cartwright, il ne noua jamais des liens étroits avec l’armée britannique. Une fois la guerre terminée, il perdit donc cette importante source de revenus qu’avait été l’approvisionnement militaire et se rabattit sur le commerce avec les Indiens et sur la vente de marchandises au département des Affaires indiennes.

Pour se faciliter les choses, Street lia ses intérêts à ceux d’un fonctionnaire du département des Affaires indiennes à Niagara, John Butler*. En août 1785, il fonda avec Andrew, fils de celui-ci, une compagnie qui devait durer jusqu’au 4 janvier 1797. Les associés, qui tenaient un magasin au fort Niagara, importèrent au cours de leurs deux premières années d’exploitation des marchandises valant environ £15 000 (cours d’Angleterre). Mais le commerce avec les Indiens déclinait rapidement, et il fallait désormais faire concurrence aux marchands américains. En 1789, les associés construisirent sur le ruisseau Fifteen Mile une scierie qu’ils vendirent à John Butler dès 1792. À ce moment, leur compagnie avait acquis la réputation d’être corrompue. En 1790, le gouverneur lord Dorchester [Guy Carleton] ordonna la tenue d’une enquête sur leurs activités car, prétendait-on, ils vendaient dans leur magasin des marchandises volées au département des Affaires indiennes. Sir John Johnson* qualifia leurs actes de « vraiment extraordinaires et inexplicables », mais les deux associés et John Butler ayant offert des garanties, l’affaire n’eut pas d’autres suites.

Il est évident que, dès 1788, Street se trouvait dans une piètre situation financière. En fait, il dut suspendre ses activités pour se débarrasser de ses dettes. La même année, dans l’espoir de réaliser rapidement des profits, il s’engagea dans les spéculations foncières d’Oliver Phelps et de Nathaniel Gorham à New York. Il représentait les intérêts de sa propre compagnie et de plusieurs individus de la région de Niagara, dont John Butler. Connu sous le nom de Niagara Company, ce groupe acheta 15 actions dans l’affaire de Phelps et de Gorham. Quand Dorchester eut vent de la transaction, il exprima sa désapprobation dans les termes les plus vifs, voyant que le projet en question allait déposséder encore davantage les Six-Nations de leur territoire new-yorkais en les attirant en plus grand nombre vers leur établissement de la rivière Grand, dans le Haut-Canada. Street fut l’un des seuls à ne pas vouloir renoncer à ses titres. Malgré la difficulté qu’il avait eue à payer sa part, il ne la revendit que beaucoup plus tard.

Street fit preuve de plus d’ambition en s’alliant au projet de colonisation de William Berczy et de la German Company. Il fut leur représentant et, en 1794, accepta d’acheter le quart des actions détenues par Berczy dans la compagnie. Il s’associa aussi à Elijah Phelps pour approvisionner l’entreprise. En 1796, année de sa dissolution, la compagnie devait à Street et à sa nouvelle société des sommes importantes dont seulement une part relativement petite fut remboursée.

L’échec de Street comme spéculateur foncier freina sans doute ses opérations commerciales. En 1797, Hamilton écrivit que ce dernier était « pour l’heure libre des embarras causés par les affaires ». Toutefois, Street n’avait pas tout à fait cessé de faire du commerce. Ainsi, en avril 1799, il fournit à la Holland Land Company de New York plus de 500 $ de marchandises. Mais il semble que dès lors il comptait surtout vivre des revenus de Grove Farm, l’exploitation agricole qu’il possédait dans le canton de Willoughby, et de la vente de ses terres du Haut-Canada. En 1796, on lui avait accordé 1 200 acres, et il déclara l’année suivante en avoir « cultivé plus de 300 ». En 1798, il demanda au Conseil exécutif de confirmer ses titres de propriété sur 8 700 acres de terre qu’il avait probablement achetées ou obtenues en paiement d’une dette. Une bonne partie de ces terres, soit 3 600 acres, se trouvaient dans le canton de Willoughby. La plupart de ses propriétés durent être vendues par la suite puisqu’à sa mort Street ne possédait que les 500 acres de Grove Farm, 300 acres situées juste à côté et 200 acres de « bonne terre dans le district de Niagara ».

Comme Street s’était établi tôt dans la péninsule et appartenait à la communauté des marchands, il était tout désigné pour occuper une charge publique, malgré son peu de succès dans les affaires. En 1787, John Butler proposa qu’il fût nommé dans l’administration civile et, l’année suivante, il devint juge de paix dans le nouveau district administratif de Nassau. Ce n’est qu’en 1796 qu’il obtint un deuxième mandat, cette fois à l’instigation du lieutenant-gouverneur Simcoe. Par la suite cependant, sa nomination fut renouvelée régulièrement jusqu’à sa mort. En 1797, Hamilton insista pour qu’il fût nommé membre de la commission qui allait renégocier l’entente sur le partage des droits de douane avec le Bas-Canada, alléguant qu’à son avis Street « conna[issait] les intérêts commerciaux de la province au moins autant [...] que la plupart des membres de la communauté ». Apparemment, l’administrateur Peter Russell en convint, mais il fut incapable de rejoindre Street, qui se trouvait alors aux États-Unis. En 1801, Street avait acquis dans son milieu une importance plus grande encore puisqu’il était devenu l’adjoint de Hamilton, lieutenant du comté de Lincoln. En outre, le 7 janvier 1807, il fut nommé juge à la Cour du district de Niagara.

