CHAUSSEGROS DE LÉRY, GASPARD-JOSEPH (Joseph-Gaspard), ingénieur militaire, seigneur, grand voyer et conseiller législatif, né le 20 juillet 1721 à Québec, fils de Gaspard-Joseph Chaussegros* de Léry et de Marie-Renée Legardeur de Beauvais ; il épousa le 24 septembre 1753, à Québec, Louise, fille de François Martel* de Brouague, et ils eurent 18 enfants, dont sept parvinrent à l’âge adulte ; décédé à Québec le 11 décembre 1797.

Fils et petit-fils d’ingénieurs militaires, Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry se prépara dès son enfance à exercer cette profession au Canada. Cadet dans les troupes de la Marine à 12 ans, il apprit l’arpentage, la cartographie et les techniques de construction ; en 1739, il fut nommé sous-ingénieur, à un moment où son père était ingénieur en chef de la colonie. En 1739–1740, il participa à l’expédition de Pierre-Joseph Céloron* de Blainville contre les Chicachas. Promu enseigne en second en 1742, il travailla, jusqu’en 1748, comme ingénieur au fort Saint-Frédéric (près de Crown Point, New York), où les travaux de défense, dont son père lui laissa la responsabilité, furent par la suite condamnés pour la mauvaise qualité de leur conception et de leur réalisation. Il remplit les mêmes tâches à Montréal, Chambly et Québec. En août 1746, il accompagna François-Pierre de Rigaud de Vaudreuil au cours du raid qui conduisit à la prise du fort Massachusetts (Williamstown, Massachusetts) et, en octobre 1747, il conduisit 50 Indiens et soldats français en Nouvelle-Angleterre, pour mener des attaques surprises contre les Britanniques, les Agniers et les Loups. Promu enseigne en 1748, il dirigea la construction du fort Saint-Jean, sur le Richelieu. Son travail lui valut l’estime du commandant général de la Nouvelle-France, Roland-Michel Barrin* de La Galissonière, et son administration des finances, de sévères critiques de la part de Bigot. En 1749, La Galissonière l’envoya de Montréal à Détroit, pour effectuer une mission de reconnaissance qui fournit d’utiles données stratégiques, de même que des renseignements d’ordre géographique et astronomique.

À son retour de Détroit, Chaussegros démissionna de son poste de sous-ingénieur, tout en restant dans l’armée en qualité d’enseigne. Il pensait probablement que son avenir serait plus brillant sous la direction d’officiers, dont plusieurs avaient une haute opinion de ses travaux, que sous celle de Bigot, qui cherchait à imposer une autorité plus immédiate de l’administration civile sur les fortifications, et pour qui, au demeurant, cette démission ne représentait « pas une grosse perte ». Le gouverneur La Jonquière [Taffanel*], en vue d’alléger la pression qui s’exerçait sur le petit groupe des ingénieurs de la Nouvelle-France, continua néanmoins de mettre largement à profit les connaissances de Chaussegros, loin de la surveillance de l’intendant, et exprima une grande satisfaction pour son travail. En 1750 et en 1751, Chaussegros œuvra dans l’isthme de Chignectou (Nouvelle-Écosse), dressant des cartes, rédigeant des rapports sur la géographie de la région et construisant des forts munis de palissades. En 1751, La Jonquière l’envoya en France où il remit au ministre de la Marine, Rouillé, les plans et les rapports préparés en Acadie. En novembre 1752, il était de retour à Québec. De 1753 à 1756, il vécut dans la région frontalière délimitée par le fort Niagara (près de Youngstown, New York), Détroit et le fort Duquesne (Pittsburgh, Pennsylvanie), occupé à la construction de fortifications et au transport d’approvisionnements et marchandises de traite en provenance de Montréal.

En mars 1756, Chaussegros mena, à travers des forêts quasi impénétrables et par mauvais temps, un parti de 360 hommes, Indiens, Canadiens et soldats réguliers français, chargés de détruire le dépôt de ravitaillements du fort Bull (à l’est du lac Oneida, New York). Le succès de cette entreprise réduisit à néant les plans britanniques d’une offensive printanière dans la basse région des Grands Lacs et lui valut, en 1757, sa promotion du grade de lieutenant (obtenu en 1751) à celui de capitaine, et, en janvier 1759, la croix de Saint-Louis. La victoire du fort Bull avait aussi donné à Montcalm* le temps de préparer la prise importante de Chouaguen (ou Oswego ; aujourd’hui Oswego, New York), en août 1756, au cours de laquelle Chaussegros commandait l’aile gauche du corps d’avant-garde de François-Pierre de Rigaud de Vaudreuil, formé de Canadiens et d’Indiens. Montcalm, qui n’était pas, en général, impressionné par les officiers canadiens, trouva en Chaussegros une agréable exception. En juin 1757, le gouverneur Vaudreuil [Rigaud], qui en était venu, lui aussi, à estimer grandement Chaussegros, lui donna le mandat d’améliorer les fortifications de Québec, en attendant l’arrivée, en septembre, de Nicolas Sarrebource* Maladre de Pontleroy. En juillet 1758, Chaussegros accompagna Paul-Joseph Le Moyne de Longueuil pour une mission diplomatique visant à assurer aux Français l’appui des Six-Nations ; en mai et juin 1759, pendant que les Britanniques remontaient le Saint-Laurent, il organisa l’évacuation des populations, de la seigneurie de L’Islet-du-Portage jusqu’à Rimouski. Il participa à la bataille des plaines d’Abraham ; il fut blessé et fait prisonnier par les Britanniques qui l’enfermèrent à l’Hôpital Général. À la fin de 1761, on l’envoya en France avec sa famille.

La carrière de Chaussegros, après la Conquête, fournit un bon exemple de ces déchirements, sur le plan de la loyauté, qu’occasionne un changement de souveraineté dans un territoire donné. Il essaya d’obtenir de l’emploi dans l’armée française, mais ne reçut que de vagues promesses d’éventuelles nominations à titre militaire, ou des offres de terres non défrichées dans quelque colonie tropicale. Sa richesse liquide, en papier du Canada, s’élevait à peu de chose, malgré une valeur nominale de 94 000#. Se souvenant de ses biens au Canada, en particulier de sa seigneurie de Léry, il s’arrangea, en 1763, avec les fonctionnaires britanniques de Paris et de Londres pour rentrer au Canada via l’Angleterre. S’il courtisa assidûment les nouveaux maîtres du Canada et s’il eut la distinction d’être le premier seigneur canadien à être présenté au roi George III, il n’en fut pas moins froidement accueilli par le gouverneur Murray à son arrivée à Québec en septembre 1764, surtout parce qu’il avait laissé en France deux de ses fils qui se préparaient à la carrière des armes. Découragé, Chaussegros se proposait, à la fin de 1765, de vendre ses biens à perte et de prendre irrévocablement le parti de la France. Mais les autorités françaises avaient surveillé ses faits et gestes dès ses premières démarches auprès des Britanniques, si bien que, loin d’être bienvenu en France et de pouvoir y trouver un emploi, il risquait d’y être arrêté dès son retour. Quand, en 1766, il découvrit que le gouvernement britannique n’avait aucune objection à ce que ses fils restassent en France (puisque, comme catholiques, ils n’obtiendraient peut-être jamais de commissions britanniques), il décida de rester au Canada.

Chaussegros trouva, dans le gouverneur Guy Carleton*, un ami et un défenseur ; sous son gouvernement, il connut la prospérité. En 1768, Carleton le nomma grand voyer du district de Québec, en remplacement de François-Joseph Cugnet. Le gouverneur appuya sa demande d’une pension britannique (promise en 1763), en faisant valoir que les Canadiens influents préférant vivre sous la loi britannique, plutôt que de partir pour la France ou pour une colonie française, méritaient d’être encouragés. En 1775, il lui obtint sa nomination au Conseil législatif de la province de Québec dont le territoire avait été récemment agrandi, et, en 1792, il le nomma au nouveau Conseil législatif du Bas-Canada, au sein duquel Chaussegros devait siéger jusqu’à sa mort.