Bien qu’il ne fût pas un marchand important, Street appartenait à la communauté des marchands du district et, à ce titre, était sensible à leurs intérêts. En 1792, il tenta de se faire élire au premier Parlement du Haut-Canada, mais fut battu à plate couture par un ancien officier des rangers de Butler, Benjamin Pawling. Toutefois, les marchands surent s’imposer dans la péninsule aux élections de 1796, et Street fut élu dans la deuxième circonscription de Lincoln. Il se distingua peu au cours de ce mandat, mais vota avec la majorité en faveur du projet de loi de Christopher Robinson*, qui visait à étendre l’esclavage dans la province. Le 5 juin 1800, il succéda à l’arpenteur général David William Smith* à la présidence de la chambre, malgré l’opposition unanime des députés du district d’Eastern, parmi lesquels figurait John McDonell (Aberchalder). Le poste de président était important et donnait droit à une confortable allocation annuelle de £200 (cours de Halifax).

Aux élections de 1800, les candidats des marchands, Street et William Dickson*, furent défaits par Ralfe Clench* et Isaac Swayze* à cause du tumulte soulevé par le projet que Hamilton et d’autres avaient présenté en vue d’apporter des améliorations majeures au portage du Niagara. Selon le secrétaire du scrutin Robert Nichol*, Street perdit par 22 voix, « malgré les innombrables efforts de ses amis ». Nichol regrettait la tournure des événements, car « la longue expérience [de Street] dans les affaires publiques et son énergie auraient rendu de grands services au pays et auraient ajouté de la respectabilité au corps législatif ». Selon certaines sources, Street se présenta de nouveau aux élections de 1804.

La montée de l’opposition parlementaire associée à William Weekes et à Robert Thorpe* mit fin, dans la péninsule, à la vieille division qui opposait les marchands à la coalition formée par les fonctionnaires et les officiers loyalistes. En 1808, Street fut élu dans la troisième circonscription de Lincoln et reporté encore une fois à la présidence. Le 12 février 1810, l’opposition dirigée par Joseph Willcocks contre le projet de loi sur les écoles ayant divisé la chambre en deux blocs égaux, il appartint à Street de trancher. Il vota en faveur du projet. Mais l’incident le plus connu de sa carrière de président demeure l’imbroglio qui entoura l’affaire Nichol. La chambre engagea d’abord des poursuites contre cet homme pour mépris de l’autorité et des privilèges de l’Assemblée. Puis, quand il fut arrêté sur la délivrance d’un mandat du président, le juge en chef Thomas Scott* établit que le mandat n’était pas valide puisqu’il « sembl[ait] sous tous les rapports avoir été décerné personnellement par M. Street, sous son sceau, ce qui suppos[ait] qu’il a[vait] été investi personnellement de l’autorité nécessaire par la chambre d’Assemblée ». Nichol fut libéré et intenta sans délai un procès à Street. L’Assemblée fut outragée par ce qui semblait être une immixtion du pouvoir judiciaire dans ses privilèges. L’administrateur de la province, Brock, appuya Nichol contre le « pouvoir démesuré que s’était arrogé [la chambre] » et considéra son acte comme une « injustice manifeste ». Tout était en place pour un affrontement majeur que seul l’éclatement de la guerre de 1812 put éviter.

Street, qui était capitaine dans le 3e bataillon de milice de Lincoln depuis 1809, fut nommé le 9 octobre 1812 officier payeur des compagnies de flancs-gardes du 1er bataillon de milice d’Oxford et des 2e, 3e et 5e bataillons de milice de Lincoln. Le 22 octobre 1813, il demanda d’être nommé à titre intérimaire sous-officier payeur de la milice, poste qu’il conserva jusqu’au 24 mai 1814. Pendant la guerre, on lui confia plusieurs mandats. Ainsi, le 24 juillet 1813, il fut l’une des importantes personnalités locales à être nommées pour s’occuper des fermes abandonnées et de leurs produits, et, le 24 mars 1814, il fut chargé à titre de commissaire de district d’appliquer une loi récente sur l’arrestation et la détention des traîtres. La région de Niagara avait subi de lourdes pertes matérielles durant la guerre, et les propriétés de Street n’y avaient pas échappé. Il réclama pour ses dommages £1 878 2 shillings et 6 pence, dont £750 pour les pertes causées par les troupes britanniques et leurs alliés indiens. Il reçut plus tard un dédommagement de £1 333.

Contrairement à son neveu Samuel Street* (généralement connu sous le nom de Samuel Street le jeune), qui vécut chez lui pendant de nombreuses années, Samuel Street n’obtint jamais de grands succès commerciaux. Il fut incapable d’établir après la guerre une stratégie économique efficace comme le fit Robert Hamilton. Son importance provient sans doute davantage du rôle qu’il joua sur la scène politique comme porte-parole des marchands de Niagara. De sa vie privée, on sait peu de chose. Son testament indique qu’il tenait beaucoup à sa famille, à sa foi et à sa ferme. Ces documents font souvent allusion pour la forme à la religion. Street, lui, remit son âme entre les mains du « Dieu tout-puissant qui l’avait créée, dans l’espoir que [son] Saint-Sauveur Jésus-Christ lui assurera[it] une heureuse résurrection à la vie éternelle ». Il légua sa ferme bien-aimée à sa fille Mary afin qu’elle « la possède et en jouisse dans la paix et en toute quiétude pour le reste de sa vie ». Enfin, cet homme, qui avait distribué pendant la guerre les fonds de la Loyal and Patriotic Society aux pauvres, leur garantit aussi une donation au cas où il n’aurait pas d’héritier.

Bruce A. Parker

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Bruce A. Parker, « STREET, SAMUEL (1753-1815) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/street_samuel_1753_1815_5F.html.

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Auteur de l'article:    Bruce A. Parker
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
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