Financièrement et politiquement, le Régime britannique s’avéra favorable à Chaussegros. Il avait hérité de son père le fief de Beauvais et la seigneurie familiale de Léry. Il vendit cette dernière à Gabriel Christie en 1766, mais, de 1768 à 1783, il fit l’acquisition des seigneuries de Perthuis, Rigaud-Vaudreuil, Gentilly, Le Gardeur et Sainte-Barbe. En 1797, ces seigneuries, comptant une population totale de 356 habitants, rapportaient 2 813# par année. Il possédait encore deux moulins à blé, deux scieries et deux maisons situées à Québec, qui lui rapportaient net, 2 892# par année.

Quelques contemporains britanniques, et au moins un historien éminent, ont été enclins à rabaisser Chaussegros au rang des médiocrités. En 1764, le comte de Hertford le disait « personne de [...] bien peu [...] de capacité » ; en 1775, le colonel Henry Caldwell*, qui fut souvent à couteaux tirés avec Carleton, qualifiait la ferveur de Chaussegros pour le gouverneur « d’adulation servile » ; en 1789, enfin, Alexander Fraser traitait d’« illettrés » tous les Canadiens du Conseil législatif, y compris Chaussegros. Elizabeth Arthur l’a jugé, d’après l’ensemble de ses votes au conseil, non renseigné et sans ligne de conduite précise ; elle ajoute qu’après la nomination de François Baby*, Chaussegros n’avait en vue, quand il votait, que de s’opposer à Baby.

Il est difficile d’accepter ces jugements. Les rapports que Chaussegros rédigea sous le Régime français prouvent qu’il possédait un bon esprit d’analyse. Au Conseil législatif, après 1775, il prôna la conservation des archives publiques, l’amélioration des mesures existantes pour la prévention des incendies, la fondation d’une école de droit et d’une école d’arpentage dont les professeurs seraient salariés et les cours gratuits, un nombre de notaires suffisant pour répondre à la demande et l’adoption de mesures en vue d’une réelle prévention des maladies. Il vota contre la loi martiale en 1778, préféra les restrictions volontaires au contrôle obligatoire des prix en 1780, et parraina les lois concernant les grandes routes et l’arpentage des terres en 1785. Deux ans plus tard, il appuya en principe l’abolition de l’esclavage, tout en refusant que la province de Québec devînt un refuge pour les esclaves fugitifs de l’étranger, et il fut le seul conseiller à voter contre le renvoi du projet de loi à la session suivante. Chaussegros, toutefois, n’était pas avocat et il eut, c’est probable, de la difficulté à saisir les principes des droits anglais et français : cela peut expliquer quelques flottements dans ses votes sur les questions juridiques. Quant à son attitude envers Baby, les documents montrent sans équivoque qu’il vota parfois comme ce marchand, et parfois contre lui, à plusieurs reprises. Dans sa vision politique d’ensemble, il se trouva néanmoins en accord avec le French party, faction au sein du conseil, en favorisant le maintien de l’Acte de Québec et en s’opposant à l’introduction de réformes telles que la mise en vigueur du droit commercial anglais et la création d’une assemblée législative.

Chaussegros avait survécu à la rupture provoquée par la Conquête en liant étroitement ses sentiments de loyauté à ses intérêts personnels. Il avait réussi, avant 1760, à cultiver l’amitié d’hommes aussi influents que La Galissonière et Vaudreuil, et il continua habilement par la suite d’en user de même, et avec de bons résultats, à l’égard de Carleton, de Charles et George* Townshend, du gouverneur Haldimand et du prince Edward Augustus*. Reconnaissant, en 1775, qu’il était l’obligé de la Grande-Bretagne, il parla de « la crédulité et simplicité de beaucoup dhabitans » qui avaient épousé la cause américaine. Il était aussi guidé par son amour pour ses fils, n’épargnant aucune peine pour assurer leur avenir. Il renvoya son second fils en France, en 1783, à la suite de ses inutiles efforts pour lui obtenir une commission dans l’armée britannique ; de nouveau, en 1796 et en 1797, il chercha à obtenir que deux de ses fils puissent faire carrière dans l’armée britannique. Toutefois, aussi longtemps que se maintint la monarchie française, il reçut, en reconnaissance de ses services antérieurs, une pension de 590#, mise à la disposition de ses fils tant qu’ils étudièrent en France. Trois ans avant sa mort, Chaussegros réaffirma son allégeance à la couronne britannique, dont il recevait une pension annuelle de £200, en signant une pétition qui dénonçait la conspiration des Américains et de la République française contre les Canadas.

Les funérailles de Chaussegros de Léry, le 14 décembre 1797, témoignèrent de la prospérité relative et de l’influence sociale auxquelles il était parvenu. Il fut enseveli dans la cathédrale de Québec. L’évêque coadjuteur de Québec, Mgr Joseph-Octave Plessis*, présida la cérémonie religieuse, à laquelle assistaient plusieurs de ses anciens collègues du conseil.

F. J. Thorpe

AN, Col., C11A, 72, f.239 ; 93, ff.55, 285 ; 99, f.498 ; 100, f.253 ; C11E, 10, ff.200–203 ; D2C, 48, ff.278v., 298, 316 ; E, 77 (dossier Chaussegros de Léry) ; Marine, 3 JJ, 271, no 2, Mémoire de Chaussegros de Léry sur le lac Ontario ; Section Outre-mer, Dépôt des fortifications des colonies, Am. Sept., nos 317, 503, 522, 533–535, 546–549.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 69, pp.329, 349 ; MG 23, A4, 16, pp.36, 39 ; GII, 1, sér. 3, lord Elibank à Murray, 22 mai 1764 ; RG 1, E1, 6–7 ; RG 4, B6, 10–18 ; RG 14, A1, 1–2.— Archives du ministère des Affaires étrangères (Paris), Mémoires et doc., Amérique, 10, ff.256s.— PRO, CO 42/29, f.9 ; 42/66, f.400. APC Report, 1904, app.D, 118 ; 1929, app.A, 41s.— [G.-J. Chaussegros de Léry], Les journaux de campagnes de Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry, A.[-E.] Gosselin, édit., ANQ Rapport, 1926–1927, 334–348, 372–394 ; Journal de Joseph-Gaspard Chaussegros de Léry, lieutenant des troupes, 1754–1755, ANQ Rapport, 1927–1928, 355–429.— Coll. des manuscrits de Lévis (Casgrain), X : 22–25.— Inv. des papiers de Léry (P.-G. Roy), II ; III.— NYCD (O’Callaghan et Fernow), X : 307, 528–534.— Papiers Contrecœur (Grenier), 46s., 51, 182, 210, 224, 248, 307.— DBF, VIII : 882s.— Æ. Fauteux, Les chevaliers de Saint-Louis, 170. [François Daniel], Nos gloires nationales ; ou, histoire des principales familles du Canada [...] (2 vol., Montréal, 1867), II : 141. Stanley, New France, 138–140. Elizabeth Arthur, French Canadian participation in the government of Canada, 1775–1785, CHR, XXXII (1951) : 303–314. P.-G. Roy, La famille Chaussegros de Léry, BRH, XL (1934) : 589–592.

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F. J. Thorpe, « CHAUSSEGROS DE LÉRY, GASPARD-JOSEPH (Joseph-Gaspard) (1721-1797) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chaussegros_de_lery_gaspard_joseph_1721_1797_4F.html.

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Auteur de l'article:    F. J. Thorpe
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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Date de consultation:    1 décembre 2024